La Mémoire courte

C’était une des priorités de la nouvelle vice-présidente, Victoria Villaruel, qui avait abordé le sujet déjà bien avant l’élection présidentielle : il était urgent de remettre en cause tout le travail de mémoire effectué depuis la fin de la dictature, et de rétablir la justice envers ces braves militaires qui avaient sauvé la patrie en la préservant du communisme.

Question militaires, Victoria Villaruel est bien placée, il faut dire : elle est elle-même la fille d’un ancien lieutenant-colonel de l’armée, actif durant la dictature de 1976-1983  et partie prenante de la tentative de coup d’état des nommés «Carapintadadas», groupe de militaires nostalgiques s’étant soulevés en 1987 pour renverser le gouvernement démocratique de Raúl Alfonsín.

Victoria Villaruel l’avait annoncé : une fois Javier Milei élu, elle travaillerait activement à «remettre l’histoire à l’endroit». C’est-à-dire, de son point de vue, réhabiliter les militaires. (Elle s’active en ce moment à obtenir la grâce des tortionnaires encore en prison).

En commençant par démanteler lieux et organisations de mémoire qui, selon elle, ne donnent qu’une vision partiale de l’histoire argentine.

J’en avais parlé ici-même en mars 2024, à l’occasion des commémorations liées au coup d’état de 1976. Villaruel avait manifesté son désir de transformer l’École supérieure de mécanique de la marine (ESMA), principal centre de détention et de torture durant la dictature et désormais Centre de mémoire et musée, en simple parc public.

L’entrée de l’ESMA, Avenida del Libertador à Buenos Aires.

L’ESMA renferme depuis 2008 l’Espace pour la mémoire et pour la promotion et la défense des droits humains, centre mémoriel abritant d’une part le Centre culturel de la mémoire Haroldo Conti, et d’autre part le Centre culturel «nuestros hijos» (nos enfants), géré par l’association des Mères de la Place de mai (Voir aussi ici sur ce blog).

L’ensemble dépend du Secrétariat aux droits humains, dont une association de militaires a réclamé la dissolution dès l’élection de Milei. Celui-ci ne l’a pas fermé totalement, il n’a pas osé, mais s’est empressé d’y passer un bon coup de sa fameuse tronçonneuse, en réduisant drastiquement sa dotation en personnel. Le 31 décembre dernier, 90 employés du musée ont ainsi reçu un simple message Whatsapp leur indiquant qu’à partir du 2 janvier ils ne devaient pas se présenter à leur travail :

«Le Secrétariat des droits de l’homme fait savoir à tout le personnel du Centre culturel Haroldo Conti que celui-ci sera fermé à compter du 2 janvier 2025. Ceci afin de procéder à une nécessaire restructuration interne, à constituer des équipes de travail et à préparer la programmation de l’année à venir». (La Nación, 01/01/2025)

La dite restructuration n’est naturellement qu’un rideau de fumée, destiné à masquer le véritable projet gouvernemental : en finir avec les politiques publiques de mémoire et de commémorations, jugées par l’ami d’Elon Musk comme du wokisme anti-militaire.

Officiellement, les personnels ne sont pas définitivement limogés, mais «mis en disponibilité». Néanmoins, le Secrétariat aux droits de l’homme a précisé que tous les contrats ne seraient pas renouvelés. Il est évident que beaucoup d’employés seront «poussés» vers la sortie, compte-tenu du changement d’orientation du Centre, qui, selon le secrétaire aux droits de l’homme, Alberto Baños, ne se «consacrera plus exclusivement à la période de la dictature militaire et au terrorisme d’état, mais devra aborder d’autres problématiques des droits de l’homme en démocratie».

On voit venir le tour de passe-passe : sous couvert d’étendre le champ des thématiques abordées par le Centre, on noie les plus «problématiques» (du point de vue du pouvoir en place) au milieu d’une marée de sujets plus anecdotiques et surtout inoffensifs. Ainsi édulcoré, le musée de la mémoire de la dictature perdra tout son sens, contribuant même à relativiser les crimes atroces commis par les militaires durant cette période.

Jusqu’ici, le Centre de mémoire voulu par l’ancien président Nestor Kirchner à l’intérieur même de la sinistre ESMA était volontairement conservé «dans son jus». Sa visite faisait froid dans le dos : on retrouvait les salles d’origine, celle où étaient rassemblés les «subversifs» arrêtés à leur arrivée, la «Capucha», au dernier étage, dans les combles, où ils étaient amenés pour y être interrogés sous la torture, les salles où avaient lieu les accouchements des jeunes femmes arrêtées alors qu’elles étaient enceintes, et auxquelles on enlevait leurs bébés…

On imagine d’ici ce que pourra signifier une «restructuration» de ces lieux. Il est peu probable qu’ils rouvrent à l’identique, ni même que certains rouvrent tout court. Bien sûr, cela se fera très progressivement, à pas de loup. Un effacement lent, par petites touches, et lorsque la page sera devenue totalement blanche, il sera trop tard pour réagir. L’éternelle histoire de la grenouille dans sa marmite.

Et l’éternelle histoire, aussi, universelle, de l’effacement de la mémoire, qui permet aux pires monstres de l’Histoire de toujours, à la fin des fins, renaitre de leurs cendres.

Fresque murale, reprenant des extraits de texte du journaliste Rodolfo Walsh, assassiné par les militaires en 1977.

Mercosur : où en est l’agriculture argentine ?

Il y a peu, notre bonne Ursula (Van der Leyen), la présidente de la commission européenne, s’est rendue à Montevideo, capitale de l’Uruguay, pour y confirmer l’accord de principe de l’UE sur l’ouverture de notre Union au Mercosur, cet accord commercial et douanier d’abord interne à certains pays de l’Amérique du sud (Brésil, Uruguay, Argentine, Paraguay et Bolivie), mais qui souhaite trouver des débouchés sur notre continent.

Fureur de nos agriculteurs, que la perspective de devoir affronter une concurrence jugée déloyale de leurs collègues sud-américains fait régulièrement sortir de leurs gonds.

Vu d’ici en effet, l’agriculture du cône sud de l’Amérique n’affiche pas tout à fait les mêmes normes sanitaires que les nôtres. Aujourd’hui même, le quotidien régional Ouest-France, un journal plutôt proche des milieux agricoles, publie un article assez sévère sur le sujet, significativement intitulé : «L’agriculture argentine malade de ses pesticides ». (Je mets le lien, mais juste pour le titre, la photo et le résumé, car l’article en version numérique est réservé aux abonnés. Ceci dit, on peut lire l’enquête complète du même auteur, Benoit Drevet, ici dans le Journal La Croix. Article acheté également par le quotidien belge «Le Soir »).

Vignobles dans la région de Cafayate

L’article révèle notamment qu’en Argentine, l’usage des pesticides est largement dérégulé. Il est même «(…) simple de trouver des agro-chimiques interdits sur le marché noir. Comme du bromure de méthyle», selon un agriculteur argentin. Une ancienne floricultrice explique également au correspondant français qu’ayant procédé à des épandages en étant enceinte, ses jumeaux souffrent de malformations et de maladies chroniques. Selon une enquête, «des traces de 83 pesticides ont été retrouvées dans 54 aliments considérés comme essentiels en Argentine» qui «serait le pays le plus friand d’agrochimiques par personne et par an dans le monde» avec 580 millions de litres répandus par exemple en 2022.

Qu’en est-il exactement ? Si on consulte le site gouvernemental argentin, tout est sous contrôle. On y admet que «Au niveau mondial, l’usage excessif de fertilisants nitrogénés et phosphorés peut conduire à la détérioration et à l’eutrophisation de la flore et de la faune des eaux superficielles, générant la réduction de certaines espèces vitales pour les écosystèmes aquatiques». Et que l’Argentine fait partie à cet égard des pays signataires de la Déclaration de Colombo, adoptée en octobre 2019 et qui appelle à «une conversion écologique pour prioriser la vie et le bien-être sur les politiques économiques».

Il existe un «Servicio nacional de sanidad y calidad agroalimentaria». Autrement dit, une agence dédiée au contrôle de la qualité sanitaire des produits alimentaires, dépendant du ministère de l’agriculture. L’Argentine a signé également la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants en 2004, et la convention de Rotterdam la même année.

Au top de la protection de la santé et de l’environnement, l’Argentine ? Il faut le dire vite. Les mauvaises habitudes ont la vie dure, et ne semblent pas près de se modifier. Un rapide parcours sur le net nous offre un vaste panorama de tout ce que compte la défense de l’utilisation des pesticides par les agriculteurs argentins. Ne pas oublier également qu’il s’agit d’une agriculture fortement concentrée, avec d’énormes exploitations possédées par un nombre relativement réduit de propriétaires terriens, avec une forte tendance à la monoculture (Soja, élevage). Un modèle qui a finalement peu évolué depuis le XIXème siècle, et régi par un syndicat, la Sociedad Rural, auprès duquel notre FNSEA pourrait passer pour un parangon de vertu et une organisation anecdotique.

Gaucho dans la Pampa argentine

Cet article de la revue Agrofy, par exemple, confirme le chiffre donné plus haut par Benoit Drevet : l’Argentine à elle seule utiliserait donc chaque année plus de 580 millions de litres de produits phytos. Mais il s’appuie également sur un rapport de l’European Parliamentary research Service, intitulé « Farming without plants protection products » (introuvable sur le site) pour affirmer que sans ces produits, les rendements chuteraient de 19 à 42%. L’article mentionne bien le débat en cours sur la réforme nécessaire des modèles agricoles, mais sans apporter la moindre solution concrète, sinon d’affirmer en conclusion, par la voix de Carolina Sasal, chercheuse à l’INTA (institut national de technologie agricole, l’équivalent de l’INRAE chez nous) : «Nous devons apprendre à produire de façon rentable, mais sans impact environnemental». Fortes paroles, qui confirment qu’on n’est pas sorti du sable !

En attendant, donc, l’utilisation de produits jugés toxiques chez nous, des hormones de croissance pour le bétail ou même du transgénique (le soja et le maïs le sont désormais quasiment à 100% en Argentine), ne donne pas vraiment lieu à des débats féroces. Et ce n’est pas avec le nouveau gouvernement ultra-libéral de Milei que les choses vont changer. Le président vient de ré-autoriser l’utilisation de drones pour l’épandage, et de baisser les droits de douane sur l’importation de produits comme le glyphosate et quelques autres considérés comme dangereux chez nous et dont certains sont même interdits.

On comprend donc la méfiance de nos agriculteurs, qui, eux, sont surveillés de très près sur leurs propres usages, et ne voient pas d’un bon œil l’arrivée sur le marché concurrentiel de ces produits aux normes pour le moins relâchées.

La commission européenne jure que les contrôles seront stricts à ce sujet, et que de toute façon l’accord signé prévoit une importation de produits agricoles sud-américains assez réduite. Mais les agriculteurs ont appris à se méfier de prétendus garde-fous et contrôles qui ont souvent tendance à tomber rapidement faute de volonté politique et de moyens réels en personnel.

Récemment, le Brésil a lancé une enquête sur une suspicion de dumping argentin (mais aussi uruguayen) concernant les exportations de lait. Le Brésil est le principal importateur de lait argentin, à hauteur de près de 58% de sa production exportée vers le Brésil, rien que pour le lait en poudre. Les Brésiliens accusent eux aussi les Argentins de concurrence déloyale : ils vendraient bien en dessous des prix du marché, afin d’étouffer la concurrence locale. L’enquête est en cours, et pourrait déboucher sur l’instauration de droits de douane exceptionnels entre ces trois pays historiques du Mercosur, signé en 1991 !

Comme on le voit donc, un accord de libre-échange ne suffit pas vraiment à garantir la loyauté des dits échanges. Le Mercosur, dont Ursula Van Der Leyen semble vouloir accélérer la signature par l’UE, est présenté par les économistes orthodoxes de chez nous comme un accord censé être «gagnant-gagnant». Une formule passe-partout destinée surtout, me semble-t-il, à endormir le gogo : en matière de commerce, en général, pour qu’il y ait des gagnants, il faut bien qu’il y ait des perdants.

Oui mais, nous dit-on, il faut raisonner de manière globale. Certes, certains agriculteurs vont y perdre un peu, mais d’autres vont gagner. En résumé : on vendra peut-être moins de bœuf, mais plus de roquefort et de cognac. Allez expliquer ça aux éleveurs du charolais, maintenant. Quant au consommateur… Dis, Ursula, tu nous promets qu’on ne sera pas obligé de bouffer du soja transgénique ou du poulet aux hormones ?

Élevage de lamas

Non-Lieu pour les rugbymen français

Hier mardi 10 décembre, la justice argentine a mis un point final au feuilleton des deux rugbymen français accusés de viol et violence en réunion sur une femme argentine rencontrée en boite de nuit dans la ville de Mendoza, après le test match de l’équipe de France.

Comme on pouvait s’y attendre, le non-lieu a été prononcé par le tribunal de Mendoza, et les deux joueurs n’auront donc pas à revenir en Argentine, à moins que l’appel – d’ores et déjà annoncé par la défense de la victime – ne débouche sur un nouveau procès, ce qui est peu probable.

Dans ses attendus, le tribunal s’appuie principalement sur le compte-rendu de l’examen psychologique de l’accusatrice. Celui-ci stipule :

Elle (la victime, NDLA) présente une histoire linéaire et structurée, en opposition à une histoire spontanée et fluide, rigide en termes de chronologie des événements et déficiente en termes de construction logique, dont les détails ne sont pas articulés de manière cohérente dans l’ensemble. Le fil conducteur est lâche et dispersé.

En somme, la victime présumée est soupçonnée d’arranger les faits à son avantage, et de délivrer un récit plus fabriqué que véritablement vécu.

Par ailleurs, le tribunal relève le manque de preuves matérielles. La victime présumée avait accusé les deux rugbymen de violence, et d’ailleurs les traces de coups avaient été constatées dès le lendemain des faits, le jour même du dépôt de la plainte. Mais selon les juges, le déroulement des faits qui découle à la fois des quelques (rares) témoignages et vidéos accessibles ne permet pas d’apporter une preuve suffisante de la culpabilité des deux hommes et surtout du non-consentement de la victime.

Les juges s’appuient notamment sur une vidéo de l’ascenseur de l’hôtel, où on voit clairement Hugo Auradou et l’infirmière argentine échanger un baiser, puis sortir main dans la main.

Selon la victime présumée, le second joueur, Oscar Jégou, se trouvait déjà dans la chambre quand ils y sont entrés. Elle aurait demandé à Hugo Auradou de la laisser partir et dès ce moment auraient commencé les violences des deux hommes. Mais de cela, statuent les juges, il n’y a ni témoignage ni preuves concluantes, et le doute doit donc bénéficier aux accusés, d’autant plus au vu des conclusions de l’expertise psychiatrique de l’accusatrice, laissant penser qu’elle aurait altéré les faits à son avantage.

On se fera son idée. On le sait, il est toujours extrêmement difficile de démêler le vrai du faux dans ce genre d’affaire, où les preuves et les témoins manquent la plupart du temps, et où par conséquent les juges doivent se baser sur la parole des uns et des autres.

Il est bien possible que dans un premier temps l’infirmière ait été séduite par le beau Français, puis que la soirée ait ensuite, alcool et phénomène d’entrainement jouant leur triste rôle, pris un tour nettement moins sympathique, faisant amèrement regretter la jeune femme de s’être laissée embarquer. Car si on peut l’accuser d’avoir arrangé la vérité des faits, en revanche elle n’a pas pu inventer les traces de coups. Mais curieusement ceux-ci sont très vite passés au second, voire au troisième plan : le tribunal n’y fait aucune allusion dans ses attendus.

En substance, voici ce que dit le tribunal :

La décision du juge est basée sur l’article 353, paragraphe 2, qui indique que l’acte ne rentre pas dans un schéma criminel, en raison de l’atypicité de l’acte. En conclusion, le fait enquêté ne constitue pas un crime. (Atypicité : manque de conformité à un type de référence. En clair : les faits poursuivis n’entrent pas dans la nomenclature judiciaire).

En somme, on dit à la victime : «Peut-être que ces deux hommes vous ont violentée, mais il n’y a pas de preuve et votre récit incohérent nous fait douter. De toute façon, vous l’aviez bien cherché, non ?». Un vieux classique.

En attendant, à La Rochelle et à Montpellier, les deux clubs des jeunes français, on respire : ils vont pouvoir continuer à mettre des tampons sur le gazon. Avec toutes mes excuses pour cet humour douteux.

Une dernière réflexion : il demeurera absolument impossible de savoir quel rôle a joué la diplomatie dans cette affaire. En effet, l’autorisation donnée aux deux joueurs de rentrer en France alors même que l’instruction était encore en cours a laissé perplexe pas mal d’Argentins. Qui en ont aussitôt conclu que le non-lieu en était la suite logique. Et à vrai dire en effet, après la libération des joueurs et la reprise de leur carrière en club, plus personne en Argentine n’a jamais cru à leur retour.

Les glaciers en danger !

Peu de gens le savent (mais nos lecteurs, oui, naturellement !), mais l’Argentine abrite, dans l’immense région patagonienne, un des plus importantes réserves d’eau douce du monde : ses glaciers.

Ils sont tous situés dans la même zone, à peu près :

Toute la zone, appelée Champ glaciaire de Sud Patagonie, comporte environ 300 glaciers de toutes tailles et a une superficie de plus de 12 000 km², soit très exactement celle des départements Nord et Pas de Calais réunis.

L’ensemble de ces glaciers côté argentin (il y en a aussi côté chilien, bien sûr) forme le Parque nacional de los glaciares, qui en comprend une douzaine de très étendus.

La plupart sont difficiles d’accès, c’est pourquoi le plus célèbre d’entre eux n’est pas le plus grand : il s’agit du Perito Moreno, qui s’étend quand même sur une surface de 250km², soit un peu plus que la superficie de la Capitale, Buenos Aires ! La superficie totale de tous ces glaciers est estimée à 7270 km². Soit, à peu près, l’équivalent du département du Maine-et-Loire.

Le plus étendu est le glacier Viedma, avec 940 km². 9 fois la ville de Paris.

Si, de loin, ils apparaissent comme une grande surface neigeuse bien lisse, en réalité, ils sont parcourus de crevasses énormes, et leur intérieur est quadrillé de canaux qui permettent à l’eau de s’écouler jusqu’aux lacs dans lesquels ils se jettent. La neige n’occupe qu’environ 40 cm de hauteur sur la croûte, le reste étant constitué de glace compacte. Ils se sont formés lors de la dernière période de glaciation, il y environ 18 000 ans.

Mais aujourd’hui, quasiment tous sont en constante diminution, en raison, comme on le devine, du réchauffement climatique en cours. Le problème étant que depuis quelques années, cette diminution s’accélère de façon inquiétante. A tel point que le glacier Upsala (640 km²), autrefois alimenté par son voisin Bertachi, en est désormais déconnecté. L’Upsala a ainsi perdu 14 km de longueur sur les 50 dernières années. Il faut dire qu’il subit un handicap supplémentaire : contrairement au Perito Moreno, qui repose sur une base entièrement rocheuse, donc solide, l’Upsala, lui, est en grande partie flottant, ce qui accélère son érosion par les eaux souterraines. S’y ajoute le fait que ce glacier se jette dans le Lago Argentino, un lac d’une profondeur de 700 mètres à cet endroit, et constitue un autre facteur d’accélération des détachements de blocs de glace.

Pour revenir au Perito Moreno, depuis 1990 des scientifiques effectuent des mesures de sa hauteur moyenne, selon un axe Nord-Sud (pour faire simple : sur sa largeur frontale). Entre 1990 et 2018, ce glacier a perdu 9 m. A partir de 2018, il a commencé à baisser de 4,30m par an. Et depuis 2023, la baisse est passée à 8m/an ! En tout, depuis 2018, Le Perito Moreno a perdu 25 m de hauteur !

C’est en partie ce qui explique, également, le phénomène qui, justement, attire le plus les touristes, depuis toujours : les desprendimientos, les éboulements (Voir vidéos à la fin de l’article). Il s’en produit plusieurs chaque jour. Des blocs plus ou moins gros se détachent de la paroi frontale, s’effondrent dans le lac, et forment des icebergs qui flottent ensuite à la dérive. Un spectacle unique, mais malheureusement de plus en plus facile à capter si on se montre un peu patient sur les passerelles, car de plus en plus fréquent. Ce qui n’est pas bon signe.

Tempano (iceberg) sur le Lago Argentino

Tous ces éboulements ne sont pourtant pas visibles. Certains se produisent à l’intérieur même du glacier, qui fait entendre alors de déchirants craquements : du son, mais pas d’image, on ne voit rien de ce qu’il se passe en dessous.

Hélas, au train où va le réchauffement, il y a peu de chances pour que nos petits-enfants profitent jamais du même spectacle !

Nous n’en sommes heureusement pas encore là, ces énormes glaciers ont encore de beaux jours devant eux, mais rien n’incite à l’optimisme. Dépêchons-nous donc d’aller les admirer avant qu’il ne soit trop tard. En ce qui concerne le Perito Moreno, l’Argentine a justement fait de gros efforts, surtout depuis 2010, pour aménager la zone en construisant tout un réseau de passerelles qui permettent d’observer le glacier sous différents angles. On peut également l’approcher en bateau, et ainsi admirer sur le lac les magnifiques « tempanos » (icebergs) qui prennent parfois des formes et des couleurs d’une grande poésie.

*

PETITE GALERIE PHOTOS POUR FAIRE ENVIE

Le glacier Perito Moreno, vue panoramique

 

Les deux photos ci-dessus : le Perito Moreno, sous divers angles

 

Iceberg
Autrefois, le glacier, avançant sur la rive, formait ainsi une sorte de pont, que l’eau du lac finissait par creuser, formant un tunnel jusqu’à l’effondrer, spectacle qui attirait les foules. Ce phénomène a hélas disparu.

UNE COURTE VIDEO (4’26) D’UN EBOULEMENT SPECTACULAIRE AU PERITO MORENO :

(Ci-dessus, moins spectaculaire, mais du vécu en direct ! Merci à Quentin pour cette vidéo captée au vol !)

Et pêle-mêle, quelques autres icebergs :

(Photos PV – 2008)

 

Diplomatie : l’Argentine s’isole

Un petit séisme vient de se produire ces jours derniers à l’intérieur même du gouvernement Milei : la ministre des Affaires étrangères, Diana Mondino, a été sèchement remerciée et remplacée par le jusqu’ici ambassadeur aux Etats-Unis, Gerardo Werthein.

La raison : lors d’une session à l’ONU, elle a voté, à l’unisson de tous les pays présents sauf les États-Unis et Israël, une motion condamnant le blocus américain envers Cuba. Un blocus aussi vieux que l’installation du castrisme dans l’île des Caraïbes, et dont souffre d’abord et avant tout, le petit peuple cubain, bien plus que ses inamovibles dirigeants.

Le vote de la résolution de l’ONU condamnant le blocus contre Cuba – 30 octobre 2024 – L’Argentine a voté en faveur de la résolution, pour la plus grande fureur de son président Javier Milei. On remarquera que seulement deux pays ont voté contre : les USA et Israël, un s’est abstenu, la Moldavie, et trois n’ont pas participé au vote : l’Afghanistan, l’Ukraine et le Venezuela.

En apprenant le vote argentin, le sang du président n’a fait qu’un tour : pas question de «soutenir» un gouvernement communiste.

En prenant cette position, Milei rompt avec plus de trente ans de tradition argentine, ce pays ayant soutenu sans faille la condamnation du blocus, tout comme l’immense majorité des pays européens, qui en retour l’ont indéfectiblement soutenu dans sa demande de négociation avec le Royaume-Uni sur la question de la souveraineté sur les Iles Malouines (Falklands, pour les Anglais). Un soutien qui pourrait bien faiblir dans les années à venir, en toute conséquence.

Une nouvelle fois, le président ultra-libéral isole son pays sur la scène internationale. En effet, depuis son arrivée au pouvoir, l’Argentine, représentée par ce leader de plus en plus tourné vers l’extrême-droite, a rejeté : l’égalité des sexes, la lutte contre le changement climatique, la défense des droits de l’homme, causes que Milei considère comme fers de lance d’un complot collectiviste ! (Página/12, 31/10/2024).

En réalité, le sort de Diana Mondino était scellé avant même son vote à l’ONU. Son éviction n’est qu’un épisode de plus de la vaste purge entreprise par Milei et ses deux plus fidèles acolytes (sa propre sœur Karina, qu’il a installée, moyennant un petit arrangement avec la loi, au secrétariat de la présidence, et Santiago Caputo, conseiller n°1) pour modeler l’administration à sa mesure.

Institutions carrément fermées (Comme celle des impôts, l’AFIP – pour administration fédérale des recettes publiques – dissoute et entièrement remodelée après purge de tous ses fonctionnaires), charrettes d’emplois publics, désignés à la vindicte populaire comme, au mieux, pistonnés, au pire, inutiles, coupes claires dans les budgets de l’Education et de la Santé, remise en cause de l’indépendance de la presse, criminalisation des manifestations populaires, Milei et son gouvernement surfent sur la vague autocratique qui semble s’être emparée d’une bonne partie du monde, où la démocratie ne cesse de reculer.

L’isolement, Milei n’en a cure. Lors de son intervention à l’ONU, il y a quelques semaines, il avait déclarée que celle-ci, comme la plupart des institutions publiques qu’il rêve d’exterminer jusqu’à la dernière, était aussi inefficace que superflue. Pour Milei, tout ce qui est public est inutile et doit être supprimé à terme, pour laisser la main invisible du marché gérer la marche du monde, entre saine et émulatrice cupidité naturelle de l’homme, et ruissellement des plus riches vers les plus pauvres.

Depuis cette intervention remarquée et largement commentée dans la presse mondiale, le président à la tronçonneuse est persuadé de faire partie des grandes voix de ce monde, et un, sinon le seul, des leaders charismatiques de l’univers tout entier. Une mégalomanie qui n’est pas sans rappeler celle d’un autre dingo tout aussi effrayant pour la survie d’une démocratie très chahutée ces temps-ci, et dont il semble partager à la fois les idées et le coiffeur.

Il semblerait toutefois qu’une certaine Argentine se réveille. Ces jours-ci, le pays a été totalement paralysé par une grève générale des transports, et la mobilisation ne semble pas devoir faiblir, en dépit des menaces de la ministre de l’intérieur, Patricia Bullrich, qui promet de faire arrêter les meneurs et de les envoyer en taule. (Un décret interdit le blocage des rues, ce qui permet par ricochet d’interdire de fait la plupart des manifestations populaires).

Gare ferroviaire de Retiro, Buenos Aires.

Certes, on est encore loin d’un mouvement de fond. La grande majorité de la population reste dans l’expectative, et l’attente de résultats économiques qui tardent à venir. A force d’austérité, l’inflation a fini par décrocher un peu, mais elle est contrebalancée par la forte augmentation de certains produits de première nécessité, à commencer par l’énergie et les loyers. Et, donc, les transports, dont le rapport qualité-prix est catastrophique, notamment au niveau du train, secteur particulièrement vieillissant en Argentine, et notoirement insuffisant pour ce territoire gigantesque.

Pour le moment, Milei peut continuer de compter sur la fracture qui divise toujours le pays en deux camps réconciliables. L’anti péronisme viscéral de la moitié de la population lui profite, en l’absence de réelle alternative à cette opposition usée et toujours représentée par une figure suscitant autant de haine que de soutien : Cristina Kirchner, présidente de 2007 à 2015.

3 septembre : Point actualité

Dans quelques jours, l’Argentine rentrera dans le printemps. Ouf, après cet hiver frisquet. Cela permettra peut-être de ramener quelques sourires sur des visages plutôt renfrognés, ces derniers temps.

Du côté des électeurs ordinaires, je veux dire par là, ceux qui n’ont pas de tendance politique bien définie et votent au gré du vent, on commence à déchanter. Fatigués par presque 20 ans de péronisme, déçus par la parenthèse de droite classique représentée par Mauricio Macri (président de 2015 à 2019), ils ont, comme on dit chez nous en parlant du RN, «essayé» l’anarcholibertaire Milei et son programme «mort à l’état et vive la liberté, bordel de merde !» (sic).

Celui-ci promettait, lui aussi (c’est la grande tendance plus ou moins populiste, si tant est que ce mot veuille vraiment dire quelque chose, du «rendre au ou à [mettez le nom du pays qui convient] sa grandeur». On allait voir ce qu’on allait voir, ces salauds de pauvres dévoreurs de prestations sociales, ces fainéants de fonctionnaires inutiles et trop payés, ces politiciens véreux qui ne pensent qu’à leurs fauteuils, ces juges laxistes qui laissent courir les délinquants, allaient danser le quadrille sous le feu nourri du nouveau shérif.

Fini le fric balancé à tort et à travers , finis les services publics subventionnés, fini le contrôle étatique des prix qui bride l’esprit d’entreprise, finies les lois iniques protégeant outrancièrement les employés et les locataires, fini le peso, remplacé par le dollar (Les États-Unis, surtout ceux de Trump, voilà un pays de cocagne), la main lourde de l’état allait être définitivement remplacée, pour le plus grand ravissement des foules enfin libérées, par la main invisible, sévère mais juste, du marché.

Huit mois après, la main en question est malheureusement trop visible. Augmentations en cascades des produits de première nécessité, alimentation, transport, énergie, baisse drastique, en conséquence, de la consommation, services publics au bord de la rupture après le licenciement de milliers de fonctionnaires, valeur du peso (toujours pas trace de son remplacement par le billet vert) réduite à sa plus simple expression : le salaire minimum aujourd’hui en Argentine s’exprime en centaines de milliers de pesos. Très exactement 234 315,12 pesos. On ne s’extasie pas : rapporté en euros, cela fait dans les 222€ (le peso est tombé sous la barre du millième d’euro, il en faut désormais 1053 pour faire un euro). Le salaire moyen, lui, selon les sources et les professions, oscille entre 380 et 700€. Quand on sait que le panier moyen pour une famille de quatre est d’environ 730€, on voit pourquoi certains font la grimace.

Ceci dit, c’est incontestable, les salaires du privé ont augmenté de façon sensible. Mais comme par ailleurs les prix n’arrêtent pas de monter (d’autant que le gouvernement a renoncé à tout contrôle des prix), la vie n’est donc pas plus facile. Au contraire.

Avec tout ça, qu’elle est l’ambiance ? Paradoxalement, ça tient. Je veux dire que Milei conserve envers et contre tout plus de soutiens que de rejet. On en est en août à un ratio de 44/37.

Milei a été aidé dernièrement par l’énorme scandale constitué par la plainte déposée par Fabiola Yanez, l’épouse de l’ex-président Alberto Fernández, pour violences conjugales. L’affaire est tombée à pic pour détourner l’attention des difficultés économiques et des querelles internes au gouvernement, où les passes d’armes, les claquements de portes et les démissions bruyantes se multiplient.

Dernière polémique en date : des députés Miléistes sont allés rendre visite dans leur prison à d’anciens tortionnaires de la dictature. Et pas pour les engueuler, mais bien pour les assurer de leur soutien et de leur compréhension. Une députée miléiste, Lourdes Arrieta, qui faisait partie de la délégation, a révélé à la presse les détails de la visite, et a quitté le groupe parlementaire, poussée par son propre mouvement, énervé de voir ainsi le scandale dévoilé. Elle prétend maintenant qu’elle ne savait pas qui étaient les prisonniers qu’on lui a présentés. Révélant ainsi son ignorance crasse de l’histoire de son pays.

La vice-présidente, Victoria Villaruel, elle-même fille d’un ancien militaire, a déclaré chercher une solution juridique pour sinon les amnistier, du moins leur permettre de recouvrer leur liberté. Nous avions déjà rapporté ici sa volonté de transformer le mémorial de l’ancien centre de torture de l’École de la marine en simple parc public.

Pendant ce temps, le taux de pauvreté augmente doucement. On en serait à 55%, selon les dernières estimations. Vous avez bien lu. Plus de la moitié des Argentins vit sous le seuil de pauvreté. Selon le politologue Andrés Malamud, le principal danger pour le gouvernement ne serait pourtant pas l’augmentation de la pauvreté, du chômage ou de l’inflation, mais bien la dévaluation constante de la monnaie et la valse des prix.

Je le cite : «Plus de la moitié des électeurs n’ont pas connu la crise de 2001 (article non traduit, hélas) et ce qu’ils ont retenu de la décennie passée c’est que la croissance a stagné et que tous les partis se sont succédé au pouvoir. Les retraités ne votent pas Miléi, le cœur de son électorat ce sont les jeunes, et principalement des hommes. Le point de fracture, c’est qu’il reçoit plus de soutien de la part des classes aisées, car de leur côté les classes défavorisées souffrent davantage de sa politique».

Mais pour l’instant, donc, ça tient. Pour diverses raisons. La première, c’est qu’il est rare de voir les électeurs se déjuger très rapidement après avoir envoyé un parti au pouvoir. La seconde, c’est que l’opposition péroniste non seulement est durablement discréditée (et le scandale conjugal de l’ancien président n’arrange rien, même si aux dernières nouvelles il serait en train de dégonfler un tantinet) mais qu’elle n’a guère de propositions alternatives, ni de personnalités charismatiques, à proposer. La troisième, c’est l’éternel fatalisme argentin, doublé de la féroce répression de tout mouvement populaire. Aujourd’hui, il est pratiquement impossible d’organiser ou participer à une manifestation de rue sans risquer l’arrestation.

Pendant ce temps, nos deux rugbymen français accusés de viol en réunion viennent d’être autorisés à rentrer en France par le procureur de Mendoza. Une décision encore en suspens, puisque la défense de la plaignante a sollicité une nouvelle expertise psychologique qui aura lieu mardi prochain, ce qui repousse la remise en liberté.

Une remise en liberté conditionnée à la garantie que les accusés se soumettent à certaines restrictions : rester localisables, pointer régulièrement au consulat d’Argentine, et revenir à Mendoza à la moindre sollicitation de la justice de ce pays.

Sur le fond, l’instruction a exprimé ses doutes quant à la plainte, relevant des contradictions dans le témoignage de la plaignante, et «son ton enjoué lors d’une conversation téléphonique avec une amie le jour de son agression». La partie civile a posé une demande de dessaisissement de deux juges en charge de l’instruction, Dario Nora et Daniela Chaler, pour «violence morale et partialité».

A suivre…

Quelle classe moyenne à Buenos Aires en 2024 ?

Le quotidien La Nación a réalisé récemment une intéressante enquête concernant le revenu moyen d’une famille portègne type ( un couple et deux enfants mineurs) en 2024. En partant d’une question toute simple : quel est le seuil de revenu nécessaire pour être aujourd’hui considéré comme partie intégrante de cette classe sociale ?

Attention en préalable : on ne parle ici que du revenu d’une famille de la capitale, pas de la province, où les niveaux de revenus sont naturellement plus bas, comme dans la plupart des pays.

Attention également : ces chiffres, qui vont paraitre très bas pour nous autres Français, sont à mettre en regard du coût de la vie argentin, bien entendu. Par exemple, un appartement de trois pièces se loue 600 euros environ aujourd’hui. Dans la capitale ! Ce qui ferait rêver bien des Parisiens !

Le quotidien fait une comparaison significative. En 2023, il fallait environ 340 euros mensuels pour être considéré partie prenante de la classe moyenne. Un an plus tard, avec plus de 290% d’inflation, il faut déjà multiplier ce chiffre par quatre : on est passé à 1300 euros mensuels !

Et encore, ceci est valable si vous possédez votre logement. Un locataire, lui, aura donc besoin de près de 2000 euros pour être classé « moyen ».
Compte-tenu de cette révision à la hausse, le seuil de pauvreté, lui aussi, doit revoir sa base. Maintenant, c’est sous 470 euros mensuels environ qu’une famille peut-être considérée comme indigente.

Graphique pauvreté. Pour info, pour avoir les chiffres en euros, il suffit au cours d’aujourd’hui de diviser par 1000. En gros.

On le voit, l’économie argentine est sens dessus dessous, avec une accélération brutale des niveaux de seuil. Naturellement, les prix suivent, ou plutôt précèdent. Le coût de la vie a bondi, et continue de grimper de façon vertigineuse, dans une escalade prix-revenus incontrôlable.

Le taux de pauvreté semble devoir se fixer autour de 50% de la population. Ce qui est évidemment énorme.

Où en est donc l’Argentine, après six mois de gestion ultra-libérale ? On le voit, l’inflation a continué de galoper. D’après La Nación et les commentateurs favorables au gouvernement, elle serait en voie de stabilisation. A presque 300%, il serait temps. Mais les prix, eux, continuent d’augmenter, tandis que les salaires, même s’ils montent, peinent à suivre (45% sur ces derniers trois mois, à comparer avec les plus de 51% de hausse des prix).

Jeudi 9 mai, les syndicats ont organisé une grève générale, très suivie. Il n’y avait plus un chat dans les rues, plus de bus, plus de métro, administrations fermées, ainsi qu’une bonne partie des commerces. Comme dit le quotidien Página/12, on se serait cru revenu au temps du confinement.

Jour de grève sur l’Avenue de Mayo. Au fond, le palais présidentiel.

Pour le moment cependant, le président anarcho-capitaliste garde une certaine confiance, son taux de satisfaction se situant autour de 50%. Il faut dire que l’opposition, en regard, n’est pas encore prête à remonter la pente. Les péronistes restent très impopulaires, surtout justement dans les classes moyennes et supérieures, et le gouvernement actuel, non sans quelque raison d’ailleurs, lui fait porter le chapeau à très larges bords d’une situation économique qui, selon Milei, le président, le contraint à des mesures drastiques d’austérité. Reste à savoir si les mesures en question ne se révéleront pas, à terme, pire que le mal, ce que prophétisent certains économistes, et pas tous de gauche.

Un accident terrible vient d’avoir lieu entre deux trains de banlieue, dans le quartier de Palermo (Buenos Aires). Pas de mort au moment où j’écris cet article, mais 90 blessés, dont 55 à l’hôpital. Un train en mouvement en a percuté un autre arrêté sur la même voie. Aucune signalisation d’urgence pour éviter la catastrophe : les câbles avaient été volés, mais pas remplacés. Il n’y a plus d’argent pour entretenir le chemin de fer public.

Le chemin de fer en Argentine, c’est une longue histoire, avec pas mal de relents coloniaux. Au début du XXème siècle, le réseau avait été sous-traité aux Anglais, qui avaient obtenu des contrats léonins (comme souvent) pour l’exploiter et en tirer les plus gros bénéfices. Pas bêtes, ils en avaient exigé le monopole. Comme ça, pas de danger de concurrence. Perón les avait nationalisés dans les années 50, à un prix d’or qu’on lui a beaucoup reproché.

Jusqu’à l’arrivée de Carlos Menem à la présidence, en 1989, l’Argentine comptait 36 000 kilomètres de ligne. Menem en a fait fermer l’essentiel : il en reste environ 9 000 (En France, pays 5 fois plus petit, on en compte 28 000 !).

Et, donc, avec une maintenance publique de plus en plus fragile. L’essentiel du réseau aujourd’hui ne dessert plus, grosso modo, que la Capitale et sa grande banlieue. Dans des trains en mauvais état, en nombre insuffisant (ils sont régulièrement bondés) et plutôt lents. Les accidents ne sont pas rares.
Comme de juste, le président Milei a profité de l’accident pour en remettre un coup sur la nécessaire privatisation des chemins de fer. Technique anglaise là encore, utilisée avec grand succès avec le métro londonien : l’état coupe le robinet, l’entreprise est étranglée, reste plus qu’à la vendre au plus offrant. Tant pis pour le service public.

Bon, et à part ça qu’est-ce qui se passe ? Eh bien en ce moment, on est en pleine foire internationale du livre à Buenos Aires. Une des plus importantes du monde, elle dure cette année du 25 avril au 13 mai. Trois semaines ! Il parait que notre David Foenkinos figure parmi les invités d’honneur. Nul doute qu’il saura causer dans le poste, il passe très bien à l’écran !

24-03-2024: commémo sélective

Aujourd’hui 24 mars 2024, on commémore en Argentine un autre 24 mars nettement plus sinistre : celui de 1976, date du coup d’état militaire ouvrant sur une dictature de 7 ans.

Enfin, on commémore, ça dépend qui. Car en ce début de règne miléiste, la tendance semblerait plutôt être à l’oubli. Suivez mon regard, plutôt en biais vers la droite.

Il est vrai qu’une large majorité des électeurs de Javier Milei, qui a cartonné chez les 18-35 ans, n’a pas connu la dictature. Mais même les plus âgés semblent aujourd’hui avoir quelques trous de mémoire.

On me dira que c’est un phénomène classique. En Italie, il y a longtemps qu’on a soldé le fascisme mussolinien, qu’on n’est pas loin de réhabiliter par l’entremise de la dernière présidente en date, Giorgia Meloni. En Allemagne et en Espagne, des partis se réclamant plus ou moins ouvertement de l’héritage nazi ou franquiste paradent au parlement et sur les plateaux télés.

La France, où on prédit un résultat record pour le RN aux Européennes de juin, n’échappe pas au phénomène. Les Brésiliens, 21 ans de dictature entre 1964 et 1985, n’ont pas hésité à élire Jaïr Bolsonaro, un nostalgique du bon temps des militaires, entre 2019 et 2023.

Le processus est toujours le même. Après la chute d’une dictature, à peu près tout le monde, de droite à gauche, est d’accord pour vouer les tyrans aux gémonies et acclamer le retour à la démocratie. Puis, peu à peu, la mémoire fatigue, et s’efface. Arrivent sur le marché politique des plus jeunes, qui n’ont rien connu des années noires, et, qui, pour certains, n’hésitent pas à idéaliser une période qu’ils n’ont pas vécue. Là encore, du classique : «c’était vachement mieux avant».

Milei et ses supporters n’échappent pas à la règle. D’autant moins qu’ils comptent dans leur cénacle quelques enfants de militaires, comme la vice-présidente Victoria Villaruel, fille et nièce de tortionnaires revendiqués.

Symbole de ce changement radical, là aussi, dans le regard porté sur les années de dictature, le gouvernement a réduit drastiquement les subventions à la plupart des institutions mémorielles. Selon Pagina/12 qui s’en fait l’écho, -37,25% pour la Banque de données génétiques (qui aide à retrouver les bébés nés en détention, enlevés à leurs mères et remis à des familles «sûres»), -56% pour les Archives nationales de la mémoire, -76% pour l’entretien des espaces et sites dédiés au souvenir.

Victoria Villaruel, pendant la campagne, a présenté un plan pour transformer la sinistre ESMA (Ecole supérieure de la marine, centre de torture entre 1976 et 1982), devenue un musée du souvenir sous la présidence de Nestor Kirchner (2003-2007), en parc de loisirs !

Grande salle de l’Ecole supérieure de mécanique de la Marine (ESMA), aujourd’hui centre mémoriel de la dictature.

Une simple lecture de la presse quotidienne en cette journée de commémoration donne une idée de cet effacement mémoriel.

A droite, les deux principaux quotidiens y font à peine allusion. Un article en une de La Nación, sous un titre parlant : « Marche du 24 mars : la gauche, le kirchnerisme (mouvement péroniste de gauche, NDLA) et les associations de Droits de l’homme se mobilisent ». Même chose chez Clarín, on met en avant une commémoration «de gauche», tout en annonçant la sortie d’un documentaire officiel sur la dictature, laissant entrevoir qu’on y remettra certaines pendules à l’heure. Et encore, ces articles sont à trouver en scrollant pas mal sur la page d’accueil de ces canards en ligne.

Infobae Argentine, pour sa part, propose un article de fond en une, bien dans sa veine «centriste» habituelle, intitulé « Coup d’état de 1976 : du «consensus social en faveur de la dictature» que reconnaissait Firmenich (Un des principaux chefs révolutionnaires, NDLA) au « pire gouvernement militaire de l’histoire » selon Massera (Amiral Emilio Massera, membre de la junte militaire) ». L’article n’est pas signé par n’importe qui : Juan Bautista Tata Yofre fut le chef des services de renseignements argentins sous la présidence de Carlos Menem (1989-1999), et au cœur, en 2008 d’un «watergate» local, piratage des courriels du couple présidentiel Nestor et Cristina Kirchner, pour lequel il fut opportunément mis hors de cause en appel en 2016, sous la présidence de Mauricio Macri.

Je conseille la lecture de cet article à tous ceux qui savent lire l’espagnol : question révisionnisme, il vaut le détour. Yofre s’y montre très subtil. Tout en critiquant l’action politique et économique des militaires, il les réhabilite par la bande en ressortant le vieil argument selon lequel ils auraient fait le sale boulot pour le plus grand profit de gens trop contents de ne pas se salir les mains eux-mêmes.

Il cite même le général Videla, premier des quatre dictateurs qui se sont succédé, s’adressant à ses juges :

«Que nous ayons été cruels, nous l’assumons. En attendant, vous avez une Patrie…nous l’avons sauvée comme nous croyions devoir le faire. Y avait-il une autre méthode ? Nous ne le savons pas, mais nous ne pensons pas que nous aurions pu réaliser d’une autre manière ce que nous avons réussi. Jetez nous la culpabilité à la figure et jouissez de nos résultats. Nous serons les bourreaux, vous serez les hommes libres».

Parmi les «grands» quotidiens nationaux, seul Pagina/12 propose une page d’accueil fournie en articles, accusant au passage le gouvernement actuel de, je cite, «nier, justifier ou même promouvoir les crimes contre l’humanité commis par les forces de répression».

On le voit, 50 ans après, les mémoires sont (re)devenues sélectives, et fortement corrélées aux tendances politiques des uns et des autres.

En Argentine comme ailleurs, le révisionnisme historique est comme un bouchon de liège. On le croyait définitivement noyé, il revient immanquablement à la surface. La tendance reste encore minoritaire dans l’opinion, mais ici et là, on commence à voir poindre des demandes de mise en liberté, voire d’amnistie, des militaires poursuivis. Jusqu’ici, sans succès. Mais jusqu’à quand ?

Pire que prévu !

Alors bon, je fais amende honorable : dans mon dernier article sur l’Argentine de Milei, le président à la tronçonneuse, je me suis montré piètre prévisionniste. J’annonçais une probable montée du seuil de pauvreté (40% de la population avant les dernières élections) jusqu’à 50%. Les derniers chiffres sortis par la presse argentine, et repris par les journaux français (y compris mon Ouest-France d’aujourd’hui !) font déjà état d’une poussée à plus de 57% ! Le quotidien en ligne Infobae prévoit même que ce chiffre devrait être largement dépassé à la fin de ce mois.

En cause, naturellement, les hausses de prix maousses dont je faisais état dernièrement. Plus, naturellement, l’effondrement de la monnaie nationale, qui oblige les Argentins de la classe moyenne à casser leur tirelire pour changer leurs derniers dollars planqués sous le matelas.

Un dollar amerlocain. Aujourd’hui, pour l’acheter, l’Argentin doit mettre 835 pesos. Plus du double par rapport à l’an dernier.

Milei continue de demander à ses concitoyens de serrer les dents, promettant que ses terribles mesures d’austérité, indispensables selon lui et ses supporters après des années « d’argent magique », de prix artificiellement contenus et d’interventionnisme étatique entravant l’économie, verront leurs premiers effets positifs… après le mois de mars !

Le voilà donc obligé de raccourcir les délais de ses promesses, lui qui il y a peu parlait encore de deux années difficiles à passer.

C’est que, face à l’effondrement en cours, et ses conséquences dramatiques pour les Argentins les plus fragiles, même les alliés de circonstance du nouveau pouvoir, à savoir, le PRO (Propuesta republicana, droite classique) et l’UCR (Union civique radicale, centriste), commencent à donner des signes de découragement et à prendre leurs distances.

Les plus critiques sont les gouverneurs de province élus sous ces bannières. En effet, ils ne digèrent pas facilement que le gouvernement ultralibéral leur ait coupé en partie les vivres, en suspendant les dotations budgétaires qui permettaient le bon fonctionnement des régions.

« Non seulement ils ne nous ont pas remerciés (de leur soutien, NDLA), mais ils nous traitent de la même façon qu’ils le font vis à vis des kirchernistes (les péronistes au pouvoir auparavant, NDLA), en s’asseyant sur les dotations aux régions. Milei nous insulte parce que nous avons refusé d’avaliser les 6 premiers articles de la Loi Omnibus comme il l’espérait, et par-dessus le marché il nous supprime les subventions au Transport et à l’Éducation. Face à autant de mauvais coups, nous ne voyons plus de raison de continuer à soutenir le gouvernement, nous ne nous sentons plus ni alliés ni interlocuteurs », s’épanche un gouverneur auprès d’Infobae.

Concernant le domaine de l’Éducation, justement (rappelons que Milei en a supprimé le ministère), les profs ont appelé à la grève. Le gouvernement, comme y faisait allusion le gouverneur ci-dessus, a suspendu le versement du FONID, fonds national destiné à promouvoir les actions éducatives dans les provinces, et dont celles-ci ont notamment besoin pour payer les enseignants.

École primaire argentine

Une grève qui pourrait bien affecter la rentrée (dans l’hémisphère sud, elle a lieu comme chez nous à la fin de l’été, c’est-à-dire là-bas en mars) dans 20 districts sur 24.

Même colère chez les syndicalistes, après les mesures de suppression des caisses de solidarité sociale gérées jusqu’ici par les syndicats, notamment des mutuelles de santé, et que Milei, qui les considère comme des « caisses noires », souhaite transférer au privé.

On le voit, la politique d’extrême ajustement économique commence à produire certains effets, mais pas ceux qu’espéraient ni le gouvernement, ni les Argentins.

Reste à savoir comment va évoluer la situation. Ce gouvernement, élu il y a à peine trois mois, conserve la confiance d’une majorité de citoyens (voir ci-dessous), pour lesquels il continue de représenter l’ultime espoir d’un changement radical dans un pays gangréné par la corruption, l’incompétence et l’immobilisme, et qui se trouvait dans une impasse totale. Reste à savoir s’ils ont misé sur le bon cheval, ou si celui-ci s’avère finalement aussi boiteux que ses prédécesseurs. Le spectre de la crise de 2001 continue de planer au-dessus du ciel argentin.

*

Derniers indices en cours :

Inflation

Le taux annuel s’établissait à environ 160% avant les élections. En décembre,  il grimpait à 211%, pour s’établir aux dernières nouvelles aux environs de 254%. Il semblerait cependant que le taux mensuel soit en voie de stabilisation, autour de 20% quand même. (Source : CNN espagnol et Infobae).

Popularité

Selon le quotidien La Nación, le gouvernement affiche encore un taux de confiance d’environ 56%. Mais 42% des gens affichent clairement leur désapprobation. Un différentiel (soustraction des opinions positives et des opinions négatives) de +14 très en deça de celui affiché après la même durée de fonctionnement par ses trois prédécesseurs. Après trois mois d’exercice, Alberto Fernández (péroniste) affichait un différentiel de +40%, Mauricio Macri (droite libérale) de +32%, et Cristina Kirchner (péroniste) +41%.

A noter que Milei reste plus populaire en province que dans l’agglomération de Buenos Aires, où il est en chute libre, à seulement 37% d’opinions favorables.

Milei, le Pape et la crise

Pendant sa campagne électorale, le futur président argentin Javier Milei n’avait pas eu de mots assez durs contre son compatriote le pape Francisco. Entre autres gentillesses, il l’avait taxé de « communiste » et de « représentant du diable sur terre ». Rien moins.

Car pour les Argentins de droite, le pape a beau être un compatriote, il reste un suppôt du gauchisme. Ses prises de position en faveur des plus pauvres, ses appels à la solidarité, et ses sorties pourtant timides sur l’homosexualité en font un dangereux déviant, un catho rouge.

Mais malgré tout, le pape reste populaire dans son pays, fier de ce premier pontife sud-américain de l’histoire. Et Milei n’a pas besoin, au moment où sa politique étrangle l’immense majorité des Argentins modestes, de froisser une communauté catholique qui lui a largement accordé ses suffrages.

Histoire de se forger une image de chef d’état qu’il n’avait pas encore, Milei a pris l’avion pour se montrer au monde. D’abord en Israël, où il est allé serrer la pince et assuré de son plein soutien Netanyahou, à qui il a même annoncé sa prochaine conversion au judaïsme. Puis en Italie, où il a fait étalage de son admiration pour Georgia Meloni, et donc, au Vatican.

On ne sait pas vraiment ce qu’ils se sont dit au cours de cette un peu plus d’une heure d’audience, peu de choses ayant filtré autres que les formules diplomatiques d’usage. Extrait :

« Au cours de cette conversation cordiale dans les locaux du Secrétariat d’État, les deux chefs d’État ont exprimé leur satisfaction quant aux bonnes relations entre le Saint Siège et la République Argentine, et leur désir de continuer à les renforcer. Puis ils ont discuté du programme du gouvernement pour affronter la crise économique, et ont abordé divers sujets de politique internationale ».

Rien que de parfaitement protocolaire, donc. Mais Milei en est ressorti tout fiérot, prétendant que « Le Pape s’était montré satisfait de son programme et de son contenu social ». Ce que le Vatican s’est bien gardé de confirmer ou d’infirmer.

Il est toujours difficile de savoir ce qui se passe dans la tête de Milei, capable de dire à peu près tout et son contraire dans une même conversation. En l’occurrence, cet adoucissement des relations semble répondre à la nécessité de s’assurer au moins de la neutralité de Francisco, au moment d’appliquer une politique durement ressentie par les Argentins les plus modestes : fortes hausses des prix alimentaires et des transports, diminution des salaires, chute de la monnaie, réduction drastique du financement des services publics, dont beaucoup devraient être privatisés à terme.

Vide-grenier près du Parque Centenario (Buenos Aires)

Alors, s’il faut dire maintenant que le Pape est « L’Argentin le plus important du monde » et que le diable d’hier est le saint d’aujourd’hui, pas de problème. L’essentiel, c’est que tout le monde croie le président sincère. Et pense que la Pape soutient sa politique.

Son passage en Europe, nonobstant, n’a pas déchainé les passions chez nous, tout comme son apparition au mythique forum économique de Davos ne restera mémorable que par les doutes qu’il semble avoir suscité chez des « décideurs » pourtant a priori très favorables à sa politique ultralibérale.

Certains journaux italiens en parlent avec une certaine ironie. La Republicca a titré « Mediums et chiens clonés. La solitude de Milei, le fou anarcho-libéral qui a ensorcelé les Argentins ». Vanity fair, quant à lui, pointe que « quand il parle, il semble toujours au bord de la crise de nerfs. Et du coup les Argentins, qui la vivent au quotidien, se sentent mieux compris » .

Elisabeth Piqué, dans La Nación, toute à son enthousiasme, qualifie l’entrevue de « dialogue constructif marqué par des gestes d’affection ». A l’issue, Milei a officiellement invité le Pape à venir visiter son propre pays. Mais celui-ci, prudent, a préféré ne pas s’engager, attendant sans doute de voir comment les choses tournent. « Ce voyage dépend de tant de choses », aurait répondu le Cardinal Fernández, bras droit du Pape, aux journalistes qui l’interrogeaient.

Coïncidence, juste avant de rencontrer le président Argentin, Francisco avait reçu l’économiste Italo-Américaine Mariana Mazzucato. Celle-ci étrille le libéralisme affiché de Milei, qu’elle qualifie de naïf et sans idée, ou plutôt une seule : la destruction de l’état.

Pour le moment, Milei, dont le mouvement ne compte qu’une minorité de députés, doit composer avec la droite traditionnelle pour appliquer son programme. Et ça ne va pas tout seul : sa fameuse loi omnibus, qui devait renverser la table, a été largement retoquée par le parlement, certains de ses nouveaux alliés se refusant à se laisser entrainer dans une spirale néolibérale qui n’offre pour le moment aucune garantie de succès.

La situation actuelle en Argentine est celle d’une crise en voie d’approfondissement. D’après Milei et ses partisans, ce sont les conséquences normales d’une politique visant à assainir une économie qui vivait sous perfusion de l’état. Il suffit de serrer les dents encore deux ans : lorsqu’enfin le train sera remis sur ses rails, s’ouvrira une période de félicité pour l’ensemble de la population. L’état oppresseur et affamé d’impôts aura été démantelé, et toute l’économie aura été confiée à la seule main invisible d’un marché enfin libéré de toute entrave réglementaire, fiscale et syndicale.

En attendant, donc, serrons les dents. Et la ceinture. La pauvreté, évaluée à 40% de la population avant les élections, ne devrait pas tarder à franchir le cap des 50. L’inflation continue de galoper (Milei a annoncé pendant la campagne qu’elle pourrait monter à 2500% !) et surtout, le coût de la vie est de moins en moins soutenable par les classes moyennes et défavorisées, qui ne peuvent plus compter sur des aides sociales de l’état dont Milei affirme qu’elles constituent « un vol » au détriment des « véritables acteurs économiques ».

Au 1er février, selon le site BDEX, le salaire moyen argentin était de 850€ mensuel. Avec des disparités, comme de juste, entre grandes entreprises (1190€) et TPE (550€). Un salaire médian qui n’a pratiquement pas bougé depuis 2023, tandis que les prix de la plupart des produits ont bondi en décembre de 25,5% en moyenne. Avec là aussi des disparités :

Produits alimentaires : 30%
Transports (bus et trains) : +250% envisagés, pour le moment suspendus. (en décembre : 32%)
Carburant : +6,5%
Mutuelles de santé : +40% en janvier, puis 28% de mieux en février
Téléphonie : +29% entre décembre et janvier
Énergie (électricité, gaz…) : certains fournisseurs projettent des augmentations de près de 90%, non encore approuvées (mais ça ne saurait tarder)

(Sources : CNN espagnol et La diaria.com)

Pour vous donner une petite idée, quelques comparaisons. Voici à quatre ans d’intervalle, l’évolution des prix de certains produits communs (Pour 2020, j’ai simplement utilisé mes archives perso) :

Vertigineux, non ? Notez cependant qu’en 2020, le peso était à 0,015 € environ. Aujourd’hui, il est à 0,0011€. Presque treize fois moins ! Autrement dit, pour nous, la variation est moindre : la bière est passée de 1,20€ à 1,54€, le bouquin de 7,50€ à 16,50€ (bah oui quand même !) et le kg de tomates de 0,93€ à 1,32€. Mais pour les Argentins, en revanche…

Mafalda et ses amis attendent la fin de l’orage !