Milei : un autre Trump ?

« Une société lassée de souffrir en constatant l’impuissance ou l’indifférence de la classe politique est amenée à chercher de nouvelles portes à pousser pour sortir de son labyrinthe »

Cette phrase du journaliste conservateur de La Nación pourrait certainement s’appliquer à bien des sociétés dans le monde actuel. Et notamment en France, où peu à peu s’installe l’idée que, face à l’incompétence et à l’échec des gouvernements jusqu’ici aux manettes, le seul parti «qu’on ait jamais essayé», c’est le Rassemblement national. Ou quand la fatigue démocratique donne des soudaines envies de se jeter dans le vide.

Fatigue argentine

C’est aussi ce qui est en train de se passer en Argentine, visiblement. Depuis la grande crise de 2000-2001, qui avait conduit à de véritables émeutes ponctuées de mises à sac et de pillages de magasins, ainsi qu’à la succession de trois présidents de la République en deux ans, et après une courte éclaircie durant le mandat de Nestor Kirchner (2003-2007), l’Argentine ne s’est jamais vraiment remise économiquement et socialement de cette crise devenue quasi permanente, et qui, tout comme en France, a fini par creuser une fracture irréductible entre deux franges de population.

D’un côté, le péronisme de gauche, qui a gouverné de 2003 à 2015 avec donc, Nestor Kirchner, puis deux mandats de son épouse Cristina. De l’autre, la droite, représentée par «Juntos por el cambio» (ensemble pour le changement) une alliance entre l’historique Union Civique Radicale et une frange plus libérale, le PRO (Propuesta republicana, proposition républicaine), emmené par Mauricio Macri, président de 2015 à 2019, et dont la politique libérale a été désavouée dans les urnes.

Depuis janvier 2020, c’est un autre président péroniste, Alberto Fernández, qui tient les rênes. Mais son impuissance à juguler l’inflation et la hausse des prix, et la tutelle encombrante de la très clivante ancienne présidente Cristina Kirchner, l’ont rendu à son tour très impopulaire : il a perdu sa majorité au Parlement lors des élections de mi-mandat.

Les Argentins ne savent donc plus vraiment vers qui se tourner pour reprendre un peu espoir, face à une situation économique désespérée, avec une inflation à trois chiffres, des hausses de prix incontrôlables, une monnaie en chute libre et une conflictivité sociale au plus haut.

Troisième voie ?

Dans une telle situation d’impasse, la tentation est donc forte de se tourner vers des terrains encore totalement inexplorés. C’est sur un de ces terrains que joue un nouvel acteur politique, apparu au début des années 2020, élu député dès 2021, et qui a propulsé de manière fulgurante son nouveau parti «La Libertard avanza», à la troisième place lors de ces mêmes élections législatives : Javier Milei.

Javie Milei en 2021

Milei, pour le comparer à des politiques plus connus chez nous, c’est un peu comme une synthèse de Donald Trump, d’Eric Zemmour et d’Alain Madelin (vous vous souvenez de cet ancien facho devenu ultra libéral ?).

La doctrine de Milei, c’est cela : un savant mélange de libéralisme économique le plus sauvage, de racisme assumé, de climato-scepticisme enraciné, et de rage anti-avortement. Fan de Trump et de Bolsonaro, il copine avec les mouvements d’extrême-droite européens, comme l’espagnol Vox, et a soutenu le candidat Pinochetiste chilien Antonio Kast lors de la dernière présidentielle (perdue) de ce pays.

Son crédo : virer l’état d’à peu près tous les secteurs de l’économie et du social, et promouvoir la dérégulation totale, ainsi que la «dollarisation» de l’économie argentine. (Le dollar devenant monnaie officielle du pays).

Il a naturellement l’intention de se présenter à la prochaine présidentielle, à la fin de cette année. Pour le moment, dans les sondages, il conserve la troisième place, et sa victoire est encore très hypothétique.

Mais il ne cesse de monter, aidé en cela d’une part, par l’incapacité du gouvernement actuel de renverser la tendance inflationniste et la chute vertigineuse de l’économie, et d’autre part les divisions de l’opposition de droite, où la liste des prétendants s’allonge, et au sein de laquelle les débats, pour ne pas dire les combats, sont de plus en plus rudes, entre l’ancien président Macri que se verrait bien refaire un tour de piste, la très droitière Patricia Bullrich (favorable au port d’armes des citoyens lamba pour combattre la délinquance !) et le sémillant gouverneur de Buenos Aires Horacio Rodríguez Larreta.

Et quelques autres placés en embuscade, des fois qu’on aurait besoin d’un homme ou d’une femme providentiels pour faire la synthèse.

Adhésion ou protestation ?

Pour le moment, Milei pèse environ 20% dans les sondages. Ce qui n’est certes pas encore suffisant pour croire à une victoire finale, mais, après seulement quatre ans dans l’arène politique, ce score ferait rêver bien des novices. Au vu de son impopularité actuelle, il n’est d’ailleurs pas certain que le gouvernement péroniste, lui aussi divisé entre modérés soutenant Alberto Fernández et puristes appuyant l’ancienne présidente Cristina Kirchner, en obtiendra autant lors du premier tour.

On dit la popularité de Milei très en hausse dans certains secteurs clés de la population, comme les classes moyennes grevées d’impôts et les jeunes, qui voient en lui un libertarien (il a promis la légalisation des drogues).

Son élection, cependant, constituerait un véritable séisme dans la société argentine. Car comme notre Marine Le Pen nationale, il est aussi populaire chez les uns que détesté par les autres. Peu probable dans ces conditions que son arrivée au pouvoir réduise la fameuse «grieta» (fracture) qui divise le pays entre deux tendances irréconciliables depuis la fin de la dictature.

Par ailleurs, ses projets économiques ultra-libéraux pourraient refroidir beaucoup d’enthousiasmes un tantinet imprudents dans certains secteurs de la société, en accentuant de manière exponentielle les inégalités sociales et salariales. Comme souvent, en Argentine comme ailleurs, les gens ont la mémoire courte. La dernière fois que l’ultra-libéralisme a été essayé en Argentine, c’était avec le péroniste de droite Carlos Menem (dont Milei défend le bilan). Avec le succès qu’on a vu en 2001 (voir en début d’article).

Cela étant, une bonne partie de l’électorat se déclarant prêt à franchir le pas du vote Milei n’adhère pas forcément à toutes ses thèses. Car pour une bonne part, on l’aura compris, il s’agit d’un vote avant tout protestataire, en réaction au découragement et au désenchantement vis-à-vis des partis politiques traditionnels. Un peu comme chez nous avec le RN. Ce qui rend naturellement le pari d’autant plus risqué, et de nouvelles déceptions plus que probables.

En attendant, on peut retenir son souffle. L’Argentine est au bord du gouffre. Avancera-t-elle d’un bon pas, comme la « liberté qui avance » promise par le nom du parti de Milei ?

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Liens

Article (un poil tiède) du site RFI présentant Javier Milei

https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20220116-javier-milei-le-d%C3%A9put%C3%A9-antisyst%C3%A8me-qui-bouleverse-la-vie-politique-argentine

Article du site argentin Infobae (en français) sur le projet économique :

https://www.infobae.com/fr/2022/03/23/javier-milei-a-predit-un-desastre-social-et-a-declare-que-la-solution-contre-linflation-consiste-a-dollariser-leconomie/

Article de La Nación (en espagnol cette fois) sur le caractère protestataire du vote Milei :

https://www.lanacion.com.ar/opinion/el-riesgo-de-milei-cuando-todos-caen-nid19022023/

Sur ce blog, on avait déjà fait allusion à Milei ici :

https://argentineceleste.2cbl.fr/attentat-contre-cristina-kirchner/

Quelques aperçus de Milei en vidéo :

Interview de la chaine A24 (40’13’’):
https://www.youtube.com/watch?v=t_NpcZqh1-U

Son programme économique (21’14’’):
https://www.youtube.com/watch?v=KI5HHyISBdM

 

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