IV. La guerre des Malouines

En pleine déconfiture économique, la junte militaire choisit de placer le général Leopoldo Galtieri à la tête de l’état argentin, en lieu et place de Roberto Viola.

La crise aiguë que vit le pays commence à rompre les digues de la peur vis-à-vis de la répression. Le 30 mars 1982 a même lieu ce qu’on ne pensait plus possible sous le joug militaire : une manifestation ouvrière monstre, défilant au cri de «Paix, pain et travail». L’étau qu’avait réussi à serrer la dictature autour de la société argentine commence à donner des signes de relâchement.

Alors, quelle meilleure recette, pour resserrer à nouveau les liens distendus avec le peuple, que de faire jouer la corde nationaliste ? Depuis 150 ans, face à la Patagonie, les Anglais occupent illégalement, selon les Argentins, des îles qui appartiennent de droit à l’Argentine, d’après un accord signé en 1790 ! Par ailleurs, pensent-ils, en Europe la première ministre Margaret Thatcher a d’autres chats à fouetter que la défense d’un caillou incultivable : elle est contestée jusque dans son propre parti.

C’est le moment ou jamais, se dit Galtieri, de tenter quelque chose. Le 2 avril, les forces argentines débarquent sur les îles et réduisent rapidement la mince garde anglaise chargée de les défendre. L’hôtel du gouvernement tombe aux mains des Argentins, presque sans effusion de sang : il y aura un mort.

La manœuvre de la dictature fonctionne au-delà de ses espérances : enthousiaste, le peuple argentin dans sa grande majorité acclame les militaires pour cette victoire éclair. Enfin, justice est faite, les Malouines sont revenues dans le giron légitime de la mère patrie, l’envahisseur anglais est chassé !

Manifestation de liesse populaire

Le 3 avril, le Conseil de sécurité de l’ONU statue sur la nouvelle crise ouverte, et exige des parties en conflit d’ouvrir des discussions diplomatiques, après cessation des hostilités et retrait des forces argentines.

Le 8 avril, le ministre des Affaires étrangères étatsunien, Alexander Haig, se rend à Buenos Aires pour mettre en garde la junte contre le risque d’une guerre ouverte, et insiste sur la supériorité militaire des Britanniques dans ce cas. Galtieri n’en tient aucun compte. Au contraire. Au balcon du palais présidentiel, devant la foule en liesse, il proclame, solennel «S’ils veulent venir, qu’ils viennent, on leur livrera bataille».

De son côté, Thatcher n’a pas non plus la moindre intention de négocier. Ce conflit arrive à point nommé : l’occasion est trop bonne pour elle aussi de rassembler son peuple autour de la poursuite d’un projet conservateur qui commençait à s’essouffler.

Les Etats-Unis continuent de jouer les intermédiaires. Le 15 avril, Reagan et Galtieri se parlent au téléphone, et tombent plutôt d’accord pour considérer qu’un conflit entre pays de l’ouest servirait les intérêts de l’ennemi commun soviétique. Reagan promet la neutralité dans les négociations en cours. Une neutralité qui ne va pas durer longtemps. Face à la mauvaise volonté des Argentins, qui ne cèdent rien, les Nord-Américains se lassent, et finissent par leur couper les vivres : plus question de fournir de l’armement, notamment.

Pendant ce temps, les Anglais quant à eux ne restent pas inactifs. Face à la menace, Thatcher a réagi au quart de tour, lançant dès le début avril l’opération «Corporate». A savoir : envoi de deux porte-avions, un sous-marin et 30 000 soldats, et déclaration d’une zone d’exclusion de 320, puis 370 kilomètres autour des îles.

Le 2 mai, le sous-marin «Conqueror» torpille et coule le croiseur argentin «Général Belgrano». 323 marins argentins trouveront la mort. Ce grave incident a lieu qui plus est en dehors de la zone d’exclusion. La guerre est ouverte. Elle ne va pas durer longtemps.

En effet, et comme l’avait laissé entendre le Secrétaire d’Etat étatsunien Alexander Haig, les forces argentines ne font pas le poids. N’oublions pas qu’il s’agit d’une armée qui n’a jamais fait la guerre au cours du XXème siècle. Ses généraux, mêmes formés en partie par l’Armée nord-américaine, manquent d’expérience et de compétence. Les soldats quant à eux sont pour la plupart de jeunes recrues, mal entrainées et mal équipées, qui ont face à eux des troupes professionnelles dotées d’un armement ultramoderne et puissant.

Par ailleurs, l’Argentine n’a que peu d’alliés. Même pas – ou surtout pas, plutôt – le Chili de Pinochet : en 1978, les deux pays ont été au bord de la guerre ouverte au sujet des limites de la Patagonie. Et Pinochet ne ferait rien de toute façon qui pourrait contrarier le suzerain nord-américain.

Malgré tout, les troupes argentines résistent héroïquement à la contre-attaque britannique. Leurs aviateurs font des miracles, coulant même le destroyer « Sheffield ». Mais les Anglais parviennent à prendre pied, et remportent deux batailles décisives sur le terrain : le 21 mai en débarquant à San Carlos, et sept jours plus tard en s’emparant de l’isthme séparant les deux parties de l’île orientale (Isla Soldedad), appelé Isthme de Darwin (Bataille de Pradera del Ganso, Goose Green en anglais, du nom du village situé sur l’isthme).

Le 8 juin cependant, les Argentins parviennent à stopper un nouveau débarquement anglais, en bombardant et coulant deux navires depuis leurs avions, causant 51 morts et 200 blessés anglais. Malgré tout, les forces argentines sont dans l’incapacité, faute de moyens, de pousser cet avantage. Le 11 juin, les Anglais attaquent la capitale des Malouines, Puerto Argentino (Port Stanley) encore aux mains des Argentins.

Le 14 juin, le général Mario Menéndez, en dépit de l’ordre donné par Galtieri de continuer la lutte coûte que coûte, décide de jeter l’éponge : plus aucun espoir de renverser la situation. Les Argentins se rendent.

Fin de partie

Le conflit se sera donc soldé par la mort de 650 soldats Argentins, et 250 Anglais environ. Sans compter les dégâts psychologiques : environ 500 vétérans finiront par se suicider dans les années qui suivront ce conflit.

Pour la population argentine, c’est un choc. Personne n’envisageait la possibilité d’une défaite : la propagande, ainsi que l’unité autour du projet nationaliste des militaires, n’avaient pas peu contribué à endormir les esprits. La réaction est à la mesure de la déception : les généraux au pouvoir sont définitivement discrédités, et doivent rendre des comptes. Galtieri est naturellement remplacé, c’est un autre général qui occupe son fauteuil : Reynaldo Bignone. Celui-ci ne compte pas vraiment sur un soutien inconditionnel des Forces Armées (nombre de cadres quitteront la junte après sa nomination), et il n’est tout bien considéré qu’un président de transition. La junte a perdu tout soutien populaire, les Argentins en réclament le départ au plus vite.

Le 16 décembre, la coalition des partis démocratiques civils («multipartidaria») organise une grande manifestation. Réprimée celle-ci aussi, mais cette fois, les militaires ne parviennent pas à étouffer la contestation dans l’œuf de la terreur : ils ne font plus peur à personne. Bignone est contraint d’annoncer la tenue d’élections libres pour le 30 octobre 1983. La page de la dictature se tourne enfin.

Voir également : « Brève histoire des Iles Malouines » sur ce même blog.

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Le rôle trouble de certains officiers durant cette guerre vient d’être révélé dans un article du 22 mars 2022 du quotidien « La Nación ». Il montre comment des militaires ont tenté de se faire verser d’énormes pots de vin lors d’achat d’armes, notamment à Israel, avec le Pérou, alors dirigé par le général Francisco Morales, comme intermédiaire.

2 réflexions sur « IV. La guerre des Malouines »

  1. environ 500 vétérans finiront par se suicider dans les années qui suivront ce conflit.
    500 en tout? Anglais et Argentins ? Ou seulement Argentins ?

    1. Le chiffre que je donne est approximatif. D’après une de mes sources (https://muchahistoria.com/guerra-de-malvinas/), on en aurait même compté 264 côté anglais, et entre 350 et 454 côté argentin. Mais naturellement, ce genre de décompte ne peut jamais être précis et fiable, certains passant entre les mailles des statistiques, d’autres pouvant avoir mis fin à leur jours pour une autre raison.

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