El Chaltén, victime du surtourisme ?

L’autre jour, nous parlions des grands espaces de Patagonie, et de la grande solitude de certains de ses habitants.

Pourtant, pourtant, la Patagonie, malgré son million de km² et sa steppe immense, n’est pas forcément à l’abri du mal qui ronge les plus beaux paysages planétaires, de Venise à l’ile de Koh Lanta en passant par les Everglades et la Grande Muraille de Chine : le surtourisme.

Il y a seulement 40 ans, le village d’El Chaltén n’existait même pas. La zone était déjà connue en revanche des amateurs de grimpe : c’est là que se trouve un des plus mythiques sommets du monde, le mont Fitz Roy. Un pic de 3405 mètres d’altitude, mais extrêmement difficile d’accès et célèbre entre autres pour être pratiquement toujours noyé dans les nuages, ce qui a le don d’exciter pas mal de photographes amateurs en mal d’images rares : le pic ne se découvre qu’en de très rares occasions ! (Voir tout en bas de l’article).

Peu à peu, le site a attiré également un nombre de plus en plus grand de trekkeurs. La montagne ici est magnifique, par sa végétation unique d’espèces endémiques, comme le coihue ou le ñire, ou le fameux calafate, quasi-emblème de la région, dont les fruits sont comestibles. (La tradition dit d’ailleurs que si vous en consommez, vous vous assurez de revenir un jour en Patagonie !). Et par ses lacs d’altitude, très nombreux, également, comme ci-dessous le lac Capri, ou laguna del pato (lac du canard).

Lago Capri, avec au fond le Fitz Roy dans les nuages

C’est ainsi qu’en 1985, à la fois pour développer le peuplement de ce coin isolé et mieux accueillir les touristes, a été fondé de toutes pièces le village d’El Chaltén, au pied du Fitz Roy, à une dizaine de kilomètres de la frontière avec le Chili, en pleine Cordillère des Andes. Et ce, malgré l’opposition farouche du directeur de l’administration des parcs nationaux de l’époque.

Localisation d’El Chaltén – Province de Santa Cruz

Le développement du village commença assez lentement, puis tout s’emballa subitement, par le phénomène bien connu du « bouche à oreille ».

En 1991, six ans après sa fondation, El Chaltén comptait seulement 41 habitants, pour la plupart des fonctionnaires et des gendarmes. En 2001, on était passé à 371. 10 ans plus tard, en 2011, ce chiffre avait été multiplié par un peu plus de quatre : 1671 habitants ! Et aujourd’hui, on frise les 3000.

C’est qu’entre temps, trekking, alpinisme et simple tourisme d’excursion se sont considérablement développés. De plus en plus nombreuses sont les agences qui proposent aux touristes des séjours tout compris, et ce même depuis Buenos Aires ! Mais surtout depuis un autre village touristique, plus ancien, El Calafate, situé à trois heures et demie de route plus au sud et point de départ des excursions vers les plus impressionnants glaciers du monde !

Glaciers, paysages époustouflants, grands espaces et développement du tourisme de randonnée : tout y est pour assurer à El Chaltén un succès qui, d’abord confidentiel, est en train de devenir planétaire.

Paysage – Environs d’El Chaltén

A tel point que le village commence à souffrir sérieusement, comme d’autres endroits, d’un surtourisme particulièrement prédateur. Car aujourd’hui, les 3000 habitants réguliers doivent partager l’espace avec un nombre moyen de plus de 6000 touristes quotidiens. Des touristes dont il faut accueillir les bus et les voitures, les loger, les nourrir, tout cela en tenant compte de toutes les contraintes liées à la configuration montagnarde de l’endroit. Des touristes qui, de surcroit, ont généralement un portefeuille beaucoup plus garni que les autochtones, ce qui n’est pas sans incidence sur le coût de la vie.

Un des principaux problèmes, comme partout, c’est celui du logement. Le manque cruel de terrains exploitables, ainsi que la forte demande de logements touristiques (gîtes, hôtels) diminue fortement l’offre en direction des habitants réguliers, dont beaucoup en sont réduits à loger dans des mobils-homes (on en compte plus de 400 habités par des autochtones !), faute de place et/ou de revenus suffisants.

Or ces habitants-là sont pourtant indispensables au bon fonctionnement de la vie quotidienne d’El Chaltén : ce sont des enseignants, des commerçants, des guides de montagne, des fonctionnaires de l’administration !
Par ailleurs, certaines infrastructures n’ont pas suivi le développement trop rapide du tourisme. Ainsi, le trop plein d’eaux usées, que l’usine de retraitement locale ne suffit plus à absorber (elle a été prévue pour 3000 habitants, pas pour 10000 !) se déverse en grande partie dans les rivières, causant des dommages importants à l’environnement, qui est pourtant le fonds de commerce du lieu !

Est-il vraiment soutenable, par ailleurs, de parvenir à entretenir et surveiller les 20 000 hectares et les 113 kilomètres de sentiers du secteur avec seulement 2 garde-forestiers et 5 cantonniers ?

El Chaltén, victime de son succès, va-t-il être contraint, comme tant d’autres, de recourir à des mesures limitatives ? En Argentine, où pourtant le nombre de sites survisités commence à augmenter de façon alarmante (Chutes d’Iguazú, Ushuaia, péninsule de Valdez, parc naturel des Glaciers) la question ne se pose pas encore. D’ailleurs, le tourisme, politiquement parlant, est visiblement loin d’être une priorité. Ou plutôt si : l’essentiel est qu’il continue à engranger des recettes. L’environnement, dans ce pays où l’écologie politique en est encore à la préhistoire, et privée de mouvements dignes de ce nom, reste un détail négligeable, et négligé, des programmes électoraux.

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Article source : « El Chaltén, le village de Patagonie qui attire des milliers de touristes, menacé par sa croissance vertigineuse » (en espagnol).

Et en bonus, le sommet du mont Fitz Roy, miraculeusement débarrassé de son brouillard quasi permanent, mais dans le lointain ! (A propos du Mont Fitz Roy : les Argentins préfèreraient qu’on le nomme « Mont Chaltén » (Cerro Chaltén, en espagnol), de son nom indien d’origine, plutôt que par ce nom donné par un explorateur en l’honneur d’un navigateur anglais ! Mais pour le moment, même sur les cartes, il reste « Fitz Roy » !)

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