Que/qui porte Milei ?

Pour compléter l’article précédent sur le « 3ème » potentiel candidat à la prochaine présidentielle argentine, à la fin de cette année, voici un petit compte-rendu d’un très intéressant article publié dans le quotidien de gauche « Pagina/12 » cette semaine.

(Les parties en italiques sont des extraits traduits de l’article)

Il a été rédigé par María Seoane, et porte sur le danger qu’il y a toujours à relativiser le succès généralement jugé éphémère de ce genre de personnage qui s’auto-proclame «anti-système», et qui, pourtant, sait parfaitement se servir du dit système pour arriver à ses fins.

Milei, un épiphénomène ?

Beaucoup s’imaginent que Milei n’est qu’un produit marketing qui disparaitra dès que l’establishment et les médias décideront de mettre le pouce en bas. Sauf qu’une fois le personnage construit, il agglomère aussitôt les rancœurs, le ressentiment, le désir, mystérieux et incurable, que nous Argentins ressentons depuis la nuit des temps, d’anéantissement du prochain.

Telle est l’introduction de cet article, qui ne peut manquer de résonner sur notre propre situation en Europe. Chez nous également, le phénomène Le Pen, et l’extrême-droite européenne en général, ont longtemps été traités avec légèreté comme des épiphénomènes destinés à mourir lentement. Et pourtant, ils semblent s’installer durablement dans le paysage, jusqu’à prendre le pouvoir, comme en Italie.

Là s’arrête néanmoins probablement la comparaison. Car si, chez nous, certains milieux d’affaires voient d’un bon œil l’ascension de partis autoritaires – Voir l’empire Bolloré – Milei peut être considéré quant à lui comme un véritable porte-drapeau à part entière de ces mêmes milieux, qui le couvent des yeux.

L’ultra-libéralisme en bandoulière

Nous pouvons voir Javier Milei promener ses cheveux en bataille de plateaux de télévision en hôtel de luxe et prononcer ses litanies colériques toutes en crachats violents, destinées à un public choisi de milliardaires avides de connaitre la recette qui permettra de détruire enfin cet État prélevant des impôts afin de  maintenir à flot un pays intégré.

Ses idoles ? Les grands noms de l’ultra-libéralisme, Frédéric Von Hayek, Milton Friedman, ou l’argentin Martínez de Hoz, ancien ministre de l’Économie sous la dictature. Troupe abominable; nous dit Seoane, marchant sur les cadavres de tous ceux qui ont eu à subir leurs recettes économiques, Chiliens de 1973 ou Argentins de 1976.

Sa recette à lui ? Refonder le monde en en faisant un tas de ruines.(…) Pour pouvoir exploiter les ouvriers en leur retirant tout droit, n’est-il pas précisément nécessaire de les déshumaniser, d’en faire des animaux ou de détruire l’État garant des droits humains, économiques et sociaux depuis (la révolution française de)1789 ?

La haine de classe en Argentine

Milei traine avec lui une haine bourgeoise historique, on pourrait presque dire fondatrice, en Argentine : en premier lieu, celle des colons blancs envers les indiens, qui a culminé à la fin du XIXème siècle avec la «Campagne du désert», vaste programme d’extermination et d’appropriation des territoires mené à bien par le Général et ensuite président de la République Julio Roca.

Puis, dans les années de la grande émigration «européenne», envers la « populace » amenant avec elle les idéologies anarchiste et communiste. Enfin, dans les années 40, et jusqu’à aujourd’hui, envers la «racaille» péroniste.

Une haine, nous dit Seoane, dont le carburant est avant tout économique : il s’agit pour une caste d’orienter la répartition de la richesse vers son seul profit. On a persécuté les indiens pour leur voler leurs terres, on a persécuté les ouvriers du début du XXème siècle pour qu’ils n’entravent pas la bonne marche du capitalisme financier – essentiellement anglais – comme on a renversé en 1955 l’état providence façonné par Perón.

Les Anglais ont beaucoup investi en Argentine aux XIXème et XXème siècle. Pour leur plus grand profit, avec la complicité d’élus très…compréhensifs. Ici, le magasin Harrods de Buenos Aires. Fermé depuis plusieurs décennies, il est un symbole d’une économie transnationale prédatrice.

Dans la haine véhiculée par le langage politique, flotte toujours le désir d’accaparement. La dictature militaire de 1976 qui a créé l’État terroriste-néolibéral et transnational englobait dans le langage – les « subversifs » – la justification de l’extermination d’une génération politique tandis qu’elle faisait entrer l’Argentine, avec le plan économique Videla/Martínez de Hoz, dans l’ère du pillage néolibéral du XXe siècle, avec la dette extérieure comme principal pilier.

Une politique poursuivie sous les deux mandats de Carlos Menem (1989-1999). Seoane rappelle que c’est ce président qui, bien avant Milei, avait tenté de dollariser l’économie argentine, la conduisant droit dans le mur (avec la terrible crise du début des années 2000).

Dollariser : c’est le maitre mot du programme de Milei. Derrière cela, se cache le démantèlement de l’État et une politique de dérégulation totale de l’économie.

Il s’agit bien de redonner le pouvoir au capitalisme financier. Et de, note Seoane, … réinventer un épigone de la liberté absolue du marché, un incendiaire de la Banque centrale. Un clown des médias dont la violence discursive est comme la balle que le personnage du film « Le Joker » a tirée sur le présentateur de l’émission qui l’interviewait.

Milei n’est donc rien d’autre qu’un nouveau porte-parole de l’ultra-libéralisme poussé par ceux qui dirigent à leur profit l’Argentine depuis les premiers temps de la colonisation : les tenants de la grande bourgeoisie agraire et industrielle, s’appuyant, par un discours savamment entretenu pour dénigrer les plus humbles, sur la classe moyenne supérieure d’origine européenne.

Celle-là même qui, selon les sondages, est la plus favorable à ce nouveau trublion de la politique argentine. Celle-là même qui, comme elle le proclame, «en a marre de payer pour les éternels assistés d’un État trop généreux avec les fainéants».

Voilà qui devrait nous rappeler quelque chose.

La « Maison rose », palais présidentiel à Buenos Aires. La future demeure de Milei ?

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LIENS

L’article original de Maria Seoane dans Pagina/12 : https://www.pagina12.com.ar/544933-javier-milei-y-el-discurso-del-odio-en-la-historia-argentina

Rappel historique : l’extermination des indiens par la Campagne du désert. https://argentineceleste.2cbl.fr/la-conquete-du-desert/

La grande vague migratoire de 1880 à 1910, et ses conséquences : https://argentineceleste.2cbl.fr/1880-1910-la-grande-vague-dimmigration/

Le dossier sur la dictature militaire de 1976-1983 : https://argentineceleste.2cbl.fr/1976-1983-la-dictature-militaire/

 

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