Le Pinochet nouveau est arrivé !

Hier dimanche ont eu lieu les élections présidentielles chez le voisin de l’Argentine : le Chili. Et les résultats ne laissent pas d’inquiéter quiconque a connu les années de plomb de la dictature de « Don Augusto » et de ses «Chicago boys».

Son digne successeur, José Antonio Kast, a obtenu 28 % des suffrages au premier tour, contre 26% à son principal adversaire et représentant de la gauche, Gabriel Boric. Plus loin derrière, le candidat de droite libérale et populiste Franco Parisi a créé une certaine surprise, en obtenant 13% des suffrages, là où les sondages ne lui en donnaient pas plus de 5. Il a même obtenu plus de 33% dans la région d’Antofagasta ! Et cela, comme le raconte le quotidien «La tercera.com», sans avoir jamais foulé le sol chilien pendant la campagne.

José Antonio Kast

La candidate de centre-gauche, Yasna Provoste, a quant à elle essuyé une nette défaite, ne finissant qu’à la cinquième place, avec moins de 12% des suffrages. Elle paie sans doute les errances des gouvernances de centre-gauche successives, qui ont beaucoup déçu l’électorat progressiste chilien, notamment sous l’ère Bachelet.

Le candidat de la droite sortante (Sebastián Piñera ne pouvant pas se représenter, c’est donc un autre Sebastían, Sichel, qui s’y est collé) n’arrive qu’en quatrième position, un cheveu derrière Parisi.

Le deuxième tour verra donc s’affronter les deux candidats arrivés en tête, comme cela se passe chez nous. Un affrontement très binaire, entre deux candidats très marqués dans leurs camps respectifs. Kast, comme nous le disions, se propose de revenir à la politique du général Pinochet : retour à l’ordre policier, lutte contre l’immigration, interdiction de l’avortement, libéralisation extrême de l’économie.

Boric est un jeune candidat – il a 35 ans – progressiste et soutenu par les principales forces de la gauche traditionnelle chilienne. Il propose au contraire un programme visant au retour à l’état providence. Renationalisation du système de santé et des retraites, taxation des plus hauts revenus, libéralisation de l’avortement, préservation de l’environnement, droits des peuples premiers.

Gabriel Boric

L’issue de ce second tour est incertaine, même si la tendance est plutôt à droite. En effet, toute une partie de la population chilienne a été effrayée des manifestations de 2019 contre les inégalités sociales et les augmentations des prix. Manifestations qui ont souvent dégénéré, en raison de leur ampleur et de l’état d’urgence décrété par le gouvernement Piñera.
Sans parler d’une certaine nostalgie, dans les classes les plus aisées, de l’ordre pinochetiste. Certains n’ont pas digéré que ces manifestations, justement, aient conduit à réformer une constitution héritée des années de dictature.

A priori, le scrutin reste ouvert. Mais tout dépendra des reports de voix. Or, dans l’état actuel des résultats, la tendance est plutôt favorable à la droite. Chacun des candidats commence donc une longue marche – le second tour n’a lieu que dans un mois – pour tenter d’obtenir l’appui des autres partis. Kast pourra sans doute compter sur les reports des électeurs de Parisi, et ceux de Sichel. Boric cherchera ceux du centre-gauche et des petits candidats de gauche. Mais comme on peut le lire dans «Mercurio» du 22/11, les candidats malheureux posent leurs conditions. Parisi annonce qu’il consultera ses électeurs par internet avant de se prononcer, Provoste exige «des garanties de paix et de tranquillité» de la part de Boric. Sichel, lui, ne semble pas vouloir faire de difficulté à Kast.

Le Chili risque bien d’avoir un réveil douloureux après le second tour du 26 décembre. Le Papa Noël pourrait bien s’appeler Pinochet et avoir déposé un cadeau explosif – et posthume – sous le sapin. Mais quel que soit le résultat, ce qui est certain, c’est que la société chilienne en sortira plus divisée que jamais, entre conservateurs/libéraux ultra catholiques d’un côté, et progressistes de gauche de l’autre. Une division à la fois sociale et générationnelle : la majorité des manifestants de 2019 et des électeurs de Boric faisant partie des tranches d’âge les plus jeunes, anxieux de tourner définitivement la page des années Pinochet, quand leurs ainées en gardent la nostalgie de la loi, de l’ordre et des valeurs traditionnelles.

Le Chili a pris l’habitude de se penser comme le pays le plus avancé, économiquement et politiquement, et le plus moderne d’Amérique Latine. Il reste pourtant un des plus inégalitaires du continent, et a été profondément marqué par la longue dictature – de 1973 à 1989 – d’Augusto Pinochet, dont les comptes n’ont jamais été soldés, alimentant un ressentiment – de part et d’autre – qui mine au quotidien la difficile harmonie sociale. Ce pays, que Salvador Allende, ce président élu en 1971 et assassiné en 1973, rêvait de transformer en une démocratie sociale et pacifiée, a été comme anesthésié et infantilisé par les années Pinochet, qui ont favorisé durablement une certaine acculturation politique dont on voit les ravages depuis trente ans. Une jeunesse qui étouffe sous une chape de traditions rances, de méfiance envers l’avenir, et de refus du changement, portés par une frange – importante – de la société qui ne rêve que de vivre à l’ombre de figures tutélaires.

Un pays sclérosé.

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