L’immigration béarnaise en Argentine

Un documentaire sur les Béarnais d’Argentine

On le sait (et si on ne le sait pas, on pourra se reporter à nos articles sur le sujet, ici, mais également !), l’Argentine est un pays qui s’est bâti, en tant que nation indépendante, à partir du début du XIXème siècle, sur les gigantesques espaces pris aux peuples premiers. Un pays essentiellement colonial, et même plus que bien d’autres, puisque les indiens y ont été massacrés plus qu’ailleurs.

On a déjà cité à ce propos la célèbre formule : « Les Mexicains descendent des Mayas, les Péruviens des Incas, et les Argentins…des bateaux ». Autre manière de souligner que l’essentiel du peuplement de ce pays est dû aux différentes vagues de migrations qui se sont succédées, pour la plus grosse partie entre le milieu du XIXème siècle et le début du XXème.

Une immigration surtout européenne, stimulée par les différents gouvernements argentins à coups de campagne de pub, auxquelles ont répondu surtout, outre les Espagnols – filiation coloniale oblige – les Italiens, les Allemands, les Polonais, et un certain nombre de groupes originaires des Balkans.

Mais… et les Français dans tout ça ? Il y en eut, rassurez-vous. En moindre quantité, mais il y en eut. Des Basques, d’abord, mais cela n’étonnera personne si on pense que parmi les Espagnols, la majorité des immigrés venaient essentiellement du nord du pays : Galiciens, Asturiens, Cantabriques, et, bien sûr, Basques !

Donc, côté français, pas mal de Basques. Mais également, par une espèce d’effet domino, un bon nombre de Béarnais ! Dont certains ont laissé une empreinte très forte dans l’histoire, la culture ou l’économie du pays, comme par exemple la famille Pueyrredon, dont l’un des enfants, Juan Martín, a joué un très grand rôle dans la conquête de l’indépendance argentine, ou l’écrivain Adolfo Bioy Casares, grand ami de Jorge Luis Borges, ou encore la famille Lanusse, qui fera décoller le négoce de la viande bovine, qui deviendra un des piliers de l’économie argentine.
C’est de cette immigration spécifique dont parle un très intéressant documentaire, tournée en 2009 par Dominique Gautier et Agnès Lanusse (oui, Lanusse, tiens donc !) : Lo que me contó abuelito (Ce que m’a raconté Papy).

Ce film retrace, par l’entremise de nombreux témoignages de descendants et d’extraordinaires images d’archives, l’histoire de cette immigration béarnaise, de ses raisons, de sa place dans les grandes vagues migratoires qui ont peuplé l’Argentine, de ses joies, ses drames, et de la trace qu’elle aura laissé dans l’histoire de son pays d’accueil.

Pour cela, les cinéastes ont rencontré pas moins d’une trentaine de descendants de ces Béarnais voyageurs, arrivés à des époques très différentes, et, pour certains, très jeunes. Comme les ancêtres de Celina Madero, lancés dans l’aventure dès l’âge de quinze ans, ou Jeanne Hourgras, qui vient raconter comment, à seize ans, sa famille l’a expédiée contre son gré avec son cousin Fondeville.

Dure histoire que la sienne, qu’elle nous raconte pour l’essentiel en béarnais! A peine débarquée, ses prétendus employeurs n’en veulent plus : trop jeune, pas assez instruite. Deux mamies, elles aussi béarnaises, la prennent en pitié et l’emploient comme fille de compagnie. C’est ainsi qu’elle rencontre son futur mari, Charles Hourgras, lors d’un « asado » (pique-nique/barbecue typique en Argentine) dans les parcs du quartier de Palermo à Buenos Aires. Elle danse avec lui, mais cette petite maigrelette n’est pas la fille de ses rêves, dans lesquels il voyait plutôt une grande et belle femme ! Ils se marient quand même, et la voilà veuve, à peine trois mois après la naissance de leur enfant !

Dans certains cas, c’est le droit d’ainesse qui oblige les jeunes ruraux à s’exiler. C’est ainsi que les ancêtres maternels d’Amalia Calandra ont dû traverser l’Atlantique, pour trouver des terres à travailler : celles de la ferme familiale étaient réservées à leur ainé ! L’arrière-grand-père d’Amalia est arrivé un peu après 1850. Pas seulement pour une histoire de terres, mais également pour échapper aux guerres de Napoléon III !

Car la plupart étaient paysans, à la base. Le père de Pedro Petreigne est arrivé de Lucq en 1891, et a commencé à travailler comme peón (ouvrier agricole), puis, vers 1903, a pris 1300ha en location, en association avec un certain Lamarche, un Palois. (Comme le rappelle Pedro non sans malice, 1300ha, pour l’Argentine, c’était « tout petit » !)

D’autres sont devenus instituteurs. Juan Fabaron nous raconte ainsi que son arrière-grand-père (Un Fabaron de Labarthe de Rivière, en Haute-Garonne) et son arrière-grand-mère Cazaux (de Navarrenx) se sont rencontrés dans une école de San Andrés de Giles, dans la région de La Pampa.

Certains ont fait fortune, comme l’arrière-grand-père de Maria Cazale, Lucien Lourtet, devenu éleveur à la fin du XIXème siècle, ou Leon Safontas, qui aurait fondé la ville de Santa Rosa dans La Pampa, à 600 km au sud-ouest de Buenos Aires. D’autres, souligne l’historien Hernan Otero, beaucoup moins. On estime à environ 50% le nombre de migrants retournés au pays. Lorsqu’ils revenaient riches, cela se voyait aux maisons ostentatoires (autant que de style colonial) qu’ils se faisaient construire dans leur village natal. Mais la plupart, hélas, revenaient aussi pauvres qu’ils étaient partis.

Il faut bien voir qu’en Argentine, et ce jusqu’au milieu du XXème siècle, les familles les plus riches étaient essentiellement celles des propriétaires terriens. Comme le souligne Juan Archibaldo Lanus, il faut alors distinguer deux types de migrants : ceux qu’il appelle les « voyageurs », et les vrais émigrants. Les premiers sont arrivés avant les seconds, c’est-à-dire avant les grandes vagues d’immigration. Ils venaient de leur plein gré, pour voir du pays et tenter l’aventure. Ceux-là, les pionniers, se sont taillé la part du lion des terres agricoles. Les autres traversaient l’Atlantique par nécessité, économique, familiale, politique… Ils arrivaient sans un sou, vivaient tout un temps dans des conditions plus que précaires, et devaient accepter le travail qu’ils trouvaient, avant de peu à peu, s’insérer dans leur nouvelle société.

Mais, et tous les témoignages recueillis dans cet excellent documentaire le prouvent, tous ont laissé une trace profonde et durable de leurs origines, jusqu’aux générations actuelles. Même des jeunes comme Maria Eugenia Boutigue (dont les ancêtres béarnais arrivèrent en 1884 en Argentine) ou Jean-Louis Hourgras, le petit-fils de Jeanne, le soulignent : nés et élevés en Argentine, ne parlant que l’espagnol, nous sommes entièrement Argentins. «Mais, dit Maria Eugenia, nous savons l’importance de notre arbre généalogique, de connaitre nos racines. Nous savons que nous avons une famille en France, que nous ne connaissons pas, mais nous espérons faire le voyage un jour et la découvrir.».

Cahier retrouvé par Juan Fabaran, écrit par son arrière-grand-père.

Beaucoup l’ont d’ailleurs déjà fait. Maria Cazale est ainsi allée à Pau, et en a rapporté l’agréable et étrange sensation de s’y être sentie chez elle. C’est le cas également de Celina Madero, qui a fait le pèlerinage de Navarrenx, ou d’Elena Latour de Betbeder. Celle-ci raconte qu’elle est allée à Salies de Béarn en 1985 avec sa mère, et que cette dernière, en revoyant de vieilles camarades de classe, s’est mise à leur parler en béarnais, comme si elle n’était jamais partie ! Luis Hourgras, quant à lui, parle un français impeccable, et a même réussi, en écoutant sa mère, à apprendre quelques mots de béarnais !

Laissons le mot de la fin à Natalia Garrigou-Barrenechea, l’amie de Maria-Eugenia, qui clôt le film par ces mots très justes : Et ce qui est intéressant, c’est qu’à force de chercher, on finit par comprendre d’où on vient, et tu te dis, j’ai toutes ces origines, et finalement, je suis Argentine. On a une famille qui vient de partout, et tout ça mélangé génère une culture nouvelle, un pays nouveau, et on prend encore mieux conscience de son identité propre. Je ne me vois plus comme moitié française, moitié espagnole, moitié je ne sais quoi, je sais qu’ils viennent de partout et que finalement, je suis Argentine.

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Le film :

Lo que me contó abuelito, de Dominique Gautier et Agnès Lanusse.
Cumamovi-Créav Atlantique – 2009

Très belle musique du groupe « Menestrès gascons », en prime !
Sorti en DVD.

CREAV : 8 rue Paul Bert – 64000 PAU – 05 59 90 34 90 – contact@creav.net

CUMAMOVI : 27, avenue Honoré Baradat 64000 PAU – 05 59 06 49 22 (Site internet en reconstruction au moment de la publication du présent article)

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Sur youtube, le début du film :
https://www.youtube.com/watch?v=zjFM4Hnh8-w

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Les illustrations de cet article sont constituées de captures d’écran à partir du film.

Un grand merci à Alain, qui m’a fait découvrir ce très bon documentaire !

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