Élection surprise en Argentine !

Énorme surprise au vu des résultats de la présidentielle argentine ce dimanche. Alors qu’on attendait la comète Milei, poussée par des sondages dont certains avançaient même une possibilité d’élection dès le premier tour, c’est Sergio Massa, le représentant d’une majorité au pouvoir totalement décriée et décrédibilisée qui arrive en tête !

Javier Milei, le Trump-Bolsonaro argentin, termine à plus de 7 points. Mais la plus grosse déconvenue est subie par la droite classique, dont la candidate, Patricia Bullrich, n’obtient que la troisième place et se voit donc définitivement éliminée de la course à la présidence.

Voici les résultats presque définitifs donnés par la presse argentine après plus de 98% des bulletins dépouillés :

CANDIDAT MOUVEMENT TENDANCE RÉSULTAT
Sergio Massa Unión por la patria Gauche péroniste 36, 7 %
Javier Milei La libertad avanza Ext. Dr. ultra libérale 30 %
Patricia Bullrich Juntos por el cambio Droite classique 24 %

Une fois de plus, les sondages se sont totalement ramassés. Ils prédisaient une victoire nette du candidat d’extrême-droite, et surtout une défaite sèche du candidat de la majorité actuelle, plombé par ses résultats économiques catastrophiques (Car précisément, Massa est le ministre de l’économie !), la division du mouvement péroniste entre partisans de l’ancienne présidente – et très clivante – Cristina Kirchner et ceux d’un péronisme plus recentré, et une corruption endémique du pouvoir en place.

L’analyse de ces résultats totalement inattendus ne va pas être une partie de plaisir pour les spécialistes du genre. Car jusqu’ici, l’impression dominante, c’était que les Argentins n’en pouvaient plus, de ce gouvernement, et allaient le balayer définitif. Mon camarade – et très conservateur – Manuel prédisait même (bon, prédiction un brin auto-réalisatrice, c’est sûr !) la disparition définitive du péronisme. Rappelons quand même les résultats des primaires, qui n’annonçaient rien de bon pour le péronisme au pouvoir : Milei, 30%, la droite 28 et les péronistes 27 à répartir entre deux candidats en lice.

De nouveau, le péronisme montre sa résilience, contre vents et marées. Comme il l’a finalement toujours fait depuis la chute de son leader charismatique en 1955.

La Nación de ce matin tente un début d’explication, dans son article «Le plan Massa a fonctionné : pourquoi il a triomphé dans un pays au bord du gouffre». Premier levier : la peur. En effet, de nombreux argentins ne survivent que grâce aux aides sociales. Or, tant Bullrich que Milei présentaient des programmes annonçant leur suppression. Selon La Nación, après la défaite des primaires (Voir ci-dessus), Massa n’a pas lésiné, justement, sur leur augmentation. Et donc, pour le quotidien de droite, sur le clientélisme.

Tout en agitant le spectre d’augmentations massives une fois la droite revenue au pouvoir : énergie, transports, alimentation, ce dernier secteur se voyant d’ailleurs largement subventionné par l’État, plus dépensier que jamais. Selon le très antipéroniste éditorialiste Joaquin Morales Sóla, «On n’a jamais vu dans l’histoire, du moins sur ces dernières 40 années de démocratie, un candidat présidentiel gaspiller autant d’argent public pour aider sa campagne». Bref, résume La Nación, «on a balayé les problèmes sous le tapis», pour flatter la populace apeurée.

Ce n’est pas entièrement faux, mais vu l’état d’exaspération d’une majorité d’Argentins, ça reste un poil court.

Eduardo Aliverti, dans le quotidien de gauche Página/12, livre quelques autres explications. Selon lui, les outrances de la droite (Milei et sa tronçonneuse dans les meetings, annonçant le massacre de l’État providence, les attaques contre le Pape, la réhabilitation de la dictature militaire…), le manque de leadership de la candidate de la droite classique, la désunion de celle-ci, augurant de son incapacité à gouverner, ainsi que le profil plus rassembleur de Massa auront fini par remobiliser les électeurs les plus à gauche.

Ceci étant, qu’on soit de gauche ou de droite, il n’y a pas vraiment de quoi danser de joie à la lecture de ces résultats.

A gauche, d’une part, parce qu’on ne voit pas très bien comment ces 37% obtenus de haute lutte pourraient faire des petits lors du deuxième tour. L’électorat péroniste s’est déjà largement mobilisé lors du premier, et il n’y a donc plus tellement de réserves. Massa appelle à l’unité nationale en agitant le spectre du néo-fascisme représenté par Milei, mais les chiffres sont là : à eux deux, les candidats du rejet du péronisme ont engrangé plus de 53% des voix.

A droite, la défaite cuisante de Patricia Bullrich sonne le début d’une probable crise politique interne. Juntos por el cambio ne représente plus une alternative crédible au péronisme. C’est toujours plus facile après coup, mais on aurait pu le prévoir. La défaite de l’ancien président Mauricio Macri en 2019, après un seul mandat, était un signe clair de désaffection : la droite n’avait pas convaincu de sa capacité à sortir le pays de son marasme.

Autre signe assez éclairant : Mauricio Macri lui-même avait donné l’impression, pendant la campagne, de soutenir davantage Milei que la candidate de son propre mouvement.

Le sentiment qui continue de prédominer, c’est celui qui prévalait lors de la terrible crise de 2001 : «Qué se vayan todos», qu’ils se barrent, tous. D’où la popularité du météore prétendument antisystème Milei. A cette différence près : le péronisme, au contraire de la droite, garde indéfectiblement une base populaire solide, quoi qu’il arrive.

Reste à savoir ce que décideront les électeurs de Bullrich. Naturellement, Milei, assez déçu de son relatif échec, les appelle à se rassembler derrière lui. Peut-il parvenir à en capter une assez large majorité pour passer ?

Mathématiquement, oui. Mais pour cela, il va lui falloir lisser pas mal son discours d’ici le second tour, car ses outrances et une partie de son programme ne rassurent guère certains électeurs pas forcément prêts à abandonner leur conservatisme pépère pour embrasser un ultra-libéralisme débridé. Démanteler l’état providence et interdire l’avortement, ça va, mais proposer une loi permettant aux pères de renoncer à leur droit à la paternité, ou rompre les relations diplomatiques avec le Vatican, ça dépasse un brin leurs limites.

Les partisans de Milei, ceci dit, restent optimistes. «63% des Argentins souhaitent le changement» et «avec 12% d’inflation, le péronisme ne peut pas gagner». Mais c’est ce qu’ils disaient déjà avant ce dimanche !

Quoiqu’il en soit, le résultat du second tour garde un certain suspens. Mais n’incite guère à l’euphorie. Car quel que soit le vainqueur du 19 novembre prochain, l’Argentine se réveillera plus divisée que jamais. Qu’elle ait maintenu au pouvoir un gouvernement qui a jusqu’ici largement échoué à revitaliser l’économie du pays, ou laissé la place à un populisme d’extrême-droite totalement imprévisible. Ou, au contraire, trop prévisible.

C’est ce qui se passe, généralement, lorsque la politique ne propose plus, hélas, que de mauvaises solutions.

Ajoutons pour être complet que quelque soit le vainqueur du second tour, il n’aura pas de majorité claire au Parlement pour gouverner. En effet, il y avait également des élections législatives et régionales ce dimanche, pour renouveler une partie des députés et gouverneurs de provinces.

L’Assemblée compte 257 élus. A l’issue de ce scrutin, les péronistes en ont 108, la droite classique de Bullrich 93, et les libertaires de Milei 34. Au Sénat (72 élus), la répartition est de, respectivement, 34, 24 et 8. Autant dire que ça promet de vigoureuses séances, une fois le nouveau gouvernement composé !

PS : et la gauche traditionnelle, dans tout ça ? Ah, la candidate du FIT-U (Front de gauche et des travailleurs) a obtenu 2,7% des voix, et la gauche doit se contenter de 5 sièges à l’Assemblée et aucun au Sénat. En Argentine, la gauche, c’est comme les écologistes : à peu près personne ne sait ce que c’est.

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Voir aussi sur ce blog les articles sur Milei :

Milei un autre Trump?

Que/qui porte Milei ?

Et la présentation des différents candidats, avant les primaires générales d’août.

 

 

 

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