1912 : la fin du P.A.N. et de la fraude électorale. Ou presque.

          L’histoire du Parti Autonomiste National (P.A.N.) commence en 1874, avec l’élection de Nicolas Avellaneda. Unification du Partido Nacional dirigé par ce dernier et du Partido autonomista d’Adolfo Alsina, à la base c’est un parti de tendance plutôt libérale et libre-échangiste, mais son mode de gouvernement, à la fois oligarchique, clientéliste et autoritaire, et ses pratiques électorales douteuses, consistant à se maintenir indéfiniment au pouvoir par le biais de la fraude, ont beaucoup altéré son image, pour en faire un simple parti conservateur de tendance autocratique. Il faut dire qu’à l’époque, on ne parlait pas de suffrage universel : c’était un collège d’électeurs plutôt réduit (moins de 300) qui décidait de l’élection ! Relativement facile à manipuler, comme on le comprendra, il était élu par les Parlements de province, selon le système dit de « la liste complète », qui permettait d’en exclure d’éventuels opposants. (Voir ici, p. 382) Des parlements massivement occupés par le pouvoir en place, grâce à l’influence et au prestige présidentiel d’une part, et au système dit du «Voto cantado» (Vote à voix haute, en quelque sorte : l’électeur aux élections locales devant se rendre au bureau électoral et faire enregistrer son choix soit en disant pour qu’il voulait voter, soit en choisissant un des bulletins posés sur la table, au vu et au su des membres du bureau. On voit d’ici ce que cela pouvait impliquer ! D’autant qu’une loi constitutionnelle donnait le droit au gouvernement en place d’intervenir dans les processus électoraux pour «protéger la forme républicaine de gouvernement» c’est-à-dire d’annuler arbitrairement les élections d’opposants [p. 383]).

Le vote à voix haute, caricature d’époque – Photo DP

– Halte, qui va là ?
– Un vote.
– Pour qui ?
– Pour Marcelino.
– Allez-y.

          Il est parvenu à se maintenir au pouvoir pendant 36 ans, soit six présidences (à l’époque, le mandat présidentiel argentin durait 6 ans), dont deux dirigées par le même Julio Roca (celui de la conquête du désert), à quelques années de distance. Il y eut un 7ème mandat, de 1910 à 1916, rempli par Roque Sáenz Peña puis, après son décès, par son vice-président Victorino de La Plaza, mais à cette époque, des scissions étaient apparues dans le parti, et ce président (Sáenz Peña) était le représentant d’une des tendances dissidentes, l’Union Nationale.

          On trouvera ici une histoire retraçant les dates marquantes de ce parti, mais attention : il s’agit du site du parti autonomiste actuel, et donc d’une présentation passablement orientée (Qui fait entre autres l’apologie de la Conquête du désert, décrite comme une guerre classique entre belligérants et ressert le mythe de la fraternisation entre vainqueurs et vaincus, les premiers apportant civilisation, santé et protection aux seconds !)

          La politique du P.A.N. durant toutes ces années de pouvoir fut toute entière mise au service de l’oligarchie dominante, essentiellement agricole. Dont, d’ailleurs, beaucoup d’élus étaient issus. Sous le règne du P.A.N., la concentration de la propriété des terres a atteint son maximum, détournant par ailleurs les grandes fortunes argentines d’un investissement industriel qui aurait pourtant été profitable à toute l’économie en maintenant son indépendance. Celui-ci, au contraire, a été largement «sous-traité» aux grandes puissances européennes, notamment britannique, française et allemande. Entre 1870 et 1914, par exemple, les investissements britanniques dans l’industrie argentine (chemin de fer, mines, produits manufacturés) ont été multipliés par 9 ! C’est en grande partie cette politique conservatrice (le pouvoir aux grands propriétaires terriens, l’industrie aux puissances étrangères) qui va conditionner le destin politique tout entier de l’Argentine, qui ne s’est jamais vraiment sortie de ce schéma, à part peut-être, dans les années du premier péronisme (1946-1955).

          Naturellement, cette omnipotence d’un seul parti a généré de nombreuses oppositions, mais, on l’a vu, celles-ci ont été aisément jugulées par un système électoral taillé pour résister à toutes les tempêtes. Il y a même eu une révolution, en 1890, dite «La revolución del parque», la révolution du parc, provoquée par la mauvaise gestion du Président Juárez Celman entrainant une crise économique aiguë. Les insurgés seront vaincus, mais Celman devra laisser sa place à son vice-président, Carlos Pellegrini, pour terminer le mandat.

Roque Sáenz Peña – Photo DP

          Ce n’est qu’en 1910 qu’on peut dater la véritable fin du règne du P.A.N. Roque Sáenz Peña, comme nous le disions plus haut, faisait bien partie du Parti autonomiste, mais toute une fraction de celui-ci, désireuse de moderniser le parti et surtout de mettre fin au système de fraude électorale, va faire scission en créant un nouveau mouvement, l’Union Nationale. C’est donc son candidat, Sáenz Peña, qui sera élu en 1910, et qui promulguera, deux ans plus tard, une loi fondamentale instituant le suffrage universel, obligatoire et surtout secret, et établissant des listes électorales fiables pour garantir la loyauté des scrutins. Oui bon, universel, universel, pas encore pour les femmes, malheureusement. Celles-ci devront attendre 1947 pour avoir le droit de mettre leur bulletin dans l’urne. Quant à la fin de la fraude, oui, un peu, pour quelques années. Elle ressortira des placards dans les années trente, pendant la fameuse «Décennie infâme», sous des gouvernements dominés par des militaires : celui de José Félix Uriburu d’abord (1930-1932), puis celui d’Agustín P. Justo (1932-1938) ensuite. Une décennie infâme qui va d’ailleurs durer un peu plus de dix ans, puisqu’elle se prolongera sous les mandats de Roberto Ortiz puis de son vice-président Ramón Castillo (1938-1943). Des joyeux drilles que n’aurait pas reniés le P.A.N. Un parti aujourd’hui toujours présent dans le paysage politique argentin, bien que tout à fait confidentiel : il a obtenu 0,13 % des voix à la présidentielle de 2019 !

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