Non-Lieu pour les rugbymen français

Hier mardi 10 décembre, la justice argentine a mis un point final au feuilleton des deux rugbymen français accusés de viol et violence en réunion sur une femme argentine rencontrée en boite de nuit dans la ville de Mendoza, après le test match de l’équipe de France.

Comme on pouvait s’y attendre, le non-lieu a été prononcé par le tribunal de Mendoza, et les deux joueurs n’auront donc pas à revenir en Argentine, à moins que l’appel – d’ores et déjà annoncé par la défense de la victime – ne débouche sur un nouveau procès, ce qui est peu probable.

Dans ses attendus, le tribunal s’appuie principalement sur le compte-rendu de l’examen psychologique de l’accusatrice. Celui-ci stipule :

Elle (la victime, NDLA) présente une histoire linéaire et structurée, en opposition à une histoire spontanée et fluide, rigide en termes de chronologie des événements et déficiente en termes de construction logique, dont les détails ne sont pas articulés de manière cohérente dans l’ensemble. Le fil conducteur est lâche et dispersé.

En somme, la victime présumée est soupçonnée d’arranger les faits à son avantage, et de délivrer un récit plus fabriqué que véritablement vécu.

Par ailleurs, le tribunal relève le manque de preuves matérielles. La victime présumée avait accusé les deux rugbymen de violence, et d’ailleurs les traces de coups avaient été constatées dès le lendemain des faits, le jour même du dépôt de la plainte. Mais selon les juges, le déroulement des faits qui découle à la fois des quelques (rares) témoignages et vidéos accessibles ne permet pas d’apporter une preuve suffisante de la culpabilité des deux hommes et surtout du non-consentement de la victime.

Les juges s’appuient notamment sur une vidéo de l’ascenseur de l’hôtel, où on voit clairement Hugo Auradou et l’infirmière argentine échanger un baiser, puis sortir main dans la main.

Selon la victime présumée, le second joueur, Oscar Jégou, se trouvait déjà dans la chambre quand ils y sont entrés. Elle aurait demandé à Hugo Auradou de la laisser partir et dès ce moment auraient commencé les violences des deux hommes. Mais de cela, statuent les juges, il n’y a ni témoignage ni preuves concluantes, et le doute doit donc bénéficier aux accusés, d’autant plus au vu des conclusions de l’expertise psychiatrique de l’accusatrice, laissant penser qu’elle aurait altéré les faits à son avantage.

On se fera son idée. On le sait, il est toujours extrêmement difficile de démêler le vrai du faux dans ce genre d’affaire, où les preuves et les témoins manquent la plupart du temps, et où par conséquent les juges doivent se baser sur la parole des uns et des autres.

Il est bien possible que dans un premier temps l’infirmière ait été séduite par le beau Français, puis que la soirée ait ensuite, alcool et phénomène d’entrainement jouant leur triste rôle, pris un tour nettement moins sympathique, faisant amèrement regretter la jeune femme de s’être laissée embarquer. Car si on peut l’accuser d’avoir arrangé la vérité des faits, en revanche elle n’a pas pu inventer les traces de coups. Mais curieusement ceux-ci sont très vite passés au second, voire au troisième plan : le tribunal n’y fait aucune allusion dans ses attendus.

En substance, voici ce que dit le tribunal :

La décision du juge est basée sur l’article 353, paragraphe 2, qui indique que l’acte ne rentre pas dans un schéma criminel, en raison de l’atypicité de l’acte. En conclusion, le fait enquêté ne constitue pas un crime. (Atypicité : manque de conformité à un type de référence. En clair : les faits poursuivis n’entrent pas dans la nomenclature judiciaire).

En somme, on dit à la victime : «Peut-être que ces deux hommes vous ont violentée, mais il n’y a pas de preuve et votre récit incohérent nous fait douter. De toute façon, vous l’aviez bien cherché, non ?». Un vieux classique.

En attendant, à La Rochelle et à Montpellier, les deux clubs des jeunes français, on respire : ils vont pouvoir continuer à mettre des tampons sur le gazon. Avec toutes mes excuses pour cet humour douteux.

Une dernière réflexion : il demeurera absolument impossible de savoir quel rôle a joué la diplomatie dans cette affaire. En effet, l’autorisation donnée aux deux joueurs de rentrer en France alors même que l’instruction était encore en cours a laissé perplexe pas mal d’Argentins. Qui en ont aussitôt conclu que le non-lieu en était la suite logique. Et à vrai dire en effet, après la libération des joueurs et la reprise de leur carrière en club, plus personne en Argentine n’a jamais cru à leur retour.

Victoire de Trump : perceptions argentines

Quand on est doté d’un président comme Milei, il est évident que le triomphe d’un type comme Trump ne peut laisser personne indifférent.
Il est encore un peu tôt pour juger des conséquences pratiques qu’aura le résultat de l’élection étatsunienne sur la politique et l’économie argentine. Pour cela, il faudra bien entendu attendre l’installation de Donald, en janvier.

En attendant, Milei, lui, a la banane, on s’en doute. Il se prend à la fois pour Mickey et pour Picsou. Et même pour Gontran, l’éternel veinard des BD de Disney.

A tel point, nous dit La Nación, que certains membres de son entourage n’hésitent même pas à s’approprier la victoire de Trump comme, en partie, la leur. « On l’a fait », les entend-on dire ici et là, cravates rouges (le rouge est la couleur des Républicains aux Etats-Unis) bien serrées au col. Milei et Trump ne se considèrent-ils pas aujourd’hui comme les dirigeants les plus importants du monde ? (Voir cet article de Clarín)

Tout à sa joie, Milei projette d’être un des premiers à faire le voyage de Washington, et discute déjà depuis un moment avec Elon Musk, qui est autant son ami, ne l’oublions pas, que celui de Donald. Bon, le premier, ça veut juste dire qu’il sera présent à la cérémonie d’intronisation, le 20 janvier. Avec, donc, pas mal d’autres chefs d’état. Mais au moins, il aura été le premier à le trompeter. Et quand même, il espère bien obtenir une entrevue privilégiée avant cela, dans la résidence personnelle de Trump, Mar-a-lago. (Voir à la fin mon ajout, après publication d’un article dans le quotidien espagnol El Pais).

Avoir un bon copain, voilà c’qui y a d’meilleur au monde, oui car un bon copain, c’est plus fidèle qu’une blonde… (G. Brassens)

C’est un vrai jeu de miroirs : quand Milei se regarde dans la glace, il doit voir Trump, et vice-versa. Tant ces deux-là ont de points communs. Au physique comme au politique. Passons sur le physique, ce n’est jamais beau de se moquer. Quant au politique, on voit ça d’ici : même cynisme, même nationalisme, même ultra-libéralisme débridé, même tendances populistes, mêmes penchants ultra-droitiers.

Question gouvernance, on pourrait même parler de deux clones. C’est Carlos Pagni, dans La Nación, qui le résume à mon sens le mieux. Je le cite :

Le gouvernement (…) perçoit la victoire de Trump comme un triomphe aux multiples dimensions. Pour beaucoup, Milei et son équipe se félicitent de ce triomphe parce qu’il augure d’abord de l’arrivée d’un chèque associé à un nouvel accord avec le Fonds monétaire international. Mais c’est une interprétation réductrice. Pour La libertad Avanza (parti de Milei, NDLA), cette nouvelle victoire du leader républicain signifie bien davantage.

Tout d’abord, elle représente le succès d’une méthode. Milei et son équipe, à l’égal d’autres acteurs politiques occidentaux, voient en Trump la validation d’une façon de faire de la politique, basée sur la radicalisation et la confrontation, véhiculée par les réseaux sociaux. Une gouvernance en opposition directe avec «l’establishment», «la caste». Pour ceux mus par cette logique, comme Milei, ce triomphe vient confirmer que cette méthode fonctionne, avec des conséquences qu’il conviendra d’analyser plus tard.

Une brutalisation de la vie politique déjà mise en œuvre en Argentine, où tout comme Trump a annoncé qu’il le ferait, le gouvernement a largement entamé un processus de purge de l’administration et de criminalisation de l’opposition, et notamment des syndicats et partis de gauche. Le but avoué : composer une administration «loyale», et en finir avec un fonctionnement démocratique vu comme un frein au développement d’une politique efficace.

Car comme dit un membre de l’entourage proche de Milei, à propos de la nomination de juges de la Cour suprême argentine dont la compétence et l’impartialité sont pour le moins contestées dans les milieux judiciaires : Nous devrons les nommer par décret, car le Congrès est un lieu d’obstruction, le grand agent qui empêche cette révolution que nous menons pour le bien-être de l’Argentine.

En ce sens, Trump bénéficie, lui, d’un avantage dont est loin de jouir Milei : un parlement à sa botte. Milei en rêve, et mise sur les élections de mi-mandat, qui auront lieu fin 2025, pour trouver la majorité qui lui manque pour le moment cruellement. Mais dont il a appris à se passer, bien aidé en cela par les divisions de l’opposition et le soutien des grands médias qui ne tarissent pas d’éloges sur le «nettoyage» en cours de la fameuse «caste» d’élites politiques discréditées.

Autre grand point commun : l’utilisation du mensonge comme arme létale, à la fois pour endormir les masses et assommer les adversaires. Pour se débarrasser des fonctionnaires en place, hautement suspects de tous travailler pour l’opposition (je dis bien tous, pas de détail chez Milei), rien de plus simple : ce sont tous des inutiles malfaisants, des surnuméraires dispensables, des traitres à la patrie dilapidant l’argent public, des corrompus et des fainéants. C’est ainsi que Milei, on l’a déjà raconté ici, a fait fermer l’AFIP, l’organisme de perception des impôts, pour en ouvrir un autre tout entier à sa botte, doté de fonctionnaires d’autant plus loyaux qu’ils seront révocables à merci. Ou qu’il fait fermer des hôpitaux.

L’élection de Trump est donc une excellente nouvelle pour les autocrates du monde entier, pas seulement de Milei. Les bouchons de vin à bulle ont dû sauter dans pas mal de pays le 7 novembre, suivez mon regard.

Et probablement chez nous également, où ces succès de régimes autoritaires confortent sans nul doute bien des espoirs du côté des amis de Cnews. Bientôt notre tour ?

Pour ma part, et on excusera cette intrusion personnelle dans cet article, j’ai nettement l’impression que nous sommes en train de (re)vivre l’épisode pourtant lointain de la décadence de Rome. D’ailleurs à ce propos, Santiago Caputo, l’âme damnée, conseiller privé de Milei, rêve tout haut, sur X, de son leader revêtu des lauriers de César. Citons encore Carlos Pagni :

(Caputo) professe une sorte d’admiration, ou de fétichisme, à l’égard de l’Empire Romain, (…) comme si notre époque révélait une forme de civilisation entrée en décadence durant ces dernières décennies. Il faudrait revenir à cela. Caputo imagine une Argentine impériale, dont Milei serait une sorte d’Empereur. Rien à voir avec un républicanisme pluraliste classique, il s’agit bien d’autre chose : une «République impériale» de concentration des pouvoirs, (…) un autoritarisme de marché assumé non par erreur ou incohérence, mais en tant que projet, qu’affirmation.

En somme, le marché, en tant que pouvoir suprême et incontestable. Un monde où tout serait marchandise. A ce propos je ne résiste pas à vous reproduire ici le petit dessin de Paz, dans Pagina/12 d’aujourd’hui :

Traduction :
– A chaque besoin correspondra un marché.
– Vous y incluez la santé et l’éducation publiques ?
– Bien sûr que non.
– Ce ne sont pas des marchés ?
– Ce ne sont pas des besoins.
(Source : Página/12 – 12/11/2024 – Dessin de Paz)

Un monde nouveau est en train de naitre, où enfin, l’air qu’on respire pourra être privatisé et faire l’objet de profits pour les plus méritants d’entre nous.

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Mise à jour :

Milei a bien été reçu dans la résidence privée de Trump. Prem’s !

Le journal espagnol El País a publié un article commentant cette visite. Au cours de laquelle Milei n’a pas manqué de caresser Donald dans le sens du poil, sans oublier de s’auto-féliciter. Extraits :

«Cette victoire sans appel a constitué la plus folle « remontada » de l’histoire, un défi à tout l’establishment politique (…)»

Et un peu plus loin dans le discours :

«Un par un nous avons réglé les problèmes qui avaient été balayés sous le tapis ces dernières décennies en Argentine. (…) Seuls cinq pays se battent pour l’équilibre des finances : l’Argentine est l’un d’entre eux. Ce que je veux dire par là c’est que l’Argentine peut et doit être un phare pour le monde, le phare des phares, d’autant plus maintenant que le vent de la liberté souffle aussi sur le nord (j’aime bien le «aussi», NDLA) car le monde était tombé dans une profonde obscurité et supplie d’être éclairé».

Ce à quoi, naturellement, Trump a répondu en le félicitant de «rendre à l’Argentine sa grandeur», selon sa formule favorite. Make Argentina great again, quoi.

Les glaciers en danger !

Peu de gens le savent (mais nos lecteurs, oui, naturellement !), mais l’Argentine abrite, dans l’immense région patagonienne, un des plus importantes réserves d’eau douce du monde : ses glaciers.

Ils sont tous situés dans la même zone, à peu près :

Toute la zone, appelée Champ glaciaire de Sud Patagonie, comporte environ 300 glaciers de toutes tailles et a une superficie de plus de 12 000 km², soit très exactement celle des départements Nord et Pas de Calais réunis.

L’ensemble de ces glaciers côté argentin (il y en a aussi côté chilien, bien sûr) forme le Parque nacional de los glaciares, qui en comprend une douzaine de très étendus.

La plupart sont difficiles d’accès, c’est pourquoi le plus célèbre d’entre eux n’est pas le plus grand : il s’agit du Perito Moreno, qui s’étend quand même sur une surface de 250km², soit un peu plus que la superficie de la Capitale, Buenos Aires ! La superficie totale de tous ces glaciers est estimée à 7270 km². Soit, à peu près, l’équivalent du département du Maine-et-Loire.

Le plus étendu est le glacier Viedma, avec 940 km². 9 fois la ville de Paris.

Si, de loin, ils apparaissent comme une grande surface neigeuse bien lisse, en réalité, ils sont parcourus de crevasses énormes, et leur intérieur est quadrillé de canaux qui permettent à l’eau de s’écouler jusqu’aux lacs dans lesquels ils se jettent. La neige n’occupe qu’environ 40 cm de hauteur sur la croûte, le reste étant constitué de glace compacte. Ils se sont formés lors de la dernière période de glaciation, il y environ 18 000 ans.

Mais aujourd’hui, quasiment tous sont en constante diminution, en raison, comme on le devine, du réchauffement climatique en cours. Le problème étant que depuis quelques années, cette diminution s’accélère de façon inquiétante. A tel point que le glacier Upsala (640 km²), autrefois alimenté par son voisin Bertachi, en est désormais déconnecté. L’Upsala a ainsi perdu 14 km de longueur sur les 50 dernières années. Il faut dire qu’il subit un handicap supplémentaire : contrairement au Perito Moreno, qui repose sur une base entièrement rocheuse, donc solide, l’Upsala, lui, est en grande partie flottant, ce qui accélère son érosion par les eaux souterraines. S’y ajoute le fait que ce glacier se jette dans le Lago Argentino, un lac d’une profondeur de 700 mètres à cet endroit, et constitue un autre facteur d’accélération des détachements de blocs de glace.

Pour revenir au Perito Moreno, depuis 1990 des scientifiques effectuent des mesures de sa hauteur moyenne, selon un axe Nord-Sud (pour faire simple : sur sa largeur frontale). Entre 1990 et 2018, ce glacier a perdu 9 m. A partir de 2018, il a commencé à baisser de 4,30m par an. Et depuis 2023, la baisse est passée à 8m/an ! En tout, depuis 2018, Le Perito Moreno a perdu 25 m de hauteur !

C’est en partie ce qui explique, également, le phénomène qui, justement, attire le plus les touristes, depuis toujours : les desprendimientos, les éboulements (Voir vidéos à la fin de l’article). Il s’en produit plusieurs chaque jour. Des blocs plus ou moins gros se détachent de la paroi frontale, s’effondrent dans le lac, et forment des icebergs qui flottent ensuite à la dérive. Un spectacle unique, mais malheureusement de plus en plus facile à capter si on se montre un peu patient sur les passerelles, car de plus en plus fréquent. Ce qui n’est pas bon signe.

Tempano (iceberg) sur le Lago Argentino

Tous ces éboulements ne sont pourtant pas visibles. Certains se produisent à l’intérieur même du glacier, qui fait entendre alors de déchirants craquements : du son, mais pas d’image, on ne voit rien de ce qu’il se passe en dessous.

Hélas, au train où va le réchauffement, il y a peu de chances pour que nos petits-enfants profitent jamais du même spectacle !

Nous n’en sommes heureusement pas encore là, ces énormes glaciers ont encore de beaux jours devant eux, mais rien n’incite à l’optimisme. Dépêchons-nous donc d’aller les admirer avant qu’il ne soit trop tard. En ce qui concerne le Perito Moreno, l’Argentine a justement fait de gros efforts, surtout depuis 2010, pour aménager la zone en construisant tout un réseau de passerelles qui permettent d’observer le glacier sous différents angles. On peut également l’approcher en bateau, et ainsi admirer sur le lac les magnifiques « tempanos » (icebergs) qui prennent parfois des formes et des couleurs d’une grande poésie.

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PETITE GALERIE PHOTOS POUR FAIRE ENVIE

Le glacier Perito Moreno, vue panoramique

 

Les deux photos ci-dessus : le Perito Moreno, sous divers angles

 

Iceberg
Autrefois, le glacier, avançant sur la rive, formait ainsi une sorte de pont, que l’eau du lac finissait par creuser, formant un tunnel jusqu’à l’effondrer, spectacle qui attirait les foules. Ce phénomène a hélas disparu.

UNE COURTE VIDEO (4’26) D’UN EBOULEMENT SPECTACULAIRE AU PERITO MORENO :

(Ci-dessus, moins spectaculaire, mais du vécu en direct ! Merci à Quentin pour cette vidéo captée au vol !)

Et pêle-mêle, quelques autres icebergs :

(Photos PV – 2008)

 

Diplomatie : l’Argentine s’isole

Un petit séisme vient de se produire ces jours derniers à l’intérieur même du gouvernement Milei : la ministre des Affaires étrangères, Diana Mondino, a été sèchement remerciée et remplacée par le jusqu’ici ambassadeur aux Etats-Unis, Gerardo Werthein.

La raison : lors d’une session à l’ONU, elle a voté, à l’unisson de tous les pays présents sauf les États-Unis et Israël, une motion condamnant le blocus américain envers Cuba. Un blocus aussi vieux que l’installation du castrisme dans l’île des Caraïbes, et dont souffre d’abord et avant tout, le petit peuple cubain, bien plus que ses inamovibles dirigeants.

Le vote de la résolution de l’ONU condamnant le blocus contre Cuba – 30 octobre 2024 – L’Argentine a voté en faveur de la résolution, pour la plus grande fureur de son président Javier Milei. On remarquera que seulement deux pays ont voté contre : les USA et Israël, un s’est abstenu, la Moldavie, et trois n’ont pas participé au vote : l’Afghanistan, l’Ukraine et le Venezuela.

En apprenant le vote argentin, le sang du président n’a fait qu’un tour : pas question de «soutenir» un gouvernement communiste.

En prenant cette position, Milei rompt avec plus de trente ans de tradition argentine, ce pays ayant soutenu sans faille la condamnation du blocus, tout comme l’immense majorité des pays européens, qui en retour l’ont indéfectiblement soutenu dans sa demande de négociation avec le Royaume-Uni sur la question de la souveraineté sur les Iles Malouines (Falklands, pour les Anglais). Un soutien qui pourrait bien faiblir dans les années à venir, en toute conséquence.

Une nouvelle fois, le président ultra-libéral isole son pays sur la scène internationale. En effet, depuis son arrivée au pouvoir, l’Argentine, représentée par ce leader de plus en plus tourné vers l’extrême-droite, a rejeté : l’égalité des sexes, la lutte contre le changement climatique, la défense des droits de l’homme, causes que Milei considère comme fers de lance d’un complot collectiviste ! (Página/12, 31/10/2024).

En réalité, le sort de Diana Mondino était scellé avant même son vote à l’ONU. Son éviction n’est qu’un épisode de plus de la vaste purge entreprise par Milei et ses deux plus fidèles acolytes (sa propre sœur Karina, qu’il a installée, moyennant un petit arrangement avec la loi, au secrétariat de la présidence, et Santiago Caputo, conseiller n°1) pour modeler l’administration à sa mesure.

Institutions carrément fermées (Comme celle des impôts, l’AFIP – pour administration fédérale des recettes publiques – dissoute et entièrement remodelée après purge de tous ses fonctionnaires), charrettes d’emplois publics, désignés à la vindicte populaire comme, au mieux, pistonnés, au pire, inutiles, coupes claires dans les budgets de l’Education et de la Santé, remise en cause de l’indépendance de la presse, criminalisation des manifestations populaires, Milei et son gouvernement surfent sur la vague autocratique qui semble s’être emparée d’une bonne partie du monde, où la démocratie ne cesse de reculer.

L’isolement, Milei n’en a cure. Lors de son intervention à l’ONU, il y a quelques semaines, il avait déclarée que celle-ci, comme la plupart des institutions publiques qu’il rêve d’exterminer jusqu’à la dernière, était aussi inefficace que superflue. Pour Milei, tout ce qui est public est inutile et doit être supprimé à terme, pour laisser la main invisible du marché gérer la marche du monde, entre saine et émulatrice cupidité naturelle de l’homme, et ruissellement des plus riches vers les plus pauvres.

Depuis cette intervention remarquée et largement commentée dans la presse mondiale, le président à la tronçonneuse est persuadé de faire partie des grandes voix de ce monde, et un, sinon le seul, des leaders charismatiques de l’univers tout entier. Une mégalomanie qui n’est pas sans rappeler celle d’un autre dingo tout aussi effrayant pour la survie d’une démocratie très chahutée ces temps-ci, et dont il semble partager à la fois les idées et le coiffeur.

Il semblerait toutefois qu’une certaine Argentine se réveille. Ces jours-ci, le pays a été totalement paralysé par une grève générale des transports, et la mobilisation ne semble pas devoir faiblir, en dépit des menaces de la ministre de l’intérieur, Patricia Bullrich, qui promet de faire arrêter les meneurs et de les envoyer en taule. (Un décret interdit le blocage des rues, ce qui permet par ricochet d’interdire de fait la plupart des manifestations populaires).

Gare ferroviaire de Retiro, Buenos Aires.

Certes, on est encore loin d’un mouvement de fond. La grande majorité de la population reste dans l’expectative, et l’attente de résultats économiques qui tardent à venir. A force d’austérité, l’inflation a fini par décrocher un peu, mais elle est contrebalancée par la forte augmentation de certains produits de première nécessité, à commencer par l’énergie et les loyers. Et, donc, les transports, dont le rapport qualité-prix est catastrophique, notamment au niveau du train, secteur particulièrement vieillissant en Argentine, et notoirement insuffisant pour ce territoire gigantesque.

Pour le moment, Milei peut continuer de compter sur la fracture qui divise toujours le pays en deux camps réconciliables. L’anti péronisme viscéral de la moitié de la population lui profite, en l’absence de réelle alternative à cette opposition usée et toujours représentée par une figure suscitant autant de haine que de soutien : Cristina Kirchner, présidente de 2007 à 2015.

San Telmo et son histoire

S’il est un quartier à ne surtout pas manquer quand on visite Buenos Aires, c’est bien à mon humble avis celui de San Telmo. Un des plus anciens de la ville, qui s’est construite, à partir de sa fondation, en s’étendant d’abord au sud-est de sa Plaza Mayor, place centrale typique de toutes les villes espagnoles. Cette place s’appelle maintenant « Plaza de Mayo » et c’est ici que se trouve le palais présidentiel de la nation.

A l’origine, le quartier de San Telmo est né de la nécessité, pour les jésuites, d’ouvrir un hôpital et une chapelle au plus près du centre de la ville. L’espace fut donc trouvé au coin des actuelles rues Balcarce et Umberto 1er, endroit qui marquera donc le centre du nouveau quartier, dont le noyau vital se déplacera juste de quelques mètres, sur l’actuelle Plaza Dorrego, à l’origine un simple terrain où se garaient les charrettes et autres carrosses transportant voyageurs et marchandises depuis les provinces du nord.

A partir de 1600, il devient surtout un quartier habité par des marins et des pêcheurs. En effet, il constituera le premier vrai port de Buenos Aires, avant d’être remplacé par celui de La Boca, plus pratique et mieux protégé. Citons l’écrivain chroniqueur de la capitale, Manuel Mugica Lainez dans son livre Misteriosa Buenos Aires : «Les gens qui vivent dans cette partie de Buenos Aires (…) sont des pêcheurs, des marins et des ouvriers qui travaillent essentiellement au ravitaillement de la ville. On trouve également pas mal de gens originaires de Gênes.»

C’est sur la Plaza Dorrego que sera prononcée officiellement l’indépendance de l’Argentine, en 1816. En raison de sa situation portuaire, c’est naturellement par ce quartier que passera l’essentiel de l’immigration européenne, surtout espagnole et italienne, aux XVIIIème et XIXème siècle.

Plaza Dorrego

C’est par ce quartier portuaire également qu’en 1806-1807, les Anglais tenteront de mettre la main sur Buenos Aires. Ils se heurteront à une résistance farouche des locaux, menés par le français Jacques de Liniers, et devront décamper. En récompense, Liniers se verra confier le commandement militaire de la Vice-Royauté. (On notera également qu’un quartier de la capitale argentine porte désormais son nom).

Au XIXème siècle, San Telmo est habité par de nombreuses célébrités, politiques ou artistiques. Citons pêle-mêle, outre Mugica Lainez, Domingo French (héros de l’indépendance), les écrivains Juan Manuel Beruti et Esteban Echeverría, ou l’Amiral Guillermo Brown (Almirante Brown).

Mais comme nous le disons plus haut, ce quartier fut surtout, au XIXème, le premier lieu de vie des immigrés récemment débarqués d’Europe. Ils s’entassaient dans les « conventillos », des ensembles d’habitations enfermant une cour commune, autour de laquelle courait une galerie menant aux différents appartements. Exigus les appartements, quelques fois réduits à une seule pièce. Sanitaires et cuisine communes, dans la cour.

Le quartier a donc tout de suite été un quartier plutôt populaire, habité essentiellement par une population très pauvre. Les conventillos n’étaient pas loin des bidonvilles qu’on trouvera au XXème siècle, quand ils auront disparu. Car le San Telmo des origines a connu un drame qui l’a vidé de la quasi-totalité de ses habitants en 1871 : la fièvre jaune. 500 morts par jour, 70 000 déplacés, le quartier s’est trouvé subitement comme un village fantôme.

Il y a donc un avant et un après fièvre jaune. Avant, un quartier assez misérable, mais vivant et populaire. Après, un grand mouvement de démolition-reconstruction, faisant disparaitre nombre de maisons d’origine, et donnant lieu à une certaine « gentrification », comme on dirait aujourd’hui. Des bâtiments historiques, on garde encore la trace du « vieux magasin », au coin des rues Balcarce et Independancia, anciennement hôpital anglais, l’ancienne maison du peintre Castagnino au coin des rues Balcarce et Carlos Calvo, aujourd’hui dans un état lamentable, et le marché couvert. Guère plus.

El viejo almacen

On a gardé en revanche nombre de rues pavées, qui contribuent au charme nostalgique du quartier, qui a gardé malgré tout un aspect faussement populaire. Il est aujourd’hui essentiellement touristique, ce qui ne l’empêche pas de rester, parmi les autres quartiers de la capitale, un de ceux où l’histoire de la ville imprime encore le mieux les yeux du promeneur.

 

     Contrastes et anachronismes  

A voir dans ce quartier :

Le marché San Telmo, moitié marché alimentaire, moitié brocanteurs, avec plein de stands de restauration typiquement portègne, comme celui des «choripanes», sorte de sandwiches à la saucisse. (Fichtrement meilleur que le hot-dog).

La Plaza Dorrego, avec son marché aux puces le dimanche, son vieux bistrot faisant le coin. Bon, Starbucks a réussi à s’implanter juste en face, attiré par la manne touristique. Le marché aux puces, lui, déborde largement de la place dans les rues adjacentes. On trouve de tout, du moment qu’on fasse le tri entre les vrais brocs et les marchands de camelote.

Bar Le Dorrego

Le bistrot Le «Federal». Une institution fondée en 1864. J’en parle plus en détails ici.

Le parc Lezama. Un parc historique à plus d’un titre. Certains historiens pensent qu’il serait le lieu exact de la première fondation de Buenos Aires par Pedro de Mendoza, en 1536. On y a d’ailleurs planté sa statue en bonne place. Mais cette première implantation n’a duré qu’un an, entièrement détruite par les indiens, et les vestiges manquent, ce qui rend la théorie pour le moins questionnable. Le terrain a changé de propriétaires maintes fois jusqu’à ce qu’il soit acheté par Gregorio de Lezama en 1857, puis sa veuve le céda à la municipalité en 1894, à condition qu’il porte le nom de son mari. On en fit donc un parc public (aménagé par le Français Charles Thays, également créateur du jardin botanique de la ville), sur lequel est implanté le musée historique national.

Plus anecdotiquement, on pourra faire un détour par le coin des rues Chile et Defensa, où on a érigé un monument à la célèbre Mafalda, personnage de bande dessinée de Quino, résidant à San Telmo tout comme son héroïne !

Monument à Mafalda

Autres curiosités : la Casa minima, étrange maison très étroite du passage San Lorenzo, et le Zanjón de Granados, vieille demeure du XVIème siècle, un des rares vestiges d’époque encore debout (presque en face de la précédente, dans la rue Defensa).

La casa minima. La petite blanche sur la droite.

Mais une simple déambulation (avec une pause rafraichissement au Federal, quand même) vous emmènera dans une autre Buenos Aires, touristique certes, mais d’une émouvante nostalgie.

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Situation générale, San Telmo :

3 septembre : Point actualité

Dans quelques jours, l’Argentine rentrera dans le printemps. Ouf, après cet hiver frisquet. Cela permettra peut-être de ramener quelques sourires sur des visages plutôt renfrognés, ces derniers temps.

Du côté des électeurs ordinaires, je veux dire par là, ceux qui n’ont pas de tendance politique bien définie et votent au gré du vent, on commence à déchanter. Fatigués par presque 20 ans de péronisme, déçus par la parenthèse de droite classique représentée par Mauricio Macri (président de 2015 à 2019), ils ont, comme on dit chez nous en parlant du RN, «essayé» l’anarcholibertaire Milei et son programme «mort à l’état et vive la liberté, bordel de merde !» (sic).

Celui-ci promettait, lui aussi (c’est la grande tendance plus ou moins populiste, si tant est que ce mot veuille vraiment dire quelque chose, du «rendre au ou à [mettez le nom du pays qui convient] sa grandeur». On allait voir ce qu’on allait voir, ces salauds de pauvres dévoreurs de prestations sociales, ces fainéants de fonctionnaires inutiles et trop payés, ces politiciens véreux qui ne pensent qu’à leurs fauteuils, ces juges laxistes qui laissent courir les délinquants, allaient danser le quadrille sous le feu nourri du nouveau shérif.

Fini le fric balancé à tort et à travers , finis les services publics subventionnés, fini le contrôle étatique des prix qui bride l’esprit d’entreprise, finies les lois iniques protégeant outrancièrement les employés et les locataires, fini le peso, remplacé par le dollar (Les États-Unis, surtout ceux de Trump, voilà un pays de cocagne), la main lourde de l’état allait être définitivement remplacée, pour le plus grand ravissement des foules enfin libérées, par la main invisible, sévère mais juste, du marché.

Huit mois après, la main en question est malheureusement trop visible. Augmentations en cascades des produits de première nécessité, alimentation, transport, énergie, baisse drastique, en conséquence, de la consommation, services publics au bord de la rupture après le licenciement de milliers de fonctionnaires, valeur du peso (toujours pas trace de son remplacement par le billet vert) réduite à sa plus simple expression : le salaire minimum aujourd’hui en Argentine s’exprime en centaines de milliers de pesos. Très exactement 234 315,12 pesos. On ne s’extasie pas : rapporté en euros, cela fait dans les 222€ (le peso est tombé sous la barre du millième d’euro, il en faut désormais 1053 pour faire un euro). Le salaire moyen, lui, selon les sources et les professions, oscille entre 380 et 700€. Quand on sait que le panier moyen pour une famille de quatre est d’environ 730€, on voit pourquoi certains font la grimace.

Ceci dit, c’est incontestable, les salaires du privé ont augmenté de façon sensible. Mais comme par ailleurs les prix n’arrêtent pas de monter (d’autant que le gouvernement a renoncé à tout contrôle des prix), la vie n’est donc pas plus facile. Au contraire.

Avec tout ça, qu’elle est l’ambiance ? Paradoxalement, ça tient. Je veux dire que Milei conserve envers et contre tout plus de soutiens que de rejet. On en est en août à un ratio de 44/37.

Milei a été aidé dernièrement par l’énorme scandale constitué par la plainte déposée par Fabiola Yanez, l’épouse de l’ex-président Alberto Fernández, pour violences conjugales. L’affaire est tombée à pic pour détourner l’attention des difficultés économiques et des querelles internes au gouvernement, où les passes d’armes, les claquements de portes et les démissions bruyantes se multiplient.

Dernière polémique en date : des députés Miléistes sont allés rendre visite dans leur prison à d’anciens tortionnaires de la dictature. Et pas pour les engueuler, mais bien pour les assurer de leur soutien et de leur compréhension. Une députée miléiste, Lourdes Arrieta, qui faisait partie de la délégation, a révélé à la presse les détails de la visite, et a quitté le groupe parlementaire, poussée par son propre mouvement, énervé de voir ainsi le scandale dévoilé. Elle prétend maintenant qu’elle ne savait pas qui étaient les prisonniers qu’on lui a présentés. Révélant ainsi son ignorance crasse de l’histoire de son pays.

La vice-présidente, Victoria Villaruel, elle-même fille d’un ancien militaire, a déclaré chercher une solution juridique pour sinon les amnistier, du moins leur permettre de recouvrer leur liberté. Nous avions déjà rapporté ici sa volonté de transformer le mémorial de l’ancien centre de torture de l’École de la marine en simple parc public.

Pendant ce temps, le taux de pauvreté augmente doucement. On en serait à 55%, selon les dernières estimations. Vous avez bien lu. Plus de la moitié des Argentins vit sous le seuil de pauvreté. Selon le politologue Andrés Malamud, le principal danger pour le gouvernement ne serait pourtant pas l’augmentation de la pauvreté, du chômage ou de l’inflation, mais bien la dévaluation constante de la monnaie et la valse des prix.

Je le cite : «Plus de la moitié des électeurs n’ont pas connu la crise de 2001 (article non traduit, hélas) et ce qu’ils ont retenu de la décennie passée c’est que la croissance a stagné et que tous les partis se sont succédé au pouvoir. Les retraités ne votent pas Miléi, le cœur de son électorat ce sont les jeunes, et principalement des hommes. Le point de fracture, c’est qu’il reçoit plus de soutien de la part des classes aisées, car de leur côté les classes défavorisées souffrent davantage de sa politique».

Mais pour l’instant, donc, ça tient. Pour diverses raisons. La première, c’est qu’il est rare de voir les électeurs se déjuger très rapidement après avoir envoyé un parti au pouvoir. La seconde, c’est que l’opposition péroniste non seulement est durablement discréditée (et le scandale conjugal de l’ancien président n’arrange rien, même si aux dernières nouvelles il serait en train de dégonfler un tantinet) mais qu’elle n’a guère de propositions alternatives, ni de personnalités charismatiques, à proposer. La troisième, c’est l’éternel fatalisme argentin, doublé de la féroce répression de tout mouvement populaire. Aujourd’hui, il est pratiquement impossible d’organiser ou participer à une manifestation de rue sans risquer l’arrestation.

Pendant ce temps, nos deux rugbymen français accusés de viol en réunion viennent d’être autorisés à rentrer en France par le procureur de Mendoza. Une décision encore en suspens, puisque la défense de la plaignante a sollicité une nouvelle expertise psychologique qui aura lieu mardi prochain, ce qui repousse la remise en liberté.

Une remise en liberté conditionnée à la garantie que les accusés se soumettent à certaines restrictions : rester localisables, pointer régulièrement au consulat d’Argentine, et revenir à Mendoza à la moindre sollicitation de la justice de ce pays.

Sur le fond, l’instruction a exprimé ses doutes quant à la plainte, relevant des contradictions dans le témoignage de la plaignante, et «son ton enjoué lors d’une conversation téléphonique avec une amie le jour de son agression». La partie civile a posé une demande de dessaisissement de deux juges en charge de l’instruction, Dario Nora et Daniela Chaler, pour «violence morale et partialité».

A suivre…

30-08-2024 L’affaire des rugbymen français

C’est la rentrée pour notre blog irrégulomadaire, qui comme tout le monde ou presque, a profité de l’été pour se consacrer avec toute son énergie défaillante à l’étude des bienfaits de la paresse, des mérites comparés du Spritz à l’Apérol ou au Campari, et à la recherche désespérée d’une herbe à maté potable dans les magasins de son département.

Notez qu’en Argentine, ce n’est pas du tout la rentrée : ils entrent au contraire dans leurs dernières semaines d’hiver. Pas trop tôt selon mes correspondants : celui-ci, d’hiver, a été copieusement arrosé à Buenos Aires, avec des températures à réjouir les nombreux négationnistes argentins du changement climatique.

Ceci dit, ces derniers temps, l’actualité argentine n’a pas non plus affiché des scoops bien saignants. La politique et ses aléas occupent toujours le gros des unes des journaux, avec le « futbol », bien entendu, et, un peu quand même, les jeux olympiques, où les engagés locaux n’ont pas particulièrement brillé : 52èmes au tableau des médailles, avec une en or, une en argent et une en bronze. 4ème place en Amérique latine, derrière même le petit Equateur, et assez loin de Cuba et du Brésil. Pas de quoi réveiller la fibre nationale.

Mais c’est quand même, indirectement, le sport qui a assuré une partie des dépenses d’encre des canards argentins cet été, et ce, grâce à deux jeunes français cherchant sans doute à maintenir haut le flambeau de notre réputation de pays de l’amour.

Vous en avez sans doute entendu parler. L’équipe de France de rugby était en tournée en Argentine début juillet. Le 6, elle jouait à Mendoza, ville connue pour être le fief des vignobles locaux. C’est connu, les jeunes français, comme les autres, aiment s’amuser. Et en rugby, les après-matchs sont réputés pour leur côté festif. Deux jeunes joueurs, le Rochelais Oscar Jégou et le Montpelliérain Ugo Auradou, sont allés en boite. Rien de bien extraordinaire. Sauf que quelques temps après, ils étaient la cible d’une plainte pour viol de la part d’une femme de trente-neuf ans.

En gros : elle aurait fait la connaissance d’Ugo Auradou dans la boite en question, et aurait accepté de l’accompagner à son hôtel. Sauf que rien ne se serait passé comme attendu. A l’arrivée, Oscar Jégou les a rejoints dans la chambre. Les deux français, comme on s’en doute, n’étaient pas vraiment à jeun. Selon la plaignante, ils lui auraient fait subir un viol en réunion, assorti de violences diverses.

Les deux rugbymen ont en conséquence fait l’objet d’une mise en garde à vue, puis d’une assignation à résidence en vue de leur procès. Comme de juste dans ce genre d’affaire, difficile de connaitre avec certitude la réalité des faits. Bien entendu également, Jégou et Auradou jurent que la femme était consentante. Pas de témoin, évidemment, et les caméras de l’hôtel n’ont enregistré que les passages dans les parties communes, hall, ascenseur, couloir. Où il ne s’est rien passé de répréhensible.

La justice argentine est prise entre deux feux.

D’un côté, la pression populaire, de moins en moins tolérante avec ce genre d’affaire, et d’autant moins que ce pays est en pointe dans la lutte contre les violences faites aux femmes (Enfin, était, avant que Milei n’arrive au pouvoir et ne sucre les subventions aux organisations de défense des droits des femmes). Sans parler du fait que les accusés portent deux stigmates assez lourds. Un, ce sont des joueurs de rugby, groupe sportif particulièrement mal vu en Argentine, surtout depuis l’affaire de l’assassinat d’un jeune en sortie de boite, en janvier 2020, commis par une bande de dix rugbymen avinés. (Cinq condamnations à perpétuité, 3 à 15 ans de prison). Deux, ils sont étrangers. Pas que les Français soient particulièrement mal vus en Argentine, au contraire, mais des sportifs professionnels…

De l’autre, la pression gouvernementale. Pas facile de s’en prendre à deux ressortissant étrangers, personnages plus ou moins publics de surcroit, sans déclencher immédiatement des difficultés d’ordre diplomatique.
Par ailleurs, on imagine bien que Javier Milei, président marqué à l’extrême-droite, ne se sent pas spécialement concerné par la défense des droits des femmes (Voir ci-dessus).

Où en est-on aujourd’hui, après un mois et demi de tergiversations de la justice ? Celle-ci a fini, sur les instances répétées des avocats des rugbymen, par leur accorder la liberté conditionnelle. Ils ont été placés en résidence surveillée, et privés de leurs passeports. Mais leur cas est loin d’être statué. Le plus probable est que la justice finisse par laisser pourrir, et classer l’affaire. Tant pis pour la plaignante, qui n’aura pas su, ou pas pu, apporter de preuves suffisantes de l’agression qu’elle avait subie. Comme trop souvent dans ce genre d’affaires, le doute joue toujours en faveur des accusés : manque de preuves matérielles, pas de témoins oculaires, absence d’aveux.

Mardi dernier, le 27 août, il devait y avoir une nouvelle audience, au cours de laquelle devait être notamment pratiquée une expertise psychiatrique de la plaignante. Celle-ci ne s’est pas présentée, selon son avocate, pour raisons de santé. Elle a tenté par deux fois de se suicider, dont la dernière vendredi dernier, 23 août. On ne sait pas encore si cette audience sera reprogrammée plus tard, ou si l’instruction sera purement et simplement donnée pour close. Ce qui pourrait accélérer le processus de classement (non-lieu, chez nous), réclamé par l’avocat des rugbymen.
On en est là pour le moment. Très commentée en juillet, l’affaire commence doucement à s’effacer des gazettes argentines, et il faut utiliser les moteurs de recherche pour trouver trace des derniers articles publiés. En France également, l’affaire ne fait plus autant de bruit. Libération y fait allusion dans son édition du 27 août dernier, sans apporter davantage d’information que ce qui vient de vous être relaté ici.

Difficile de faire la part des choses, et il est probable que la vérité ne sera jamais mise au jour. On ne peut hélas que constater, en revanche, que dans ce domaine, peu de choses semblent se décider à bouger. Paresse de la justice, lenteur de l’investigation, pressions politiques et diplomatiques, partialité des milieux sportifs (chez nous, Jégou et Auradou ont fait l’objet, dans les gazettes sportives, pour le moins, d’une certaine solidarité).

Personnellement, je reste dubitatif quant au comportement de ces deux sportifs. Si l’affaire est classée, comme cela semble en prendre le chemin, la plaignante restera durablement marquée : en effet, si c’est le cas, cela voudra dire qu’on considère qu’elle était consentante. Il ne restera d’elle que l’image d’une femme débauchée cherchant ensuite à tirer profit de sa débauche, en accusant deux malheureux jeunes qui avaient eu la malchance de croiser sa route et se laisser séduire.

C’est peut-être le cas. Mais si au contraire, les faits se sont déroulés comme elle les a décrits, à savoir, qu’elle avait effectivement accepté de suivre Jégou, mais qu’ensuite, elle s’est retrouvée piégée entre deux types ivres et violents qui lui ont fait subir des sévices sexuels, elle devra vivre avec. Sans rémission.

L’éternel dilemme des affaires de viol.

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Ben non, pas de photo aujourd’hui. Question de droits. Vous en trouverez dans les liens fournis dans l’article, notamment dans le journal Libération et dans Pagina/12.

Eaux-fortes de Buenos-Aires

On me dira, un auteur né en 1900 et mort en 1942, bonjour la découverte ! Je suis bien d’accord, Roberto Arlt, auteur d’origine germano-italienne, n’est pas un petit nouveau sur le marché littéraire argentin. Mais je suis à peu près sûr de mon coup : personne ici, ou presque, n’en aura entendu parler.

Il faut dire que décéder à 42 ans (crise cardiaque), ça ne laisse pas vraiment le temps d’empiler une œuvre bien conséquente. Mais la sienne n’en a pas moins marqué profondément l’histoire littéraire de son pays. Il a publié en tout 5 romans (tous traduits en français, ce qui est tout de même à noter), 7 pièces de théâtre et 2 recueils de nouvelles. Sans parler des publications posthumes, recueillies à partir de textes retrouvés.

Il fait donc incontestablement partie des écrivains argentins majeurs du XXème siècle, et, de vivre plus longtemps, aurait sans doute été inclus dans la liste des classiques, au même titre que Borges, Sabato et Cortazar, par exemple. En tout cas, c’est mon avis !

L’œuvre que je préfère, et qui fait partie de mes livres de chevet, pour reprendre cette formule éculée (vous en avez beaucoup, vous, des livres choisis posés en permanence près de votre lit ?), n’est ni un roman ni une pièce de théâtre, mais un recueil de textes écrits pour le quotidien « El Mundo » entre 1928 et 1933, « Aguafuertes porteñas », en français « Eaux-fortes de Buenos-Aires ».

Il s’agit de courtes vignettes décrivant des situations, des personnages typiques, des expressions locales, des comportements sociaux, ou encore l’évolution physique d’une ville qu’il connaissait d’autant mieux qu’il ne l’a pratiquement jamais quittée.

Écrites dans un style très coulé, alerte, à la fois drôle, nostalgique et émouvant, elles sont un témoignage précieux du Buenos Aires des années 30, une ville alors en plein changement dus aux progrès techniques, à l’apport de l’immigration européenne, et aux soubresauts politiques.

Voici le résumé qu’en donne le site « Babelio » :

Écrites entre 1928 et 1933, ces chroniques sont autant d’instantanés, de tableaux courts de la capitale argentine, de ses habitants, de ses coutumes et de son rythme.
Car il y a bien une faune et une flore particulières à l’endroit : ses jeunes oisifs plantés sur leur perron, ses chantiers de construction pillés de leurs briques, ses maisons de tôle ondulée aux couleurs passées.
Chaque curiosité de Buenos Aires fait l’objet d’une eau-forte, petit bijou littéraire savamment rythmé par un auteur qui n’a peur ni des écarts de langage ni des mélanges peu orthodoxes.

Pour (j’espère) vous donner envie, je vous joins quelques extraits ici. Ils sont traduits par mes soins, mais vous trouverez l’ouvrage complet aux éditions Asphalte, avec l’excellente traduction d’Antonia García Castro.

C’était mon petit conseil de lecture pour les vacances !!

*

Autres œuvres notables traduites :

Les Sept fous (Ed. Belfond)

Les lance-flammes (Ed. Belfond)

Salauds de pauvres !

Hier soir, le journal de la chaine franco-allemande ARTE a passé un court reportage sur le problème des soupes populaires (comedores comunitarios – réfectoires ou restaurants populaires, en espagnol) en Argentine.

Dans ce pays où le taux de pauvreté dépasse désormais les 50% de la population totale, ces comedores représentent pour beaucoup le seul lieu où trouver un peu de nourriture quotidienne, un peu comme les Restaus du cœur chez nous.

Le nouveau président ultra-libéral Javier Milei, dont on a déjà pas mal parlé sur ce blog, considère que les pauvres sont responsables de leur situation, que les aides sociales sont un vol commis envers la société dans son ensemble, et que la main invisible du marché est mieux à même que l’état providence de régler les problèmes de pauvreté et d’inégalité.

Par ailleurs, ces fameux comedores ont un gros défaut : ils sont gérés par des gauchistes. Pire : des militants. Ce qui devait arriver est donc arrivé : le gouvernement a déniché quelques cas de corruption et de détournements de fonds et de stocks de nourriture pour remettre en question tout le système d’entraide sociale, et fermer la plupart des soupes populaires.

Qu’il y a ait eu des irrégularités, c’est probable. Même chez nous, les restaus du cœur et autres soupes populaires attirent des margoulins prêts à profiter de la misère pour s’en mettre dans les poches. Il n’y a pas longtemps, une amie m’a raconté l’histoire de cette bénéficiaire du Secours populaire qu’on a retrouvé sur un marché revendant les fripes qu’elle avait récupérées gratuitement. Est-ce que pour autant cela doit remettre en question tout le système d’aide aux démunis ?

Milei a donc sauté sur l’occasion pour mettre un terme à ce scandaleux assistanat géré par des communistes (sic). Résultat : des milliers de tonnes de nourriture pourrissent, entassés dans des hangars, puisqu’il n’y a plus personne pour les distribuer.

Après une plainte déposée notamment par Juan Grabois, ancien candidat péroniste de gauche (battu aux primaires) à la présidentielle de 2023, la justice argentine a sommé l’État de rouvrir les restaus populaires et d’organiser la distribution des aliments. Ce qu’il a fait, par l’intermédiaire de l’armée, cette fois. Mais, selon le quotidien de gauche Pagina/12, en privilégiant les provinces qui ont bien voté, et en évitant soigneusement celles gérées par l’opposition. Exemple : la province de Buenos Aires, qui compte plus d’un tiers de la population totale d’Argentine, n’a reçu que 2% des aliments de secours.

L’attaque contre les restaus populaires a commencé dès décembre dernier. Le système actuel date de la grande crise de 2001, une période de chaos économique total qui avait conduit à des émeutes de la faim. (Pour ceux qui s’y intéressent, voir sur ce blog l’article sur Carlos Menem, le président ultra libéral, un des modèles de Milei, qui a gouverné de 1989 à 1999 et dont la politique a mené à ce chaos. Voir également le film de Pino Solanas «Memoria de un saqueo», Mémoires d’un saccage, ici).

Pour dénoncer une prétendue fraude massive et des restaus fantômes (comedores fantasmas), la super ministre Sandra Pettovello s’est appuyée sur un registre d’inscription datant du confinement de 2020, et non actualisé depuis. A l’époque en effet, il y avait eu de nombreuses déclarations d’ouvertures qui n’ont pas été suivies d’effet. D’où, forcément, des trous dans la raquette ! (Voir ici, paragraphe 4). Mais l’opportunité était trop belle de pouvoir dénoncer des abus. Selon le ministère, il n’aurait trouvé que 52% de restaus fonctionnant effectivement en tant que tels ! Mais on ne précise pas si les autres auraient reçu effectivement de la nourriture : on ne s’intéresse ici qu’aux documents papier.

Le gouvernement affirme qu’il ne vise que les restaus où auraient été détectées des irrégularités. Mais en réalité, c’est tout le système qui vient de s’effondrer. La distribution d’aliments est restée en suspens pendant de longues semaines, obligeant la plupart des lieux à fermer, purement et simplement, faute de ressources. Comme on l’a vu, cette distribution a repris récemment avec l’armée, mais de manière sporadique et très inégalement répartie.

Pendant ce temps, le super ministère du « Capital humain », comme c’est son titre, subit une véritable fuite des cerveaux. Je dis « super » ministère, car Milei, suivant sa volonté d’amaigrir significativement l’État, et de réduire drastiquement le nombre de ministères, a regroupé en un seul les anciens ministères du travail, de l’éducation, de la culture, de l’action sociale et de la famille.

Rien que ses derniers jours, ce sont 20 fonctionnaires qui ont présenté leur démission. Ou qui ont été limogés. L’ambiance est délétère. Le ministère est soupçonné d’avoir trempé dans des affaires de corruption concernant, justement, l’achat d’aliments destinés aux restaus populaires. Soupçons qui ont entrainé le limogeage du secrétaire d’état à l’enfance et à la famille, Pablo de La Torre. Un fusible.

Et Milei dans tout ça ? Il court les capitales, on l’a vu récemment à Madrid venir interférer dans la campagne électorale des européennes lors d’un grand meeting réunissant les extrêmes-droites, l’Espagnol Abascal, l’Italienne Meloni, la Française Le Pen, en tête. En profitant au passage pour insulter publiquement le premier ministre espagnol Pedro Sanchez et sa femme, qu’il n’a pas daigné rencontrer ! Il est allé également faire un tour à la Silicon Valley, retrouver son copain Elon Musk et les dirigeants de Google, avec lesquels il a discuté de son grand rêve : réformer l’état à l’aide de l’intelligence artificielle.

C’est vrai que les robots, ça ne risque pas de générer d’opposition. A ce propos, Milei a annoncé récemment un plan de limogeage de plus de 75 000 fonctionnaires. “¡Amo ser el topo dentro del Estado! Soy el que destruye el Estado desde adentro, es como estar infiltrado en las filas enemigas”, dijo estos días en una entrevista con el sitio californiano The Free Press. “J’adore être la taupe à l’intérieur de l’Etat ! Je suis celui qui sape l’Etat de l’intérieur, c’est comme infiltrer les lignes ennemies”, a-t-il déclaré dans une interview au site Californien Free press.

En réalité, Milei est complètement déconnecté de la politique, qui ne l’intéresse pas. Comme dit Martín Rodríguez Yebra dans La Nación : «Il communique avec la logique de l’algorithme, attendant juste que ses paroles trouvent un écho dans la grande bulle dans laquelle nous nous transformons en marionnettes de nos propres attentes. Il fantasme sur un gouvernement rationnel de l’intelligence artificielle qui nous délivrerait des tentations humaines qui nous conduisent au désastre.»

En somme, conformément au vœu le plus cher de cet anarchocapitaliste, l’Argentine n’est plus gouvernée !

Milei attaque l’État à la tronçonneuse

Quelle classe moyenne à Buenos Aires en 2024 ?

Le quotidien La Nación a réalisé récemment une intéressante enquête concernant le revenu moyen d’une famille portègne type ( un couple et deux enfants mineurs) en 2024. En partant d’une question toute simple : quel est le seuil de revenu nécessaire pour être aujourd’hui considéré comme partie intégrante de cette classe sociale ?

Attention en préalable : on ne parle ici que du revenu d’une famille de la capitale, pas de la province, où les niveaux de revenus sont naturellement plus bas, comme dans la plupart des pays.

Attention également : ces chiffres, qui vont paraitre très bas pour nous autres Français, sont à mettre en regard du coût de la vie argentin, bien entendu. Par exemple, un appartement de trois pièces se loue 600 euros environ aujourd’hui. Dans la capitale ! Ce qui ferait rêver bien des Parisiens !

Le quotidien fait une comparaison significative. En 2023, il fallait environ 340 euros mensuels pour être considéré partie prenante de la classe moyenne. Un an plus tard, avec plus de 290% d’inflation, il faut déjà multiplier ce chiffre par quatre : on est passé à 1300 euros mensuels !

Et encore, ceci est valable si vous possédez votre logement. Un locataire, lui, aura donc besoin de près de 2000 euros pour être classé « moyen ».
Compte-tenu de cette révision à la hausse, le seuil de pauvreté, lui aussi, doit revoir sa base. Maintenant, c’est sous 470 euros mensuels environ qu’une famille peut-être considérée comme indigente.

Graphique pauvreté. Pour info, pour avoir les chiffres en euros, il suffit au cours d’aujourd’hui de diviser par 1000. En gros.

On le voit, l’économie argentine est sens dessus dessous, avec une accélération brutale des niveaux de seuil. Naturellement, les prix suivent, ou plutôt précèdent. Le coût de la vie a bondi, et continue de grimper de façon vertigineuse, dans une escalade prix-revenus incontrôlable.

Le taux de pauvreté semble devoir se fixer autour de 50% de la population. Ce qui est évidemment énorme.

Où en est donc l’Argentine, après six mois de gestion ultra-libérale ? On le voit, l’inflation a continué de galoper. D’après La Nación et les commentateurs favorables au gouvernement, elle serait en voie de stabilisation. A presque 300%, il serait temps. Mais les prix, eux, continuent d’augmenter, tandis que les salaires, même s’ils montent, peinent à suivre (45% sur ces derniers trois mois, à comparer avec les plus de 51% de hausse des prix).

Jeudi 9 mai, les syndicats ont organisé une grève générale, très suivie. Il n’y avait plus un chat dans les rues, plus de bus, plus de métro, administrations fermées, ainsi qu’une bonne partie des commerces. Comme dit le quotidien Página/12, on se serait cru revenu au temps du confinement.

Jour de grève sur l’Avenue de Mayo. Au fond, le palais présidentiel.

Pour le moment cependant, le président anarcho-capitaliste garde une certaine confiance, son taux de satisfaction se situant autour de 50%. Il faut dire que l’opposition, en regard, n’est pas encore prête à remonter la pente. Les péronistes restent très impopulaires, surtout justement dans les classes moyennes et supérieures, et le gouvernement actuel, non sans quelque raison d’ailleurs, lui fait porter le chapeau à très larges bords d’une situation économique qui, selon Milei, le président, le contraint à des mesures drastiques d’austérité. Reste à savoir si les mesures en question ne se révéleront pas, à terme, pire que le mal, ce que prophétisent certains économistes, et pas tous de gauche.

Un accident terrible vient d’avoir lieu entre deux trains de banlieue, dans le quartier de Palermo (Buenos Aires). Pas de mort au moment où j’écris cet article, mais 90 blessés, dont 55 à l’hôpital. Un train en mouvement en a percuté un autre arrêté sur la même voie. Aucune signalisation d’urgence pour éviter la catastrophe : les câbles avaient été volés, mais pas remplacés. Il n’y a plus d’argent pour entretenir le chemin de fer public.

Le chemin de fer en Argentine, c’est une longue histoire, avec pas mal de relents coloniaux. Au début du XXème siècle, le réseau avait été sous-traité aux Anglais, qui avaient obtenu des contrats léonins (comme souvent) pour l’exploiter et en tirer les plus gros bénéfices. Pas bêtes, ils en avaient exigé le monopole. Comme ça, pas de danger de concurrence. Perón les avait nationalisés dans les années 50, à un prix d’or qu’on lui a beaucoup reproché.

Jusqu’à l’arrivée de Carlos Menem à la présidence, en 1989, l’Argentine comptait 36 000 kilomètres de ligne. Menem en a fait fermer l’essentiel : il en reste environ 9 000 (En France, pays 5 fois plus petit, on en compte 28 000 !).

Et, donc, avec une maintenance publique de plus en plus fragile. L’essentiel du réseau aujourd’hui ne dessert plus, grosso modo, que la Capitale et sa grande banlieue. Dans des trains en mauvais état, en nombre insuffisant (ils sont régulièrement bondés) et plutôt lents. Les accidents ne sont pas rares.
Comme de juste, le président Milei a profité de l’accident pour en remettre un coup sur la nécessaire privatisation des chemins de fer. Technique anglaise là encore, utilisée avec grand succès avec le métro londonien : l’état coupe le robinet, l’entreprise est étranglée, reste plus qu’à la vendre au plus offrant. Tant pis pour le service public.

Bon, et à part ça qu’est-ce qui se passe ? Eh bien en ce moment, on est en pleine foire internationale du livre à Buenos Aires. Une des plus importantes du monde, elle dure cette année du 25 avril au 13 mai. Trois semaines ! Il parait que notre David Foenkinos figure parmi les invités d’honneur. Nul doute qu’il saura causer dans le poste, il passe très bien à l’écran !