Victoire de Trump : perceptions argentines

Quand on est doté d’un président comme Milei, il est évident que le triomphe d’un type comme Trump ne peut laisser personne indifférent.
Il est encore un peu tôt pour juger des conséquences pratiques qu’aura le résultat de l’élection étatsunienne sur la politique et l’économie argentine. Pour cela, il faudra bien entendu attendre l’installation de Donald, en janvier.

En attendant, Milei, lui, a la banane, on s’en doute. Il se prend à la fois pour Mickey et pour Picsou. Et même pour Gontran, l’éternel veinard des BD de Disney.

A tel point, nous dit La Nación, que certains membres de son entourage n’hésitent même pas à s’approprier la victoire de Trump comme, en partie, la leur. « On l’a fait », les entend-on dire ici et là, cravates rouges (le rouge est la couleur des Républicains aux Etats-Unis) bien serrées au col. Milei et Trump ne se considèrent-ils pas aujourd’hui comme les dirigeants les plus importants du monde ? (Voir cet article de Clarín)

Tout à sa joie, Milei projette d’être un des premiers à faire le voyage de Washington, et discute déjà depuis un moment avec Elon Musk, qui est autant son ami, ne l’oublions pas, que celui de Donald. Bon, le premier, ça veut juste dire qu’il sera présent à la cérémonie d’intronisation, le 20 janvier. Avec, donc, pas mal d’autres chefs d’état. Mais au moins, il aura été le premier à le trompeter. Et quand même, il espère bien obtenir une entrevue privilégiée avant cela, dans la résidence personnelle de Trump, Mar-a-lago. (Voir à la fin mon ajout, après publication d’un article dans le quotidien espagnol El Pais).

Avoir un bon copain, voilà c’qui y a d’meilleur au monde, oui car un bon copain, c’est plus fidèle qu’une blonde… (G. Brassens)

C’est un vrai jeu de miroirs : quand Milei se regarde dans la glace, il doit voir Trump, et vice-versa. Tant ces deux-là ont de points communs. Au physique comme au politique. Passons sur le physique, ce n’est jamais beau de se moquer. Quant au politique, on voit ça d’ici : même cynisme, même nationalisme, même ultra-libéralisme débridé, même tendances populistes, mêmes penchants ultra-droitiers.

Question gouvernance, on pourrait même parler de deux clones. C’est Carlos Pagni, dans La Nación, qui le résume à mon sens le mieux. Je le cite :

Le gouvernement (…) perçoit la victoire de Trump comme un triomphe aux multiples dimensions. Pour beaucoup, Milei et son équipe se félicitent de ce triomphe parce qu’il augure d’abord de l’arrivée d’un chèque associé à un nouvel accord avec le Fonds monétaire international. Mais c’est une interprétation réductrice. Pour La libertad Avanza (parti de Milei, NDLA), cette nouvelle victoire du leader républicain signifie bien davantage.

Tout d’abord, elle représente le succès d’une méthode. Milei et son équipe, à l’égal d’autres acteurs politiques occidentaux, voient en Trump la validation d’une façon de faire de la politique, basée sur la radicalisation et la confrontation, véhiculée par les réseaux sociaux. Une gouvernance en opposition directe avec «l’establishment», «la caste». Pour ceux mus par cette logique, comme Milei, ce triomphe vient confirmer que cette méthode fonctionne, avec des conséquences qu’il conviendra d’analyser plus tard.

Une brutalisation de la vie politique déjà mise en œuvre en Argentine, où tout comme Trump a annoncé qu’il le ferait, le gouvernement a largement entamé un processus de purge de l’administration et de criminalisation de l’opposition, et notamment des syndicats et partis de gauche. Le but avoué : composer une administration «loyale», et en finir avec un fonctionnement démocratique vu comme un frein au développement d’une politique efficace.

Car comme dit un membre de l’entourage proche de Milei, à propos de la nomination de juges de la Cour suprême argentine dont la compétence et l’impartialité sont pour le moins contestées dans les milieux judiciaires : Nous devrons les nommer par décret, car le Congrès est un lieu d’obstruction, le grand agent qui empêche cette révolution que nous menons pour le bien-être de l’Argentine.

En ce sens, Trump bénéficie, lui, d’un avantage dont est loin de jouir Milei : un parlement à sa botte. Milei en rêve, et mise sur les élections de mi-mandat, qui auront lieu fin 2025, pour trouver la majorité qui lui manque pour le moment cruellement. Mais dont il a appris à se passer, bien aidé en cela par les divisions de l’opposition et le soutien des grands médias qui ne tarissent pas d’éloges sur le «nettoyage» en cours de la fameuse «caste» d’élites politiques discréditées.

Autre grand point commun : l’utilisation du mensonge comme arme létale, à la fois pour endormir les masses et assommer les adversaires. Pour se débarrasser des fonctionnaires en place, hautement suspects de tous travailler pour l’opposition (je dis bien tous, pas de détail chez Milei), rien de plus simple : ce sont tous des inutiles malfaisants, des surnuméraires dispensables, des traitres à la patrie dilapidant l’argent public, des corrompus et des fainéants. C’est ainsi que Milei, on l’a déjà raconté ici, a fait fermer l’AFIP, l’organisme de perception des impôts, pour en ouvrir un autre tout entier à sa botte, doté de fonctionnaires d’autant plus loyaux qu’ils seront révocables à merci. Ou qu’il fait fermer des hôpitaux.

L’élection de Trump est donc une excellente nouvelle pour les autocrates du monde entier, pas seulement de Milei. Les bouchons de vin à bulle ont dû sauter dans pas mal de pays le 7 novembre, suivez mon regard.

Et probablement chez nous également, où ces succès de régimes autoritaires confortent sans nul doute bien des espoirs du côté des amis de Cnews. Bientôt notre tour ?

Pour ma part, et on excusera cette intrusion personnelle dans cet article, j’ai nettement l’impression que nous sommes en train de (re)vivre l’épisode pourtant lointain de la décadence de Rome. D’ailleurs à ce propos, Santiago Caputo, l’âme damnée, conseiller privé de Milei, rêve tout haut, sur X, de son leader revêtu des lauriers de César. Citons encore Carlos Pagni :

(Caputo) professe une sorte d’admiration, ou de fétichisme, à l’égard de l’Empire Romain, (…) comme si notre époque révélait une forme de civilisation entrée en décadence durant ces dernières décennies. Il faudrait revenir à cela. Caputo imagine une Argentine impériale, dont Milei serait une sorte d’Empereur. Rien à voir avec un républicanisme pluraliste classique, il s’agit bien d’autre chose : une «République impériale» de concentration des pouvoirs, (…) un autoritarisme de marché assumé non par erreur ou incohérence, mais en tant que projet, qu’affirmation.

En somme, le marché, en tant que pouvoir suprême et incontestable. Un monde où tout serait marchandise. A ce propos je ne résiste pas à vous reproduire ici le petit dessin de Paz, dans Pagina/12 d’aujourd’hui :

Traduction :
– A chaque besoin correspondra un marché.
– Vous y incluez la santé et l’éducation publiques ?
– Bien sûr que non.
– Ce ne sont pas des marchés ?
– Ce ne sont pas des besoins.
(Source : Página/12 – 12/11/2024 – Dessin de Paz)

Un monde nouveau est en train de naitre, où enfin, l’air qu’on respire pourra être privatisé et faire l’objet de profits pour les plus méritants d’entre nous.

*

Mise à jour :

Milei a bien été reçu dans la résidence privée de Trump. Prem’s !

Le journal espagnol El País a publié un article commentant cette visite. Au cours de laquelle Milei n’a pas manqué de caresser Donald dans le sens du poil, sans oublier de s’auto-féliciter. Extraits :

«Cette victoire sans appel a constitué la plus folle « remontada » de l’histoire, un défi à tout l’establishment politique (…)»

Et un peu plus loin dans le discours :

«Un par un nous avons réglé les problèmes qui avaient été balayés sous le tapis ces dernières décennies en Argentine. (…) Seuls cinq pays se battent pour l’équilibre des finances : l’Argentine est l’un d’entre eux. Ce que je veux dire par là c’est que l’Argentine peut et doit être un phare pour le monde, le phare des phares, d’autant plus maintenant que le vent de la liberté souffle aussi sur le nord (j’aime bien le «aussi», NDLA) car le monde était tombé dans une profonde obscurité et supplie d’être éclairé».

Ce à quoi, naturellement, Trump a répondu en le félicitant de «rendre à l’Argentine sa grandeur», selon sa formule favorite. Make Argentina great again, quoi.

Diplomatie : l’Argentine s’isole

Un petit séisme vient de se produire ces jours derniers à l’intérieur même du gouvernement Milei : la ministre des Affaires étrangères, Diana Mondino, a été sèchement remerciée et remplacée par le jusqu’ici ambassadeur aux Etats-Unis, Gerardo Werthein.

La raison : lors d’une session à l’ONU, elle a voté, à l’unisson de tous les pays présents sauf les États-Unis et Israël, une motion condamnant le blocus américain envers Cuba. Un blocus aussi vieux que l’installation du castrisme dans l’île des Caraïbes, et dont souffre d’abord et avant tout, le petit peuple cubain, bien plus que ses inamovibles dirigeants.

Le vote de la résolution de l’ONU condamnant le blocus contre Cuba – 30 octobre 2024 – L’Argentine a voté en faveur de la résolution, pour la plus grande fureur de son président Javier Milei. On remarquera que seulement deux pays ont voté contre : les USA et Israël, un s’est abstenu, la Moldavie, et trois n’ont pas participé au vote : l’Afghanistan, l’Ukraine et le Venezuela.

En apprenant le vote argentin, le sang du président n’a fait qu’un tour : pas question de «soutenir» un gouvernement communiste.

En prenant cette position, Milei rompt avec plus de trente ans de tradition argentine, ce pays ayant soutenu sans faille la condamnation du blocus, tout comme l’immense majorité des pays européens, qui en retour l’ont indéfectiblement soutenu dans sa demande de négociation avec le Royaume-Uni sur la question de la souveraineté sur les Iles Malouines (Falklands, pour les Anglais). Un soutien qui pourrait bien faiblir dans les années à venir, en toute conséquence.

Une nouvelle fois, le président ultra-libéral isole son pays sur la scène internationale. En effet, depuis son arrivée au pouvoir, l’Argentine, représentée par ce leader de plus en plus tourné vers l’extrême-droite, a rejeté : l’égalité des sexes, la lutte contre le changement climatique, la défense des droits de l’homme, causes que Milei considère comme fers de lance d’un complot collectiviste ! (Página/12, 31/10/2024).

En réalité, le sort de Diana Mondino était scellé avant même son vote à l’ONU. Son éviction n’est qu’un épisode de plus de la vaste purge entreprise par Milei et ses deux plus fidèles acolytes (sa propre sœur Karina, qu’il a installée, moyennant un petit arrangement avec la loi, au secrétariat de la présidence, et Santiago Caputo, conseiller n°1) pour modeler l’administration à sa mesure.

Institutions carrément fermées (Comme celle des impôts, l’AFIP – pour administration fédérale des recettes publiques – dissoute et entièrement remodelée après purge de tous ses fonctionnaires), charrettes d’emplois publics, désignés à la vindicte populaire comme, au mieux, pistonnés, au pire, inutiles, coupes claires dans les budgets de l’Education et de la Santé, remise en cause de l’indépendance de la presse, criminalisation des manifestations populaires, Milei et son gouvernement surfent sur la vague autocratique qui semble s’être emparée d’une bonne partie du monde, où la démocratie ne cesse de reculer.

L’isolement, Milei n’en a cure. Lors de son intervention à l’ONU, il y a quelques semaines, il avait déclarée que celle-ci, comme la plupart des institutions publiques qu’il rêve d’exterminer jusqu’à la dernière, était aussi inefficace que superflue. Pour Milei, tout ce qui est public est inutile et doit être supprimé à terme, pour laisser la main invisible du marché gérer la marche du monde, entre saine et émulatrice cupidité naturelle de l’homme, et ruissellement des plus riches vers les plus pauvres.

Depuis cette intervention remarquée et largement commentée dans la presse mondiale, le président à la tronçonneuse est persuadé de faire partie des grandes voix de ce monde, et un, sinon le seul, des leaders charismatiques de l’univers tout entier. Une mégalomanie qui n’est pas sans rappeler celle d’un autre dingo tout aussi effrayant pour la survie d’une démocratie très chahutée ces temps-ci, et dont il semble partager à la fois les idées et le coiffeur.

Il semblerait toutefois qu’une certaine Argentine se réveille. Ces jours-ci, le pays a été totalement paralysé par une grève générale des transports, et la mobilisation ne semble pas devoir faiblir, en dépit des menaces de la ministre de l’intérieur, Patricia Bullrich, qui promet de faire arrêter les meneurs et de les envoyer en taule. (Un décret interdit le blocage des rues, ce qui permet par ricochet d’interdire de fait la plupart des manifestations populaires).

Gare ferroviaire de Retiro, Buenos Aires.

Certes, on est encore loin d’un mouvement de fond. La grande majorité de la population reste dans l’expectative, et l’attente de résultats économiques qui tardent à venir. A force d’austérité, l’inflation a fini par décrocher un peu, mais elle est contrebalancée par la forte augmentation de certains produits de première nécessité, à commencer par l’énergie et les loyers. Et, donc, les transports, dont le rapport qualité-prix est catastrophique, notamment au niveau du train, secteur particulièrement vieillissant en Argentine, et notoirement insuffisant pour ce territoire gigantesque.

Pour le moment, Milei peut continuer de compter sur la fracture qui divise toujours le pays en deux camps réconciliables. L’anti péronisme viscéral de la moitié de la population lui profite, en l’absence de réelle alternative à cette opposition usée et toujours représentée par une figure suscitant autant de haine que de soutien : Cristina Kirchner, présidente de 2007 à 2015.

30-08-2024 L’affaire des rugbymen français

C’est la rentrée pour notre blog irrégulomadaire, qui comme tout le monde ou presque, a profité de l’été pour se consacrer avec toute son énergie défaillante à l’étude des bienfaits de la paresse, des mérites comparés du Spritz à l’Apérol ou au Campari, et à la recherche désespérée d’une herbe à maté potable dans les magasins de son département.

Notez qu’en Argentine, ce n’est pas du tout la rentrée : ils entrent au contraire dans leurs dernières semaines d’hiver. Pas trop tôt selon mes correspondants : celui-ci, d’hiver, a été copieusement arrosé à Buenos Aires, avec des températures à réjouir les nombreux négationnistes argentins du changement climatique.

Ceci dit, ces derniers temps, l’actualité argentine n’a pas non plus affiché des scoops bien saignants. La politique et ses aléas occupent toujours le gros des unes des journaux, avec le « futbol », bien entendu, et, un peu quand même, les jeux olympiques, où les engagés locaux n’ont pas particulièrement brillé : 52èmes au tableau des médailles, avec une en or, une en argent et une en bronze. 4ème place en Amérique latine, derrière même le petit Equateur, et assez loin de Cuba et du Brésil. Pas de quoi réveiller la fibre nationale.

Mais c’est quand même, indirectement, le sport qui a assuré une partie des dépenses d’encre des canards argentins cet été, et ce, grâce à deux jeunes français cherchant sans doute à maintenir haut le flambeau de notre réputation de pays de l’amour.

Vous en avez sans doute entendu parler. L’équipe de France de rugby était en tournée en Argentine début juillet. Le 6, elle jouait à Mendoza, ville connue pour être le fief des vignobles locaux. C’est connu, les jeunes français, comme les autres, aiment s’amuser. Et en rugby, les après-matchs sont réputés pour leur côté festif. Deux jeunes joueurs, le Rochelais Oscar Jégou et le Montpelliérain Ugo Auradou, sont allés en boite. Rien de bien extraordinaire. Sauf que quelques temps après, ils étaient la cible d’une plainte pour viol de la part d’une femme de trente-neuf ans.

En gros : elle aurait fait la connaissance d’Ugo Auradou dans la boite en question, et aurait accepté de l’accompagner à son hôtel. Sauf que rien ne se serait passé comme attendu. A l’arrivée, Oscar Jégou les a rejoints dans la chambre. Les deux français, comme on s’en doute, n’étaient pas vraiment à jeun. Selon la plaignante, ils lui auraient fait subir un viol en réunion, assorti de violences diverses.

Les deux rugbymen ont en conséquence fait l’objet d’une mise en garde à vue, puis d’une assignation à résidence en vue de leur procès. Comme de juste dans ce genre d’affaire, difficile de connaitre avec certitude la réalité des faits. Bien entendu également, Jégou et Auradou jurent que la femme était consentante. Pas de témoin, évidemment, et les caméras de l’hôtel n’ont enregistré que les passages dans les parties communes, hall, ascenseur, couloir. Où il ne s’est rien passé de répréhensible.

La justice argentine est prise entre deux feux.

D’un côté, la pression populaire, de moins en moins tolérante avec ce genre d’affaire, et d’autant moins que ce pays est en pointe dans la lutte contre les violences faites aux femmes (Enfin, était, avant que Milei n’arrive au pouvoir et ne sucre les subventions aux organisations de défense des droits des femmes). Sans parler du fait que les accusés portent deux stigmates assez lourds. Un, ce sont des joueurs de rugby, groupe sportif particulièrement mal vu en Argentine, surtout depuis l’affaire de l’assassinat d’un jeune en sortie de boite, en janvier 2020, commis par une bande de dix rugbymen avinés. (Cinq condamnations à perpétuité, 3 à 15 ans de prison). Deux, ils sont étrangers. Pas que les Français soient particulièrement mal vus en Argentine, au contraire, mais des sportifs professionnels…

De l’autre, la pression gouvernementale. Pas facile de s’en prendre à deux ressortissant étrangers, personnages plus ou moins publics de surcroit, sans déclencher immédiatement des difficultés d’ordre diplomatique.
Par ailleurs, on imagine bien que Javier Milei, président marqué à l’extrême-droite, ne se sent pas spécialement concerné par la défense des droits des femmes (Voir ci-dessus).

Où en est-on aujourd’hui, après un mois et demi de tergiversations de la justice ? Celle-ci a fini, sur les instances répétées des avocats des rugbymen, par leur accorder la liberté conditionnelle. Ils ont été placés en résidence surveillée, et privés de leurs passeports. Mais leur cas est loin d’être statué. Le plus probable est que la justice finisse par laisser pourrir, et classer l’affaire. Tant pis pour la plaignante, qui n’aura pas su, ou pas pu, apporter de preuves suffisantes de l’agression qu’elle avait subie. Comme trop souvent dans ce genre d’affaires, le doute joue toujours en faveur des accusés : manque de preuves matérielles, pas de témoins oculaires, absence d’aveux.

Mardi dernier, le 27 août, il devait y avoir une nouvelle audience, au cours de laquelle devait être notamment pratiquée une expertise psychiatrique de la plaignante. Celle-ci ne s’est pas présentée, selon son avocate, pour raisons de santé. Elle a tenté par deux fois de se suicider, dont la dernière vendredi dernier, 23 août. On ne sait pas encore si cette audience sera reprogrammée plus tard, ou si l’instruction sera purement et simplement donnée pour close. Ce qui pourrait accélérer le processus de classement (non-lieu, chez nous), réclamé par l’avocat des rugbymen.
On en est là pour le moment. Très commentée en juillet, l’affaire commence doucement à s’effacer des gazettes argentines, et il faut utiliser les moteurs de recherche pour trouver trace des derniers articles publiés. En France également, l’affaire ne fait plus autant de bruit. Libération y fait allusion dans son édition du 27 août dernier, sans apporter davantage d’information que ce qui vient de vous être relaté ici.

Difficile de faire la part des choses, et il est probable que la vérité ne sera jamais mise au jour. On ne peut hélas que constater, en revanche, que dans ce domaine, peu de choses semblent se décider à bouger. Paresse de la justice, lenteur de l’investigation, pressions politiques et diplomatiques, partialité des milieux sportifs (chez nous, Jégou et Auradou ont fait l’objet, dans les gazettes sportives, pour le moins, d’une certaine solidarité).

Personnellement, je reste dubitatif quant au comportement de ces deux sportifs. Si l’affaire est classée, comme cela semble en prendre le chemin, la plaignante restera durablement marquée : en effet, si c’est le cas, cela voudra dire qu’on considère qu’elle était consentante. Il ne restera d’elle que l’image d’une femme débauchée cherchant ensuite à tirer profit de sa débauche, en accusant deux malheureux jeunes qui avaient eu la malchance de croiser sa route et se laisser séduire.

C’est peut-être le cas. Mais si au contraire, les faits se sont déroulés comme elle les a décrits, à savoir, qu’elle avait effectivement accepté de suivre Jégou, mais qu’ensuite, elle s’est retrouvée piégée entre deux types ivres et violents qui lui ont fait subir des sévices sexuels, elle devra vivre avec. Sans rémission.

L’éternel dilemme des affaires de viol.

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Ben non, pas de photo aujourd’hui. Question de droits. Vous en trouverez dans les liens fournis dans l’article, notamment dans le journal Libération et dans Pagina/12.

Salauds de pauvres !

Hier soir, le journal de la chaine franco-allemande ARTE a passé un court reportage sur le problème des soupes populaires (comedores comunitarios – réfectoires ou restaurants populaires, en espagnol) en Argentine.

Dans ce pays où le taux de pauvreté dépasse désormais les 50% de la population totale, ces comedores représentent pour beaucoup le seul lieu où trouver un peu de nourriture quotidienne, un peu comme les Restaus du cœur chez nous.

Le nouveau président ultra-libéral Javier Milei, dont on a déjà pas mal parlé sur ce blog, considère que les pauvres sont responsables de leur situation, que les aides sociales sont un vol commis envers la société dans son ensemble, et que la main invisible du marché est mieux à même que l’état providence de régler les problèmes de pauvreté et d’inégalité.

Par ailleurs, ces fameux comedores ont un gros défaut : ils sont gérés par des gauchistes. Pire : des militants. Ce qui devait arriver est donc arrivé : le gouvernement a déniché quelques cas de corruption et de détournements de fonds et de stocks de nourriture pour remettre en question tout le système d’entraide sociale, et fermer la plupart des soupes populaires.

Qu’il y a ait eu des irrégularités, c’est probable. Même chez nous, les restaus du cœur et autres soupes populaires attirent des margoulins prêts à profiter de la misère pour s’en mettre dans les poches. Il n’y a pas longtemps, une amie m’a raconté l’histoire de cette bénéficiaire du Secours populaire qu’on a retrouvé sur un marché revendant les fripes qu’elle avait récupérées gratuitement. Est-ce que pour autant cela doit remettre en question tout le système d’aide aux démunis ?

Milei a donc sauté sur l’occasion pour mettre un terme à ce scandaleux assistanat géré par des communistes (sic). Résultat : des milliers de tonnes de nourriture pourrissent, entassés dans des hangars, puisqu’il n’y a plus personne pour les distribuer.

Après une plainte déposée notamment par Juan Grabois, ancien candidat péroniste de gauche (battu aux primaires) à la présidentielle de 2023, la justice argentine a sommé l’État de rouvrir les restaus populaires et d’organiser la distribution des aliments. Ce qu’il a fait, par l’intermédiaire de l’armée, cette fois. Mais, selon le quotidien de gauche Pagina/12, en privilégiant les provinces qui ont bien voté, et en évitant soigneusement celles gérées par l’opposition. Exemple : la province de Buenos Aires, qui compte plus d’un tiers de la population totale d’Argentine, n’a reçu que 2% des aliments de secours.

L’attaque contre les restaus populaires a commencé dès décembre dernier. Le système actuel date de la grande crise de 2001, une période de chaos économique total qui avait conduit à des émeutes de la faim. (Pour ceux qui s’y intéressent, voir sur ce blog l’article sur Carlos Menem, le président ultra libéral, un des modèles de Milei, qui a gouverné de 1989 à 1999 et dont la politique a mené à ce chaos. Voir également le film de Pino Solanas «Memoria de un saqueo», Mémoires d’un saccage, ici).

Pour dénoncer une prétendue fraude massive et des restaus fantômes (comedores fantasmas), la super ministre Sandra Pettovello s’est appuyée sur un registre d’inscription datant du confinement de 2020, et non actualisé depuis. A l’époque en effet, il y avait eu de nombreuses déclarations d’ouvertures qui n’ont pas été suivies d’effet. D’où, forcément, des trous dans la raquette ! (Voir ici, paragraphe 4). Mais l’opportunité était trop belle de pouvoir dénoncer des abus. Selon le ministère, il n’aurait trouvé que 52% de restaus fonctionnant effectivement en tant que tels ! Mais on ne précise pas si les autres auraient reçu effectivement de la nourriture : on ne s’intéresse ici qu’aux documents papier.

Le gouvernement affirme qu’il ne vise que les restaus où auraient été détectées des irrégularités. Mais en réalité, c’est tout le système qui vient de s’effondrer. La distribution d’aliments est restée en suspens pendant de longues semaines, obligeant la plupart des lieux à fermer, purement et simplement, faute de ressources. Comme on l’a vu, cette distribution a repris récemment avec l’armée, mais de manière sporadique et très inégalement répartie.

Pendant ce temps, le super ministère du « Capital humain », comme c’est son titre, subit une véritable fuite des cerveaux. Je dis « super » ministère, car Milei, suivant sa volonté d’amaigrir significativement l’État, et de réduire drastiquement le nombre de ministères, a regroupé en un seul les anciens ministères du travail, de l’éducation, de la culture, de l’action sociale et de la famille.

Rien que ses derniers jours, ce sont 20 fonctionnaires qui ont présenté leur démission. Ou qui ont été limogés. L’ambiance est délétère. Le ministère est soupçonné d’avoir trempé dans des affaires de corruption concernant, justement, l’achat d’aliments destinés aux restaus populaires. Soupçons qui ont entrainé le limogeage du secrétaire d’état à l’enfance et à la famille, Pablo de La Torre. Un fusible.

Et Milei dans tout ça ? Il court les capitales, on l’a vu récemment à Madrid venir interférer dans la campagne électorale des européennes lors d’un grand meeting réunissant les extrêmes-droites, l’Espagnol Abascal, l’Italienne Meloni, la Française Le Pen, en tête. En profitant au passage pour insulter publiquement le premier ministre espagnol Pedro Sanchez et sa femme, qu’il n’a pas daigné rencontrer ! Il est allé également faire un tour à la Silicon Valley, retrouver son copain Elon Musk et les dirigeants de Google, avec lesquels il a discuté de son grand rêve : réformer l’état à l’aide de l’intelligence artificielle.

C’est vrai que les robots, ça ne risque pas de générer d’opposition. A ce propos, Milei a annoncé récemment un plan de limogeage de plus de 75 000 fonctionnaires. “¡Amo ser el topo dentro del Estado! Soy el que destruye el Estado desde adentro, es como estar infiltrado en las filas enemigas”, dijo estos días en una entrevista con el sitio californiano The Free Press. “J’adore être la taupe à l’intérieur de l’Etat ! Je suis celui qui sape l’Etat de l’intérieur, c’est comme infiltrer les lignes ennemies”, a-t-il déclaré dans une interview au site Californien Free press.

En réalité, Milei est complètement déconnecté de la politique, qui ne l’intéresse pas. Comme dit Martín Rodríguez Yebra dans La Nación : «Il communique avec la logique de l’algorithme, attendant juste que ses paroles trouvent un écho dans la grande bulle dans laquelle nous nous transformons en marionnettes de nos propres attentes. Il fantasme sur un gouvernement rationnel de l’intelligence artificielle qui nous délivrerait des tentations humaines qui nous conduisent au désastre.»

En somme, conformément au vœu le plus cher de cet anarchocapitaliste, l’Argentine n’est plus gouvernée !

Milei attaque l’État à la tronçonneuse

Las Luces de Ushuaia-Tierra del Fuego

Latitud 54° 47’ 59’’ sur, longitud 68° 17’ 59’’ oeste: aqui están las coordenadas geográficas de la ciudad donde decidimos pasar los últimos días del año 2007 y festejar la llegada del nuevo año.

Bien conocidas por los exploradores, los aventureros y ahora los turistas, esas coordenadas son las de la capital de la provincia argentina de “Tierra del fuego, Antártico e Islas del Atlántico sur” ubicada en la Isla Grande: la mítica Ushuaia.

Construida en la ladera de una colina azotada por los vientos y bordeada por el canal de Beagle, la ciudad de Ushuaia se considera la ciudad más sureña del mundo, por eso se llama “Ciudad del fin del mundo”.

Vista de Ushuaia desde el Canal de Beagle

Un apodo que le cuestionó varios años la base naval de Puerto Williams, ubicada en la Isla Navarino, en el otro lado del canal de Beagle. Una discusión zanjada por las Naciones Unidas: decidieron que Puerto Williams no podía reclamar el titulo por ser demasiada pequeña, ya que el mínimo para que se considere ciudad sería 20 000 habitantes.

UN POCO DE HISTORIA

La Tierra del fuego está separada del continente por un estrecho formando un corredor natural de 600 km entre los océanos Atlántico y Pacífico, estrecho que tiene el nombre del mismisimo navegante portugués, primer europeo en descubrirlo, Fernando de Magallanes.

Se cuenta que fueron los marineros de Magallanes, al asistir desde su barco al espectáculo de las hogueras en las colinas, quienes llamaron el lugar “Tierra de los humos y Tierra de los fuegos”. Carlos V de Habsburgo (El famoso Carlos Quinto) le daría luego el nombre definitivo de “Tierra del fuego”.

A lo largo de los siguientes siglos, se montaron varias expediciones europeas entrando en contacto por primera vez con los nativos.
En 1830, durante el primer viaje del “HMS Beagle” en Tierra del Fuego, los marineros capturaron a cuatro indios y los llevaron para presentarles a los reyes de Inglaterra.

Sólo tres de esos “salvajes” volvieron a la Tierra del Fuego, en enero de 1833, aprovechando la segunda expedición (1831-1836) del HMS Beagle, al mando del capitán Robert Fitz Roy, que llevaba también varios científicos entre los cuales el naturalista Charles Darwin.

El buque y su equipaje pasaron siete semanas en el sur de la Tierra del Fuego, un lugar por entonces desconocido. Un equipo bajó a tierra y se quedó allí todo el tiempo necesario para realizar estudios meteorológicos, astronómicos, zoológicos y botánicos así como etnológicos. Otro equipo se quedó a bordo y navegó a lo largo de las costas para realizar estudios tanto cartográficos como hidrográficos.

Fauna en el Canal de Beagle

Ushuaia, que significa “Bahía hacia el oeste” en idioma yámana (o yagán) empezó su historia en tanto colonia a mano de una misión anglicana al mando del pastor Waite Hockin Stirling, en 1869. Este mismo año a Hockin le sustituyó Thomas Bridges, autor del primer diccionario del idioma yagán, ese “Pueblo de las canoas” que vivió varios milenarios sin ningún contacto con el mundo exterior.

Luego, Bridges dejó la misión y se fue a vivir a la estancia Haberton que él mismo había fundado. Esta estancia se ubica a pocos kilómetros de la actual Ushuaia, en las orillas del canal de Beagle. Hoy en día la estancia todavía pertenece a la familia del pastor y se dedica a actividades turísticas.

Las primeras viviendas las construyó la American Missionary Society, sociedad misionera británica encargada de evangelizar a los pueblos autóctonos.

En cuanto a Francia, ese país organizó una expedición científica en Tierra del Fuego en 1882 -1883, en el marco del año polar internacional.

A Louis-Ferdinand Martial (1836-1885), explorador y capitán de fragata le confiaron el mando de la fragata La Romanche. El buque zarpó desde Cherburgo el 17 de julio de 1882 con 140 personas a bordo, para llegar a la Isla Hoste, a 40 km del Cabo de Hornos, el 6 de septiembre.

El objeto de la misión era realizar estudios geológicos, botánicos, zoológicos y etnográficos.

Los europeos asentados en Tierra del Fuego (ganaderos, pescadores, mineros de oro) cometieron masacres tremendas y propagaron enfermedades, casi erradicando los pueblos autóctonos. Los misioneros quienes acogieron los sobrevivientes no hicieron sino acelerar el proceso de decadencia evangelizándolos.

Una expedición argentina desembarcó en el territorio en septiembre de 1884 para instalar una prefectura. El 12 de octubre ondeaba por fin la bandera argentina en la provincia.

La ciudad se desarrolló primero en torno a una cárcel, el gobierno argentino inspirándose de las experiencias en las Islas del Salut en Guyana (Francia) y de los presidios británicos en Australia.

Pero el desarrollo arrancó de verdad en 1970 mediante la creación de una zona exenta de impuestos.

El descubrimiento de yacimientos de gas y de petróleo contribuyó también a la prosperidad de la economía local.

El turismo creció sobre todo a partir de los años 1980, la Tierra del Fuego aprovechando su imagen de fin del mundo y de punto de partida hacia el cabo de Hornos y el Antártico.

Parque nacional de Tierra del Fuego

MIS FAVORITOS

Lo tengo que admitir, es esa imagen fantaseada de Ushuaia que me atrajo primero hasta la punta austral del continente suramericano.

El peligro de los sueños es la posibilidad de desilusión que puede acaecer cuando la realidad no está a la altura de lo que habíamos imaginado.

Entonces el mito se viene abajo. Pero tal no fue el caso para mí.
A penas desembarcamos en el aeropuerto internacional de Ushuaia-Malvinas argentinas la ciudad cumplió con las expectativas. Gracias a la luz de fin de tarde veraniego, sentí una emoción indescriptible, un sentimiento de plenitud.

En tanto puerto con mucho bullicio, esta ciudad de arquitectura desordenada y colorada, amparada por los montes nevados de la cordillera Martial, beneficia de un sitio precioso favorable para los sueños de aventura.

Este 31 de diciembre, no teníamos nada mejor que hacer sino navegar por el canal de Beagle, disfrutando del paisaje de témpanos e islotes rocosos.

A bordo del yate Che, con un pequeño grupo de turistas brasileñas y españoles, nos fuimos rumbo al este, hacia el archipiélago Kashuna, también llamado “Islotes Les Eclaireurs” (el nombre lo atribuyó Louis Martial, por eso es en Francés).

El archipiélago está compuesto de varios islotes como “Los Pájaros” y “Los Lobos” donde se puede ver una colonia de leones de mar así como cormoranes. Cuenta con un faro construido en 1920, el Faro “Les Eclaireurs”.

El faro « Les Eclaireurs »

Se confunde a menudo este faro con el de San Juan del Salvamento, en la isla de los Estados, en la punta sureste de la provincia, faro que inspiró el escritor francés Jules Verne para su novela “El faro del fin del mundo”.

Cabe subrayar que un aventurero francés de La Rochelle, André Bronner, quien había descubierto este faro abandonado desde mucho tiempo, se empeñó en arreglarlo y en 1998, y gracias a la colaboración de los talleres Perrault, el faro de San Juan funcionó de nuevo. Y en 2000, construyeron un faro idéntico en la pointe des Minimes, en La Rochelle. Otra réplica se puede ver también en el museo marítimo y del presidio de Ushuaia.

Ushuaia también es el Cerro Martial. Culminando a casi 1300 metros de altitud, representa la mayor reserva de agua potable de la ciudad así como el mejor punto de vista hacia la bahía, los techos colorados, el canal de Beagle y más allá la cordillera de Darwin.

Un panorama realmente fantástico, siempre con esta luz tan agradable como especial.

Ushuaia vista desde el cerro Martial

Se sube al cerro por une carretera sinuosa de 7 km, luego tomando un teleférico y para terminar andando hasta el glaciar.

Ante todo representa para mí un recuerdo inolvidable haber pisado este glaciar del fin del mundo el primer día del año, ¡en la ciudad más austral del planeta!

10 km más allá de la ciudad se halla el Parque Nacional de Tierra del Fuego. Imposible no visitarlo, claro. Creado en 1960, el Parque da a la bahía de Lapataia (Bahía de la buena madera, en idioma Yagán), el único fiordo argentino del Canal de Beagle. Aquí también finaliza la ruta 3, final de la famosa carretera panamericana, la más larga del mundo.

En unos minutos dejamos el bullicio de la civilización para gozar de la tranquilidad y la belleza salvaje de una naturaleza perfectamente adaptada a las temperaturas bajas y los vientos violentos de la zona.

En esa naturaleza iluminada por una luz transparente casi irreal, reina aquí un ambiente de plenitud y de serenidad.

Bañada de esa luz tan especial, por cualquier lugar en que dirigimos nuestra mirada Ushuaia quedará eternamente al tope de mis recuerdos íntimos.
Una ciudad mítica, así de simple.

Texto : Patrick Richard
Traducción : Patrick Viannais (Lectura y correcciones Adelaida Ena Noval)

*

Véase también otros articulos del « Carnet de route »:

A lo largo del Qhapaq Ñan

Pasando por Mendoza y Maipú

Por la ruta 7, entre Argentina y Chile

Bahía de Lapataia

1946-1952 : Premier mandat

Nous ne tracerons ici que les grandes lignes de la politique suivie par Juan Perón lors de son premier mandat, en nous limitant aux réalisations et faits les plus marquants, qu’ils aient été positifs ou négatifs à la fois pour le pays, les citoyens argentins et pour Perón lui-même.

1. Le social

C’est de toute évidence dans ce domaine que l’action de Perón trouve son plus grand retentissement. Nous l’avons vu lors des articles précédents, Perón, poussé par son épouse Eva, et par la nécessité, pour conserver le pouvoir, de s’appuyer sur les syndicats ouvriers, en fera sa priorité. Il a préparé le terrain lors de son passage au ministère du travail, en faisant passer plusieurs lois favorables au monde ouvrier : statut de l’ouvrier agricole, augmentation des salaires, indemnités de chômage, de retraite. Ces mesures lui ont valu une grande popularité auprès des organisations de travailleurs, qu’il renforce en donnant au syndicat une véritable existence, par leur légalisation. En contrepartie, il entend également les contrôler, et les transformer en courroie de transmission de sa politique. Le principal d’entre eux, la CGT, deviendra ainsi le fer de lance du péronisme politique.

Le bâtiment de la CGT en 1953 à Buenos Aires.

En 1947, Perón rédige une liste de droits fondamentaux de l’ouvrier, qu’il fera ensuite voter par le parlement pour leur donner force de loi. Entre autres, figurent dans cette liste, outre bien entendu le droit au travail pour tous, le droit à la formation, à une juste rémunération, à des conditions de travail dignes, à la santé, à la protection de la famille. Tout au long de son premier mandat, il s’attachera à promouvoir l’amélioration des conditions de logement des ouvriers, et subventionnera largement, pour leurs enfants, les frais scolaires, par des distributions de matériel, de livres, ainsi que le développement de camps de vacances gratuits.

Par ailleurs, c’est durant ce premier mandat que les femmes argentines accèdent enfin au droit de vote.

Dans ce domaine social, Perón s’appuie largement sur une structure créée par sa femme : La Fondation Eva Perón, auprès de laquelle les plus pauvres peuvent avoir recours à tout moment en cas de difficulté. Tout cela n’est naturellement pas dénué de clientélisme, mais il n’en est pas moins vrai que durant toute cette période, la vie des travailleurs les plus humbles s’est considérablement améliorée, si on la compare avec la misère profonde dans laquelle ils étaient plongés jusque-là, quelle que soit la couleur du gouvernement en exercice. Pour la première fois, les gens modestes ont la sensation d’être intégrés au reste de la population, de faire partie de la nation. Ce n’est pas rien.

2. L’économie
 

Dans ce domaine, Perón, en bon militaire nationaliste, prend le total contrepied de ce que furent jusqu’ici les politiques suivies par les gouvernements civils précédents, qu’ils fussent conservateurs ou libéraux. En effet, et notamment durant la décennie infâme, l’Argentine se présentait comme une véritable passoire économique, plus ou moins soumise au bon vouloir des grandes puissances – et surtout la Grande-Bretagne – qui se comportaient en véritables entités néocolonialistes. On l’avait vu notamment lors de la signature du controversé accord Roca-Runciman, qui remettait les clés de l’économie argentine entre les mains des Britanniques. (On vous ouvre notre marché, mais en contrepartie, vous vous engagez à n’avoir qu’un seul fournisseur : nous. Et vous nous laissez prendre le contrôle de votre Banque Centrale). Pas, ou peu, d’industrie locale, des investisseurs, et donc des proprios, étrangers, une monnaie archi-dépendante, une agriculture encore archaïque, et un commerce extérieur notoirement déficitaire étaient les traits dominants de l’économie argentine de l’après-guerre mondiale.

Le crédo péroniste, c’est la quadrilogie marché interne/nationalisme économique/étatisme/industrie. Autrement dit, une bonne dose de protectionnisme couplé au développement de ressources propres.
Perón commence par nationaliser la Banque centrale de la république argentine, et crée des banques spécifiques à chaque secteur de l’économie, pour aider à leur financement. Puis il cherche à dynamiser le secteur agricole, en promouvant la mécanisation, d’une part, et le développement de l’industrie chimique d’autre part. Ensuite, il s’attache à poursuivre le développement de l’industrie légère, notamment les produits manufacturés, jusqu’ici largement importés.

Dans le même temps, par le biais des mesures sociales, il cherche à stimuler la consommation, afin de consolider le marché interne. Pour contrôler le déficit commercial qui s’annonce, alimenté par la forte demande et, en conséquence, l’augmentation des importations, il créé un nouvel institut national, le IAPI : Institut argentin de promotion des échanges. Un instrument qui lui permettra notamment de réinvestir une partie des bénéfices substantiels de l’agriculture, point fort de ce pays d’élevage, dans le développement de l’industrie. Ce qui fera râler les gros proprios terriens, naturellement. (Entre ça et le statut de l’ouvrier agricole, le contentieux commençait à être lourd !)

Le but principal, on le voit, est de faire de l’Argentine un pays réellement indépendant. De faire en sorte, donc, de ne plus dépendre (ou moins dépendre, ne soyons pas trop optimiste) des marchés extérieurs, en reprenant la main, par le biais de l’État, sur les ressorts de cette économie.

Pendant le premier mandat, Perón et son gouvernement créeront successivement quatre grandes entreprises nationales : la Société mixte sidérurgique argentine (SOMISA), la compagnie aérienne «Aerolineas argentinas» (qui existe encore aujourd’hui), la Compagnie des eaux et de l’électricité, et les Chemins de fer argentins (Ferrocarriles argentinos), rachetés par nationalisation aux Anglais. (Cette dernière nationalisation lui sera beaucoup reprochée plus tard, en raison de son coût très élevé).

En somme, si on s’essaie à comparer deux pays néanmoins nettement différents, Perón a appliqué à l’Argentine ce que nous Français avons connu également juste après la guerre sous l’égide du Conseil national de la résistance : un plan radical de création de services publics.

3. Politique extérieure

Tiens, justement, les relations avec les autres pays du monde. Perón, par sa politique résolument redistributive et protectionniste, se pose en héraut des plus humbles, et engrange une très grande popularité dans les milieux de gauche, d’Europe, bien sûr, mais surtout du tiers-monde, pour lequel il devient vite un exemple de leader indépendant. Lui-même ne rechigne pas à se poser en leader du «troisième monde», des non-alignés comme on dirait plutôt. Néanmoins, la principale caractéristique de la politique extérieure de l’Argentine sous Perón reste son pragmatisme. Perón est autant anti-communiste que nationaliste, et se tient à bonne distance des deux camps de la guerre froide.

Avec les États-Unis, cela a toujours été compliqué. La préférence donnée par les Argentins, dans leurs relations économiques, aux Anglais, a de tout temps motivé une certaine méfiance envers eux de la part des Nord-Américains. Ces derniers n’ont jamais vraiment pu exercer une influence déterminante sur ce pays du sous-continent américain. Et l’épisode Braden, lors de la campagne électorale de 1946, n’a pas amélioré leur image.

Avec l’Europe, il l’a soigné, l’image. Mais il ne s’est pas déplacé lui-même, non. Il a envoyé Eva, lors d’une mémorable tournée en 1947. Elle est ainsi passé par l’Espagne, l’Italie, le Portugal, la Suisse, Monaco et la France. Elle est même restée 12 jours chez nous ! Tournée triomphale dans l’ensemble, le glamour le disputant à la politique étrangère. Néanmoins, Evita a su s’imposer comme digne représentante de son pays, et n’a pas ménagé ses efforts pour faire passer le message politique de son mari. Y compris avec Franco, tout récent dictateur espagnol, avec lequel les relations sont assez rapidement passées du chaud au froid, en raison des divergences de vues sur le social. Elle dira d’ailleurs «La femme de Franco n’aime pas les travailleurs, qu’elle qualifie à toute occasion de «rouges» parce qu’ils ont participé à la guerre civile. Je me suis contenue une ou deux fois, mais ensuite je n’ai pas pu m’empêcher de lui dire que son mari ne tenait pas son pouvoir des urnes, mais de la force».

Eva Perón à son arrivée à Madrid pendant sa tournée européenne de 1947.

4. L’ambiance générale

On le voit, ce premier mandat est dans l’ensemble marqué par un certain succès, tant au plan des résultats que de la popularité. L’après-guerre mondiale est une époque bénie pour l’Argentine. L’économie est florissante, le commerce excédentaire, et le niveau de vie général s’est amélioré, notamment pour les classes défavorisées. Celles-ci vouent au nouveau leader et à son épouse un véritable culte religieux : ce sont Saint Juan et Sainte Evita. Les classes les plus aisées, elles, renâclent bien un peu, elles n’aiment pas tellement ce pli ouvriériste qui conduit le petit peuple à devenir exigeant et à se croire autorisé à relever la tête, et sont nostalgiques du temps d’avant, où l’employé travaillait en la bouclant. Mais globalement, le pays a rarement été aussi en forme : il est communément admis qu’à la fin des années quarante, l’Argentine était un des pays les plus prospères du monde !

Mais attention, prospère ne veut pas dire apaisé. Question atmosphère, l’ambiance reste très conflictuelle. Le péronisme est encore très jeune, mais il suscite déjà des débats passionnés. D’autant que le chef a nettement tendance au pouvoir personnel, d’une part, et à un certain culte de la personnalité, d’autre part. Les moins disposés à son égard diraient carrément : c’est un tyran. C’est que Perón n’aime pas trop qu’on discute ses décisions. Les bonnes comme les mauvaises. Or, les discutailleurs ne manquent pas, on s’en doute. Classes aisées, on l’a vu, conservateurs, libéraux pur jus, mais également, à gauche, socialistes et communistes, qui considèrent que Perón leur mange la laine sur le dos, avec sa politique ouvriériste. Dame, avec lui, les ouvriers, satisfaits avant même d’avoir revendiqué, sont devenus nettement moins combatifs, et fort peu révolutionnaires ! Pour faire taire les râleurs, Perón n’y va pas par quatre chemins : il fait arrêter, emprisonne, renvoie, exproprie. Les prisons argentines verront passer ainsi quelques noms prestigieux, comme les députés Ricardo Balbín (qui pourtant, en 1973, se ralliera à sa cause, mais c’est une autre histoire) ou le socialiste historique Alfredo Palacios. Quant à la presse, il n’hésite pas à la museler, en expropriant les titres qui le dérangent, notamment le grand quotidien La Prensa. Le non moins célèbre historien Felix Luna se souviendra longtemps des tortures infligées par la police péroniste. De l’autre côté, ce n’est guère moins violent, il faut dire. Tout au long de son mandat, ne manqueront pas les tentatives de coup d’état, les manifestations de protestations, le mépris de classe à l’égard des plus pauvres, et les insultes ouvertes envers Eva Perón, considérée par la «bonne société» comme une simple prostituée et traitée comme telle.

Le péronisme, dès ses débuts, a ainsi cristallisé la fracture entre deux argentines. Une fracture dont on se demande, presque 80 ans après la première élection de Perón, si elle pourra être réduite un jour.

Mais n’allons pas trop vite. On vient de le voir, ce premier mandat de Juan Domingo Perón se caractérise avant tout par une certaine réussite politique et économique, et une grand popularité parmi la majorité de la population. Cette popularité ne va pas tarder cependant à s’effriter. Nous verrons comment, et pourquoi, dans le prochain chapitre.

04/04/2022 : visite surprise

Le nouveau président chilien Gabriel Boric a réservé sa première visite officielle à l’étranger à son homologue et voisin argentin, Alberto Fernández, avec lequel il partage sans nul doute une proximité politique propice à de bonnes relations diplomatiques entre ces deux pays pourtant, à la manière de la Grande-Bretagne et de la France, aussi proches qu’éternels rivaux.

Il est certain que les deux présidents n’auront pas manqué de sujets de conversation politique, la victoire de Boric ouvrant une sorte de parenthèse enchantée à son homologue argentin plutôt chahuté dans son propre pays en ce moment. Ils en auront sans doute profité pour parler de la difficulté de gouverner durablement à gauche dans un cône sud toujours étroitement surveillé par «L’empereur du nord», qui n’aime jamais autant les leaders de gauche sudistes que lorsqu’ils restent dans l’opposition.
Il est vrai que cette même gauche sud-américaine, ces derniers temps, semble reprendre quelques couleurs, du Chili au Pérou en passant par la Bolivie, et, espère-t-elle, en attendant le retour de Lula aux affaires au Brésil.

Mais loin de ces considérations politiques, Gabriel Boric a également rendu une sorte d’hommage à une belle et grande spécialité argentine : la lecture, et, corollairement, la grande tradition des librairies indépendantes qui pullulent dans tout le pays. Profitant de la proximité de son hôtel, situé dans le quartier moderne de Palermo à Buenos Aires, il a fait un saut jusqu’à la petite librairie voisine, «Eterna cadencia», pour feuilleter et acheter quelques bouquins. Pour l’anecdote, comme le rapportent Pagina/12 et Clarín, il en a acheté cinq, dont celui de Mariana Enríquez, «Alguién camina sobre tu tumba» (Quelqu’un marche sur ta tombe), chronique de ses visites de cimetières (voilà au moins un intérêt que je partage avec cette auteure argentine et le président chilien !).

Occasion de rappeler en effet que l’Argentine, c’est le pays des livres et des librairies. Des grandes, des moins grandes, mais également des bouquinistes, bien plus nombreux à Buenos Aires que nos braves bouquinistes des bords de Seine. Un article du quotidien Infobae nous apprend ainsi qu’il existerait 25 librairies pour 100 000 habitants à Buenos Aires (Plus de 700 en tout, donc) ! Naturellement, inégalement réparties sur la surface, avec des quartiers surreprésentés dans le centre et les quartiers touristiques (Recoleta, San Telmo), et des quartiers plus populaires relativement oubliés, comme Barracas ou Villa Soldati.

Il existe également une autre tradition très suivie : celle des foires aux livres d’occasion qui ont lieu tout au long de l’année. Les plus marquantes : celle, quasi permanente, de Recoleta, non loin du fameux cimetière et du célèbre bar «La Biela», qui se tient chaque fin de semaine, celle du quartier Caballito, tous les jours, ou encore celle qui se tient autour du Parque Centenario, proposant elle aussi quotidiennement divers stands du même type que nos bouquinistes parisiens.

Une simple promenade le long des avenues Corrientes ou Santa Fe nous donne une idée du succès de ce genre de librairies : il y en a quasiment une tous les trois cents mètres, de chaque côté du trottoir ! Et personnellement, même en plein mois de février (équivalent de notre mois d’août de vacances), je n’en ai jamais rencontré une de vide.

Un grand festival du livre a lieu chaque année et reçoit environ un million de visiteurs. Cette année, il se tiendra du 26 au 28 avril, au Centre d’exposition de La Rural, près de la Plaza Italia, dans le quartier de Palermo.

Outre ce nombre hors norme de librairies, Buenos Aires abrite également celle qui est considérée comme l’une des plus belles du monde : l’Ateneo. Située sur l’avenue Santa Fe, elle s’est d’abord appelée «Grand Splendid», car c’était à l’origine un théâtre à l’ancienne, où se produisaient les chanteurs de tango les plus fameux, dont le célèbre Carlos Gardel. Inauguré en 1919, il a été revendu en 1930, a servi de nombreuses années de cinéma, pour être racheté en 2000 par la Société El Ateneo qui l’a donc transformé en librairie, se servant de l’orchestre et des différents niveaux de balcons pour y installer ses étagères de livres. La scène, quant à elle, sert aujourd’hui de café ! Fort heureusement, l’ensemble architectural a été entièrement préservé, ce qui lui fait mériter son titre de «deuxième plus belle librairie du monde». (La première serait celle de la Selexyz Dominicanen à Maastricht aux Pays-Bas).

Librairie de l’Ateneo – Vu sur les balcons

L’Ateneo est ainsi devenu une des attractions touristiques à ne pas manquer dans la capitale argentine, au même titre que le Caminito, le musée des Beaux-arts, le Théâtre Colón ou le Palais Barolo. Voir ainsi les livres «mis en scène», au sens propre comme au sens figuré, est un régal pour les yeux, et justifie la promenade, même si on ne vient pas spécialement acheter des livres. D’autant qu’il est un des derniers vestiges de l’architecture des salles de spectacle du début du XXème !

Au fond, la scène et son café

A lire également au sujet de l’Ateneo l’article assez complet (de 2011) sur le blog «Petit Hergé de Buenos Aires».

Guerre en Ukraine : quelles conséquences pour l’Amérique latine ?

Comme les journaux européens, les quotidiens argentins s’intéressent de près au conflit ukrainien, même si celui-ci reste, dans l’esprit du public, relativement lointain et, pour le moment, n’a pratiquement pas de répercussions visibles sur le quotidien des habitants du cône sud.

Néanmoins, dans le monde d’aujourd’hui, est-il vraiment possible d’imaginer qu’il n’ait aucun impact ?

C’est la question posée dans le quotidien de gauche Pagina/12 par Gerardo Szalkowicz, qui intitule son article «Conflit Russie-Ukraine : impacts et défis pour l’Amérique Latine». En voici un petit résumé.

1. Les dommages collatéraux.

Tout d’abord, et ceci n’est évidemment pas spécifique au continent sud-américain, des conséquences économiques. L’augmentation du prix, et l’effondrement de la production des matières premières produites par les deux belligérants, et dont ils sont des leaders mondiaux, comme le blé, l’huile de tournesol, le maïs, le gaz, va mécaniquement mettre en difficulté les pays sud-américains importateurs. Par ailleurs, la fermeture de l’espace aérien aux avions russes affectera la manne touristique de pays comme Cuba ou la République Dominicaine, où les touristes russes représentent une part importante des apports de devises. La dépendance des pays d’Amérique latine à un système essentiellement agro-exportateur est sa faiblesse : elle dépend des cours mondiaux, et si la crise sanitaire l’a considérablement affaiblie, ce nouveau conflit de portée mondiale ne lui donne guère de perspectives positives.

2. L’Amérique Latine sur l’échiquier mondial

Les républiques latino-américaines se sont forgées au XIXème siècle en fonction des besoins et des intérêts des puissances « mères » européennes. Le XXème siècle a représenté un certain changement de cette donne, avec le surgissement des Etats-Unis comme puissance dominante, transformant les voisins du sud en « arrière-cour » politique aussi bien qu’économique. Des Etats-Unis encore renforcés par la chute de l’URSS, leur permettant d’asseoir davantage leur domination, y compris sur l’Europe. Mais là aussi, la donne commence à changer, avec la montée en puissance d’autres partenaires potentiels comme la Russie, justement, et surtout la Chine.

La Russie notamment a recréé des liens forts avec les pays les plus éloignés de l’orbite étatsunien, comme le Venezuela, Cuba et le Nicaragua. Mais également avec des pays pourtant réputés plus proches des Etats-Unis comme l’Argentine et le Brésil.

Il n’y a pas d’unité de posture parmi les différents pays sud-américains. Ainsi, quand « l’axe bolivarien » (Les pays les plus non-alignés, alliés du Venezuela, NDLA) a plutôt soutenu les Russes, les droites latino-américaines ont brandi le drapeau ukrainien, déguisant leur subordination aux puissances occidentales sous le masque d’un récit pacifiste hypocrite, quand on connait leur absence totale de réaction face aux 50 interventions nord-américaines dans le sud par le passé. Quant aux autres, leur réaction oscille entre franc rejet de l’invasion russe et critique molle.

Citant l’ancien journaliste du Monde Diplomatique Ignacio Ramonet, Gerardo Szalkowicz souligne que cette guerre « change la réalité planétaire et marque l’entrée du monde dans une nouvelle ère géopolitique ». Elle survient au moment où l’Amérique latine se trouve en pleine redéfinition de ses projets progressistes, conduits par des leaders plus modérés qu’auparavant. Elle vient à point nommé pour accélérer un processus d’articulation commerciale plus structuré.

Pour conclure, Gerardo Szalkowicz mise sur l’arrivée au pouvoir de personnalités progressistes comme Gabriel Boric au Chili (il vient d’être investi comme président de la république), Gustavo Petro (leader de la gauche colombienne) et Ignacio Lula Da Silva, l’ancien président brésilien, tous deux favoris pour les prochaines élections, pour cimenter l’unité sud-américaine et lui redonner la cohésion nécessaire aux défis à venir.

 

14/03/2022 : revue de presse

Ce lundi, la presse argentine semble délaisser ce qui faisait les principaux titres ces derniers jours, à savoir l’accord signé entre l’état et le F.M.I. Celui-ci devrait permettre à l’Argentine, en grande difficulté financière, d’étaler sa dette colossale et de pouvoir un peu renflouer ses caisses. L’accord a été approuvé par la majorité du parlement, tout en provoquant des frottements internes dans les différents partis. En effet, à droite, la philosophie est d’ordinaire plutôt favorable au F.M.I., mais étant actuellement dans l’opposition, certains se voyaient mal approuver un accord négocié par un gouvernement qu’ils abhorrent. Côté péroniste au contraire, cet accord avec le gendarme financier du monde libéral fait grincer quelques dents. Au final, on a donc assisté à un vote trans-courant.

L’accord signé, la presse peut donc s’éloigner un peu des thèmes de politique intérieure. Ce qui fait la une aujourd’hui, c’est donc naturellement la guerre en Ukraine. Le quotidien Clarín en fait l’essentiel de sa une de ce lundi, en développant trois grands axes : les bombardements sur la base de Yavoriv, les réfugiés (ici, en se concentrant sur ceux accueillis par l’Espagne), et une série de tribunes sur la psychologie du président russe, de la fabrication d’un dictateur au désir de Poutine d’effacer les erreurs commises par Lénine et Staline, en passant par la jalousie de Wladimir le petit.

Dans l’ensemble, le ton de la presse argentine est largement défavorable au leader russe, y compris dans les journaux de gauche, même si Gerardo Szalkowics, dans Pagina/12, renvoie dos à dos Russes et occidentaux en ce qui concerne la responsabilité du conflit, les uns menant une invasion «brutale et inhumaine», les autres et notamment l’OTAN, ne respectant aucun des accords diplomatiques pris avec la Russie concernant le thème de la sécurité des frontières et la neutralisation des zones proches de la Russie. (Voir notre résumé de cet article ici).

La Nación, autre quotidien plutôt situé à droite, relève le changement de position du gouvernement péroniste vis-à-vis du président Russe, jusqu’à il y a peu considéré comme un partenaire fiable. Ce changement, selon La Nación, aurait provoqué de fortes dissensions au sein du gouvernement, et entrainé la démission de certains membres du ministère des Affaires étrangères. Le quotidien indique que «L’invasion et ses conséquences atroces sur les populations civiles ont éteint les voix qui à l’intérieur du gouvernement défendaient les liens politiques et commerciaux avec le président russe, auquel le président argentin Alberto Fernández avait offert l’Argentine comme portail d’entrée sur le continent il y seulement un peu plus d’un mois. Mais les tensions persistent et ceux qui défendaient cette position ont été réduits au silence ou discrètement écartés, en même temps que les liens avec les Etats-Unis (…) ont été renforcés concomitamment  avec la signature de l’accord avec le F.M.I.»

On notera néanmoins la différence de couverture du conflit par ces deux principaux quotidiens argentins, La Nación restant davantage centré sur les thématiques nationales. C’est le cas également du journal de gauche Pagina/12, qui ne propose qu’un article en une sur l’Ukraine, de nature factuelle. Ce qui est le cas également du Diario Popular, qui s’attarde cependant sur la mort d’un journaliste abattu au nord de Kiev et les menaces de Biden affirmant que l’OTAN répliquerait en cas de franchissement de frontière des Russes vers un pays de l’Alliance.

Ce qui préoccupe également les quotidiens argentins en ce lundi, outre le conflit, c’est surtout l’augmentation du carburant, qui devrait prendre environ 10% dans les jours à venir et la suspension des exportations d’huile de soja et de farine (Avec en préparation une augmentation des taxes prélevées aux différents secteurs sur les exportations).

Pour l’anecdote, notons que Clarín parle de notre PSG en une aujourd’hui. Pour souligner qu’après la (nouvelle) honteuse défaite face à un rival espagnol, les supporters s’en prennent, entre autres, à l’icône argentine Leo Messi et au non moins argentin entraineur Mauricio Pochettino. Le seul épargné aura été le Français Kylian M’Bappé, qui, fait malicieusement remarquer le quotidien, serait annoncé l’an prochain… au Real Madrid.

1976-1983 : la dictature militaire

En ce mois de mars qui va voir passer un triste anniversaire, nous débutons une série sur les origines, le déroulement et la chute de la dernière dictature militaire en date en Argentine.

En effet, celle-ci a débuté par le coup d’état du 24 mars 1976, il y a 46 ans.

Dans un premier article, nous exposerons les conditions politiques, économiques et sociales qui ont marqué le dernier gouvernement de Juan Perón, puis après sa mort, de sa femme María Estela Martínez, dite «Isabelita» de juin 1973 à mars 1976.

Le second article portera sur l’installation de la dictature et l’organisation d’une répression généralisée, quasi industrielle, contre l’ensemble du peuple argentin.

Le troisième présentera les grandes lignes de la politique économique de la junte militaire, et ses conséquences durables sur le délitement des structures industrielles et monétaires du pays.

Le quatrième enfin enfin montrera l’isolement progressif, à l’intérieur comme à l’extérieur, du pouvoir militaire, et sa chute après la tentative désespérée de rassembler les Argentins autour d’un projet nationaliste : reprendre par la force les îles Malouines aux Anglais.

Attention : ces articles n’ont pas pour ambition de faire œuvre d’érudition historique. Ils sont destinés en priorité à informer, de manière concise, et accessible, un public certes, nous l’espérons tout du moins, intéressé par la riche histoire de ce pays, mais non spécialiste.

Ceux qui voudront aller plus loin utiliseront avec profit les liens et informations bibliographiques – très loin d’être exhaustifs –  que nous listons ci-dessous !

Notre but est avant tout de donner envie, justement, d’aller plus loin, en lançant quelques pistes simples et, en tout cas nous l’essaierons, de vous faire passer un bon moment de lecture !

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Article 1 : le dernier gouvernement de Perón.

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Ci-dessous les principales sources qui nous ont aidé à la rédaction de ces articles.

A LIRE

Bufano, Sergio et Teixidó Lucrecia – Perón y la Triple A – Sudamericana – 2015

Calveiro, Pilar – Poder y desaparición – Colihue – 2014

De Riz, Liliana – La política  en suspenso 1966-1976 – Paídos – 1981

Donda, Victoria – Moi, Victoria, enfant volée de la dictature argentine – Robert Laffont – 2010

Eloy Martínez, Tomás – Las vidas del General – Aguilar – 2004

Feinmann, José Pablo – Peronismo, filosofía política de una persistencia argentina – 2 tomes – Planeta 2010 et 2011

Gabetta, Carlos et Richter, Rodolfo – Enemigos – Eudeba – 2018

Horowicz, Alejandro – Las dictaduras argentinas – Edhasa – 2012

Lafage, Franck – L’Argentine des dictatures – L’Harmattan – 1991

Lewin, Miriam et Wornat, Olga – Putas y guerrilleras -Planeta 2020

Malamud Goti, Jaime – Terror y justicia en la Argentina – Ediciones de la Flor – 2000

Méndez, Eugenio – Aramburu : el crimen perfecto – Planeta – 1987

Muleiro, Hugo et Vicente – Los monstruos – Planeta – 2016

Robin, Marie-Monique – Escadrons de la mort, l’école française – La Découverte – 2004

Rouquié, Alain – Pouvoir militaire et société politique en République argentine – Presses de la fondation nationale des sciences politiques – 1978

Rouquié, Alain – Le siècle de Perón- Seuil – 2016

Tcherkaski, Osvaldo – Las vueltas de Perón, 1971-1976 – Sudamericana – 2016

Verbitsky, Horacio – El vuelo – Planeta – 1995

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A VOIR ET ÉCOUTER

Sur le dernier gouvernement de Perón :

Un point de vue de gauche sur le dernier gouvernement de Perón :
https://www.izquierdasocialista.org.ar/2020/index.php/blog/elsocialista/item/17698-el-gobierno-peronista-de-1973-a-1976

Le regard d’un historien, José Luis Romero (1906-1977)
https://jlromero.com.ar/textos/el-carisma-de-peron-1973/

Une brève mise en contexte, avec quelques images d’époque :
https://historiadigital.jimdofree.com/cuarto/argentina-entre-1966-y-1983-gobiernos-autoritarios-y-democr%C3%A1tico-custodiados/retorno-del-peronismo-1973-a-1976/

Sur la période de la dictature :

Escadrons de la mort, l’école française, documentaire de Marie-Dominique Robin. (60′)

Présentation par l’auteure du livre « Double fond » (Ed. Métaillié) d’Elsa Osorio, sur un épisode lié à la dictature, mais se déroulant en partie en France. 4’53. En français.

Quelques points de vue des militaires, extraits d’une émission argentine (10′). Attention ici : le propos de l’émission est bien de montrer le caractère stupéfiant de l’aplomb des militaires, persuadés d’avoir accompli une action bienfaitrice pour le pays.

La noche de los lápices. Film d’Héctor Oliveira (1986) basé sur un fait réel : l’arrestation, la torture et l’assassinat d’un groupe de 7 jeunes en septembre 1976. (95′)

Un autre film très intéressant, mais désormais introuvable sur le net (on en trouve de nombreux extraits néanmoins), est « Garaje Olimpo », de Marco Bechis (1999), qui raconte l’histoire d’une jeune activiste arrêtée par les militaires, transférée dans un centre de détention (un garage désaffecté), et torturée par un jeune qui s’avère être le jeune pensionnaire à qui sa mère et elle louaient une chambre de la maison.

Lettre ouverte du journaliste Rodolfo Walsh à la junte militaire – fichier audio précédé d’une courte présentation musicale – 12’29. En espagnol. (Il en existe également des extraits. Chercher « carta abierta a la junta militar ».)
Version française du texte en lecture ici.

Sur la politique économique de la période :

Le plan économique de la dictature, documentaire en espagnol (de la chaine « Televisión Pública argentina » (Point de vue de gauche) (9′)

Plata dulce, film de Fernando Ayala (1982) sur les conséquences financières de la politique économique de la dictature. (94′)

Sur les bébés volés :

« Le héros des Malouines« , nouvelle, sur ce même blog. (En versions française et espagnole), ainsi que le livre de Victoria Donda cité dans la bibliographie ci-dessus, « Moi Victoria, enfant volée de la dictature argentine ».