Disparition du philosophe J.P. Feinmann

          Le 17 décembre dernier l’écrivain, philosophe et essayiste José Pablo Feinmann nous a quittés. Si, en France, c’était un parfait inconnu, en Argentine en revanche, il était une figure familière à la fois du monde littéraire, cinématographique et médiatique.

José Pablo Feinmann

          Inconnu chez nous, c’est un euphémisme : si son œuvre compte une trentaine d’essais philosophiques et politiques, 14 romans de fiction, autant de scénarios de films et deux pièces de théâtre, à ma connaissance, sur ce total, on n’a traduit en français que quatre romans et une pièce, difficilement trouvables dans les librairies aujourd’hui.

          Je ne le connaissais pas non plus avant mon premier voyage en Argentine. Pourtant, presque 15 ans après, sa mort me laisse comme orphelin d’un véritable guide intellectuel : c’est à travers ses écrits que j’ai attrapé le virus de l’histoire et de la politique argentines. Lui qui m’a fait découvrir, par ses bibliographies aussi exhaustives qu’éclairées, les livres indispensables sur le sujet. Mon prof (involontaire bien sûr) de sciences po argentines, en quelque sorte !

          Je ne vais pas ici vous ennuyer avec de longs développements sur sa vie et son œuvre. Ceux que ça intéressent se reporteront avec profit aux liens que j’ajoute sous cet article.

          Celui-ci a juste pour but de témoigner de mon émotion devant sa disparition, celle d’un écrivain brillant, d’un analyste politique d’une grande finesse d’esprit, et de ce qu’on peut appeler, simplement, un homme de bien. Bien loin de l’image habituelle de l’universitaire pédant et arrogant, José Pablo Feinmann était un type modeste, humaniste, très lucide à la fois sur lui-même et sur ses compatriotes.

          Il va beaucoup manquer au paysage intellectuel argentin, dans lequel il représentait une voix atypique, parce dénuée de tout artifice, de toute méchanceté, de tout esprit de chapelle.

          Comme une bonne moitié de ses compatriotes, il était péroniste. Forcément : en Argentine, on est forcément l’un ou l’autre, pro ou anti. Mais lui, contrairement à pas mal d’autres, était ce qu’on pouvait appeler un «péroniste» lucide. Critique, comme on disait chez nous des communistes un poil dissidents. C’est qu’il avait connu, encore enfant, le premier péronisme, celui du Perón populiste, le Perón proche des petites gens, le Perón ouvriériste. Celui que les militaires avaient renversé en 1955. Feinmann avait alors 12 ans. Devenu adulte, il en était pas mal revenu : jeune militant de la gauche péroniste dans les années d’exil, il avait assisté au retour du «vieux» en 1973, flanqué de toute une clique plus ou moins fasciste, préfigurant la dictature qui allait suivre seulement deux ans après la mort du général, qui surviendra pas plus tard que l’année suivant son retour triomphal et le massacre de militants qui l’avait accompagné. Ensuite, dans les années 90, le péronisme s’était vendu au capitalisme le plus sauvage, par l’intermédiaire du président aux belles rouflaquettes, Carlos Menem. Ce péronisme là n’était, ne pouvait pas, être celui de Feinmann.

          Il laisse derrière lui, selon moi, une œuvre essentielle à qui veut comprendre, d’un point de vue plus philosophique, l’histoire contemporaine de l’Argentine. Avec en prime, et ce n’est malheureusement que trop rarement le cas chez ses collègues universitaires, un style fluide et agréable à lire, en dépit de la longueur de ses essais : Feinmann était extrêmement bavard !

          Bref, on l’aura compris, un auteur qui comptera toujours beaucoup pour moi. Je peux parler au futur : il me reste encore pas mal de ses livres à lire. Allons : José Pablo, tu n’es donc pas vraiment mort.

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DOCUMENTS ANNEXES

Fiche wikipédia en français. Attention, elle n’est qu’une traduction, et en résumé, de la fiche argentine. Sa bibliographie est notamment incomplète. (Mise à jour : encouragé par un ami lecteur, je l’ai complétée moi-même sur la fiche wiki).

Fiche wikipedia en espagnol. Biographie assez succincte, mais présentant l’essentiel.

Le très bel hommage de Rafael Bielsa dans « elDiarioAR » (en espagnol)

La nécro plutôt complète du principal quotidien argentin «Clarín»

Site officiel de l’écrivain.

La série complète de ses émissions «Philosophie, ici et maintenant» sur la chaine Encuentro. (Avec sous-titres en espagnol )

Le film « Eva Perón: La Verdadera Historia » (1996), de Juan Carlos Desanzo, scénario de JPF.

Le film « Ultimos días de la victima » (1982), d’Adolfo Aristarain, d’après un roman de JPF.

L’entrée « José Pablo Feinmann peronismo» ouvre sur une pléiade d’interviews de l’écrivain sur le sujet, sur le site youtube.

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Traduction de l’hommage d’Eduardo Aliverti (18/12/2021)

La mort de Feinmann est beaucoup plus que celle d’un intellectuel brillant, désigné comme tel par la quasi unanimité de tout le spectre idéologique.

C’est la mort d’un type qui n’a jamais hésité à mettre son savoir à la portée de tous. Qui a rendu compréhensibles les concepts les plus ardus de la philosophie. Qui les a mis au service de la divulgation collective, mais en le faisant avec une hauteur d’esprit le rendant peu suspect de diffuser une vulgate sans substance.

Ces derniers temps, on le voyait plus proche du pessimisme de l’intelligence que de l’optimisme de la volonté.

Ce qui, finalement, était la démonstration de la cohérence de sa pensée : il n’a jamais caché être plus proche de l’un que de l’autre.

En tout cas, le monde pandémique duquel l’humanité ne sort pas grandie, tout comme le resurgissement d’idées d’extrême-droite qui ravivent des dangers répugnants, entre autres images déprimantes, accrédite sa théorie selon laquelle l’intellectuel est contraint au jugement critique permanent. A ne pas perdre son indépendance d’esprit. A ne pas rester enchainé à des engagements personnels, partisans ou institutionnels.

Sans aller plus loin, il était agacé par les tiédeurs de ce gouvernement. Son absence de courage face aux puissants. Il l’a manifesté dans nombre de revues. Néanmoins il ne serait venu à l’idée de personne de décréter qu’il avait changé, que ses dénonciations étaient injustifiables, qu’il était ainsi associé au «feu ami».

Il avait demandé à son ami Horacio González, dans une déclaration bouleversante, de l’attendre car il ne tarderait pas à le rejoindre. Le pessimisme reflété par cette déclaration se voyait cependant contredit par l’intérêt qu’il portait à son activité : il a continué jusqu’à il y peu d’écrire des articles pour la rubrique «Contratapa» du journal Pagina/12.

C’est un lieu commun, mais irréfutable, de dire qu’il convient toujours, dans ces circonstances, de faire en sorte de maintenir vivante l’œuvre du défunt. Et Dieu sait s’il nous laisse un héritage immense, sous la forme d’essais, de romans, d’articles ou de cours. Ou de tout ce qu’on voudra bien retenir.

Mais il est également vrai que la première chose qui vient à l’esprit, d’abord, à tellement d’entre nous, c’est de nous révolter contre la mort des nôtres, et parce que les indispensables coups de gueule de José Pablo vont bien trop nous manquer.

Eduardo Aliverti, journaliste. Pagina/12 du 18/01/2021. Les passages soulignés en gras le sont par l’auteur.

20/12/2021 : L’extrême-droite n’est pas passée!

          Contrairement à ce que laissaient craindre les résultats du premier tour, le candidat d’extrême-droite José Antonio Kast n’a pas été élu président du Chili hier. Il a été assez nettement battu par son adversaire de gauche Gabriel Boric, qui a recueilli 56 % des suffrages.

          Les Chiliens ont par là confirmé leur large vote en faveur de la nouvelle constitution, lors du référendum d’octobre 2020, destinée à remplacer celle qui était toujours en vigueur depuis la dictature d’Augusto Pinochet. En effet, Kast, favorable au retour d’un gouvernement autoritaire et ultra libéral inspiré de celui en exercice entre 1973 et 1990, avait promis de revenir sur cette réforme.

          Le journal chilien El Mercurio souligne qu’il s’agit en outre du président le mieux élu, et le plus jeune, de l’histoire du Chili. Dans le même journal, José Antonio Kast a reconnu sa défaite et félicité l’élu, promettant une opposition constructive.

          Le quotidien La Tercera livre six clés pour mieux analyser cette nette victoire, obtenue qui plus est avec une des meilleures participations de l’historie démocratique du pays : l’arrivée d’une nouvelle génération politique ; l’excellent report de voix ; la discipline républicaine de ses adversaires, qui ont reconnu sa victoire aussitôt et sans la moindre contestation ; la réussite de Boric à réaliser l’union des différents partis et mouvements de gauche, exception faite du mouvement de centre-gauche «Concertación» qui avait gouverné après la dictature (emmené par Michelle Bachelet notamment) ; la nécessité de trouver des soutiens de gouvernement au sein d’un parlement où la gauche reste nettement minoritaire ; et naturellement les probables chausse-trappes que ne manqueront pas de poser les grands décideurs économiques, forcément très inquiets et dont on imagine facilement la déception face à ce résultat.

          Contrairement au premier tour où les analyses avaient brillé par leur absence, cette fois la presse française s’est un peu réveillée pour au moins présenter ces résultats. Médiapart (article réservé aux abonnés) parle d’un «réveil anti-fasciste», tandis que France-info sur son site souligne que Boric a recueilli les suffrages non seulement des classes défavorisées, mais également des classes moyennes lésées par l’extrême privatisation de beaucoup de services publics, comme la santé, les retraites ou l’éducation. L’Est Républicain fait quant à lui le tour des réactions des hommes et femmes politiques français de gauche, et de l’accent mis par la plupart d’entre eux sur le caractère unitaire de cette victoire, qui devrait parler à notre propre gauche. Mais dans l’ensemble, les comptes-rendus de notre presse restent pour le moment purement factuels : supposons que les analyses suivront dans les prochains jours !

          Pour beaucoup de Chiliens, l’issue du scrutin représente un véritable soulagement, tant la perspective d’un retour aux années noires de la dictature, portée par un candidat qui ne cachait pas ses affinités avec A. Pinochet, était grande. Il est évident que Kast a cristallisé contre lui bien au-delà des électeurs de gauche convaincus. Cela est très visible par exemple dans le sud du pays (Patagonie), où Kast l’avait assez largement emporté au premier tour, et où il a malgré tout perdu le ballotage dans quatre régions.

          Les Chiliens, qui avaient approuvé largement la nouvelle constitution, ont donc été cohérents. Reste à savoir quelle marge de manœuvre aura le nouveau et très jeune (35 ans) président. Il va devoir affronter de grands défis, à peu près les mêmes d’ailleurs qu’avait dû affronter en son temps Salvador Allende, dernier président réellement de gauche avant Boric. A savoir l’opposition des secteurs économiques et financiers, nourris depuis près de 50 ans à l’ultra libéralisme de «L’école de Chicago», celle des secteurs les plus conservateurs de la société, nostalgiques de la dictature et encore assez nombreux, mais aussi celle d’une partie, la plus radicale, de la gauche chilienne, celle-là même qui avait beaucoup contribué, par son jusqu’auboutisme, à la chute du leader de l’Alliance Populaire en 1973. Car pour gagner, Boric a dû tendre la main à des secteurs politiquement plus modérés, voire centristes, secteurs vers lesquels il devra également se tourner pour pouvoir gouverner et faire passer les réformes prévues dans son programme. Ces concessions ne seront sans doute pas du goût de ses alliés les plus à gauche, même s’il inclut des communistes dans son gouvernement, comme il l’a annoncé. Cela, Boric l’a déjà anticipé lors d’un débat précédent l’élection, disant que «Nous allons avoir un parlement pratiquement à égalité, et certains disent que cela va créer une paralysie (…) Je le vois plus comme une opportunité, en ce sens que nous avons le devoir de trouver des accords dans l’intérêt de tous les Chiliens». (La Tercera, «les six défis auxquels Boric va devoir faire face»).

          Son programme vise en priorité à diminuer les inégalités dans un des (sinon LE) pays d’Amérique latine où elles sont les plus criantes, ainsi qu’à rompre avec des politiques économiques qui ont fait du Chili un véritable laboratoire du libéralisme le plus sauvage. Parmi les grands axes, notons :

– Nouveau système de sécurité sociale basé sur la solidarité.
– Augmentation du salaire minimum jusqu’à 500 000 pesos (525€) en fin de mandat, avec soutien public aux PME
– Réduction du temps de travail à 40 h par semaine.
– Impôt sur la fortune, prélèvement sur les bénéfices des compagnies minières (notamment le cuivre), lutte contre l’évasion fiscale.
– Diminution du prix du logement
– Refonte de la police
– Loi sur l’eau en tant que bien commun
– Loi de protection contre les violences faites aux femmes.
– Développement de l’emploi féminin.

          On peut facilement prévoir que le parcours du nouveau président ne se fera pas sur un chemin tapissé de roses. Parviendra-t-il à réussir là où tous ses prédécesseurs ont échoué, c’est-à-dire transformer le Chili en un pays plus juste, plus démocratique, plus moderne et plus indépendant des forces économiques et financières extérieures ? Aura—t-il suffisamment d’amis pour contrer l’inévitable cohorte de tous les ennemis qui commencent déjà à imaginer les moyens de le faire tomber ?

          Comme on est en Amérique du sud, et que dans cette partie du monde, les conservateurs ont rarement la défaite sereine, parions que les premières manifestations d’opposition ne devraient pas tarder à remplir les rues de Santiago. Espérons seulement que la société chilienne sera suffisamment forte pour maintenir vaille que vaille le processus démocratique ouvert depuis maintenant trente ans, et qui a jusqu’ici été respecté par toutes les forces politiques de droite comme de gauche. Et qu’on laisse une chance, enfin, à une véritable alternance. En réalité, la balle n’est pas dans le camp de Boric, mais dans celle des plus conservateurs.

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Lire ou relire également l’article sur le premier tour : Le Pinochet nouveau est arrivé

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¡Feliz Navidad a todos!

(Ben oui, hein, là-bas, c’est l’été !)

12/12/2021 : Sous un soleil énorme

         

          Une fois n’est pas coutume, on va rester de ce côté-ci de l’Atlantique aujourd’hui pour parler de l’Argentine.

          Je ne l’aurais jamais cru : je viens de me trouver un point commun avec le chanteur Bernard Lavilliers. Car lui aussi revient du pays d’Astor Piazzolla (ou de Borges, ou de Carlos Gardel, d’Ernesto Guevara ou Lionel Messi, comme vous préférerez !), où il a passé quelques mois. Et lui aussi est tombé amoureux de Buenos Aires, qu’il a parcouru lui aussi à pieds, seul, en long et en large, pour s’imprégner de son âme particulière, jusqu’à se sentir un peu «portègne» (c’est ainsi qu’on nomme les habitants de Buenos Aires).

          Dans « Le Piéton de Buenos Aires », il nous raconte ses pérégrinations en solitaire dans la ville, et ses mots sont une évidence pour celui qui, en même temps que lui, a arpenté les trottoirs de la capitale argentine :

Je marche seul dans Buenos Aires
Personne ne demande qui je suis
Dans cette ville dos à la mer
Qui vibre encore de l’Italie

Je marche seul dans Buenos Aires,
Je sais que je n’ai rien compris
Mais cette odeur m’est familière
Comme un secret jamais écrit

          Si je ne sais pas quels quartiers, quelles rues, il a parcourus, j’imagine que nous en avons hantés de semblables, lui aussi a probablement surpris San Telmo au petit matin, encore mal réveillé et hirsute de sa mauvaise nuit, faisant une toilette de chat dans la lumière blafarde du brouillard finissant, en attendant l’assaut des touristes étrangers. Juste avant, il aura probablement promené sa carcasse dans la nuit de Palermo, et je serais bien étonné qu’il ne se soit pas accoudé à l’un des multiples bars de la Plaza Serrano. Plus baroudeur que moi, il n’aura pas hésité à arpenter les trottoirs de La Boca ou de Barracas, même tard le soir, parce c’est évidemment là qu’on est le plus sûr de la rencontrer, l’âme profonde de la ville, si on n’a pas peur des ombres inquiétantes qui surgissent des portails.

Plaza Serrano – Palermo – Buenos Aires

          Lui aussi a visité la bibliothèque nationale, ce bâtiment plutôt moche dont pourtant les Argentins sont si fiers. Je ne sais pas trop ce qu’il a pu en retirer, puisqu’il ne parle pas l’espagnol. Mais les touristes, eux, n’y entrent jamais. D’ailleurs, ils ne savent même pas qu’il existe. Il ne figure pas au catalogue des monuments « incontournables ». Alors que pourtant, s’il est un endroit où on est sûr de rencontrer la culture du pays…

Bibliothèque nationale – Buenos Aires

          Le Stéphanois a aussi compris quelque chose qui est rarement souligné à propos du caractère maritime de la ville : Buenos Aires est certes un grand port, mais, contrairement à d’autres villes portuaires célèbres et populaires, comme Lisbonne, Marseille, ou Barcelone, celle-ci… tourne clairement le dos à l’eau. Comme il le dit dans une chanson : elle est dos à la mer. Les Portègnes sont tout sauf des marins, ils en ont perdu la qualité avec la disparition du premier port, celui de La Boca qu’illustrait avec talent le peintre Benito Quinquela Martín.

Port de La Boca – Buenos Aires – Peinture de Quinquela Martin (1890-1977)

          Le second port, celui de Puerto Madero, est maintenant un quartier chic d’immeubles d’affaires, et le dernier, situé encore plus au nord, est introuvable même par les taxis les plus affutés. Buenos Aires regarde ailleurs, vers le sud et l’ouest, vers le désert des vallées Calchaquies et les prairies de La Pampa, vers le froid patagonique et la chaleur tropicale des confins du Brésil.

Buenos Aires, un port à l’envers
Où les marins restent à leur bord

          De ses pérégrinations portègnes, Bernard Lavilliers a ramené une petite collection de chansons tout en délicatesse et en nostalgie, et parmi celles-ci, quelques pépites consacrées plus spécifiquement à son amour de l’Argentine et qui prouvent, malgré ce qu’il dit, qu’il en a compris l’essentiel. Parce que, sans nul doute, il a su plus que bien d’autres regarder ce pays, et sa capitale, avec les yeux du cœur.

          J’aurais aimé avoir son talent pour rapporter de mes propres séjours d’aussi belles images. Ses chansons disent bien mieux que je n’aurais pu le faire ce que j’ai trouvé, senti, vu et vécu à chacun de mes voyages argentins. Parce qu’en Argentine, il n’y a pas que le soleil, qui soit énorme.

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SOUS UN SOLEIL ENORME : liste des chansons
(liens vers les chansons « argentines »)

Le coeur du monde
Voyages
Je tiens d’elle
Beautiful days
Toi et moi
Les Porteños sont fatigués
Le piéton de Buenos Aires
Qui a tué Davy Moore ?
Corruption
Noir Tango
L’ailleurs

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Pour une autre déambulation et d’autres images, voir aussi nos « Instantanés de Buenos Aires » de 2020.

Le Pinochet nouveau est arrivé !

Hier dimanche ont eu lieu les élections présidentielles chez le voisin de l’Argentine : le Chili. Et les résultats ne laissent pas d’inquiéter quiconque a connu les années de plomb de la dictature de « Don Augusto » et de ses «Chicago boys».

Son digne successeur, José Antonio Kast, a obtenu 28 % des suffrages au premier tour, contre 26% à son principal adversaire et représentant de la gauche, Gabriel Boric. Plus loin derrière, le candidat de droite libérale et populiste Franco Parisi a créé une certaine surprise, en obtenant 13% des suffrages, là où les sondages ne lui en donnaient pas plus de 5. Il a même obtenu plus de 33% dans la région d’Antofagasta ! Et cela, comme le raconte le quotidien «La tercera.com», sans avoir jamais foulé le sol chilien pendant la campagne.

José Antonio Kast

La candidate de centre-gauche, Yasna Provoste, a quant à elle essuyé une nette défaite, ne finissant qu’à la cinquième place, avec moins de 12% des suffrages. Elle paie sans doute les errances des gouvernances de centre-gauche successives, qui ont beaucoup déçu l’électorat progressiste chilien, notamment sous l’ère Bachelet.

Le candidat de la droite sortante (Sebastián Piñera ne pouvant pas se représenter, c’est donc un autre Sebastían, Sichel, qui s’y est collé) n’arrive qu’en quatrième position, un cheveu derrière Parisi.

Le deuxième tour verra donc s’affronter les deux candidats arrivés en tête, comme cela se passe chez nous. Un affrontement très binaire, entre deux candidats très marqués dans leurs camps respectifs. Kast, comme nous le disions, se propose de revenir à la politique du général Pinochet : retour à l’ordre policier, lutte contre l’immigration, interdiction de l’avortement, libéralisation extrême de l’économie.

Boric est un jeune candidat – il a 35 ans – progressiste et soutenu par les principales forces de la gauche traditionnelle chilienne. Il propose au contraire un programme visant au retour à l’état providence. Renationalisation du système de santé et des retraites, taxation des plus hauts revenus, libéralisation de l’avortement, préservation de l’environnement, droits des peuples premiers.

Gabriel Boric

L’issue de ce second tour est incertaine, même si la tendance est plutôt à droite. En effet, toute une partie de la population chilienne a été effrayée des manifestations de 2019 contre les inégalités sociales et les augmentations des prix. Manifestations qui ont souvent dégénéré, en raison de leur ampleur et de l’état d’urgence décrété par le gouvernement Piñera.
Sans parler d’une certaine nostalgie, dans les classes les plus aisées, de l’ordre pinochetiste. Certains n’ont pas digéré que ces manifestations, justement, aient conduit à réformer une constitution héritée des années de dictature.

A priori, le scrutin reste ouvert. Mais tout dépendra des reports de voix. Or, dans l’état actuel des résultats, la tendance est plutôt favorable à la droite. Chacun des candidats commence donc une longue marche – le second tour n’a lieu que dans un mois – pour tenter d’obtenir l’appui des autres partis. Kast pourra sans doute compter sur les reports des électeurs de Parisi, et ceux de Sichel. Boric cherchera ceux du centre-gauche et des petits candidats de gauche. Mais comme on peut le lire dans «Mercurio» du 22/11, les candidats malheureux posent leurs conditions. Parisi annonce qu’il consultera ses électeurs par internet avant de se prononcer, Provoste exige «des garanties de paix et de tranquillité» de la part de Boric. Sichel, lui, ne semble pas vouloir faire de difficulté à Kast.

Le Chili risque bien d’avoir un réveil douloureux après le second tour du 26 décembre. Le Papa Noël pourrait bien s’appeler Pinochet et avoir déposé un cadeau explosif – et posthume – sous le sapin. Mais quel que soit le résultat, ce qui est certain, c’est que la société chilienne en sortira plus divisée que jamais, entre conservateurs/libéraux ultra catholiques d’un côté, et progressistes de gauche de l’autre. Une division à la fois sociale et générationnelle : la majorité des manifestants de 2019 et des électeurs de Boric faisant partie des tranches d’âge les plus jeunes, anxieux de tourner définitivement la page des années Pinochet, quand leurs ainées en gardent la nostalgie de la loi, de l’ordre et des valeurs traditionnelles.

Le Chili a pris l’habitude de se penser comme le pays le plus avancé, économiquement et politiquement, et le plus moderne d’Amérique Latine. Il reste pourtant un des plus inégalitaires du continent, et a été profondément marqué par la longue dictature – de 1973 à 1989 – d’Augusto Pinochet, dont les comptes n’ont jamais été soldés, alimentant un ressentiment – de part et d’autre – qui mine au quotidien la difficile harmonie sociale. Ce pays, que Salvador Allende, ce président élu en 1971 et assassiné en 1973, rêvait de transformer en une démocratie sociale et pacifiée, a été comme anesthésié et infantilisé par les années Pinochet, qui ont favorisé durablement une certaine acculturation politique dont on voit les ravages depuis trente ans. Une jeunesse qui étouffe sous une chape de traditions rances, de méfiance envers l’avenir, et de refus du changement, portés par une frange – importante – de la société qui ne rêve que de vivre à l’ombre de figures tutélaires.

Un pays sclérosé.

A lo largo del Qhapaq Ñan

I. DESCUBRIENDO EL INCA

          Desde mis más remotos recuerdos, siempre me fascinaron las civilizaciones precolombinas, y en particular la de los incas.

          Entonces no tenía consciencia de que se trataba de la civilización más emblemática de la historia de América Latina, a pesar de la brevedad de su resplandor (desde el principio del siglo XIII hasta la llegada de los guerreros del general Pizarro en 1532).

          Adolescente soñaba con las orillas del lago Titicaca, sitio donde leyendas y relatos se acuerdan para situar el origen de la civilización inca; con la entonces capital Cuzco, el “ombligo del mundo”, y el valle sagrado donde se halla la famosa ciudad del Machu Picchu.

          Sólo años más tarde, cuando descubrí de verdad el Puente del Inca, puente natural sobre el río Las cuevas, en la carretera que une la ciudad de Mendoza a la frontera con Chile, volví a interesarme en la civilización inca así como en su importancia en Argentina, tan lejos de su cuña original.

          La presencia de los incas en la Argentina la certifican los vestigios de vías y estructuras que quedan del reino de Pachacutec, y que conocemos bajo el nombre de Qhapaq Ñan, o sea “Carretera real” en idioma quechua, una red que permitía viajar rápidamente desde el norte hasta el sur del imperio.

          Esta carretera de más de 6000 kilómetros unía la capital Cuzco con la ciudad de Pasto en Colombia hacia el norte, y con el piedemonte andino del Aconcagua en su parte sur, cruzando Ecuador, Perú y Bolivia. Este “Camino mayor andino” lo completaba una amplia red segundaria de 40 000 kilómetros utilizando las infraestructuras pre incaicas existentes de cada lado de los Andes, hasta Santiago de Chile en su parte oeste.

          Esta red de carreteras pavimentada, con escaleras talladas en la roca misma, puentes suspendidos cruzando valles encajonados y mesetas desiertas, la mayoría hallándose entre 3000 y 5000 metros de altitud, unía los centros administrativos de las zonas donde vivían los pueblos sometidos por los incas, las zonas agrícolas y mineras así como varios templos. Un sistema de “chasqui wasi” (posadas), “pukara” (fortificaciones) y “tambo” (tabernas) completaba ese conjunto con el cual el Inca podía controlar todo el Imperio. La utilizaban los “chaquis”, servidores del Inca, encargados de transportar el correo oficial hasta los límites de su territorio.

          Se considera que Diego de Almagro, el conquistador del Perú, fue el primero en recorrer el “Camino del Inca”, cuando se fue a explorar y conquistar territorios más al sur, en 1535, en lo que volvería Argentina años más tarde; la crónica del viaje de ese conquistador, contemporáneo de la culminación de la presencia inca en Argentina, constituye un precioso testimonio todavía considerado por los historiadores.

          Más allá de las fronteras modernas, el Qhapaq Ñan representa un vínculo entre las varias culturas andinas. Por lo que los gobiernos de los 6 países interesados en el tema lograron en 2014 la inclusión del Qhapaq Ñan en la lista del patrimonio mundial de la UNESCO.

Mapa del Qhapaq Nan

II. CAMINANDO POR EL QHAPAQ ÑAN

          El Qhapaq Ñan cruza siete provincias argentinas: Jujuy, Salta, Tucumán, Catamarca, La Rioja, San Juan y Mendoza. Ese camino ya existía desde 2000 años cuando los incas lo “modernizaron”. La UNESCO incluyó en su lista 13 tramos del camino, o sea unos 120 kilómetros a lo largo de los cuales se pueden encontrar 32 sitios arqueológicos.

          Partiendo desde la frontera de Bolivia, vemos que el Qhapaq Ñan cruza la provincia de Jujuy por la Quebrada de Humahuaca. El pueblo de Tilcara, con su fortaleza (pucará), fue fundado por los indios tilcaras. Constituye una perfecta ilustración de cómo los incas aprovecharon las infraestructuras existentes para hacer del pueblo una ciudad de suma importancia.

          Avanzando hacia el sur los incas cruzaron lo que se llama hoy la provincia de Salta hasta el pueblo de Cafayate, pasando por el puerto Abra del Acay, el más alto del Qhapaq Ñan, de 4895 metros de altura, y bajando hasta los valles Calchaquies. Ese puerto situado sobre la Ruta 40 sigue todavía uno de los más altos del mundo, con excepción de unos puertos asiáticos.

          A lo largo de ese trayecto podemos encontrar también – esta lista no pretende a la exhaustividad – las ruinas de Tastil, el sitio de Graneros de la Poma, o el del Potrero de Payogasta. Cerca de Cachi, el sitio arqueológico de La Paya presenta vestigios de una importante ciudad inca, sede del poder imperial representado por un funcionario de alto rango, “El Inca Curaca”.

          En Salta, se dice del MAAM (Museo de arqueología de alta montaña) que es el mejor museo de Argentina en lo que se refiere a la cultura inca. Allí se pueden ver momias de niños sacrificados siguiendo los rituales incas, y descubiertas en 1999 en las cercanías del Pico Llullaillaco, un volcán culminando a 6739 de altura, el santuario sagrado más alto del imperio inca.

          El Qhapaq Ñan llega hasta la ciudad sagrada de Quilmes en la provincia de Tucumán. Los indios Quilmes sobrevivieron a la convivencia con los incas, pero fueron derrotados por los conquistadores españoles. Desde 2007 ese sitio quedará para nosotros un “rendez-vous manqué”, una ocasión de descubrirlo perdida por una huelga de los indios Quilmes que reclamaban la gestión propia del sitio. Un conflicto que empezó en 1977. En la época las autoridades provinciales expropiaron a los miembros de la comunidad y luego en 1992 concedieron el sitio a un hombre de negocio, para un periodo de 10 años. Luego los Quilmes fueron a juicio para impedir la prórroga de esta concesión. Ganaron, pero tuvieron que bloquear la entrada al sitio para obtener por fin el derecho a gestionarlo ellos mismos. Ahora se puede visitar lo que se llama desde esa victoria india “El complejo de las ruinas de Quilmes”.

Entrada del sitio de Quilmes – Día de protesta

          Otro sitio inca notable en la provincia de Tucumán es la Ciudadita, también llamada Ciudad vieja, situada en el parque nacional Aconquija, a unos 4400 metros de altura.

          Más allá entramos en la provincia de Catamarca para recorrer un trozo de 1 kilómetro sobre el Qhapaq Ñan, entre el Pucará de Aconquija y el sitio arqueológico de El Bajo, lo cual también entra en la lista de la UNESCO, gracias a su perfecto estado de conservación.

          Al noroeste de la ciudad de Londres en esta misma provincia encontramos las ruinas del Shincal de Quimivil. Previo a la invasión de los incas, este sitio tomó cierta importancia después de su llegada. Situado en una junción de carreteras sobre el Qhapaq Ñan, se considera uno de los más importantes centros administrativos del imperio inca en Argentina.

          Paralelamente a la ruta 40, el Qhapaq Ñan sigue hacia el sur hasta la Tambería del inca en Chilecito, provincia de La Rioja, un sitio desgraciadamente bastante degradado. Cruza la Cuesta de Miranda, y luego penetra en la provincia de San Juan.

          En esta provincia, el camino del inca sigue hacia Barreal, cruza el Parque de El Leoncito y sus sitios incas, para luego penetrar en la provincia de Mendoza. Acá el Qhapaq Ñan pasa por el valle de Uspallata donde podemos ver las ruinas de Ranchillos y las de Tambillitos.

III. REALIDAD Y LEYENDA: EL PUENTE DEL INCA

          Situado en el límite meridional del imperio inca, el Puente del Inca constituye una rareza geológica que viene recordar la presencia de ese pueblo en el suelo argentino.

Puente del Inca

          Como suele ocurrir a menudo cuando faltan los documentos escritos, Historia y leyendas se confunden, y las leyendas muchas veces vuelven a volverse Historia.
          Por ejemplo esa que cuenta como el heredero del Inca cayó muy enfermo y se dijo que sólo le podían curar unas aguas provenientes de una fuente situada en los extremos del imperio. Así se fue con su séquito, pero al llegar frente al río que los separaba de esa fuente mágica, no pudieron pasar. Entonces los soldados formaron un puente humano, lo cual por voluntad divina se petrificó y así se pudo salvar el príncipe.

           Otra leyenda cuenta como fue el Inca mismo quien necesitó de hierbas medicinales que sólo crecían en el límite sur del imperio. El se salvó mediante el puente de piedra construido en una noche por Inti, el dios del sol, y Mama Quilla, la luna, y que le facilitó el cruce del río bajando del cerro.

          Pese a que la civilización de los incas no marcó mucho tiempo la historia de la Argentina (entre 1479 y 1534), queda notable que en su frontera con Bolivia, hasta el Aconcagua, la ruta 40, uno de los mayores ejes viales del país, sigue más o menos exactamente el antiguo camino del Inca, el Qhapaq Ñan.

          Otra anécdota más o menos histórica es la leyenda de la creación de la bandera argentina. Se dice que la creó el general Belgrano en la ciudad de Rosario en 1812, a partir de los colores del cielo, celeste y blanco, y que se añadió el sol que figura en el centro para recordar al dios inca Inti. La bandera la validó de manera oficial el Congreso de la Nación el 25 de julio de 1816, unos días después de la declaración de la Independencia (9 de julio).

Bandera argentina

          ¡Hasta se dice que en esta oportunidad el general propuso designar a un descendiente del Inca a la cabeza de la nueva monarquía constitucional!

          Sin embargo entre realidad y leyendas, ¡todavía nos queda un montón de misterios que aclarar a lo largo de este famoso y tan lindo camino del Inca!

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Para completar, un interesante artículo del diario Clarín, sobre las ruinas del Shincal de Quimivil.

Así como ese documental video de Laura Carbonari. (Duración 19’39)

 

Dans les pas des Incas

A LA DÉCOUVERTE DE L’INCA

          D’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours été fasciné par les civilisations précolombiennes, et plus particulièrement par celle des Incas.

          Je n’avais pas alors conscience qu’il s’agissait de la civilisation ayant le plus marqué l’histoire de l’Amérique latine malgré la brièveté de son rayonnement (début du 13ème siècle jusqu’à l’avancée des troupes du général Pizarro à partir de 1532).

          Dans mes rêveries adolescentes, la civilisation Inca, c’était surtout les rives du Lac Titicaca, où légendes et récits historiques s’accordent à en situer l’origine ; leur capitale, Cuzco «le nombril du monde», et leur vallée sacrée conduisant à la mystérieuse cité du Machu Picchu.

          Ce n’est que quelques décennies plus tard, avec la découverte du Puente del Inca, pont naturel enjambant le rio Las Cuevas sur la route qui relie Mendoza à la frontière chilienne, que je me suis intéressé de nouveau à la civilisation Inca et à sa présence en Argentine, si loin de son berceau originel.

           La présence des Incas en Argentine est attestée par les vestiges des voies et ouvrages construits sous la dynastie Pachacutec et connus sous le nom de Qhapaq Ñan, la «Route Royale» en langue quechua, permettant de voyager rapidement du nord au sud de leur empire.

          Cette route de plus de 6 000 km dans son axe principal reliait Cuzco, la capitale, à Pasto en Colombie dans sa partie nord, et au pied de l’Aconcagua en Argentine dans sa partie sud, traversant ainsi l’Équateur, le Pérou, la Bolivie. Ce «Chemin Principal Andin» était complété par un vaste réseau secondaire de 40 000 km utilisant les infrastructures pré incaïques existantes de chaque coté de la Cordillère des Andes, jusqu’à Santiago du Chili dans sa partie ouest.

          Ce réseau constitué de voies pavées, d’escaliers taillés dans la roche, de ponts suspendus traversant vallées encaissées et plateaux désertiques, culminant dans sa majeure partie entre 3 000 et 5 000 m, reliait les centres administratifs des régions habitées par les tribus conquises et soumises par les Incas, les zones agricoles et minières ainsi que les lieux de culte. Un système de «chasqui wasi», (relais de poste), «pukara» (forts) et «tambo» (auberges), complétait cet ensemble qui permettait à l’Inca de contrôler son empire. Il était emprunté par les «chaquis», serviteurs dévoués de l’Inca, qui courant de relais en relais et de ville en ville, étaient chargés de faire parvenir les missives impériales jusqu’aux confins de ses terres.

          L’un des conquistadors du Pérou, Diego de Almagro, qui partit en 1535 à la conquête de nouveaux territoires vers le sud, est considéré comme le premier Européen à avoir parcouru le «Chemin de l’Inca» dans ce qui est devenu l’Argentine. La chronique du voyage de cet explorateur, contemporain de l’apogée de la présence inca en Argentine, est aujourd’hui encore un outil précieux pour les historiens.

          Par delà des frontières modernes, le Qhapaq Ñan constitue un trait d’union entre les diverses cultures andines. C’est à ce titre que les gouvernements des six pays traversés ont obtenu en 2014, l’inscription du Qhapaq Ñan, plus longue route archéologique du monde, sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.

Tracé du Qhapaq Nan

EN PARCOURANT LE QHAPAQ NAN

          Ainsi en Argentine, ce sont sept provinces qui sont traversées par ce «chemin andin», qui, bien qu’existant depuis plus de 2000 ans, fut consolidé et «modernisé» sous l’empire Inca : Jujuy, Salta, Tucuman, Catamarca, La Rioja, San Juan et Mendoza. L’UNESCO a retenu 13 tronçons de cet ancien chemin représentant près de 120 km auxquels sont associés 32 sites archéologiques.

          Depuis la frontière bolivienne, le Qhapaq Ñan traverse la province de Jujuy en empruntant notamment la Quebrada de Humahuaca. Le village de Tilcara et sa forteresse (pucara) construite par les indiens Tilcaras est une parfaite illustration de l’appropriation des structures existantes par les Incas qui en ont fait une importante cité.

          Poursuivant leur avancée les Incas ont traversé l’actuelle province de Salta jusqu’à Cafayate franchissant le col Abra del Acay point culminant du Qhapaq Ñan avec ses 4 895 m d’altitude avant de redescendre vers les Vallées Calchaquies. Aujourd’hui encore ce col situé sur la Ruta 40 est l’un des plus élevés au monde, seuls quelques cols asiatiques lui disputant ce record.

          Tout au long de ce parcours de nombreux sites archéologiques attestent de l’existence de communautés indiennes asservies par les incas et probablement utilisées aux travaux de construction du Chemin de l’Inca.

          Sans être exhaustif, citons les ruines de Tastil, le site de Graneros de la Poma ou encore celui de Potrero de Payogasta. Près de Cachi, le site archéologique de La Paya est considéré comme étant les vestiges d’une importante cité Inca, siège du pouvoir impérial représenté par un fonctionnaire de haut rang : l’Inca Curaca.

          A Salta, le MAAM, (Museo de Arqueología de Alta Montaña), est reconnu pour être le meilleur musée d’Argentine dédié à la culture inca ; y sont notamment exposés les momies d’enfants sacrifiés selon les rituels incas découvertes en 1999 près du Pic de Llullaillaco, volcan culminant à 6 739 m, ce qui en fait le plus haut sanctuaire sacré de l’empire Inca.

          Dans la province de Tucuman, le Qhapaq Ñan rejoint la Cité sacrée de Quilmes où la communauté éponyme a survécu à la cohabitation avec les Incas, avant d’être vaincue par les conquistadors.

          Ce dernier site restera pour nous un rendez vous manqué lors de notre premier voyage en Argentine en décembre 2007 en raison du blocage de l’entrée par les descendants des indiens Quilmes pour faire valoir leurs droits.

Devant le site de Quilmes, jour de protestation

          L’origine du conflit date de 1977, avec l’expropriation de la communauté par les autorités de la province de Tucuman et l’octroi, en 1992, d’une concession de 10 ans à un homme d’affaires. Les indiens Quilmes entamèrent alors une procédure pour empêcher le renouvellement de cette concession. Bien qu’ayant obtenu gain de cause, il a fallu le blocage du site pour que les descendants de la communauté obtiennent enfin le droit d’exploiter ce qui s’appelle aujourd’hui «le Complexe des Ruines de Quilmes».

          Autre site inca d’importance dans la province de Tucuman, la Ciudacita, également connue sous le nom de Vieille Ville, est située dans le parc national Aconquija à 4 400 m d’altitude.

          Dans la province de Catamarca, c’est un tronçon du Qhapaq Ñan de près d’un kilomètre qui relie le Pucara de Aconquija au site archéologique d’El Bajo qui a été retenu par l’UNESCO eut égard à son état de conservation.

           Au nord-ouest de la ville de Londres dans la province de Catamarca, se trouvent les ruines du Shincal de Quimivil. Bien qu’antérieur à l’invasion des incas, ce site a pris de l’importance avec leur arrivée. Situé à un carrefour du Qhapaq Ñan il est considéré comme l’un des plus importants centres administratifs de l’empire inca en Argentine.

          Continuant vers le sud parallèlement à l’actuelle Ruta 40, le Qhapaq Ñan conduit à la Tamberia del Inca à Chilecito, site de la province de La Rioja malheureusement fort dégradé. Il traverse la Cuesta de Miranda avant de pénétrer dans la province de San Juan.

          Dans la province de San Juan, le « chemin de l’inca » progresse vers Barreal, traverse le Parc de Leoncito et ses sites incas, avant d’entrer dans la province Mendoza.

          Dans cette province, le Qhapaq Ñan, emprunte la vallée d’Uspallata où l’on peut découvrir les ruines de Ranchillos et celles de Tambillitos.

REALITE ET LEGENDES : LE « PUENTE DEL INCA »

          A l’extrémité méridionale de l’empire inca, c’est une curiosité géologique, le Puente del Inca qui rappelle le passage de ce peuple en Argentine.

Puente del Inca

           Comme souvent, en l’absence de documents écrits connus, histoire et légendes se confondent. Ainsi, l’une d’elle rapporte que l’héritier de l’Inca, gravement malade, ne pouvait être soigné que par les eaux curatives d’une source située aux confins de son empire. Devant l’impossibilité de franchir le torrent tumultueux qui les séparait de la source magique, les guerriers formèrent un pont humain qui sous l’action divine s’est pétrifié, sauvant ainsi le prince.

          Selon une autre version, c’est l’Inca lui même qui eut besoin des bienfaits d’une herbe médicinale poussant au sud de son empire. Il ne dut son salut qu’au pont de pierre bâti en une nuit par «Inti», le dieu Soleil et «Mama Quilla», la Lune, lui permettant de franchir la rivière descendant de la montagne.

           Bien que la civilisation Inca n’ait pas marqué longtemps l’histoire de l’Argentine (1479 – 1534), il est intéressant de remarquer que de sa frontière avec la Bolivie jusqu’au pied de l’Aconcagua, l’un des principaux axes routiers du pays, la Ruta 40, reprend en grande partie le tracé du Qhapaq Ñan créé au 15ème siècle au cœur des Andes.

          Autre clin d’œil de l’histoire, le drapeau argentin dessiné le 27 février 1812 à Rosario par le général Manuel Belgrano, à partir des couleurs de la cocarde argentine, arbore en son centre le «sol de Mayo», censé rappeler la représentation du dieu solaire inca, «Inti». Ce drapeau a été adopté par le Congrès le 25 juillet 1816, soit quelques jours après la déclaration d’Indépendance de l’Argentine (9 juillet).

Drapeau de l’Argentine

          On dit même que lors de ce Congrès, le général Belgrano, partisan d’une monarchie constitutionnelle proposa qu’à sa tête soit nommé un descendant d’Inca!

          Mais entre légendes et réalité, il nous reste cependant encore beaucoup de mystères à éclaircir, tout au long de cette fameuse et magnifique route impériale !

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Pour en savoir plus, un intéressant article sur le site « Open editions journal« . Il concerne surtout la géographie péruvienne du Chemin de l’Inca, mais il est très complet sur le sujet.

Et pour ceux qui aiment les images, ce documentaire de Laura Carbonari sur le Chemin de l’Inca en Argentine. Mais c’est en espagnol, naturellement. (Durée 19’39)

Législatives 2021 : résultats

          Les élections législatives ont eu lieu hier dans la journée. Comme chez nous, elles se déroulent traditionnellement le dimanche.
          Comme cela était annoncé après le «pré-vote» des primaires en septembre, l’opposition argentine l’a assez nettement emporté sur l’ensemble du territoire. Voici les résultats globaux pour l’Assemblée nationale, après dépouillement de près de 99% des bulletins :

Mouvement «Juntos por el Cambio» (Opposition, centre-droit et droite) : 42% (+1 siège)
Mouvement «Frente de todos» (Soutien au gouvernement, péroniste) : 34% (-2 sièges)
Gauche traditionnelle : 6% (+2 sièges)

          Le reste se partageant entre différents petits partis, dont beaucoup de partis strictement locaux.

          Globalement également, le mouvement «officialiste», comme on dit là-bas (la majorité gouvernementale, dirait-on ici) a légèrement amélioré son score des primaires de septembre, d’un petit 1,19%.
          En revanche, la victoire de l’opposition est beaucoup plus nette pour le Sénat. Les péronistes n’y ont obtenu que 28%des suffrages et perdu 5 sièges, contre 47% à leur adversaire principal qui en a gagné autant.
Dans les deux cas, l’abstention a été moindre que pour les primaires. Et c’est peut-être ce qui explique que la défaite du parti au pouvoir ait pu être quelque peu contenue, car les primaires l’annonçaient plus nette.

          Voici la projection en sièges pour les deux assemblées désormais (Source : La Nación.com – captures d’écrans)

Assemblée nationale :

         

Sénat :

          Comme on le voit, la situation du Frente de Todos au pouvoir est inconfortable, puisqu’il ne dispose d’aucune majorité absolue, et devra composer avec les autres groupes pour pouvoir gouverner.

          Nous vous épargnerons les détails par région, qui intéressent essentiellement les concernés et les politologues. Notons simplement quelques faits significatifs, qui donnent à cette élection ses couleurs particulières.

1. Pour la première fois depuis 1985, la région de La Pampa a mis le péronisme en minorité : il n’a obtenu qu’un siège de sénateur sur trois.
2. Deux régions ont vu s’inverser les résultats par rapport aux primaires : Le Chaco (nord argentin) et La Terre de Feu, où les primaires avaient annoncé une victoire de l’opposition, ont finalement élu des candidats pro-gouvernement.
3. La carte électorale montre un net clivage entre le nord-ouest argentin, aux provinces plutôt pauvres et où le péronisme maintient sa popularité, et le reste du pays, qui a voté pour l’opposition (Terre de feu exceptée).

          Les réactions dans les partis et dans la presse sont conformes aux traditions électorales universelles : tout le monde est content, ou presque.

          L’opposition retient qu’une page de 18 ans de péronisme kircheniste se tourne : selon Joaquin Morales Solá (anti péroniste) dans La Nación, cette défaite sans ambigüité signe la décadence du mouvement, dont le seuil électoral n’a jamais été aussi bas depuis 2003 et l’arrivée au pouvoir de Nestor Kirchner. Pour Eduardo Van der Kooy dans Clarín, la perte de la majorité au Sénat est «une balle dans le cœur de la vice-présidente Cristina (Kirchner) et du kirchnerisme». Selon lui, la défaite au Sénat, qui lui était jusque là tout dévoué, est une défaite personnelle, qui devrait, dommage collatéral, permettre au Président Alberto Fernández de reprendre la main sur le mouvement, jusqu’ici – c’est la thèse des opposants – contrôlé par les «Kirchneristes».

          A l’opposé, Melisa Molina dans le quotidien péroniste Pagina/12 souligne la quasi égalité obtenue dans la province de Buenos Aires (Une «remontada», puisque les primaires annonçaient une sévère défaite), et le maintien de la première place en sièges à l’Assemblée nationale. Idem pour Eduardo Aliverti, selon lequel on sentait qu’au vu des résultats, le mouvement péroniste donnait «…clairement la sensation se sortir la tête de l’eau», et qu’en face, malgré les «chiffres objectivement favorables, on ne pouvait dissimuler sa déception face au match nul de la province de B.A.». Aliverti file la métaphore footbalistique : «Quand on s’attendait à ce que tu prennes une dégelée au point de t’éliminer définitivement de la lutte pour le titre, et que finalement tu livres une partie plus qu’honorable grâce à une défense qui s’est montrée à la hauteur, et que tu restes dans la course, tu as le droit de célébrer le match nul, ou la défaite honorable».
          On se console comme on peut. Il n’en reste pas moins que le gouvernement n’a plus aucune majorité absolue, ni à la Chambre ni au Sénat, qu’il devra beaucoup négocier avec les petites listes pour pouvoir avancer, et que les deux années qui lui restent de mandat vont être longues. Alberto Fernández a promis d’ouvrir plus que jamais le dialogue avec les différents partenaires politiques, économiques et sociaux, favorables comme d’opposition. Mais d’abord, il va devoir pas mal dialoguer avec ses propres amis politiques – et néanmoins concurrents – dont certains rêvent déjà de lui faire porter le chapeau de la défaite. En somme, la question est : lequel des deux Fernández tirera le plus profit de la défaite, le président Alberto, ou la vice-présidente Cristina ?

          Rien de bien neuf pour nous Français, n’est-ce pas ? Les haines recuites en moins (car en ce moment en Argentine, les crispations sont au maximum de leur intensité), les lendemains d’élections sont assez similaires. En attendant, les problèmes demeurent, et ce ne sont pas ces résultats qui font espérer des solutions à court terme. Bien au contraire.          

          L’Argentine est plus que jamais un pays ingouvernable, et qui risque, dans les deux ans à venir, de s’enfoncer dans le marasme et les conflits internes. Et là-dessus, hélas, on peut compter sur les brillants politiciens locaux, d’un bord comme de l’autre, pour gâter la sauce.

          Pour les non-hispanophones, difficile de trouver des comptes-rendus de ces élections dans la presse française. Voici deux liens, pour ceux que ça intéresse, mais ce sont des articles soit réservés aux abonnés (Le Monde), soit plutôt succincts (Ouest-France). Il est vrai que c’est tout frais : on en trouvera peut-être davantage dans les jours à venir !

Bientôt des élections législatives

          Dimanche prochain 14 novembre auront lieu les élections au Parlement argentin. Les électeurs seront appelés à renouveler pour partie à la fois l’Assemblée nationale et le Sénat (Contrairement à la France, les sénateurs sont élus au suffrage universel direct).

          Les sénateurs Argentins sont comme les nôtres élus pour six ans. Ils sont au nombre de 72, soit trois par région. Le sénat est renouvelé par tiers tous les deux ans.

          La Chambre des députés compte quant à elle 257 élus nationaux, élus pour quatre ans. Elle est renouvelée par moitié tous les deux ans.
Par ailleurs, un système mis en place depuis 2009 impose à tous les partis une élection primaire quelques semaines avant a date des élections officielles. Ceci afin, d’une part, d’éliminer tous les partis obtenant moins de 5% des voix, et d’autre part, de départager les éventuels concurrents à l’intérieur des partis en présence. Ces primaires sont connues sous l’acronyme de PASO (primarias abiertas simultáneas obligatorias). Voir notre précédent article «un curieux système électoral».

          Ces élections primaires, qui se sont déroulées en septembre dernier, ont donné une nette avance à l’opposition de droite et du centre, contre l’actuel gouvernement péroniste d’Alberto Fernández. En général, les résultats se voient confirmés lors des élections officielles.

          Selon le quotidien La Prensa, l’issue ne fait pas de doute : la majorité actuelle va changer au Parlement, et nettement. La seule incertitude concerne la réaction des deux principaux dirigeants péronistes : le président Alberto Fernández et la vice-présidente Cristina Kirchner. Leur rivalité est connue, et on se demande seulement lequel des deux profitera de la défaite pour écarter l’autre. Dans La Nación, l’économiste Roberto Cachanosky ne dit pas autre chose, jugeant cette rivalité mortifère autant pour le parti péroniste («Aucune personnalité de prestige n’acceptera de participer à un tel gouvernement») que pour le pays. («Qui peut assurer que l’Argentin moyen pourra supporter deux ans de plus de cette folie ?»). Il faut dire que le pays est enseveli sous une dette énorme vis-à-vis du FMI, que sa monnaie, le peso, est en chute libre (ce qui ne date pas de ce gouvernement, d’ailleurs, mais de bien avant) et l’inflation galopante. Avec tout cela, difficile d’espérer l’aide d’investisseurs étrangers pour relancer la machine.

          Côté opposition, un des leaders, l’ancien président Mauricio Macri, est actuellement pris dans une affaire judiciaire pour détournement de fonds publics durant son mandat : une partie des fonds délivrés par le FMI auraient été versée à des banques privés pour faciliter leur évasion fiscale. D’après Pagina/12, 44 milliards de dollars, pas moins. Sans parler d’une autre affaire, d’écoutes illégales de familles de victimes du naufrage dramatique d’un sous-marin militaire, le «San Juan».

          En réalité, vue de notre Europe peu familiarisée avec le duel éternel péronisme-anti péronisme, la situation de nos amis Argentins paraît plutôt désespérée. Quelque soit l’issue de ces élections – et la victoire de l’opposition de droite est plus que probable – les problèmes demeureront. Dette stratosphérique, empilée par pratiquement tous les gouvernements successifs depuis la fin de la dictature, et même bien avant, chômage endémique, bas salaires, précarité, dévaluation monétaire et hausse des prix, on n’arrêterait pas d’égrener la liste des problèmes économiques et sociaux qui accablent le pays, sans qu’aucune perspective politique un tant soit peu porteuse d’espoir se fasse jour. Ce sera même probablement pire après le 14 novembre, puisque le gouvernement devra composer avec un parlement défavorable, et une opposition que fera tout pour entraver son action et le pousser à la faute. On peut penser que, comme souvent, la rue deviendra le théâtre d’affrontements partisans, et que les mouvements sociaux, d’un côté comme de l’autre, vont se multiplier. Ce qui ne contribuera qu’à dégrader la situation.

          Dans ce pays, il paraît impossible d’imaginer une classe politique luttant pour le bien public. Ce qui compte, c’est le pouvoir, et l’argent qu’il attire dans les poches des élus. Qu’ils soient péronistes, «kirchneristes» (la tendance péroniste proche de Cristina Kirchner, la vice-présidente), libéraux, conservateurs ou mêmes nostalgiques de la dictature (il y en a pas mal encore), aucun ne porte une vision saine de la politique et de l’administration publique. L’écologie politique est inexistante, il en va de même pour ce que nous Européens appelons «la gauche», diluée dans le péronisme.

          Rendez-vous le 15 novembre, après les résultats. Mais il semble bien que jamais élections législatives n’auront été moins porteuses d’espoir pour le peuple argentin dans son ensemble.

17 octobre 1945 : naissance du péronisme

                

          Il y a 76 ans, le 17 octobre 1945, une manifestation énorme est organisée devant la Casa Rosada (la maison rose), le palais présidentiel. La foule exige le retour d’un ministre qui, 4 jours auparavant, a été limogé et exilé sur une île du fleuve Paraná.

          Pour le petit peuple argentin, ce ministre représente l’immense espoir d’une vie meilleure. En quelques mois de mandat, il leur a rendu une partie de leur dignité, leur a donné des droits, amélioré leur condition. Ils veulent le garder. C’est « leur » ministre. Ils scandent son nom une journée durant, face au palais, pour exiger son retour.

          Le gouvernement militaire finit par plier. Cette journée de 1945 constituera alors, et à jamais, une des plus importantes de l’histoire argentine : celle de la naissance d’un mouvement qui va durablement structurer sa vie politique, pour le meilleur et pour le pire : le péronisme.

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En deux parties :

1ère partie : le coup d’état du G.O.U.

2ème partie : Perón président.

2ème partie : Perón président

            Les premières mesures gouvernementales des militaires sont radicales : mise sous tutelle de la CGT, dissolution du mouvement « Action Argentine » qui fait campagne contre l’influence des nazis dans le pays, interdiction du communisme, persécution des partis politiques, contrôle des universités, d’où sont limogés les profs d’opposition, éducation religieuse obligatoire dans les écoles publiques. C’est tout juste si l’opposition n’en vient pas à regretter le bon vieux Castillo.

          En définitive, l’abcès de fixation, l’obsession des militaires, c’est le communisme, qu’il faut à tout prix empêcher de «polluer» les esprits argentins.

          Néanmoins, il n’y a pas de ligne unanime au sein de l’Armée. On y retrouve les trois grandes tendances du moment chez les galonnés : des partisans des alliés, des neutres, et des pro-nazis.

          Seulement les États-Unis, qu’il est difficile d’ignorer, continuent de faire pression. Et en 1944, confrontée à l’inéluctabilité de la défaite allemande, l’Argentine finit par rompre toute relation avec l’Axe. Sans pour autant lui déclarer officiellement la guerre, tout de même, histoire de ménager la chèvre et le chou.

          Ce qui n’empêche pas le G.O.U., ce groupe d’officiers nationalistes qui a appuyé le coup d’état, de considérer cette décision comme une soumission au diktat nord-américain. Ils «punissent» donc Ramírez en lui retirant leur soutien, et en le remplaçant par leur propre leader, Edelmiro Farrell.
Et voilà comment un certain colonel Juan Domingo Perón fait son entrée au gouvernement. En tant que ministre de la guerre, mais pas seulement. Car il va disposer de pas moins de trois postes éminemment stratégiques. Il est également bombardé vice-président (Farrell le tient en très haute estime), et surtout, surtout, il prend en charge un ministère qui va s’avérer capital pour la suite de sa carrière politique : le secrétariat d’état au travail.

Le cabinet d’E. Farrell. Perón est le 3ème en partant de la gauche.

          C’est depuis ce ministère qu’il va pouvoir lancer sa grande entreprise de séduction de la classe ouvrière.

          Son premier souci est d’organiser, pour mieux le contrôler, le secteur syndical. A cet effet, il noue le dialogue avec tous les syndicats existants, sauf bien entendu ceux d’obédience communiste. Parallèlement, il prend d’emblée des mesures favorables au monde ouvrier : congés payés, droit à la retraite, indemnisation des accidents du travail, et surtout, en direction des ouvriers agricoles, «el estatuto del peón», grande loi visant à protéger les droits d’un secteur jusqu’ici placé sous un régime quasiment féodal.

          Ces mesures lui valent immédiatement une grande popularité parmi les classes modestes. Aux autres, qui s’inquiètent de le voir ainsi bousculer des hiérarchies sociales qu’ils croyaient intangibles, il rétorque que son action est le meilleur moyen de combattre la pénétration communiste dans la classe ouvrière. Ce qui est si vrai que les partis de gauche traditionnels lui tiendront éternellement rigueur de marcher ainsi sur leurs plates-bandes. Même encore aujourd’hui, en 2021.

          Par sa politique affichée de justice sociale, dans laquelle l’influence de sa femme Eva joue également un grand rôle d’aiguillon, Perón s’attire néanmoins l’ire des classes dominantes, qui commencent à prendre leurs distances avec le gouvernement de Farrell. L’angle d’attaque de l’opposition se porte alors sur le supposé penchant pour le nazisme du pouvoir militaire, penchant que, selon elle, confirme la persistance de la neutralité argentine dans le conflit mondial. Pour les calmer, Farrell finit par annoncer la déclaration de guerre contre les forces de l’Axe. Ce qui ne mange pas de pain : la guerre est déjà pratiquement terminée.

          L’année 45 voit s’amonceler les nuages au-dessus du gouvernement Farrell. D’une part, l’opposition, jusque là très disparate, parvient à s’unir au sein d’une coalition appelée «Union démocratique» qui rassemble très largement, des communistes aux conservateurs en passant par les centristes de l’UCR et les socialistes. Leur exigence : la remise du pouvoir à la Cour suprême et l’organisation d’élections démocratiques. D’autre part, les milieux patronaux critiquent durement la politique économique, dans laquelle ils ne voient qu’un avatar du fascisme.

          Perón, qui concentre le plus gros des critiques, va servir de bouc émissaire. Le général Ávalos , qui ne peut pas le sentir, menace même d’envoyer sa troupe à l’assaut de la capitale si Perón n’est pas démis de ses fonctions. Celui-ci est contraint à la démission, mais dans son discours de départ, il prend soin d’appeler le secteur ouvrier à défendre les acquis qu’il leur a octroyés. Forcément, ce n’est pas très bien pris, mais très bien compris : Perón appelle assez clairement la classe ouvrière à la résistance. Le 13 octobre 1945, Ávalos , nouveau ministre de la guerre, ordonne alors l’arrestation du trublion, qui est conduit sur l’île Martín García, sur l’embouchure du fleuve Paraná, lieu habituel de l’exil des gêneurs importants.

          La nouvelle de l’arrestation du ministre adulé provoque une forte émotion dans la population des plus humbles. Le 17 octobre, une immense foule se rassemble sur la Place de Mai (où se trouve la Casa Rosada, la Maison Rose, siège de la présidence), pour réclamer sa libération. Sous la pression, Perón est dans un premier temps rapatrié à l’hôpital militaire de la capitale. Mais la foule exige davantage : elle veut le retour au gouvernement de l’ancien secrétaire d’état . La manifestation est vraiment énorme, et les autorités commencent à craindre des débordements. Ávalos va voir Perón à l’hôpital, et lui demande de s’adresser à la foule, depuis le balcon de la Maison rose, pour lui prier de se disperser. Les militaires sont furieux, mais il n’y a qu’une alternative : ou Perón réapparait en public, ou il faudra chasser la foule par la force, ce qui se soldera immanquablement par un massacre. Farrell donne son accord, et Perón est transporté au palais présidentiel. Il y apparait enfin à plus de 11 heures du soir, mais les manifestants l’ont attendu, et lui font une énorme ovation. Le peuple a choisi son leader. La fin est prévisible : Juan Perón se présentera à l’élection présidentielle, et l’emportera avec près de 53% des suffrages.

« Les pieds dans l’eau » : manifestants sur la Plaza de mayo, devant le palais présidentiel, le 17 octobre 1945.

          Commencera alors l’une des périodes les plus controversées de l’histoire argentine. Désormais, cette histoire sera articulée autour d’un axe séparant – par une grande distance – péronistes et anti péronistes. Une articulation encore pertinente aujourd’hui.

Passation de pouvoir entre E. Farrell et Juan Perón – 1946

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En complément de cet article :

Sur ce même blog, la nouvelle « Un gaucho », retraçant la mobilisation des ouvriers agricoles d’une estancia de la Pampa pour le 17 octobre 1945.

Images de la manifestation du 17 octobre, extrait vidéo du documentaire de la chaine pédagogique Encuentro.

Discours de Perón au balcon de la Casa Rosada, 17 octobre 1945. (Extrait vidéo de 4’35 sur 30′). Traduction de l’extrait ici (document PDF).