Le foot remporte la mise

On aura noté la rareté informative sur le blog ces derniers temps. Mais je fais confiance à l’immense majorité très affutée de nos lecteurs habituels pour en avoir déduit la cause principale. En effet, en ce moment, dans la presse argentine, l’actualité dominante, pour ne pas dire écrasante, a pris une très nette forme sphérique.

En bref, les unes des journaux, depuis début novembre, sont couvertes de photos de types en maillots de toutes les couleurs, et, pour ce qui concerne nos amis Argentins, surtout en bleu ciel et blanc. Tenez, rien qu’aujourd’hui, dans la Nación, sur 35 articles proposés en page d’accueil, 13 sont consacrés au Mondial de foot. Et encore, ce journal place quand même 5 articles plus généraux, politiques ou sociaux, avant. Clarín et Pagina/12, eux, mettent carrément le Mondial aux premières loges, le dossier spécial Mondial arrivant en haut de page : 5 articles pour Clarín, 6 pour Pagina/12. Et le fait que l’Argentine ait joué (et gagné) la veille n’influe en rien : c’était pareil les jours d’avant.

Tous les connaisseurs le savent, et le serineront : l’Argentine est un pays de football, celui de Maradona et de Messi, un des quatre ou cinq pays majeurs du sport le plus populaire au monde. Mes amis Porteños (Les Porteños, je le rappelle, sont les habitants de la capitale, Buenos Aires) ont beau avoir une conscience politique, et ne pas être totalement ignorants des critiques adressés à ce « mondial de la honte » comme l’appellent ses détracteurs, ils sont à fond.

Hier, ils m’ont envoyé des photos de la fan zone de Palermo, où ils étaient allés en famille voir le match de huitième de finale contre l’Australie. On a beau communiquer tous les jours, je n’ai pas lu de leur part le moindre doute quant au fait de savoir s’il fallait boycotter ou suivre le tournoi.

Fan Zone lors du match Argentine-Australie du 03-12-2022 – Quartier de Palermo, Buenos Aires.

L’Argentine tout entière, de gauche à droite et des plus pauvres aux plus riches, est devant ses écrans. En plus, pour eux, et pour une fois, le Mondial a lieu l’été, ce qui ne gâte rien et rend les rassemblements encore plus agréables et festifs. On peut assister aux matches en sirotant son Fernet-Coca en terrasse.

J’ai eu beau chercher, dans les grands quotidiens en ligne, pas l’ombre d’une polémique, pas trace de la moindre critique, pas de place au moindre doute. Il est vrai qu’en Argentine, l’écologie n’est pas un souci encore très prégnant. L’écologie politique n’est même pas encore née. L’exploitation des travailleurs migrants pourrait l’être en revanche, si l’histoire du pays avait été moins marquée, justement, par une inégalité systémique et une relation entre capital et travail très défavorable au second. L’exploitation ouvrière, en Argentine, on connait bien, et on la vit au moins aussi violemment qu’au Qatar. Demandez aux indiens, aux ouvriers agricoles (peones) ou aux habitants des nombreux bidonvilles qui s’étendent aux alentours, et même dans les centres, des grandes agglomérations.

Ne pas oublier non plus que le dernier Mondial à avoir posé autant de problèmes de conscience aux habitants des pays les plus favorisés de la planète – essentiellement occidentaux – a été justement celui de 1978 en… Argentine. Pendant la dictature des généraux Videla et Cie. Le mot boycott sonne donc assez mal aux oreilles argentines (Même s’il existe, et même traduit, contrairement à chez nous : boicoteo, et le verbe boicotear…).

Bref, en Argentine, c’est la fête du foot, qui permet de surcroit d’oublier pendant quelques semaines les soucis du quotidien, qui s’accumulent ces derniers temps. Inflation galopante, augmentation des prix, monnaie qui ne vaut plus rien (mes amis, qui rêvent de venir en Europe, devront probablement attendre encore quelques années), crise politique aiguë…

Tiens, à propos de crise politique. Nous devrions connaitre d’ici peu le sort de l’ancienne présidente – et actuelle vice-présidente – Cristina Kirchner. Depuis plusieurs années en procès pour corruption, fraude fiscale et association de malfaiteurs, notamment au sujet de chantiers et d’appels d’offre qui auraient fait l’objet de favoritisme et de divers pots de vin, elle pourrait écoper de 5 à 8 ans de prison, et de 20 ans d’inéligibilité. Le verdict sera prononcé mardi prochain. Ceci dit quel qu’il soit, et même si elle est déclarée coupable – ce qui, pour les quotidiens de droite comme Clarín et La Nación, est plus que probable – elle n’ira pas en prison, et pourra même se présenter à la prochaine présidentielle : elle est loin d’avoir épuisé tous les recours que le justice argentine lui autorise.

Ne me demandez pas mon avis là-dessus. La lecture des quotidiens argentins ne peut être d’aucun secours pour se faire une idée, tant l’indépendance des médias y est inexistante. Véritable corruption ou soft power façon Lula au Brésil, pour dézinguer un personnage politique encore très populaire ? Impossible de trancher. Il semble peu probable que Cristina ait les mains totalement propres dans cette affaire. Le pouvoir est le pouvoir, avec les privilèges et petits arrangements qui vont avec. Que les Kirchner (son mari avait été président lui aussi de 2003 à 2007) en ait fait profiter leurs copains entrepreneurs, comme le fameux Lazaro Baez, n’aurait rien d’étonnant. Mauricio Macri, président de droite de 2015 à 2019, n’est sans doute pas le mieux placé pour servir de contre-exemple.

Le pouvoir corrompt, c’est bien connu. Et le pouvoir, les Kirchner l’ont eu pendant 12 ans consécutifs ! Et il ne les a pas appauvris, bien au contraire : leur solide patrimoine (propriétés agricoles, hôtels, immeubles) en fait foi. La nouvelle madone des humbles (on compare souvent Cristina à Evita) est très riche.

Mais ne comptez pas sur Clarín et la Nación (anti) ou sur Pagina/12 (pro) pour séparer le bon grain de l’ivraie, comme disent les catholiques. Pour les uns, Cristina ferait passer Al Capone pour un bienfaiteur de l’humanité, pour les autres, elle est une nouvelle sainte Blandine donnée en pâture aux lions de l’ultra libéralisme. Dans tous les cas, sa figure permet de se simplifier singulièrement les problèmes de conscience, en peignant la situation politique tout en noir ou blanc, et en rejetant la responsabilité intégrale des problèmes du pays sur « l’autre », le politique corrompu ou le mal votant.

Allons, au moins, il reste une chose qui met tout le monde d’accord : l’Albiceleste (surnom de l’équipe argentine de foot) est la meilleure du monde, et elle va rapporter la coupe à la maison. Comme en 1978, où même les plus féroces opposants avaient mis leurs griefs entre parenthèses le temps d’acclamer ce bon Rafael Videla levant les bras en tribune du stade Monumental Antonio Vespucio Liberti de Buenos Aires, le 25 juin.

Coupe du Monde 1978

Allez, tiens, un bon conseil à mes amis Argentins. Vous voulez en finir avec la haine qui pourrit l’ambiance politique du pays ? Elisez Leo Messi président en 2023 !

*

Quelques articles de presse :

Sur le jugement contre Cristina Kirchner mardi 6 décembre.

Version anti Kirchner dans la Nación

https://www.lanacion.com.ar/politica/vialidad-en-los-tribunales-dan-por-hecho-que-cristina-kirchner-sera-condenada-nid04122022/

Version pro dans Pagina/12 :

https://www.pagina12.com.ar/504392-cancelar-a-cristina

Le point de vue d’un ministre kirchneriste dans Clarín :

https://www.clarin.com/politica/-hacen-cuenta-cargan-cristina-peronismo-dura-15-minutos-frase-ministro-gobierno-oposicion_0_iJtYmVPVZ2.html

– Sur le football et son pouvoir de réconciliation en Argentine, un article de fond dans Clarín :

https://www.clarin.com/opinion/fascinacion-futbol-argentina-busca-felicidad_0_2wfvOF2SSf.html

Décès d’une Mère de la Plaza de Mayo

Hebe de Bonafini est décédée le 20 novembre dernier, à l’âge de 93 ans. Elle était une des premières « Mères de la Plaza de Mayo », ces femmes courageuses qui avaient pris l’initiative d’aller manifester sous les fenêtres du Palais présidentiel, en avril 1977. La dictature militaire avait moins d’un an, et déjà le cycle infernal de la répression et des disparitions était bien engagé.

Hebe de Bonafini en 2015

Les militaires enlevaient de jeunes militants et les envoyaient dans des centres de détention pour les interroger, la plupart du temps au moyen de la torture. Ensuite, la grande majorité d’entre eux étaient escamotés. Comme disait un général de l’époque : « Pas de cadavre, pas d’existence ». Faire disparaitre, en somme, était vu comme le meilleur moyen de camoufler ses crimes. Beaucoup de jeunes, notamment, seront ainsi jetés depuis un avion, parfois vivants (on leur administrait un fort soporifique) dans le Río de La Plata. (Voir notre article sur la répression militaire ici).

Leurs mères et grands-mères ont alors pris l’initiative d’aller exiger de savoir où étaient leurs enfants, en venant manifester tous les jeudis sous les fenêtres des nouveaux dirigeants. Comme on leur interdisait tout rassemblement statique, elles se sont mises alors à tourner autour de la petite pyramide qui fait face au Palais. Pour les discréditer, les militaires les surnommeront « Les folles de la Plaza de Mayo ». En français, « les folles de mai ».

Siège de l’association à Buenos Aires

Hebe de Bonafini, qui avait 50 ans à l’époque, faisait partie des premières d’entre elles. Son fils Jorge avait été enlevé par les militaires à La Plata en février 1977. Ensuite, disparaitront également son autre fils Raúl, puis sa belle-fille María Elena, dans les mêmes circonstances.
Fondée officiellement en 1979, l’association des Mères existe depuis cette époque, Hebe de Bonafini en était présidente depuis le début.

Militantes sur la Plaza de Mayo

*

A lire dans la presse argentine :

Hebe de Bonafini, la más intransigente, de Pablo Mendelevitch, dans La Nación.

Hebe, ¡Una imprescindible! de Sonia Alesso, dans Pagina/12

Deux visions contrastées d’une forte personnalité devenue politique qui, comme souvent en Argentine, était très clivante.

Le feuilleton Milagro Sala

Voilà maintenant six ans que Milagro Sala est en prison, sans que les accusations portées contre elle n’aient pour le moment débouché sur un verdict définitif.

Le cas de cette militante des droits indigènes est très révélateur de l’immense fracture qui divise actuellement toute la société argentine. Pour les uns, Milagro Sala est le symbole de l’arbitraire d’un pouvoir judiciaire à la botte des dirigeants politiques. Pour les autres, celui de la mise au service d’une grande cause au profit d’intérêts particuliers, en somme, représentative de la corruption et du clientélisme du mouvement péroniste, auquel on n’hésite pas alors à la rattacher.

Qui est-elle en réalité, et que lui est-il reproché ?

Milagro Sala, 58 ans, était jusqu’en 2016 présidente de l’association de quartiers Tupac Amaru, à San Salvador de Jujuy, dans le nord-ouest argentin, près de la frontière avec la Bolivie. Elle était également militante du syndicat d’extrême-gauche CTA (Confédération des travailleurs argentins), et avait été élue en 2013 députée de sa région, avant de démissionner en 2015 pour entrer au parlement du Mercosur, le marché commun du continent américain.

D’origine indienne, elle est également une défenseure des droits indigènes, et une militante féministe reconnue.

Farouche et très active opposante au gouverneur conservateur de la région, Gerardo Morales, celui-ci n’a eu de cesse de la museler et de tenter d’affaiblir son mouvement, en l’accusant de toutes sortes de malversations.
En 2016, Milagro Sala a été arrêtée, dans un premier temps au motif de la participation à une manifestation sauvage devant le domicile de Morales, pour protester contre sa politique de logement.

Bien qu’il ait été prouvé qu’elle n’était pas présente ce jour-là, et en dépit des protestation d’organisations non-gouvernementales et même du groupe de travail sur les arrestations arbitraires de l’ONU, elle est condamnée à trois ans de prison avec sursis. Sentence confirmée par la Cour suprême : à l’époque, l’Argentine était dirigée par Mauricio Macri, du même bord que Gerardo Morales.

A partir de là, les mises en accusations vont se multiplier : détournement de fonds publics (subventions à son association), favoritisme (attribution de postes aux militants de son mouvement), clientélisme (distribution de pots de vin), menaces de mort et attentats contre d’anciens militants repentis. Des accusations bien souvent étayées par les seuls témoignages, justement, de repentis.

C’est le cas notamment de Jorge Páez, qui, arrêté pour une tentative d’assassinat qui fera une victime collatérale, une fillette grièvement blessée, dénoncera Sala comme commanditaire de l’attentat. Il sera par la suite libéré, tandis que ses complices, qui avaient mis Sala hors de cause, sont encore en prison.

Depuis six ans, Milagro Sala est transbahutée de procès en procès, de prison en prison. En juillet 2017, la commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) a exigé, en raison des mauvaises conditions de détention, qu’elle soit placée en résidence surveillée chez elle. Le tribunal a accepté, mais disposé qu’elle devrait accomplir sa peine non chez elle, mais dans une autre maison lui appartenant. Or, celle-ci – et le tribunal le savait – avait été mise à sac et était inhabitable. La CIDH a protesté et finalement, des militants la remettront en état. Là, Milagro Sala bénéficie d’un «traitement de faveur» : surveillance policière renforcée, caméras, barbelés autour de la propriété, régime de visites aligné sur celui de la prison.

Elle est actuellement sous le coup d’une condamnation à treize années de réclusion, et est transférée au gré des décisions judiciaires de la prison à son domicile, et de son domicile à la prison.

Manifestation pour Milagro Sala à Paris, en juillet 2021

Victime ou coupable ? Le gouverneur Gerardo Morales semble répondre assez clairement là-dessus, lui qui a fait de la militante sa cible prioritaire, LA femme à abattre. A travers son cas particulier, s’illustre tout un combat conservateur et néocolonialiste, anti-indigène, antiféministe, antiprogressiste et très nettement raciste. Voire même négationniste : pour beaucoup de blancs d’origine européenne, les derniers indiens encore présents sur le territoire argentins n’ont aucune réalité.

Ce serait, en fait, des faux-indiens, se travestissant pour appuyer leurs revendications gauchistes, la cause indienne étant bien reçue chez les bobos écolos¬-péronistes. Oui, péronistes. Car s’il y a bien un repoussoir qui fonctionne à plein régime pour au moins la moitié des Argentins, c’est bien celui du péronisme. Pire : du kirchnerisme (de Nestor et Cristina Kirchner, présidents péronistes de 2003 à 2015). Or, Milagro Sala est en très bons termes avec Cristina Kirchner.

D’un autre côté, on ne peut pas non plus occulter une part de clientélisme réel et une façon toute personnelle d’utiliser les subventions publiques de la part de la militante. Mais elle sait aussi s’en expliquer. Par exemple, au sujet de l’argent donné par le gouvernement de Nestor Kirchner, destiné en principe à la construction de logements sociaux à Tilcara. Jugeant que la localité voisine de Maimará en avait davantage besoin, elle n’a pas hésité à faire dériver les fonds plutôt vers celle-ci. Sans consulter personne et prêtant ainsi le flanc à l’accusation de détournement. Même chose lorsque toutes les subventions n’étaient pas dépensées en totalité sur un projet. Elle disposait du reste selon ses propres priorités.

Femme indépendante, engagée, elle représente tout ce que la classe dominante conservatrice déteste : les gueux à peau basanée qui revendiquent des droits et prétendent l’empêcher de décider ce qui est bon pour le petit peuple, à sa place. La droite argentine aura beau l’accuser de tous les maux – et nous l’avons dit, sa manière d’agir est parfois critiquable – elle reste une prisonnière politique au sein d’une démocratie qui revendique l’estampille d’état de droit. Et le symbole d’une guerre jamais tout à fait terminée des colonisateurs d’origine européenne contre les peuples premiers.

*

Au sujet de Milagro Sala, l’écrivaine Alice Dujovne Ortiz, par ailleurs autrice d’une biographie remarquée d’Eva Perón, a écrit un livre : « Milagro Sala. L’étincelle d’un peuple », aux éditions Des femmes/Antoinette Fouque.

Elle en parlait lors de sa sortie dans un interview au quotidien en ligne Infobae.Traduction de cette interview ici. (Format PDF)

Voir également la présentation du livre dans Le Monde diplomatique.

L’Obélisque devient mirador !

Un des monuments les plus emblématiques de la capitale fédérale argentine, l’Obélisque de l’avenue 9 de Julio, va subir prochainement, nous raconte le quotidien La Nación, une transformation importante : on va aménager à son sommet une petite salle depuis laquelle le public pourra admirer l’ensemble de la ville, à près de 70 m de hauteur. Un ascenseur sera également installé dans la colonne, afin de gagner le sommet, ainsi qu’au rez-de-chaussée, une petite salle d’exposition retraçant l’historique du monument et de la ville elle-même. (l’article donne des photos en réalité virtuelle) 

 

L’obélisque, c’est un peu la tour Eiffel de Buenos Aires, LE monument qui personnifie le mieux la ville et en représente l’emblème définitif.

Tout comme notre tour parisienne, il est beaucoup moins ancien que la ville elle-même. A son emplacement se situait l’église Saint Nicolas de Bari, sur le clocher de laquelle fut hissé pour la première fois le drapeau argentin en 1812, deux ans après la première déclaration d’autonomie, et quatre ans avant la déclaration définitive de l’indépendance du pays. L’église a dû être démolie en 1931 dans la perspective de créer ce qui constitue toujours une des plus larges avenues du monde : la 9 de julio. Celle-ci ne sera pourtant réellement percée que quelques mois après la construction de l’Obélisque !

L’Obélisque avant la percée de l’Avenue du 9 de julio

C’est en 1936 que pour la première fois on a songé à marquer cet emplacement par un monument significatif. Dans un premier temps, la majorité radicale du parlement avait pensé ériger là un monument à la gloire de l’ancien président Hipólito Irigoyen (1916-1922, puis 1928-1930), mais en février 1936, le président de l’époque, Pedro Justo, privilégiant la célébration du quatre centième anniversaire de la première fondation de la ville, imposa, selon sa formule «la réalisation d’une œuvre singulière rappelant au peuple de la République la véritable importance de cette date. Puisqu’à ce jour il n’existe aucun monument symbolisant l’hommage de la Capitale à la nation entière».

La construction a été confié à l’architecte Alberto Prebisch. C’est lui qui choisira la forme de l’obélisque : «Nous avons choisi cette forme géométrique simple et sans artifice parce c’est la forme traditionnelle des obélisques. Nous l’avons appelé Obélisque parce qu’il fallait bien lui donner un nom. Mais je revendique de pouvoir l’appeler pour ma part, de façon plus simple et générique, « Monument » ».

Profitant, pour asseoir sa base de béton, de la construction simultanée de la ligne B du métropolitain, l’obélisque a été construit en seulement 2 mois, du 20 mars au 23 mai 1936.

Le jour de l’inauguration

Tout comme la Tour Eiffel également, le monument a été l’objet de polémiques et moqueries. Trois ans après sa construction, on pensa même à le démolir, pour «raisons esthétiques, économiques et de sécurité» ! Mais il n’en fut rien, et il devint peu à peu l’emblème définitif et indiscutable de la capitale argentine.

A tel point que lui aussi a servi de symbole de ralliement à diverses causes, écologiques, politiques ou humanitaires. Comme en 1998, quand Greenpeace y avait déployé une banderole au sujet – déjà – du réchauffement climatique, ou en 2005, où il s’était trouvé recouvert d’un gigantesque préservatif rose, pour célébrer la journée mondiale contre le SIDA. Il est régulièrement le point de rencontre de manifestations diverses.

L’obélisque aujourd’hui
Vue prise depuis l’Avenue Roque Saenz Peña
Depuis l’Avenue 9 de julio

IV. Le second mandat de Perón

La fin du premier mandat est marquée par le début d’une forte crise économique. Jusqu’ici pourtant, tout marchait comme sur des roulettes.

L’Argentine avait bénéficié des conséquences dramatiques de la seconde guerre mondiale en Europe pour redresser son commerce extérieur, grâce à la forte demande de celle-ci en matières premières notamment alimentaires.

L’industrie se développait, le pouvoir d’achat des salariés n’avait jamais été aussi haut, la pauvreté reculait, et le pays s’était doté de services publics efficients. Le péronisme était à son apogée : les manifestations de soutien populaire se succédaient devant le palais présidentiel, manifestations que le président accueillait à bras ouverts au balcon de la Maison Rose en faisant des discours enflammés.

Trop enthousiastes, les supporters péronistes ? Sans aucun doute. Car en y regardant de plus près, tout ne va pas si bien.

Car à la fin des années quarante, dès lors que l’Europe se reconstruit et que son économie redémarre, la demande s’effondre.

Le gouvernement se voit donc obligé de prendre des mesures d’urgence et de revoir à la baisse sa politique redistributive. Il est même question de bloquer les salaires pendant deux ans. Comme de juste, cela provoque le mécontentement de certains secteurs, et on voit se faire jour de nouvelles mobilisations ouvrières, revendiquant la poursuite des mesures de justice sociale et de hausse des salaires dont ils bénéficiaient jusque-là.

En 1951, le conflit connait un pic sérieux, avec une grève massive des employés du rail. Réaction du pouvoir : décréter la mobilisation militaire de tout le secteur, faisant passer les cheminots sous un régime de règlementation militaire. De quoi décourager toute velléité de poursuite du mouvement. Une mesure, on l’imagine, fraichement accueillie. Premier accroc dans l’idylle entre Perón et le monde ouvrier.

Dans le même temps, pour museler les voix d’opposition, le gouvernement saisit le quotidien « La Prensa », qui appartenait jusque-là à la famille Gainz, pour en faire l’organe officiel de la CGT.

Troisième décision polémique, celle de réformer la constitution de 1853. De cette réforme, assez vaste et recouvrant des domaines très divers, de l’économie à la politique en passant par les droits des minorités, des travailleurs, de la famille, à l’éducation, des associations, etc… les opposants retiendront surtout une mesure emblématique : la possibilité laissée au président sortant de se représenter pour un second mandat de six ans, ce qui n’était pas possible jusqu’alors. Permettant ainsi à Juan Perón d’être candidat à sa propre succession !

Malgré tout, paradoxalement, la popularité du président et de sa femme n’ont pas réellement baissé après six ans de pouvoir. Les Perón conservent le soutien du monde ouvrier, et du secteur syndical. Malgré les difficultés, ils conservent la confiance de la masse du peuple, face à une opposition conservatrice et/ou libérale qui n’a pas grand-chose à proposer et manque cruellement de figures charismatiques.

C’est dans ce contexte que nait un mouvement plus ou moins spontané en vue des élections de 1952 : une proposition populaire de « ticket » présidentiel associant Juan Perón et Eva. Mouvement principalement impulsé par le principal syndicat péroniste : la CGT.

L’idée est assez massivement soutenue par la masse des électeurs péronistes. D’autant plus que la popularité d’Evita est à son comble, notamment auprès des femmes, qui viennent d’obtenir le droit de vote.

Mais, on l’a vu dans l’épisode précédent, cela ne se fera pas, Eva étant contrainte par le cancer de renoncer à cette perspective.

Eva vient de renoncer à la vice-présidence

Malgré cette déception populaire, Perón est facilement réélu avec 62% des voix. Eva, elle, a dû voter depuis son lit. Elle meurt peu de temps après, le 26 juillet. Ses funérailles seront suivies par des millions d’Argentins en pleurs. Disparue à 33 ans, elle devient un personnage christique, et fera l’objet d’un véritable culte qui se poursuit encore aujourd’hui. (Suffit d’aller voir sa tombe au cimetière de la Recoleta : il faut faite la queue à toute heure pour approcher !)

Mauvais présage ou simple coïncidence, c’est aussi à partir de ce moment-là que la situation économique et le climat social de l’Argentine vont commencer sérieusement à se détériorer.

On l’a vu plus haut, le commerce extérieur a du plomb dans l’aile en raison de la baisse des exportations vers l’Europe en reconstruction. Mais ce n’est pas le seul problème.

Suite à une période de sécheresse et de mauvaises récoltes, l’agriculture entre en crise. Par ailleurs, l’inflation repointe le bout de son nez, des pénuries apparaissent sur certains biens de consommation. Il faut prendre des mesures d’urgence : ce sera le second plan quinquennal, également nommé « Plan économique de conjoncture« . Il s’agit d’une part d’aider le secteur agricole, et d’autre part d’aller chercher les investisseurs étrangers. C’est à dire, en somme, faire le contraire de ce que le péronisme avait fait jusque-là. Ce qui provoque des grincements de dents à l’intérieur du mouvement, qui s’ajoutent aux critiques plus attendues de l’opposition.

Le plan quinquennal publié au bulletin officiel

Les propriétaires terriens, dont le IAPI, cet institut de promotion des échanges commerciaux, avait amputé les bénéfices au profit du secteur industriel, commencent à relever la tête. Pour faire pression, ils réduisent les surfaces agricoles. Du coup, la production de céréales s’en ressent, et la balance commerciale aussi.

Eva disparue, des rumeurs circulent : Perón entretiendrait des relations scandaleuses avec de jeunes étudiantes de l’Union des étudiants du secondaire (UES), mouvement politique de jeunes lié au péronisme, et spécialement avec une certaine Nelly Rivas, 14 ans à l’époque (il en avait 58). Des rumeurs qui plus tard, seront bien utiles pour disqualifier le vieux général, mais dont le fondement reste très discuté encore aujourd’hui. (Voir ici l’article d’un historien argentin, Ignacio Cloppet).

Les militaires, pour leur part, sont divisés. En septembre 1951, un groupe d’officiers antipéronistes, menés par le général Benjamín Ménendez, a tenté de renverser le président élu. Le coup a échoué, mais il a montré la profonde fracture partageant le monde militaire : le camp antipéroniste existe, pour l’essentiel des officiers conservateurs et/ou libéraux, et il s’est renforcé.

Et puis, il y a l’Église. Jusqu’ici, elle vivait en bons termes avec le président. Même si elle n’aimait pas beaucoup Eva (qui non seulement était vue comme une sainte laïque par de nombreux croyants modestes -sacrilège ! –, mais également avait le culot de piétiner ses plates-bandes caritatives avec sa Fondation) il avait réussi à la mettre dans sa poche, ne remettant pas en cause l’enseignement catholique, augmentant largement les salaires des personnels religieux payés par l’état (et augmentant le nombre de ceux-ci), subventionnant les pèlerinages, finançant les réparations d’édifices religieux, etc… (Et, cerise sur le gâteau pour les cathos, en diminuant parallèlement les subventions aux autres cultes !). Tout allait pour le mieux. Mais peu à peu, ça va finir par se gâter.

Pour être précis, la dégradation date de 1954. L’Église, qui tient à assurer une place à sa doctrine dans l’univers politique, face aux sociaux-démocrates et aux communistes, crée un parti pour la défendre : ce sera le parti démocrate chrétien, qui se veut de centre-droit. Perón, qui considère que son propre mouvement est déjà, lui aussi, à la fois démocrate et chrétien, en prend ombrage. Vexé, il prend alors une série de mesures de rétorsion considérées comme des casus-belli : loi légalisant le divorce, interdiction pour les commerçants de Buenos Aires de décorer leurs vitrines de Noël avec des sujets religieux, suppression de jours fériés célébrant des fêtes religieuses, légalisation des bordels, ça faisait beaucoup. D’autant plus que de l’autre côté, les classes dominantes, très proches de la hiérarchie catholique, faisaient monter la pression.

L’opposition se cristallise autour de l’Église et des militaires, avec le soutien des conservateurs, des radicaux et des socialistes, tous décidés à en finir avec le péronisme. Mais ce sont essentiellement les militaires qui s’y collent, étant les seuls à en avoir les moyens. Le 16 juin 1955, une grande partie de l’Armée se soulève, et les avions de la Marine bombardent la place de Mayo, où se trouve la palais présidentiel. L’attaque, indiscriminée, fait plus de trois cents morts, pour la plupart des passants, et sème la terreur. Les militaires loyalistes parviennent à la repousser, mais le coup a porté. Perón veut à tout prix éviter une guerre civile. Il refuse tout net d’armer ses partisans, et propose à l’opposition de négocier.

16 juin 1955 : bombardement de la place de Mayo

Le conflit retombe un peu, jusqu’à l’incendie de plusieurs églises de Buenos Aires, qui va le réactiver. On ne sait pas avec précision qui en est à l’origine. Provocation péroniste ou anti ? Aujourd’hui encore le débat reste ouvert. Toujours est-il que ces incidents donnent du grain à moudre à l’opposition, qui crie au loup. Là-dessus, Perón fait un discours enflammé pour galvaniser ses supporters, où il est notamment question d’abattre cinq opposants pour chaque péroniste tué. Bref, l’ambiance n’est plus vraiment à l’apaisement.

« Nous devons rétablir la paix entre le gouvernement, les institutions et le peuple, par l’action du gouvernement, des institutions et du peuple lui-même. La consigne pour tout péroniste, individuellement ou au sein d’une organisation, est de répondre à toute action violente par une action plus violente encore. Pour un des nôtres abattu, il faudra abattre cinq de nos ennemis ! » (Extrait du discours)

L’Armée va donc donner le coup de grâce, emmenée par le Général Lonardi. Le 16 septembre, il soulève la garnison de Córdoba et la flotte de la Marine à Puerto Belgrano et marche sur Buenos Aires accompagné par des commandos civils formés par des militants radicaux, socialistes et catholiques. Le 20, le Contre-amiral Rojas menace de bombarder de nouveau la capitale. Pour éviter le bain de sang, Perón préfère renoncer, et demande asile à l’ambassade du Paraguay. Pays qu’il rejoindra ensuite par voie fluviale.

L’auto-proclamée « Revolución libertadora » (Révolution libératrice) vient de commencer. Elle va durer dix-huit ans, entre gouvernements civils – mais étroitement contrôlés – et militaires. Le péronisme entre en sommeil. Et en résistance. Car il est désormais proscrit de la vie politique du pays.

*

Pour en savoir plus

En français

La très intéressante interview d’Alain Rouquié, universitaire spécialiste de l’Amérique latine et auteur du « Siècle de Perón ». Il donne notamment les raisons de la perte d’influence des partis de gauche traditionnelle en Argentine, et quelques explications au sujet de la persistance du péronisme dans la société argentine.

Courte vidéo d’un programme canadien sur Eva Perón. (3′)

La nouvelle « La toile d’araignée » sur ce blog.

En espagnol

Sur ce second mandat, un site historique argentin plutôt objectif : https://historiaybiografias.com/gobierno2_peron/

Une vision péroniste de ce second gouvernement : http://historiadelperonismo.com/?p=3240

Las Luces de Ushuaia-Tierra del Fuego

Latitud 54° 47’ 59’’ sur, longitud 68° 17’ 59’’ oeste: aqui están las coordenadas geográficas de la ciudad donde decidimos pasar los últimos días del año 2007 y festejar la llegada del nuevo año.

Bien conocidas por los exploradores, los aventureros y ahora los turistas, esas coordenadas son las de la capital de la provincia argentina de “Tierra del fuego, Antártico e Islas del Atlántico sur” ubicada en la Isla Grande: la mítica Ushuaia.

Construida en la ladera de una colina azotada por los vientos y bordeada por el canal de Beagle, la ciudad de Ushuaia se considera la ciudad más sureña del mundo, por eso se llama “Ciudad del fin del mundo”.

Vista de Ushuaia desde el Canal de Beagle

Un apodo que le cuestionó varios años la base naval de Puerto Williams, ubicada en la Isla Navarino, en el otro lado del canal de Beagle. Una discusión zanjada por las Naciones Unidas: decidieron que Puerto Williams no podía reclamar el titulo por ser demasiada pequeña, ya que el mínimo para que se considere ciudad sería 20 000 habitantes.

UN POCO DE HISTORIA

La Tierra del fuego está separada del continente por un estrecho formando un corredor natural de 600 km entre los océanos Atlántico y Pacífico, estrecho que tiene el nombre del mismisimo navegante portugués, primer europeo en descubrirlo, Fernando de Magallanes.

Se cuenta que fueron los marineros de Magallanes, al asistir desde su barco al espectáculo de las hogueras en las colinas, quienes llamaron el lugar “Tierra de los humos y Tierra de los fuegos”. Carlos V de Habsburgo (El famoso Carlos Quinto) le daría luego el nombre definitivo de “Tierra del fuego”.

A lo largo de los siguientes siglos, se montaron varias expediciones europeas entrando en contacto por primera vez con los nativos.
En 1830, durante el primer viaje del “HMS Beagle” en Tierra del Fuego, los marineros capturaron a cuatro indios y los llevaron para presentarles a los reyes de Inglaterra.

Sólo tres de esos “salvajes” volvieron a la Tierra del Fuego, en enero de 1833, aprovechando la segunda expedición (1831-1836) del HMS Beagle, al mando del capitán Robert Fitz Roy, que llevaba también varios científicos entre los cuales el naturalista Charles Darwin.

El buque y su equipaje pasaron siete semanas en el sur de la Tierra del Fuego, un lugar por entonces desconocido. Un equipo bajó a tierra y se quedó allí todo el tiempo necesario para realizar estudios meteorológicos, astronómicos, zoológicos y botánicos así como etnológicos. Otro equipo se quedó a bordo y navegó a lo largo de las costas para realizar estudios tanto cartográficos como hidrográficos.

Fauna en el Canal de Beagle

Ushuaia, que significa “Bahía hacia el oeste” en idioma yámana (o yagán) empezó su historia en tanto colonia a mano de una misión anglicana al mando del pastor Waite Hockin Stirling, en 1869. Este mismo año a Hockin le sustituyó Thomas Bridges, autor del primer diccionario del idioma yagán, ese “Pueblo de las canoas” que vivió varios milenarios sin ningún contacto con el mundo exterior.

Luego, Bridges dejó la misión y se fue a vivir a la estancia Haberton que él mismo había fundado. Esta estancia se ubica a pocos kilómetros de la actual Ushuaia, en las orillas del canal de Beagle. Hoy en día la estancia todavía pertenece a la familia del pastor y se dedica a actividades turísticas.

Las primeras viviendas las construyó la American Missionary Society, sociedad misionera británica encargada de evangelizar a los pueblos autóctonos.

En cuanto a Francia, ese país organizó una expedición científica en Tierra del Fuego en 1882 -1883, en el marco del año polar internacional.

A Louis-Ferdinand Martial (1836-1885), explorador y capitán de fragata le confiaron el mando de la fragata La Romanche. El buque zarpó desde Cherburgo el 17 de julio de 1882 con 140 personas a bordo, para llegar a la Isla Hoste, a 40 km del Cabo de Hornos, el 6 de septiembre.

El objeto de la misión era realizar estudios geológicos, botánicos, zoológicos y etnográficos.

Los europeos asentados en Tierra del Fuego (ganaderos, pescadores, mineros de oro) cometieron masacres tremendas y propagaron enfermedades, casi erradicando los pueblos autóctonos. Los misioneros quienes acogieron los sobrevivientes no hicieron sino acelerar el proceso de decadencia evangelizándolos.

Una expedición argentina desembarcó en el territorio en septiembre de 1884 para instalar una prefectura. El 12 de octubre ondeaba por fin la bandera argentina en la provincia.

La ciudad se desarrolló primero en torno a una cárcel, el gobierno argentino inspirándose de las experiencias en las Islas del Salut en Guyana (Francia) y de los presidios británicos en Australia.

Pero el desarrollo arrancó de verdad en 1970 mediante la creación de una zona exenta de impuestos.

El descubrimiento de yacimientos de gas y de petróleo contribuyó también a la prosperidad de la economía local.

El turismo creció sobre todo a partir de los años 1980, la Tierra del Fuego aprovechando su imagen de fin del mundo y de punto de partida hacia el cabo de Hornos y el Antártico.

Parque nacional de Tierra del Fuego

MIS FAVORITOS

Lo tengo que admitir, es esa imagen fantaseada de Ushuaia que me atrajo primero hasta la punta austral del continente suramericano.

El peligro de los sueños es la posibilidad de desilusión que puede acaecer cuando la realidad no está a la altura de lo que habíamos imaginado.

Entonces el mito se viene abajo. Pero tal no fue el caso para mí.
A penas desembarcamos en el aeropuerto internacional de Ushuaia-Malvinas argentinas la ciudad cumplió con las expectativas. Gracias a la luz de fin de tarde veraniego, sentí una emoción indescriptible, un sentimiento de plenitud.

En tanto puerto con mucho bullicio, esta ciudad de arquitectura desordenada y colorada, amparada por los montes nevados de la cordillera Martial, beneficia de un sitio precioso favorable para los sueños de aventura.

Este 31 de diciembre, no teníamos nada mejor que hacer sino navegar por el canal de Beagle, disfrutando del paisaje de témpanos e islotes rocosos.

A bordo del yate Che, con un pequeño grupo de turistas brasileñas y españoles, nos fuimos rumbo al este, hacia el archipiélago Kashuna, también llamado “Islotes Les Eclaireurs” (el nombre lo atribuyó Louis Martial, por eso es en Francés).

El archipiélago está compuesto de varios islotes como “Los Pájaros” y “Los Lobos” donde se puede ver una colonia de leones de mar así como cormoranes. Cuenta con un faro construido en 1920, el Faro “Les Eclaireurs”.

El faro « Les Eclaireurs »

Se confunde a menudo este faro con el de San Juan del Salvamento, en la isla de los Estados, en la punta sureste de la provincia, faro que inspiró el escritor francés Jules Verne para su novela “El faro del fin del mundo”.

Cabe subrayar que un aventurero francés de La Rochelle, André Bronner, quien había descubierto este faro abandonado desde mucho tiempo, se empeñó en arreglarlo y en 1998, y gracias a la colaboración de los talleres Perrault, el faro de San Juan funcionó de nuevo. Y en 2000, construyeron un faro idéntico en la pointe des Minimes, en La Rochelle. Otra réplica se puede ver también en el museo marítimo y del presidio de Ushuaia.

Ushuaia también es el Cerro Martial. Culminando a casi 1300 metros de altitud, representa la mayor reserva de agua potable de la ciudad así como el mejor punto de vista hacia la bahía, los techos colorados, el canal de Beagle y más allá la cordillera de Darwin.

Un panorama realmente fantástico, siempre con esta luz tan agradable como especial.

Ushuaia vista desde el cerro Martial

Se sube al cerro por une carretera sinuosa de 7 km, luego tomando un teleférico y para terminar andando hasta el glaciar.

Ante todo representa para mí un recuerdo inolvidable haber pisado este glaciar del fin del mundo el primer día del año, ¡en la ciudad más austral del planeta!

10 km más allá de la ciudad se halla el Parque Nacional de Tierra del Fuego. Imposible no visitarlo, claro. Creado en 1960, el Parque da a la bahía de Lapataia (Bahía de la buena madera, en idioma Yagán), el único fiordo argentino del Canal de Beagle. Aquí también finaliza la ruta 3, final de la famosa carretera panamericana, la más larga del mundo.

En unos minutos dejamos el bullicio de la civilización para gozar de la tranquilidad y la belleza salvaje de una naturaleza perfectamente adaptada a las temperaturas bajas y los vientos violentos de la zona.

En esa naturaleza iluminada por una luz transparente casi irreal, reina aquí un ambiente de plenitud y de serenidad.

Bañada de esa luz tan especial, por cualquier lugar en que dirigimos nuestra mirada Ushuaia quedará eternamente al tope de mis recuerdos íntimos.
Una ciudad mítica, así de simple.

Texto : Patrick Richard
Traducción : Patrick Viannais (Lectura y correcciones Adelaida Ena Noval)

*

Véase también otros articulos del « Carnet de route »:

A lo largo del Qhapaq Ñan

Pasando por Mendoza y Maipú

Por la ruta 7, entre Argentina y Chile

Bahía de Lapataia

Les lumières d’Ushuaia

Latitude 54° 47’ 59’’ S, longitude 68° 17’ 59’’ O : ce sont les coordonnées géographiques de la ville où nous avions décidé de vivre les derniers jours de l’année 2007 et de saluer la nouvelle année.

Bien connues des explorateurs, des aventuriers et plus récemment des touristes, ces coordonnées sont celles de la capitale de la province argentine de « Terre de feu, Antarctique et Iles de l’Atlantique Sud » située sur la «Isla Grande» : la mythique Ushuaia.

Perchée sur une colline battue par les vents et bordée par le canal de Beagle, la ville d’Ushuaia est considérée comme la ville la plus australe du monde et surnommée à ce titre de « ville du bout du monde »

Ushuaia depuis le canal de Beagle

Ce statut lui fut longtemps contesté par la base navale chilienne de Puerto Williams située sur la «Isla Navarino» séparée de la Isla Grande par le canal de Beagle. Ce débat a été tranché par les Nations Unies qui ont estimé que Puerto Williams était trop petite (seuil 20 000 habitants) pour mériter le terme de ville !

UN PEU DE SON HISTOIRE

La Terre de Feu est séparée du continent sud-américain par un détroit, passage naturel de plus de 600 km entre les océans Atlantique et Pacifique, qui porte le nom du premier européen à l’avoir découvert et traversé en 1520, Fernand de Magellan (Fernando de Magallanes en espagnol).

L’histoire raconte que ce sont les marins de l’expédition conduite par Magellan, qui observant les feux et les fumées qui jalonnaient les côtes, baptisèrent ce lieu «Terre des Fumées et Terre des Feux» ; c’est Charles V de Habsbourg dit Charles Quint qui donnera à cet archipel le nom qu’on lui connait encore aujourd’hui : «Tierra del Fuego».

Durant les siècles qui suivirent, il y eut de nombreuses expéditions européennes et les premiers contacts avec les Amérindiens.

En 1830, lors du premier voyage du «HMS Beagle» en Terre de Feu, quatre Amérindiens furent capturés pour être présentés au roi et à la reine du Royaume-Uni.

Seuls trois de ces «sauvages» retrouvèrent la Terre de Feu en janvier 1833 lors du deuxième voyage autour du monde du «HMS Beagle» sous commandement du capitaine Robert FitzRoy accompagné de nombreux scientifiques dont le naturaliste Charles Darwin (1831-1836).

Le navire et son équipage vont passer sept semaines dans le sud de la Terre de Feu, une région alors encore très largement méconnue. Une équipe va descendre à terre, où elle restera pendant la durée du séjour pour réaliser des études météorologiques, astronomiques, zoologiques et botaniques mais également ethnologiques. Une équipe va rester à bord et naviguer le long des côtes pour faire des relevés cartographiques et hydrographiques.

Faune du Canal de Beagle

Ushuaia, qui veut dire «baie vers l’Ouest» en langue Yamana (ou Yaghan), sortit de terre en tant que première colonie non aborigène en 1869, par le biais d’une mission anglicane emmenée par le pasteur Waite Hockin Stirling. Il sera remplacé la même année par Thomas Bridges, à qui on doit le premier dictionnaire de la langue Yaghan, ce «Peuple des canoés» qui a vécu plusieurs millénaires sur ces terres sans aucun contact avec le monde extérieur.

Par la suite, renonçant à sa mission, il créera «l’estancia Haberton» (1) située à quelques kilomètres de l’actuelle Ushuaia, le long du canal de Beagle. Aujourd’hui l’estancia, toujours propriété des descendants du pasteur anglican, s’est tournée vers des activités touristiques.

Les premières habitations furent construites en 1870 par la «South American Missionary Society», société missionnaire britannique chargée de l’évangélisation des peuples autochtones.

Pour sa part, dans le cadre de l’année polaire internationale, la France mena une expédition scientifique en Terre de feu entre 1882 et 1883.

Louis-Ferdinand Martial (1836-1885) explorateur et capitaine de frégate est nommé chef de l’expédition sur le trois-mâts La Romanche. Le navire part de Cherbourg le 17 Juillet 1882 avec 140 personnes à bord et arrive le 6 septembre à l’Ile Hoste, à 40 km du Cap Horn.

La mission était chargée d’effectuer des études géologiques, botaniques, zoologiques et ethnographiques.

Les Européens installés en Terre de Feu (éleveurs, pêcheurs, exploitants de mines d’or) y perpétrèrent de terribles massacres et transmirent des maladies, réduisant à presque rien les populations autochtones. Les missionnaires qui recueillaient les survivants ont également contribué à leur déclin en les évangélisant.

Une expédition argentine débarqua sur le territoire en septembre 1884 afin de mettre en place une sous-préfecture. C’est seulement le 12 octobre 1884 que le drapeau argentin fut hissé.

La ville se développa d’abord autour d’une prison, le gouvernement argentin s’inspirant du bagne français des Iles du Salut en Guyane et des bagnes britanniques en Australie.

La ville s’est surtout développée à partir des années 1970 grâce à l’installation d’une zone franche.

La découverte de gisements de gaz naturel et de pétrole ont permis un renouveau de l’économie de cette région.

A partir des années 1980, le tourisme s’y est fortement développé, la Terre de Feu bénéficiant de son image de «bout du monde» et de point de départ de croisières vers le cap Horn et l’Antarctique.

Parc National de la Terre de Feu

MES COUPS DE CŒUR

Je le concède, c’est cette image fantasmée d’Ushuaia qui m’a attiré à la pointe australe du continent sud-américain.

Les risques avec les rêves c’est la déception de voir que la réalité n’est pas à la hauteur de son imaginaire, et le mythe s’effondre. Cela n’a pas été le cas pour moi.

Fraichement débarqué à l’aéroport international «Ushuaia – Malvinas Argentinas», Ushuaia a comblé mes attentes ; aidé par cette lumière d’une fin d’après-midi d’été, j’y ai ressenti une émotion indéfinissable, un sentiment d’accomplissement.

Port animé sur le canal de Beagle à l’architecture chaotique et colorée, adossé aux sommets enneigés de la chaîne Martial, la ville bénéficie d’un site majestueux propice aux rêves d’aventures.

En ce 31 décembre ensoleillé quoi de mieux que de naviguer sur le canal de Beagle sur fond de glaciers et d’ilots rocheux. Embarqués à bord du Yate Che en compagnie d’un petit groupe cosmopolite, direction plein Est à la découverte du petit archipel Kashuna aussi appelé îlots Les Eclaireurs.

Il a été nommé ainsi par le capitaine de frégate Louis Ferdinand Martial, commandant La Romanche en septembre 1882.

Il est composé de plusieurs îlots dont ceux de Los Pajaros et de Los Lobos où se trouve une colonie de cormorans et de lions de mer. Il possède un phare à son extrémité Est mis en service le 23 décembre 1920, le phare des Eclaireurs.

Le phare des Eclaireurs

Ce phare est souvent confondu avec le phare de San Juan del Salvamento situé sur l’île des États à l’Est de l’extrémité sud-orientale de la Terre de Feu dont Jules Verne s’est inspiré pour son roman «Le Phare du bout du monde».

A noter qu’un aventurier Rochelais, André Bronner, qui avait découvert ce phare de San Juan laissé à l’abandon, entreprit de le reconstruire à l’identique. Le 26 février 1998, en collaboration avec les Ateliers Perrault Frères, le phare reconstruit fonctionne à nouveau. Une réplique de ce phare construite à la pointe des Minimes à La Rochelle a été inaugurée le 1er janvier 2000. Un troisième exemplaire de ce bâtiment existe au Musée Maritime et du Bagne d’Ushuaia.

Ushuaia, c’est aussi le « Cerro Martial » ; culminant à près de 1 300 mètres d’altitude, c’est la plus grande source d’eau potable de la ville d’Ushuaia et accessoirement un point de vue panoramique privilégié sur la baie, les toits multicolores d’Ushuaia, le canal de Beagle et au loin la Cordillère de Darwin.

La vue est vraiment fantastique, et toujours cette lumière aussi agréable que singulière.

Ushuaia depuis le Cerro Martial

On y accède par une route en lacets de 7 km puis un trajet en télésiège avant de finir par une petite balade vivifiante qui mène au glacier éponyme.

C’est avant tout un incroyable souvenir que d’avoir foulé, un premier janvier, le glacier du bout du monde dans la ville la plus australe de la planète !

A une dizaine de kilomètres à l’ouest de la ville, une visite au Parc national de la Terre de Feu s’impose. Créé en 1960, le parc s’ouvre sur la Baie de Lapataia, (baie du bon bois en langue yamana), à l’entrée du seul fjord argentin du canal de Beagle. C’est aussi ici que se termine la «Ruta 3» partie finale de la fameuse transaméricaine, plus long réseau routier au monde.

En quelques minutes, on quitte l’agitation de la civilisation pour le calme et la beauté sauvage d’une nature qui s’est adaptée aux températures et aux vents les plus rudes.

Dans cette nature baignée d’une lumière transparente d’une pureté presque irréelle, règne une atmosphère de calme, de plénitude et de sérénité.
Baignée par cette lumière si particulière, où que notre regard se porte, Ushuaia restera pour longtemps tout en haut du hit-parade de mes plus beaux souvenirs.

Elle est mythique en toute simplicité. 

Texte : Patrick Richard.

*

(1) Une estancia est une propriété agricole, généralement de grande superficie.

*

Voir aussi les autres articles du carnet de route :

Dans les pas des incas

En passant par Mendoza et Maipú

Sur la ruta 7 entre Argentine et Chili

Baie de Lapataia

1946-1952 : Premier mandat

Nous ne tracerons ici que les grandes lignes de la politique suivie par Juan Perón lors de son premier mandat, en nous limitant aux réalisations et faits les plus marquants, qu’ils aient été positifs ou négatifs à la fois pour le pays, les citoyens argentins et pour Perón lui-même.

1. Le social

C’est de toute évidence dans ce domaine que l’action de Perón trouve son plus grand retentissement. Nous l’avons vu lors des articles précédents, Perón, poussé par son épouse Eva, et par la nécessité, pour conserver le pouvoir, de s’appuyer sur les syndicats ouvriers, en fera sa priorité. Il a préparé le terrain lors de son passage au ministère du travail, en faisant passer plusieurs lois favorables au monde ouvrier : statut de l’ouvrier agricole, augmentation des salaires, indemnités de chômage, de retraite. Ces mesures lui ont valu une grande popularité auprès des organisations de travailleurs, qu’il renforce en donnant au syndicat une véritable existence, par leur légalisation. En contrepartie, il entend également les contrôler, et les transformer en courroie de transmission de sa politique. Le principal d’entre eux, la CGT, deviendra ainsi le fer de lance du péronisme politique.

Le bâtiment de la CGT en 1953 à Buenos Aires.

En 1947, Perón rédige une liste de droits fondamentaux de l’ouvrier, qu’il fera ensuite voter par le parlement pour leur donner force de loi. Entre autres, figurent dans cette liste, outre bien entendu le droit au travail pour tous, le droit à la formation, à une juste rémunération, à des conditions de travail dignes, à la santé, à la protection de la famille. Tout au long de son premier mandat, il s’attachera à promouvoir l’amélioration des conditions de logement des ouvriers, et subventionnera largement, pour leurs enfants, les frais scolaires, par des distributions de matériel, de livres, ainsi que le développement de camps de vacances gratuits.

Par ailleurs, c’est durant ce premier mandat que les femmes argentines accèdent enfin au droit de vote.

Dans ce domaine social, Perón s’appuie largement sur une structure créée par sa femme : La Fondation Eva Perón, auprès de laquelle les plus pauvres peuvent avoir recours à tout moment en cas de difficulté. Tout cela n’est naturellement pas dénué de clientélisme, mais il n’en est pas moins vrai que durant toute cette période, la vie des travailleurs les plus humbles s’est considérablement améliorée, si on la compare avec la misère profonde dans laquelle ils étaient plongés jusque-là, quelle que soit la couleur du gouvernement en exercice. Pour la première fois, les gens modestes ont la sensation d’être intégrés au reste de la population, de faire partie de la nation. Ce n’est pas rien.

2. L’économie
 

Dans ce domaine, Perón, en bon militaire nationaliste, prend le total contrepied de ce que furent jusqu’ici les politiques suivies par les gouvernements civils précédents, qu’ils fussent conservateurs ou libéraux. En effet, et notamment durant la décennie infâme, l’Argentine se présentait comme une véritable passoire économique, plus ou moins soumise au bon vouloir des grandes puissances – et surtout la Grande-Bretagne – qui se comportaient en véritables entités néocolonialistes. On l’avait vu notamment lors de la signature du controversé accord Roca-Runciman, qui remettait les clés de l’économie argentine entre les mains des Britanniques. (On vous ouvre notre marché, mais en contrepartie, vous vous engagez à n’avoir qu’un seul fournisseur : nous. Et vous nous laissez prendre le contrôle de votre Banque Centrale). Pas, ou peu, d’industrie locale, des investisseurs, et donc des proprios, étrangers, une monnaie archi-dépendante, une agriculture encore archaïque, et un commerce extérieur notoirement déficitaire étaient les traits dominants de l’économie argentine de l’après-guerre mondiale.

Le crédo péroniste, c’est la quadrilogie marché interne/nationalisme économique/étatisme/industrie. Autrement dit, une bonne dose de protectionnisme couplé au développement de ressources propres.
Perón commence par nationaliser la Banque centrale de la république argentine, et crée des banques spécifiques à chaque secteur de l’économie, pour aider à leur financement. Puis il cherche à dynamiser le secteur agricole, en promouvant la mécanisation, d’une part, et le développement de l’industrie chimique d’autre part. Ensuite, il s’attache à poursuivre le développement de l’industrie légère, notamment les produits manufacturés, jusqu’ici largement importés.

Dans le même temps, par le biais des mesures sociales, il cherche à stimuler la consommation, afin de consolider le marché interne. Pour contrôler le déficit commercial qui s’annonce, alimenté par la forte demande et, en conséquence, l’augmentation des importations, il créé un nouvel institut national, le IAPI : Institut argentin de promotion des échanges. Un instrument qui lui permettra notamment de réinvestir une partie des bénéfices substantiels de l’agriculture, point fort de ce pays d’élevage, dans le développement de l’industrie. Ce qui fera râler les gros proprios terriens, naturellement. (Entre ça et le statut de l’ouvrier agricole, le contentieux commençait à être lourd !)

Le but principal, on le voit, est de faire de l’Argentine un pays réellement indépendant. De faire en sorte, donc, de ne plus dépendre (ou moins dépendre, ne soyons pas trop optimiste) des marchés extérieurs, en reprenant la main, par le biais de l’État, sur les ressorts de cette économie.

Pendant le premier mandat, Perón et son gouvernement créeront successivement quatre grandes entreprises nationales : la Société mixte sidérurgique argentine (SOMISA), la compagnie aérienne «Aerolineas argentinas» (qui existe encore aujourd’hui), la Compagnie des eaux et de l’électricité, et les Chemins de fer argentins (Ferrocarriles argentinos), rachetés par nationalisation aux Anglais. (Cette dernière nationalisation lui sera beaucoup reprochée plus tard, en raison de son coût très élevé).

En somme, si on s’essaie à comparer deux pays néanmoins nettement différents, Perón a appliqué à l’Argentine ce que nous Français avons connu également juste après la guerre sous l’égide du Conseil national de la résistance : un plan radical de création de services publics.

3. Politique extérieure

Tiens, justement, les relations avec les autres pays du monde. Perón, par sa politique résolument redistributive et protectionniste, se pose en héraut des plus humbles, et engrange une très grande popularité dans les milieux de gauche, d’Europe, bien sûr, mais surtout du tiers-monde, pour lequel il devient vite un exemple de leader indépendant. Lui-même ne rechigne pas à se poser en leader du «troisième monde», des non-alignés comme on dirait plutôt. Néanmoins, la principale caractéristique de la politique extérieure de l’Argentine sous Perón reste son pragmatisme. Perón est autant anti-communiste que nationaliste, et se tient à bonne distance des deux camps de la guerre froide.

Avec les États-Unis, cela a toujours été compliqué. La préférence donnée par les Argentins, dans leurs relations économiques, aux Anglais, a de tout temps motivé une certaine méfiance envers eux de la part des Nord-Américains. Ces derniers n’ont jamais vraiment pu exercer une influence déterminante sur ce pays du sous-continent américain. Et l’épisode Braden, lors de la campagne électorale de 1946, n’a pas amélioré leur image.

Avec l’Europe, il l’a soigné, l’image. Mais il ne s’est pas déplacé lui-même, non. Il a envoyé Eva, lors d’une mémorable tournée en 1947. Elle est ainsi passé par l’Espagne, l’Italie, le Portugal, la Suisse, Monaco et la France. Elle est même restée 12 jours chez nous ! Tournée triomphale dans l’ensemble, le glamour le disputant à la politique étrangère. Néanmoins, Evita a su s’imposer comme digne représentante de son pays, et n’a pas ménagé ses efforts pour faire passer le message politique de son mari. Y compris avec Franco, tout récent dictateur espagnol, avec lequel les relations sont assez rapidement passées du chaud au froid, en raison des divergences de vues sur le social. Elle dira d’ailleurs «La femme de Franco n’aime pas les travailleurs, qu’elle qualifie à toute occasion de «rouges» parce qu’ils ont participé à la guerre civile. Je me suis contenue une ou deux fois, mais ensuite je n’ai pas pu m’empêcher de lui dire que son mari ne tenait pas son pouvoir des urnes, mais de la force».

Eva Perón à son arrivée à Madrid pendant sa tournée européenne de 1947.

4. L’ambiance générale

On le voit, ce premier mandat est dans l’ensemble marqué par un certain succès, tant au plan des résultats que de la popularité. L’après-guerre mondiale est une époque bénie pour l’Argentine. L’économie est florissante, le commerce excédentaire, et le niveau de vie général s’est amélioré, notamment pour les classes défavorisées. Celles-ci vouent au nouveau leader et à son épouse un véritable culte religieux : ce sont Saint Juan et Sainte Evita. Les classes les plus aisées, elles, renâclent bien un peu, elles n’aiment pas tellement ce pli ouvriériste qui conduit le petit peuple à devenir exigeant et à se croire autorisé à relever la tête, et sont nostalgiques du temps d’avant, où l’employé travaillait en la bouclant. Mais globalement, le pays a rarement été aussi en forme : il est communément admis qu’à la fin des années quarante, l’Argentine était un des pays les plus prospères du monde !

Mais attention, prospère ne veut pas dire apaisé. Question atmosphère, l’ambiance reste très conflictuelle. Le péronisme est encore très jeune, mais il suscite déjà des débats passionnés. D’autant que le chef a nettement tendance au pouvoir personnel, d’une part, et à un certain culte de la personnalité, d’autre part. Les moins disposés à son égard diraient carrément : c’est un tyran. C’est que Perón n’aime pas trop qu’on discute ses décisions. Les bonnes comme les mauvaises. Or, les discutailleurs ne manquent pas, on s’en doute. Classes aisées, on l’a vu, conservateurs, libéraux pur jus, mais également, à gauche, socialistes et communistes, qui considèrent que Perón leur mange la laine sur le dos, avec sa politique ouvriériste. Dame, avec lui, les ouvriers, satisfaits avant même d’avoir revendiqué, sont devenus nettement moins combatifs, et fort peu révolutionnaires ! Pour faire taire les râleurs, Perón n’y va pas par quatre chemins : il fait arrêter, emprisonne, renvoie, exproprie. Les prisons argentines verront passer ainsi quelques noms prestigieux, comme les députés Ricardo Balbín (qui pourtant, en 1973, se ralliera à sa cause, mais c’est une autre histoire) ou le socialiste historique Alfredo Palacios. Quant à la presse, il n’hésite pas à la museler, en expropriant les titres qui le dérangent, notamment le grand quotidien La Prensa. Le non moins célèbre historien Felix Luna se souviendra longtemps des tortures infligées par la police péroniste. De l’autre côté, ce n’est guère moins violent, il faut dire. Tout au long de son mandat, ne manqueront pas les tentatives de coup d’état, les manifestations de protestations, le mépris de classe à l’égard des plus pauvres, et les insultes ouvertes envers Eva Perón, considérée par la «bonne société» comme une simple prostituée et traitée comme telle.

Le péronisme, dès ses débuts, a ainsi cristallisé la fracture entre deux argentines. Une fracture dont on se demande, presque 80 ans après la première élection de Perón, si elle pourra être réduite un jour.

Mais n’allons pas trop vite. On vient de le voir, ce premier mandat de Juan Domingo Perón se caractérise avant tout par une certaine réussite politique et économique, et une grand popularité parmi la majorité de la population. Cette popularité ne va pas tarder cependant à s’effriter. Nous verrons comment, et pourquoi, dans le prochain chapitre.

Attentat contre Cristina Kirchner

Jeudi soir dernier, (le 1er septembre), un jeune Brésilien de 35 ans a tenté d’assassiner l’ancienne présidente et actuelle vice-présidente argentine, Cristina Fernández de Kirchner. Alors qu’elle saluait des militants de son parti devant son immeuble, situé au coin des rues Uruguay et Juncal, dans le quartier de La Recoleta, il a sorti une arme et l’a pointée dans sa direction, mais le coup n’est pas parti.

L’attentat a suscité une véritable commotion dans le pays, où Cristina Kirchner est aussi adulée par les uns que détestée par les autres. Depuis 2007 et sa première élection en tant que présidente, elle n’a jamais cessé de représenter un sujet de polémique et de débats les plus vifs autour de sa personne. Harcelée par la droite qui en a fait un symbole de la corruption péroniste, elle est tout autant soutenue par une large partie de la gauche, qui voit en elle une pasionaria des plus humbles ; toute proportion gardée, à l’image d’Eva Perón en son temps.

Cristina Kirchner entourée de ses enfants Maximo et Florencia.

Les motifs de Fernando Sabag Montiel, le tireur, ne sont pas encore complètement éclaircis. Selon le quotidien La Nación, son profil est bien connu sur certains réseaux sociaux radicaux, et on l’avait entendu, interrogé par la chaine d’information Cronica.tv, se répandre en critique contre les mesures d’aide sociale, et se signaler par des propos particulièrement virulents contre les pauvres, taxés de fainéants et de profiteurs. Il était également «connu des services de police», comme on dit chez nous, pour port d’arme illégal.

Vidéo (1’44) de l’attentat, filmé au portable par un témoin de la scène. La vidéo est présentée sous trois angles différents. L’agresseur porte un masque chirurgical blanc. (Vidéo postée sur youtube par La Voz de Neuquen)

La condamnation de cette tentative d’assassinat a été unanime dans la classe politique, y compris au sein de l’opposition au gouvernement que codirige Cristina Kirchner. Même les membres du syndicat des propriétaires terriens, qui pourtant lui vouent une haine farouche depuis qu’elle a voulu augmenter leurs impôts, se sont fendus d’une déclaration de soutien : «Nous espérons que toute la lumière sera faite au sujet de cet attentat ignoble. En tant que fédération syndicale nous militons fermement pour la cessation de toute forme de violence et pour le retour à la paix sociale».

Si l’attentat n’a pas eu de conséquence dramatique, il est néanmoins révélateur de l’ambiance actuelle de l’Argentine, qui vit depuis plusieurs années une crise multiple : économique, sociale, politique. Jamais la grieta comme ils disent là-bas, la fracture, n’a été aussi profonde entre les citoyens. L’Argentine est désormais divisée en deux camps qui ne peuvent plus du tout se parler : les péronistes (plutôt de gauche, mais tous les gens de gauche ne sont pas péronistes) et les antipéronistes. On ne peut plus parler du tout d’opposition, de débat, de querelle, mais de haine, implacable et définitive.

Cette haine est volontiers attisée, comme le fait remarquer à juste titre le ministre de l’Intérieur, Eduardo de Pedro, par une grosse majorité des médias du pays, pour une large part classés à droite. J’en ai été témoin lors de mon dernier séjour à Buenos Aires, et il suffit de parcourir les journaux en ligne pour le constater : ce sont plusieurs Cnews qui déversent au quotidien leur fiel contre le gouvernement péroniste, et sans filtre.

Toute opposition est légitime, mais, à l’image de notre chaine d’extrême-droite, il est inquiétant de voir s’installer durablement dans le paysage des discours de plus en plus haineux, et dont le venin qu’ils distillent conduit de plus en plus souvent des esprits faibles à des actes criminels.

Il n’est que de lire les commentaires au pied de certains des très nombreux articles qui ont suivi l’attentat pour s’en convaincre. Entre complotisme (On met en doute le sérieux de l’attentat : le pistolet ne se serait pas enrayé, il s’agirait d’une simple mise en scène) et regrets affichés que Montiel ait raté son coup, la palette est assez variée, mais relativement monochrome chez les opposants.

Personnellement, je n’ai pas de sympathie particulière pour Cristina Kirchner, une présidente dont les deux mandats ne resteront pas dans les annales comme des modèles de gestion, et dont la personnalité pour le moins trouble participe largement de la fracture entre Argentins. Accusée de corruption, actuellement poursuivie par les tribunaux pour cela, elle s’accroche au pouvoir et contribue ainsi à crisper un peu plus une partie de l’opinion. Qu’elle soit effectivement coupable ou réellement innocente (la justice ne s’est pas encore prononcée), elle serait certainement mieux avisée de se concentrer sur sa défense. D’autant que son acharnement à rester aux postes de décision donne des arguments à ses détracteurs, puisqu’elle donne l’impression ainsi de vouloir contrôler la justice. Mais il faut bien dire qu’elle peut compter, parmi la population la plus modeste du pays, avec un très fort soutien populaire.

De l’autre côté, l’opposition de droite semble entrée dans une phase d’irrationalité la plus complète. Elle a gagné les dernières élections législatives, et même si elle n’a pas la majorité absolue au parlement, elle pourrait ainsi faire démocratiquement son travail d’opposition, pacifiquement et en respectant les institutions. Les prochaines présidentielles, qu’elle a également toutes les chances de gagner, auront lieu fin 2023, et pour le moment, elle semble n’avoir ni programme, ni candidat(e) d’alternance. Mais elle préfère ajouter de l’huile sur le feu, et pratiquer une opposition aussi systématique que stérile et surtout, pousse-au-crime.

Surfant sur cette vague haineuse, se profile en outre un nouveau personnage encore bien plus inquiétant, un certain Javier Milei, ultra-libéral de tendance autoritaire, sorte de Berlusconi mâtiné de Mussolini, de Pinochet et de Milton Friedman au rabais, prêt à transformer l’Argentine en crise en modèle de pays inégalitaire gouverné par le capitalisme le plus sauvage.

L’attentat manqué contre Cristina Kirchner montre le paroxysme atteint par le pays dans cette guerre ouverte. A tel point que j’ai pu lire, parmi la masse des commentaires de citoyens, un appel à… la partition du pays en différentes entités indépendantes ! Les Argentins ne se parlent plus, ne veulent plus se parler. L’adversaire politique est devenu un ennemi, et un ennemi à abattre, à tout prix, même celui du sang. On pensait que la terrible dictature militaire de 1976-1983, condamnée par la magnitude de son échec et l’évidence de son caractère criminel, serait la dernière de l’histoire argentine. Que la démocratie avait définitivement gagné la partie. Que le pays avait enfin intégré le cercle des nations pacifiées. La crise sociale et morale qui l’étreint de nouveau revient sérieusement doucher notre optimisme peut-être un peu précipité. Car au train où va la fracture actuelle, pas sûr que le pays ne s’embrase pas de nouveau, et dans un avenir proche.

Voir également notre dossier en cours sur le péronisme et son empreinte sur la société argentine.

Article de fond d’Eduardo Aliverti dans Pagina/12 le 5 septembre 2022, sur l’ambiance de haine régnant dans le monde politique et social argentin d’aujourd’hui.

*

Cristina Kirchner, actuelle vice-présidente de la République argentine, a été élue présidente en 2007, succédant ainsi à son mari Nestor (2003-2007, décédé en 2010) puis réélue en 2011. Son successeur a été Mauricio Macri (centre-droit libéral), de 2015 à 2019. En 2019, les Argentins ont de nouveau élu un président péroniste, Alberto Fernández, qui s’était présenté avec Cristina Kirchner, donc.

III. Le premier mandat de Perón

Avant de nous lancer dans cette étude de l’action péroniste durant ce premier mandat présidentiel, rappelons quelques points de bases importants, à ne pas perdre de vue pour une interprétation la plus correcte possible des faits.

1. Juan Domingo Perón est issu des rangs de l’armée. Colonel au moment où il prend le portefeuille du travail, c’est en général qu’il accède au fauteuil présidentiel.

2. En 1944, alors qu’il représentait le gouvernement et visitait le site sinistré de San Juan, suite à un tremblement de terre, il a fait la rencontre d’une jeune fille décidée : Eva Duarte. Elle deviendra sa femme en 1946, et exercera une énorme influence sur sa conduite politique.

3. Comme la plupart de ses collègues militaires, il est profondément anti-communiste. D’ailleurs pendant la deuxième guerre mondiale, les positions du G.O.U. (Groupe d’officiers unis, à l’origine du coup d’état de 1943) dont il faisait partie étaient plus qu’ambiguës, s’accrochant à une neutralité qui avait du mal à masquer une certaine sympathie pour les forces de l’Axe.

4. Il a été, dans les débuts du fascisme, un admirateur de Benito Mussolini. Il en est revenu, naturellement, après la chute de celui-ci. Mais cette influence a laissé des traces.

*

Tout au long de son mandat, Perón va s’appuyer sur les trois principales forces qui l’ont soutenu lors de l’élection : les classes populaires, les syndicats et, naturellement, les trois partis constitutifs de son union politique. Il fera d’ailleurs en sorte, très rapidement, de les fondre en un seul : le Parti Péroniste. On sent déjà poindre une certaine tendance à la personnalisation du pouvoir.

Quant aux syndicats, qu’il a déjà fortement contribué à se développer et s’organiser, pas question non plus de leur laisser trop de bride sur le cou. Le syndicalisme doit être péroniste, ou ne pas être. De ce côté-là ; pas grand-chose à craindre. Le principal d’entre eux, la CGT, lui est tout acquis, sans qu’il ait eu besoin de beaucoup insister.

Enfin, côté classes populaires, il se lance dans une grande politique de redistribution des richesses. Qui ne va pas, souvent, sans friser le clientélisme. Les pauvres sont bien reçus à la Maison rose (palais présidentiel) et n’en repartent jamais les mains vides. Logements, biens domestiques, vélos ou ballons pour les enfants, sont des marchandises que le président n’économise pas lorsqu’il s’agit de faire plaisir aux plus humbles, son socle électoral.

En cela, il est efficacement secondé, pour ne pas dire incité, par son épouse Eva. Evita, la madone des plus pauvres. Elle a une revanche à prendre sur la vie, et déteste particulièrement les grands bourgeois. Son père, Juan Duarte, en était un. Marié, il avait eu une liaison suivie avec la mère d’Eva, Juana Ibarguren, dont il avait eu cinq enfants.

A cette époque, dans la première moitié du XXème siècle, avoir une double-vie était une chose assez courante dans les milieux très aisés. Juan Duarte avait donc une famille légitime d’un côté, une autre illégitime de l’autre. C’était un propriétaire terrien, doublé d’un politicien conservateur. Cela dit, il a fait son devoir : sa seconde famille n’a manqué de rien. Du moins, tant qu’il a été vivant.

Mais lorsqu’il est mort, en 1926 (Eva avait 7 ans), elle s’est retrouvée totalement démunie. Pire : lorsque Juana est venue pour assister à l’enterrement, avec ses cinq enfants, c’est à peine si on les a laissés voir le cercueil, et on les a accueillis avec le plus grand mépris. Eva ne l’a jamais oublié, et en a conçu une haine féroce contre les classes aisées. Ce qui explique en grande partie son attitude une fois parvenue au sommet du pouvoir, en tant que première dame de l’état.

Evita avant Perón. Jeune, elle avait quitté sa famille pour se lancer dans une carrière d’actrice. Elle ne deviendra pas une star, mais obtiendra un certain succès dans les pièces radiophoniques.

C’est peu dire qu’elle aura exercé une grande influence sur son mari. Elle a d’ailleurs, même si officieusement, même si dans une certaine ombre, participé activement à nombre de décisions politiques. C’est elle qui a fondé le parti péroniste des femmes, elle qui a poussé pour faire passer la loi sur le vote des femmes (acquis en septembre 1947) elle qui a créé la Fondation Eva Perón, organisme d’aide sociale aux plus modestes qui a fonctionné durant les deux mandats de Perón.

Elle s’est beaucoup investie dans le syndicalisme pour en développer différentes branches nouvelles, et a tissé un lien très efficace entre les principaux syndicats et le président, car elle était très estimée de tout le milieu ouvrier. Elle a également représenté le président et son pays lors d’une grande tournée européenne, en 1947, où elle a rencontré nombre de chefs d’état, dont De Gaulle, Franco, et le Pape de l’époque, Pie XII. Elle n’a donc rien eu d’une potiche, bien au contraire.

En réalité, Eva Duarte, Evita, comme les Argentins la surnommaient affectueusement, était encore plus populaire que son mari. Elle a fait, et fait encore, l’objet d’un véritable culte de la part d’une partie des Argentins. En revanche, elle était évidemment haïe des membres des classes aisées, qui la peignaient en véritable prostituée. (A sa mort en 1952, une main anonyme écrira sur un mur : «Vive le cancer» !)

On l’a compris, tout au long de ce premier mandat présidentiel, le couple Juan-Eva a clairement choisi son camp. Ce qui lui vaut un appui sans faille d’une grande partie de la gauche et de l’extrême-gauche, au début sur la réserve, puis voyant en Perón un véritable leader révolutionnaire et tiers-mondiste. Un profil que celui-ci a pris grand soin de peaufiner.

Le président et la première dame saluent le petit peuple.

En 1951, à la fin du mandat, la gloire du couple présidentiel est à son zénith. A tel point qu’en vue des prochaines élections, toute la gauche péroniste et syndicale pousse pour un ticket «Perón-Perón», à savoir, Juan candidat à sa réélection et Evita à celle de vice-présidente. Cela ne se fera pas, pour deux bonnes raisons. La première, c’est que Perón connaît trop bien l’aura dont jouit sa femme auprès du peuple, et qu’il sent bien que celle-ci finit par lui faire de l’ombre.Or, question pouvoir, Perón n’est pas partageur. Il ne peut y avoir qu’un seul «guide» du peuple : lui.

La seconde, c’est qu’Eva est malade : on lui a diagnostiqué un cancer de l’utérus, et même si on le lui cache, son entourage proche sait, lui, qu’elle a peu de chances d’en réchapper à court terme. Perón parviendra à la convaincre – car l’idée l’avait séduite – de renoncer, ce qu’elle finira par faire, la mort dans l’âme, au cours d’un émouvant discours, le 17 octobre 1951.

Il ne lui restait que quelques mois à vivre : elle meurt le 26 juillet 1952. Perón avait commencé sa seconde présidence un mois et demi avant. Mais la disparition brutale de la madone des pauvres, «Sainte Evita» comme l’a surnommée l’écrivain Tomás Eloy Martínez, a représenté un véritable séisme dans la société argentine tout entière. Après cela, plus rien ne pourrait continuer comme avant. Le péronisme avait perdu celle qui était devenue, au-delà de la personnalité de son chef, sa principale icône.

*

Pour approfondir :

– Un autre article sur ce premier mandat, un peu plus détaillé.

– Courte mais complète biographie d’Eva Duarte. (En français)

Discours de renonciation à la vice-présidence d’Eva Perón, le 17 octobre 1951. (Vidéo sous-titrée en espagnol, 9’15). On notera au début l’introduction de Perón, réclamant par avance à la foule le plus grand silence, afin de ne pas perturber le discours d’Eva, déjà très malade et parlant avec quelques difficultés. Le film ne la montre pas en train de parler. On a gardé la bande-son, illustrée ici par des images d’archives.

Voir également la bibliographie de ce blog, et la partie dédiée au péronisme, avec notamment l’excellent ouvrage de l’universitaire Alain Rouquié, spécialiste de l’Amérique latine.