Ce lundi, la presse argentine semble délaisser ce qui faisait les principaux titres ces derniers jours, à savoir l’accord signé entre l’état et le F.M.I. Celui-ci devrait permettre à l’Argentine, en grande difficulté financière, d’étaler sa dette colossale et de pouvoir un peu renflouer ses caisses. L’accord a été approuvé par la majorité du parlement, tout en provoquant des frottements internes dans les différents partis. En effet, à droite, la philosophie est d’ordinaire plutôt favorable au F.M.I., mais étant actuellement dans l’opposition, certains se voyaient mal approuver un accord négocié par un gouvernement qu’ils abhorrent. Côté péroniste au contraire, cet accord avec le gendarme financier du monde libéral fait grincer quelques dents. Au final, on a donc assisté à un vote trans-courant.
L’accord signé, la presse peut donc s’éloigner un peu des thèmes de politique intérieure. Ce qui fait la une aujourd’hui, c’est donc naturellement la guerre en Ukraine. Le quotidien Clarín en fait l’essentiel de sa une de ce lundi, en développant trois grands axes : les bombardements sur la base de Yavoriv, les réfugiés (ici, en se concentrant sur ceux accueillis par l’Espagne), et une série de tribunes sur la psychologie du président russe, de la fabrication d’un dictateur au désir de Poutine d’effacer les erreurs commises par Lénine et Staline, en passant par la jalousie de Wladimir le petit.
Dans l’ensemble, le ton de la presse argentine est largement défavorable au leader russe, y compris dans les journaux de gauche, même si Gerardo Szalkowics, dans Pagina/12, renvoie dos à dos Russes et occidentaux en ce qui concerne la responsabilité du conflit, les uns menant une invasion «brutale et inhumaine», les autres et notamment l’OTAN, ne respectant aucun des accords diplomatiques pris avec la Russie concernant le thème de la sécurité des frontières et la neutralisation des zones proches de la Russie. (Voir notre résumé de cet article ici).
La Nación, autre quotidien plutôt situé à droite, relève le changement de position du gouvernement péroniste vis-à-vis du président Russe, jusqu’à il y a peu considéré comme un partenaire fiable. Ce changement, selon La Nación, aurait provoqué de fortes dissensions au sein du gouvernement, et entrainé la démission de certains membres du ministère des Affaires étrangères. Le quotidien indique que «L’invasion et ses conséquences atroces sur les populations civiles ont éteint les voix qui à l’intérieur du gouvernement défendaient les liens politiques et commerciaux avec le président russe, auquel le président argentin Alberto Fernández avait offert l’Argentine comme portail d’entrée sur le continent il y seulement un peu plus d’un mois. Mais les tensions persistent et ceux qui défendaient cette position ont été réduits au silence ou discrètement écartés, en même temps que les liens avec les Etats-Unis (…) ont été renforcés concomitamment avec la signature de l’accord avec le F.M.I.»
On notera néanmoins la différence de couverture du conflit par ces deux principaux quotidiens argentins, La Nación restant davantage centré sur les thématiques nationales. C’est le cas également du journal de gauche Pagina/12, qui ne propose qu’un article en une sur l’Ukraine, de nature factuelle. Ce qui est le cas également du Diario Popular, qui s’attarde cependant sur la mort d’un journaliste abattu au nord de Kiev et les menaces de Biden affirmant que l’OTAN répliquerait en cas de franchissement de frontière des Russes vers un pays de l’Alliance.
Ce qui préoccupe également les quotidiens argentins en ce lundi, outre le conflit, c’est surtout l’augmentation du carburant, qui devrait prendre environ 10% dans les jours à venir et la suspension des exportations d’huile de soja et de farine (Avec en préparation une augmentation des taxes prélevées aux différents secteurs sur les exportations).
Pour l’anecdote, notons que Clarín parle de notre PSG en une aujourd’hui. Pour souligner qu’après la (nouvelle) honteuse défaite face à un rival espagnol, les supporters s’en prennent, entre autres, à l’icône argentine Leo Messi et au non moins argentin entraineur Mauricio Pochettino. Le seul épargné aura été le Français Kylian M’Bappé, qui, fait malicieusement remarquer le quotidien, serait annoncé l’an prochain… au Real Madrid.
L’antériorité de la découverte des îles est âprement disputée. Selon les sources, elles auraient été vues pour la première fois par l’explorateur Amerigo Vespucci (celui-là même à l’origine du nom du continent : l’Amérique) entre 1501 et 1504, ou par le Portugais Magellan en 1520, ou le jésuite espagnol Francisco de Ribera en 1540. Aucune trace tangible que l’un d’entre eux ait réellement posé le pied sur les îles. Les Anglais en tiennent soit pour le corsaire Richard Hawkins en 1574, soit pour John Davis en 1592. Mais ce ne sont pas les seuls «candidats» à la primauté.
Chacun d’ailleurs les a baptisées de manière à «marquer» le territoire de son empreinte : «Iles méridionales de Davis», «Iles Sebald» (du nom d’un navigateur Hollandais), «Hawkins maiden land», par l’Anglais Richard Hawkins.
Ce qui est attesté en revanche, c’est qu’en 1764, ce sont des marins bretons venus de Saint Malo qui les baptisent « Iles Malouines », nom qui restera, du moins dans les langues latines. Le nom gardé par les Britanniques, « Falkland islands », est semble-t-il plus ancien encore, donné par le navigateur écossais John Strong en 1690 en l’honneur du Comte de Falkland.
Ce petit archipel ne va pas cesser de changer de propriétaires au cours du temps. En 1764 donc, les Français, conduits par Louis de Bougainville, installent une sorte de comptoir, Port-Louis (le village existe encore sous ce nom, au nord de l’île orientale, Isla Soledad en espagnol). Les Espagnols râlent aussitôt : ils considèrent les îles comme partie des territoires sud-américains qu’ils ont déjà conquis. Notre bon roi Louis XV, qui a déjà perdu la guerre de Sept ans et corollairement la plupart de nos colonies américaines, Canada compris, baisse pavillon et admet l’illégalité du comptoir français. Les îles restent espagnoles, après remise néanmoins d’une jolie somme aux Français en dédommagement de leurs dépenses d’installation à Port Louis.
Les tontons flingueurs Anglais ne tardent pas à rappliquer, comme toujours quand ils sentent qu’il y a moyen de rafler des marrons déjà tirés du feu. C’est que les îles constituent une sorte de porte d’entrée du Pacifique, sans être obligé de passer par le continent «espagnol». En 1765, ils fondent Port Egmont, aujourd’hui Saunders. Commence alors une dispute anglo-espagnole. Chacun revendique l’antériorité de la découverte des îles. Pas facile de trancher, entre ceux qui ont vu en premier, ceux qui ont accosté en premier, ceux qui se sont installés en premier, etc…
En 1770, les Espagnols parviennent à déloger les Anglais de Port Egmont. S’ensuit une querelle diplomatique assez acharnée : on est au bord de la guerre. Un accord est alors signé, permettant aux Anglais de pouvoir se retirer sans perdre la face : c’est l’accord de San Lorenzo (accord de Nook, en Anglais), signé en 1790. Dans un premier temps, les Espagnols permettent leur réinstallation à Port Egmont, puis la couronne d’Angleterre décrète qu’elle abandonne la souveraineté des îles aux Espagnols. En Angleterre, ça râle sec : on a l’impression de s’être fait avoir, et que le bon George III a baissé le pantalon.
Néanmoins, par cet accord, les Espagnols conservent l’autorité sur les îles, rattachées au Vice-Royaume de La Plata, la future Argentine. La population est alors essentiellement composée de militaires et de prisonniers, car les Espagnols y ont implanté un pénitencier en 1780. L’intérêt économique des îles n’est pas très évident !
1816 : l’Argentine est enfin totalement indépendante, les Malouines passent sous l’autorité du nouvel état, encore appelé «Provinces unies du Río de La Plata».
1823 : installation du gouverneur argentin Pablo Areguatí. La souveraineté de l’Argentine sur les îles, qui pour l’essentiel redeviennent un centre pénitentiaire, est officiellement proclamée, et avalisée par les autres nations. Dont, faut-il le remarquer, l’Angleterre, qui ne moufte pas à ce moment-là.
1825 : concession des droits de pêche, de chasse et d’élevage à la société fondée par l’Allemand d’origine française Louis Vernet, qui reconstruit l’ancien comptoir de Port-Louis. C’est le vrai départ économique de l’archipel, qui commence à se peupler autrement que de bagnards.
1829 : Les Anglais relèvent les sourcils. On pourrait donc tirer quelque bénéfice de ces cailloux atlantiques ? Commence alors ce qu’on n’appelle pas encore un «lobbying» de quelques entrepreneurs anglais auprès de la Couronne. Après tout, quand l’Angleterre s’est retirée en 1774, légalement, est-ce qu’elle a vraiment abandonné tous ses droits ? (Réponse : oui, mais poser la question, c’est toujours jeter un doute utile)
1830 : en vertu de l’interdiction de pêche décrétée par le gouvernement argentin, trois navires étasuniens sont arraisonnés et conduits à Buenos Aires. Les nord-américains protestent : personne au monde ne peut leur interdire de pêcher où bon leur semble, décret ou pas décret. Ils menacent : ou les Argentins libèrent leurs navires, ou ils débarquent sur les Iles Malouines.
Les Anglais sautent sur l’occasion, et appuient la demande nord-américaine, insistant sur «l’illégalité» de l’occupation de l’archipel par les Argentins, et leur propre souveraineté restée intacte depuis 1774. (Oui, ils s’assoient encore une fois sur l’accord de San Lorenzo, et alors ?)
1831 : Fort de ce soutien, les États-Unis envoient un navire à Puerto Soledad, et prennent possession du port. Parallèlement, ils négocient avec les Anglais le futur statut de l’archipel : la pleine souveraineté laissée aux Britanniques en échange d’un droit illimité de pêche. Après l’intrusion nord-américaine, les îles ont sombré dans un état d’anarchie, il n’y a plus d’autorité constituée.
1832 : pour rétablir l’ordre, l’Argentine envoie un nouveau gouverneur, Esteban Mestivier. Mais sa tentative de reprise en main arrive trop tard. Il est assassiné par un groupe factieux, le désordre est à son comble, et les îles ne sont plus suffisamment défendues par les autorités argentines. Les Anglais vont en profiter.
1833 : Les Anglais débarquent à Port Egmont. Le port est en ruines, mais ils décident de le remettre en état. La faible défense argentine, conduite par José María Pinedo, ne peut endiguer l’invasion britannique. Le 3 janvier, Pinedo quitte les îles, sur lesquelles flottent désormais les couleurs anglaises. Ceux-ci emploient alors une méthode efficace pour s’assurer un contrôle a priori définitif : peupler les îles de colons britanniques, qu’on appelle aujourd’hui les «Kelpers». Plus d’argentins, plus de problème. Jusqu’en 1982, donc, comme on pourra le lire dans l’article principal.
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Point sur la situation actuelle
En réalité, le différent à propos des Malouines englobe aussi les îles Sandwich et La Georgie du sud, également sous tutelle britannique (Voir carte ci-dessous).
L’ONU a promulgué deux résolutions importantes qui font référence pour ce conflit, mais également et plus globalement pour différents cas similaires.
L’Argentine s’appuie sur ses articles 1 (s’opposant à l’exploitation d’un peuple par une puissance étrangère) et 6 (sur l’intégrité territoriale inaliénable) pour affirmer le caractère colonialiste de «l’occupation» britannique. En réalité, cette résolution affirme surtout le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Or, les habitants des Falklands sont pratiquement tous d’origine britannique. En 2013, lors d’un référendum, ils ont affirmé à une majorité écrasante préférer rester sous tutelle britannique. Mais l’Argentine conteste ce point, non sans arguments : la population des îles n’est pas une population native, mais une population entièrement importée, et par là même, peut et doit être considérée comme une population coloniale, et non une population native colonisée. Par ailleurs, le paragraphe 6 de la résolution s’applique parfaitement aux îles : celles-ci ont été illégalement détachées de l’ensemble territorial argentin (Elles font partie intégrante de la plateforme continentale sud-américaine). Les Britanniques de leur côté répliquent que l’origine des habitants ne saurait être un argument valable pour contester leur droit à l’autodétermination, en s’appuyant sur l’article 5, qui stipule que «des mesures immédiates seront prises (…)pour transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve, conformément à leur volonté et à leurs vœux librement exprimés, sans aucune distinction de race, de croyance ou de couleur, afin de leur permettre de jouir d’une indépendance et d’une liberté complètes».
Cette résolution plus spécifiquement consacrée au différent anglo-argentin enjoint les deux parties à engager une négociation sans délai pour trouver une solution au conflit, pacifique, respectant les termes de la résolution 1514, et préservant l’intérêt de la population des îles. En préambule, elle rappelle clairement le caractère colonial de l’occupation des îles.
D’autres résolutions ont également été votées pour insister sur la nécessité pour les parties de ne prendre aucune initiative unilatérale qui pourrait compromettre le processus de discussion pacifique. Or, selon les Argentins, la Grande-Bretagne ne respecte pas ces résolutions. Elle refuse systématiquement de s’asseoir à la table des négociations, et, justement, ne se prive pas de mener des activités unilatérales, en militarisant la zone et en exploitant les ressources des îles. Ce que les Anglais contestent : les forces militaires installées depuis 1982 n’ont selon eux que des visées défensives, et l’exploitation des ressources est faite dans l’intérêt de la population locale.
En réalité, comme le prouvent les interventions répétées des diplomates britanniques, pour la Grande-Bretagne, il n’y a rien à négocier. En la matière, l’ONU reste impuissante à faire appliquer correctement ses résolutions. Par ailleurs, l’intervention militaire de 1982 a fortement fragilisé la position argentine, tout en renforçant la tutelle britannique. La résolution du conflit est encore très éloignée !
Grosse polémique en ce moment à Buenos Aires. Pour satisfaire aux exigences du FMI, qui comme à son habitude, réclame en échange de ses bons offices (c’est-à-dire : un gros prêt) que l’Etat argentin serre les cordons de sa bourse pourtant déjà bien plate, celui-ci envisage de refiler la gestion de 32 lignes de bus de Buenos Aires à l’administration municipale de la ville. Un coup classique qu’on connait bien chez nous : l’état sommé de faire des économies se décharge de certaines dépenses sur des entités régionales. En l’occurrence, les bus portègnes sont un gouffre à subventions : la plupart des compagnies, toutes privées, ne tiennent que grâce aux subsides de l’état, qui verse annuellement 13 milliards de pesos, soit à peu près 107 millions d’euros. Milliards qui pourraient être consacrés, selon le gouvernement, au transport public dans les régions, qui ne bénéficient pas jusque là de la même manne, et où l’usager doit payer son ticket plus cher.
Occasion de revenir sur un système de transport aux traits assez particuliers. Les bus portègnes… Ah, oui, là, je rappelle pour la dernière fois : portègne, c’est l’adjectif qui se rapporte à tout ce qui vient de Buenos Aires. On dit aussi « bonaerense », littéralement buenosairien, mais c’est moins utilisé. Les bus portègnes, donc, existent depuis 1928, année au cours de laquelle une association de taxis décide de créer un système de transport collectif, pour faire concurrence au tram. Là-bas, on les appelle «colectivos», nom utilisé dans tout le pays pour désigner les bus de ville (Pour la route, on dit «micros». Autrement dit, bus en ville, autocar sur la route). Dans la capitale, on dit aussi «Bondi». C’est de l’argot local, le lunfardo.
Ce nouveau système de «colectivos» se met doucement en place. La concurrence est rude, d’autant qu’au début des années trente, ce sont les anglais qui maitrisent le transport portègne, et que le gouvernement de l’époque (des militaires conservateurs) ne sait rien leur refuser. Il ira même, en 1932, jusqu’à restreindre par décret la circulation des nouveaux colectivos pour éviter de leur faire trop d’ombre !
Mais le public est conquis. Ce nouveau type de transport, plus souple, plus rapide, et bon marché, trouve sa clientèle. Petit à petit, le système se réglemente : couleurs distinctes pour les véhicules, définition de lignes et de trajet (1932), installation obligatoire d’un système de vente de tickets – taximètre – à bord, pour contrôler la capacité maximale de passagers (1934), puis création en 1936 d’une Corporation des transports de la ville de Buenos Aires, pour fédérer l’ensemble. Une sorte de monopole, quoi. Mais là encore, il s’agissait de faire plaisir aux Anglais, avec lesquels on venait de signer un accord d’échange commercial préférentiel : exportation de viande contre priorité pour les investissements industriels et exemption de droits de douane pour les produits importés de Grande Bretagne. Pour faire court : le transport par colectivos était rattaché au système de transport ferroviaire, alors totalement entre les mains des Anglais.
La seconde guerre mondiale met un coup d’arrêt au développement du système. D’une part, par faute de pièces détachées (La plupart étaient produites aux États-Unis), d’autre part, à cause d’un conflit ouvert entre la Corporation et les quelques compagnies restées indépendantes, qui se voyaient régulièrement interdites de circulation (La Corporation ayant le pouvoir de les exproprier).
En 1948, la Corporation, mal gérée, est mise en faillite et dissoute. L’État péroniste crée alors une nouvelle compagnie publique : «Transports de Buenos Aires», qui développe des lignes au-delà de la première ceinture de la capitale. Les banlieues sont enfin desservies. Le système reste public jusqu’à la chute du péronisme, en 1955. Ensuite, le nouveau pouvoir (toujours militaire, eh oui !), se lance dans la privatisation : il vend une vingtaine de lignes. Parallèlement, il supprime peu à peu toutes les lignes de tram et de trolley : à la fin des années soixante, il n’y a plus que des bus pour transporter les usagers en ville. Plus, naturellement, les cinq lignes de métro (la 5ème créée en 1966). Mais en ce qui concerne le métro, s’agissant d’une capitale aussi énorme (y vit le tiers de la population argentine, rappelons-le), il est notoirement sous-dimensionné, et ne s’étend pas au-delà des limites de la ville elle-même (Celle-ci compte plus de trois millions d’habitants, 17 millions pour la totalité de l’agglomération. A comparer avec Paris et ses 14 lignes de métro, pour 2 millions d’habitants, 12 en agglo).
Aujourd’hui, la quasi-totalité des compagnies de colectivos est de statut privé, mais l’état garde la main sur l’organisation générale du système. Heureusement : on imagine le chaos si tout le monde pouvait faire selon sa volonté. C’est qu’il y a pas loin d’une centaine de compagnies, pour près de 350 lignes en exploitation ! Mais ces compagnies, pour la plupart, ne survivent que grâce aux subsides de l’état, qui subventionne largement le prix du gazole, d’une part, et celui du billet d’autre part. Et ce depuis la grande crise de 2001, qui avait vu s’effondrer la demande pendant que montait en flèche le prix du carburant. Mais malgré ces subventions, la flotte de bus commence à sentir de plus en plus le vieux. Tous fabriqués selon un modèle unique, ils circulent jusqu’à rendre l’âme. S’il est extrêmement rare de nos jours, de monter dans un bus neuf à Buenos Aires, en revanche il est fréquent d’avoir la sensation, à bord d’un des brinquebalants engins, de voyager dans le temps !
Le gouvernement cherche donc, aujourd’hui, à refiler le bébé à la municipalité de Buenos Aires. Celle-ci, en échange de ce transfert de charges, pourra gérer le système de lignes, décider du prix du billet, du montant des subventions. Mais bon, ça coince, naturellement : le cadeau est totalement empoisonné, s’agissant d’un service qui coûtera toujours plus cher qu’il ne rapporte !
Selon le journal Infobae, le gouvernement se défend de se soumettre au diktat du FMI. Il ne chercherait qu’à rétablir l’équilibre avec les systèmes de transport de province, qui, eux, ne bénéficiant pas des mêmes subventions, font payer le ticket bien plus cher à leurs usagers. En moyenne, 60-70 pesos par trajet contre 18 à Buenos Aires. Récupérer la manne distribuée jusque là aux compagnies portègnes permettrait ainsi d’en reverser une partie aux villes de l’intérieur, comme Rosario, Córdoba ou Bariloche, et d’en finir avec les disparités capitale-province. Ce que ne conteste pas la municipalité de B.A., mais celle-ci craint de devoir, du coup, augmenter substantiellement le prix du billet, qui pourrait passer de 18 à 40 pesos. Affaire à suivre : à savoir si après le transfert de charges, les provinciaux paieront effectivement un peu moins, ou si au final, ce sont seulement les usagers portègnes qui paieront leur bus plus cher !
Une fois installée au pouvoir, l’objectif de la dictature militaire est double. D’une part, réduire les syndicats au silence, d’autre part, ouvrir le marché argentin aux capitaux étrangers. En clair, pratiquer une politique la plus libérale possible.
Les militaires considèrent les syndicats en particulier, mais le monde ouvrier en général, comme un nid de marxistes et, partant, un groupe dangereux pour une société qu’ils veulent conserver traditionnelle, catholique et gardienne vigilante des hiérarchies sociales établies.
D’un autre côté, ils sont tiraillés entre une doctrine autoritaire et nationaliste, qui les pousserait naturellement vers le protectionnisme et la prééminence de l’Etat dans les affaires économiques, et leur proximité anticommuniste avec le monde occidental, et plus spécifiquement nord-américain, et donc très libéral, qui au contraire appellerait plutôt à l’ouverture du marché argentin.
Quelle doctrine choisir ? Les deux, mon général. Ouvrir l’économie nationale aux capitaux étrangers pour favoriser la concurrence et ainsi, pensent-ils, stimuler l’industrie et le commerce nationaux. Tout en maintenant une forte pression étatique sur le fonctionnement du système.
Le premier ministre de l’économie de la dictature sera José Alfredo Martínez de Hoz. Un libéral bon teint, naturellement, très lié aux milieux financiers internationaux, et qui a déjà exercé le poste, pendant le mandat de José María Guido en 1962-63.
Sa théorie est simple : on laisse tomber l’industrie locale, peu performante et incapable de lutter contre la concurrence étrangère, et on se concentre sur ce que le pays peut exporter : les produits agricoles (surtout élevage et céréales) et miniers. En somme, avaliser la division du travail prônée par le libéralisme.
Son plan, globalement, suit la recette déjà mise en œuvre au Chili par la fameuse «Ecole de Chicago» (Voir aussi ici), à savoir, un plan ultralibéral : ouverture des marchés, libéralisation des taux de change, baisse des impôts sur les exportations agricoles, réduction des taxes sur les produits importés, gel des salaires, interdiction de la grève, promotion de la concurrence étrangère.
Ce dernier point ne va pas tarder à produire ses effets quasi mécaniques : l’industrie locale s’effondre, entrainant fermetures d’usines et chômage. Autre effet mécanique : la concentration des richesses, que ce soit dans l’industrie, où la faillite des uns fait le bénéfice des autres, ou dans l’agriculture, les grands propriétaires terriens profitant à plein des baisses de taxes.
Un autre effet, plus local celui-là, et certainement peu anticipé, a été le rebond spectaculaire de l’inflation. Celle-ci atteindra en 1979 le chiffre stratosphérique de 227% ! Une tendance qui mettra des années à s’inverser : en 1989 (l’Argentine était alors revenue en démocratie), l’inflation atteignait un pourcentage annuel de plus de 3000% ! Et non, il n’y a pas d’erreur de zéros. (Source Université Di Tella, Buenos Aires).
Face au problème monétaire, Martínez de Hoz mettra en place ce qu’on a appelé alors «la tablita» financière. Un système destiné à favoriser l’entrée de capitaux en dollar, celui-ci voyant sa valeur baissée artificiellement par les mesures gouvernementales. Et qui eut en réalité un effet aussi pervers que catastrophique : les capitaux ne servirent plus qu’à une pure et simple spéculation financière de va-et-vient monétaire, une «bicyclette financière» où l’argent servait… à fabriquer de l’argent. C’est la période dite de «La plata dulce». J’achète du dollar pas cher, je le transforme en pesos, puis je rachète du dollar encore moins cher. Et ainsi de suite. Comme le montre non sans humour noir le film de Fernado Ayala, intitulé justement «Plata dulce», les entreprises n’avaient plus besoin de produire pour gagner de l’argent : il suffisait de spéculer sur les monnaies (Voir extrait de texte H).
Dans le même temps, le déficit commercial n’étant plus sous contrôle, et les capitaux n’étant plus investis dans la production, la dette explose. Elle sera multipliée par six en sept ans de dictature ! Dans cette économie «dollarisée», l’industrie argentine, minée par la concurrence extérieure, n’est plus qu’un tas de cendres, à part pour une poignée d’entreprises proches du pouvoir, qui tireront un juteux bénéfice du malheur de leurs concurrents, en les rachetant et en concentrant les affaires.
A partir de 1981, la crise est à son comble. Banques en faillite, fuite des capitaux, baisse du PIB, déficit commercial abyssal, escalade de la dette publique. Il faut admettre l’échec sanglant du plan Martínez de Hoz. Il est donc remplacé. Tout comme le président en exercice, Jorge Videla. A leur place, la junte installe le général Roberto Viola à la tête de l’état, et Lorenzo Sigaut, un ancien dirigeant de FIAT, à l’économie. Avec un slogan resté célèbre : «Celui qui parie sur le dollar perd à tous les coups». Sitôt en place, le nouveau ministre supprime la tablita, et dévalue fortement le peso, histoire de faire remonter le dollar et de favoriser ainsi les exportations.
Nouvel échec : Sigaut ne parvient qu’à faire augmenter la dette (+31%) et à accélérer la chute du PIB, approfondissant la crise. Nouveau changement à la tête de l’état en conséquence, avec l’arrivée du général Leopoldo Galtieri aux manettes, et Roberto Alemann à l’économie. Viola et Sigaut n’auront tenu que huit mois, de fin mars à novembre 1981.
Politique des nouveaux dirigeants pour combattre la crise ? Rien de neuf, on reste dans le libéral pur sucre : compression des dépenses publiques, gel des salaires, privatisations de tout ce qui pouvait se privatiser. Avec comme résultats notables un chômage galopant et une flopée de fermetures d’usines. L’Argentine continue ainsi de s’enfoncer dans une de ses plus graves crises depuis celle, mondiale celle-là, de 1929. Arrivé à ce point-là, le bilan est déjà bien lourd : l’inflation à trois chiffres est devenue la norme, l’indice de pauvreté est passé de 6% en 1974 à près de 40% en 1982, l’injuste sociale est à son comble, les 10% les plus riches ayant vu leurs revenus augmenter de plus de 30%, pendant que les 30 % les plus pauvres perdaient, eux, le même pourcentage.
Acculé, de plus en plus impopulaire, le gouvernement militaire va alors tenter une manœuvre désespérée pour tenter de restaurer son image, en fédérant l’ensemble de la population autour d’un projet nationaliste : récupérer les Iles Malouines, sur lesquelles les Britanniques ont fait main basse en 1833. Ce sera leur chant du cygne.
On ne sait pas, et on ne saura jamais, qui a tué Rucci. Sa famille, en 1999, accepte la thèse qui fait porter la responsabilité à la Triple A, et reçoit une indemnisation (de l’état).
(Un des fondateurs de la Triple A, Salvador Horacio Paino, avait attribué le crime a son organistion en 1983, NDLA)
Qui l’a tué ? Eh bien, au choix : 1) Les Montoneros ou une fraction d’entre eux qui en a pris l’initiative sans consulter Firmenich (Leader du mouvement, NDLA) 2) Un ordre direct de Firmenich 3) La Triple A. López Rega était furieux de la relation privilégiée entre Perón et Rucci. Il le fait descendre. 4) L’ERP, parce que Rucci est le principal adversaire de Tosco (Agustín Tosco, autre leader syndical, NDLA) à l’intérieur du mouvement ouvrier et qu’inévitablement il va attacher celui-ci au réformisme bourgeois et au pacte du renoncement. 5) l’Armée, afin de déstabiliser le Pacte Social. 6) Perón. N’a-t-on pas fait courir une blague à ce sujet ? (…) Un aide de camp dit à Perón : «Général, Rucci a été assassiné». Perón regarde sa montre et répond : «Hein ? Non, mon vieux, ce n’est pas possible. Il n’est pas encore midi». 7) La CIA. L’affaire Allende était encore récente. La CIA n’avait aucune confiance en Perón. Elle n’a jamais aimé ce militaire pro-nazi. Il représentait un éternel danger. Le danger d’un débordement des foules que le caractère mythique de son nom suffirait à provoquer. López Rega était en contact depuis longtemps avec la CIA. (…) Est-il trop fantaisiste d’imaginer qu’ils se soient arrangés avec López Rega ou n’importe quel cinglé de la Marine pour ruiner le Pacte Social de Perón ? (…) On croit qu’il s’agit des Montos (Montoneros, NDLA) parce que les Montos l’ont écrit. José Pablo Feinmann – Peronismo – T2 – p 563-565 – Planeta – 2010
B. Femmes captives
1. Les viols se répétèrent. En secret Liliana racontait ses malheurs à ses compagnons de captivité. Mais les préjugés restaient forts et ils lui renvoyaient un sentiment de culpabilité, car elle ne sentait pas toujours comprise. «Cela ne t’est pas arrivé par hasard, tu l’as cherché», voilà le message qu’elle croyait percevoir derrière certaines réponses. Les normes moralistes de l’organisation dont elle avait fait partie continuaient de peser, et elle sentait que le viol était un des moyens utilisés par les oppresseurs pour la détruire. Ils voulaient la détacher des principes qui l’avaient maintenue debout jusque-là, pour l’obliger à faire d’elle ce qu’ils voulaient. Une fois souillée, tout devenait alors possible. (Miriam Lewin et Olga Wornat – Putas y guerrilleras, p196 – Planeta)
2. «Dieu c’est nous», disaient les tortionnaires de La Perla. Et même si ce n’était pas vrai, cela y ressemblait assez. Ils avaient pouvoir de vie et de mort sur tous. Les viols ont été massifs. Toutes les femmes passées par La Perla en ont subi, et certains hommes également. Selon le témoignage de Piero Di Monte, quand arrivait un nouveau détachement de garde, ils obligeaient Alejandra Jaimovich à changer les draps d’un lit et tous la violaient. Ceux qui l’avaient amenée ainsi que les hommes de garde. Alejandra avait 17 ans, c’était encore une enfant. «Amenez la juive» entendait-on dire quand on allait la chercher pour accomplir le rituel pervers. (op. cit. p198)
C. Les vols de la mort
1 – On trouvait une grande ardoise avec les noms de ceux qui devaient accompagner les prisonniers à Aeroparque (L’aéroport de Buenos Aires pour les vols intérieurs, NDLA). – Comment appeliez-vous cela entre vous ? – Le vol. – Le vol ? -On appelait ça un vol. Tout comme Pernías et Rolón avaient indiqué aux sénateurs (lors d’une audition parlementaire post-dictature, NDLA) que la torture pour obtenir des informations était aussi une méthode qui avait été employée de manière régulière. Dans ce schéma de guerre que nous étions persuadés de mener, cela faisait partie des méthodes employées. (…) – Quelle était l’étape suivante ? – Je suis descendu dans la cave, où se trouvaient ceux qui devaient embarquer. (…) On les a informés qu’ils allaient être transférés dans le sud, et que pour cela on devait leur injecter un vaccin. On leur a injecté le vaccin… enfin… je veux dire, une piqûre destinée à les endormir, un sédatif. – Une injection de quoi ? – Je ne sais pas, une injection. – Qui la faisait ? – Un des médecins qui étaient là. – Un médecin naval ? – Oui. (…) – Quelle était la réaction des détenus quand ils apprenaient le transfert et la nécessité d’être vaccinés ? – Ils étaient contents. – Ils n’avaient aucun soupçon ? – Aucun. (…) – Ils ne se rendaient pas compte de ce qui se passait ? – Cela ne fait aucun doute. Aucun d’entre eux ne se doutait qu’il allait mourir. (Interview du Capitaine de corvette Adolfo Francisco Scilingo par Horacio Verbitsky dans son livre « El vuelo », p 13 à 15)
2. Extrait d’un interview d’Adolfo Scilingo (2’30, sous-titré en français)
3. Extrait du film « Garaje Olimpo », de Marco Berchis (1999)
D. Ramón Camps
Ramón Camps, un des tortionnaires les plus monstrueux de la dictature civico-militaire, a été condamné, parmi les centaines de crimes dont il a été accusé, pour soixante-treize enlèvements suivis d’assassinat, pour lesquels il est directement impliqué, et pour avoir organisé et dirigé l’appareil répressif et criminel qu’il a mis en place en tant que chef de la sinistre police de Buenos Aires. Il ne fut pas un assassin silencieux, ni resté dans l’ombre : il a utilisé les espaces dont la dictature s’était rendue maitresse et ceux qui s’étaient mis au service du régime pour organiser une défense éhontée de son action, défense qu’il a poursuivie jusqu’après le retour de la démocratie. Non sans suffisance, il a plastronné dans la presse internationale au sujet des morts et des disparus, avançant des chiffres avec tant de morgue que le gouvernement installé en 1983, pourtant hésitant au moment de juger les oppresseurs, s’était vu contraint de le poursuivre en justice. Il a crié son fanatisme anti-communiste, son antisémitisme furieux, à la face du monde, convaincu qu’une «guerre» remportée confère des droits particuliers aux vainqueurs, contrairement, avait-il l’habitude dire, à ce qui s’était passé pour Adolf Hitler. Il se vantait d’avoir pris part à des fusillades contre de supposés ennemis armés. Il n’était pas capable d’observer la réalité, d’en apprécier les limites et d’agir en conséquence. («Los monstruos», de Vicente et Hugo Muleiro – Ed. Planeta).
E. L’aide militaire française à la junte argentine
1. (…) L’Ecole française, celle qui est impeccablement décrite dans le film «La bataille d’Alger» (De Gillo Pontecorvo, 1966, NDLA). Voilà le Manuel de contre-insurrection. Le film de Pontecorvo a pour but d’informer les marxistes révolutionnaires du monde entier sur la cruauté des paras français. Mais en même temps, il livre à ceux-ci (..) un film de propagande à la gloire de leur efficacité et de l’intelligence avec laquelle sont appliquées leurs méthodes. Si la contre-insurrection occidentale a tant étudié ce film, c’est qu’elle a vu en lui non seulement ce qu’il fallait faire, mais également la preuve de son efficacité et de sa validité. (…) Les militaires argentins sont ravis (de copier) ces méthodes, de les apprendre – ils éprouvent autant de plaisir à les apprendre qu’à les mettre en pratique. Le Général Aramburu- sur deux photos capitales sur lesquelles on peut voir nos militaires en compagnie de paras français – est assis au bout de la longue table. Mais c’est lui, le chef des soldats de la patrie, qui écoute, qui apprend et qui, bientôt, enseignera. (…) Quand à Ezeiza la rumeur court parmi les militants qu’il y a des mercenaires français sur la tribune, personne ne la croit. «Quoi ? On se bat aussi contre la France ?» Mais non : la France transmet seulement le savoir acquis en Indochine et en Algérie. (José Pablo Feinmann – Peronismo, T2 – p388-389 – Planeta)
2.
«La première arme dans la lutte contre l’action subversive et la guérilla, et c’est un des enseignements que nous ont transmis les militaires français de leur expérience en Algérie, c’est de compter avec un bon service de renseignement» (Général Diaz Bessone, dans Peronismo T2 p 391)
NDLA : le rôle de l’Armée française est également détaillé dans le chapitre 3 du livre d’Alejandro Horowicz « Las dictaduras argentinas », p 173 à 210.
F. La violence politique
La figure du Président Juan D. Perón est essentielle pour comprendre la violence politique des années 70. Depuis son exil madrilène, le caudillo le plus populaire de l’histoire argentine a soutenu avec enthousiasme les groupes armés. Perón avait la conviction qu’à l’intérieur de sociétés inégalitaires, des motifs de justice sociale exigeaient l’utilisation de la violence armée pour s’opposer à une «violence structurelle». Ses fréquentes interventions à ce sujet laissent peu de place au doute : «la violence existe par elle-même et seule la violence peut la détruire», et «La violence d’en haut engendre la violence d’en bas», affirmait Perón, qui par ailleurs posait la question de façon rhétorique : «A quel autre moyen que la violence peut recourir un peuple humilié ?». (…) Au moment où Isabel Perón s’est installée aux commandes (Après la mort de J. Perón, en juillet 1974, NDLA), la violence de gauche avait été dépassée par ses adversaires de droite : groupes paramilitaires intégrés par des syndicalistes, des militaires et des policiers, pour beaucoup en retraite. Sans rencontrer le moindre obstacle du côté gouvernemental, ces groupes ont pratiqué une violence systématique à l’encontre de tous ceux qu’ils cataloguaient comme gauchistes. Des intellectuels, des artistes, des journalistes et des syndicalistes ont été alors victimes de torture et d’assassinats. Parmi les plus importants de ces groupes paramilitaires, on peut distinguer notamment la Triple A, commandée par López Rega, ex-sous-officier de police qui avait joué le rôle de secrétaire particulier de Perón durant son exil, et des groupes de syndicalistes comme celui de l’Union ouvrière métallurgiste (UOM). (…) (Jaime Malamud Goti – Terror y justicia en la Argentina – p21-23 – Ed. De la Flor -2000)
G. La guerre culturelle
Les militaires et leurs alliés civils insistaient sur le fait que les organisations armées n’étaient que la partie visible de « l’appareil subversif ». L’ennemi réel était également celui qui diffusait des idées contraires aux « traditions argentines », dans le sens où l’entendait l’extrême-droite. Probablement initiée durant la présidence de Perón en 1973, cette « guerre culturelle », menée parallèlement à celle de l’Armée, s’est intensifiée entre 1974 et 1976, sous la présidence d’Isabel Perón. Puis les militaires passeront la surmultipliée. Après la mort de Perón le 1er juillet 1974, le domaine de l’éducation est passé aux mains des nationalistes catholiques traditionalistes, de tendance politique fasciste. Pour la plupart antisémites, les membres de ce groupe purent compter sur le soutien de nombreux cadres des Armées de terre et de l’air. Pour la majorité d’entre eux, il était nécessaire de revenir à une « éducation traditionnelle », appellation réservée à une éducation strictement confessionnelle. Jaime Malamud Goti – op. cit. p30-31 – Ed. De la Flor -2000
H. La tablita : dérives de la politique économique de la dictature
La dévaluation initiale favorisa le secteur agricole, qui connut une forte croissance durant les deux années suivantes (1976-1977 ; NDLA) ce qui contribua à améliorer la balance commerciale. La mise à jour des tarifs publics, alors contrôlés par l’Etat, diminua l’énorme déficit fiscal. En 1976 fut signé un accord avec le FMI, incluant la création d’un marché des changes libre et unique. Etre parvenu à contenir l’hyperinflation, à inverser la fuite des capitaux et à commencer à reconstituer les réserves monétaires fut considéré comme un vrai succès, compte-tenu de là d’où on partait. Mais dès la fin de 1976, l’inflation repartit à la hausse et on dut décréter un gel des prix de 120 jours, qui devait durer jusqu’en juin, mais à la fin de cette période, débuta une nouvelle spirale qui contraignit le gouvernement à prendre des mesures d’orthodoxie financière pour freiner l’expansion monétaire, le déficit et le crédit. Ces mesures eurent un effet assez rarement constaté jusqu’alors : les taux d’intérêt étaient supérieurs à l’inflation. Selon Cortés Conde (Historien de l’économie argentine, NDLA), c’est à partir de là que les milieux d’affaires prirent leurs distances avec la ligne économique gouvernementale. L’historien explique que les entreprises avaient pris l’habitude d’emprunter à des taux d’intérêts inférieurs à l’inflation, qu’on pouvait considérer comme des subventions, ou des cadeaux. La hausse des taux d’intérêt – selon le raisonnement de Cortés – eut un fort impact sur l’industrie, dont la production se mit à baisser ; en 1978, on put parler de récession. C’est pour éviter la perte de compétitivité des entreprises que fut mise en place la fameuse «tablita», c’est-à-dire une dévaluation programmée, graduelle et annoncée (crawling peg). (…) Les capitaux commencèrent à affluer en dollars, se transformant en pesos placés à des taux d’intérêts supérieurs à l’inflation et bien supérieurs au taux de dévaluation, ce qui permettait ensuite de racheter encore plus de dollars et les placer à l’extérieur du pays. C’est la «bicyclette financière» qui, couplé au taux de change toujours en retard sur le mouvement, a créé un sentiment «d’argent facile». (Extrait d’un article du quotidien La Nación du 16 mars 2013)
J. 20 ans après la guerre, la nécessité de continuer à négocier la souveraineté des Iles Malouines
La revendication pacifique de souveraineté sur les Iles Malouines est et doit rester politique d’Etat. L’invasion des îles par le gouvernement militaire était un acte désespéré destiné davantage à renforcer sa position qu’à véritablement récupérer un territoire perdu. Plus encore et comme l’a mis en lumière un rapport des Forces armées après le conflit, le déroulement des opérations a montré l’impéritie des cadres militaires et leur indifférence vis-à-vis de leurs subordonnés, alors que ceux-ci ont fait preuve au contraire de volonté et d’héroïsme. La défaite a précipité la chute de la dictature et éloigné la possibilité d’une négociation pacifique avec la Grande-Bretagne au sujet de la souveraineté. La société quant à elle a recouvert la guerre d’un voile de honte, et même si le sacrifice des vétérans a été reconnu, on ne leur a jamais apporté le soutien qu’ils méritaient. En 1998 le président en exercice de l’Argentine, Carlos Menem, et le premier ministre britannique Tony Blair ont signé un accord selon lequel la discussion était reportée tandis qu’on négociait des concessions mutuelles. Dans ce contexte, l’Argentine reconnut aux Kelpers (occupants anglais de l’île, NDLA) les droits de concession sur la pêche et l’exploitation du pétrole. Cette légitimation a permis aux Kelpers de consolider leur position et porté préjudice aux aspirations nationales. Lors de la commémoration du vingtième anniversaire du débarquement sur les îles, le président Nestor Kirchner (2003-2007, NDLA) a critiqué cette orientation diplomatique des années 90 et a instamment prié la Grande-Bretagne de discuter en toute bonne volonté de la souveraineté, par la voie diplomatique et dans la paix. Une demande qui sera certes probablement repoussée par le gouvernement britannique, mais qui ouvre la perspective d’une nouvelle orientation diplomatique sur ce thème, en réaffirmant un droit de revendication inaliénable. La revendication de souveraineté sur les Iles Malouines et la proposition de la régler par des voies pacifiques sont des positions qui n’auraient jamais dû être abandonnées et que le gouvernement a opportunément rétablies. (Article du journal Clarín, du 5 avril 2006)
La présidente María Estela Martínez de Perón renversée, commence alors ce que les militaires appellent “Processus de réorganisation nationale”. Une junte de gouvernement se constitue, englobant chacune des trois armes militaires : Jorge Rafael Videla représente l’armée de terre, Emilio Eduardo Massera la marine, et Orlando Ramón Agostí l’armée de l’air.
Leur but principal est de transformer profondément la société argentine pour en revenir à son aspect d’avant 1945. C’est-à-dire, on l’aura compris, avant l’apparition du péronisme. A savoir, une société d’ordre, sans conflit de classe, grèves ou revendications populaires.
Parallèlement, sur le plan économique, il s’agira de diminuer drastiquement l’intervention de l’état et de promouvoir une économie libérale.
Ce nouveau cap politique est ardemment soutenu, on s’en doute, par le patronat et les milieux financiers. Mais également par la majeure partie de l’Eglise, dont les yeux s’éclairent à la perspective d’un retour à l’ordre moral.
La junte ne perd pas de temps. Aussitôt en place, les militaires décrètent la fin de toute activité politique, sociale et culturelle «subversive». La signification exacte de ce dernier mot restant bien entendu à leur entière discrétion. Est subversif… tout ce qu’ils considèrent subversif. Voilà qui est tout de même assez simple à comprendre, non ? C’est peu de dire que la notion est assez étendue et ne se limite pas aux seuls mouvements révolutionnaires, premiers dans le viseur. Le syndicalisme, la culture au sens large, la littérature, la pensée politique, mais aussi le rock et même les mathématiques modernes, deviennent subversifs du jour au lendemain !
Un général, gouverneur de la province de Buenos Aires (Ibérico Saint Jean) dira même : «D’abord nous tuerons tous les subversifs, puis nous tuerons leurs collaborateurs, leurs sympathisants, puis tous les indifférents et enfin, nous tuerons les timides». Ce qui fera dire à de nombreux observateurs de l’époque qu’en définitive, le gouvernement militaire transformait l’ensemble du peuple argentin en ennemi potentiel.
Les premières mesures strictement politiques tombent rapidement : dissolution du parlement, interdiction des partis, proclamation de l’état de siège. Les militaires reprennent, mais de manière plus «industrielle», le travail commencé par la Triple A de López Rega. Les arrestations de «subversifs» se multiplient, mais en dehors de tout contexte légal : il devient impossible pour les familles concernées de localiser les personnes arrêtées, qui semblent ainsi s’évanouir dans la nature. Commence alors la longue liste des disparus de la dictature. Partout dans le pays, s’ouvrent des camps de détention plus ou moins clandestins, dans lesquels les prisonniers sont retenus pour être interrogés et la plupart du temps, torturés. Certains de ces camps sont passés à la postérité, pour leur importance ou leur caractère particulièrement sinistre . Ainsi l’ESMA (Escuela superior de mecánica de la Armada, école technique de la Marine), située au nord de Buenos Aires, «accueillera» près de 5000 prisonniers, dont seulement 500 ressortiront vivants, ou encore le centre de La Perla près de la ville de Córdoba, par lequel passeront près de 3000 individus, dont de nombreuses femmes qui y seront quasi systématiquement violées. En tout, ce sont près de 350 centres qui seront créés par la dictature. (Voir extraits B1 et B2)
La plupart des victimes de cette répression sont, d’abord, les jeunes militants des groupes révolutionnaires, comme les Montoneros, l’ERP ou les FAR. C’est contre eux que la répression est la plus féroce. Dans la plupart des cas, ils deviennent des disparus. Pour cela, les militaires ont une méthode bien au point : celle des «vols de la mort». Lorsque le prisonnier n’a plus d’utilité, il est drogué, puis chargé dans un avion cargo. Celui-ci décolle vers le Rio de la Plata et, en toute discrétion, lâche son chargement dans l’estuaire. Ni vu, ni connu. (Voir extrait C1 et vidéos C2 et C3)
Dès le 30 avril 1977, un certain nombre de mères de disparus prennent l’habitude de se rassembler devant la Maison Rose (La Casa Rosada, palais présidentiel) pour manifester et réclamer des nouvelles de leurs enfants ou maris enlevés. Les militaires, pour les dénigrer, les surnommeront «les folles de Mai», la Place de Mai (Plaza de mayo) étant le nom de la place sur laquelle se trouve le palais. Ramón Camps, chef de la police de Buenos Aires, dira cyniquement à leur propos : «Si ces mères s’étaient toujours autant préoccupées de leurs enfants qu’elles ne le font aujourd’hui, elles ne seraient pas en train de se lamenter sur leur disparition. C’est avant qu’elles auraient dû tenir leur rôle de mère, et non comme elles le font maintenant tenir celui d’activistes politiques». (Voir extrait D)
Parmi les personnes arrêtées, on compte un certain nombre de jeunes femmes, dont certaines arrivent enceintes dans les camps de détention. Cela n’arrête en rien les militaires, et ne les empêche aucunement de leur faire subir des interrogatoires et des tortures. La plupart du temps, elles accouchent en captivité, et leurs enfants leur sont enlevés, pour être adoptés par des familles de militaires. Aujourd’hui encore, en 2022, l’association des «Mères de la Place de Mai» en recherche environ 300 qui n’ont pas pu être localisés. Dans la quasi totalité des cas, ces enfants sont orphelins de leurs parents biologiques, assassinés par la junte militaire, et ignorent totalement leur vrais liens familiaux. Une coupure qui n’est pas sans provoquer, des années après, lorsque les familles parviennent à les retrouver et à les contacter, des drames difficiles à surmonter.
Du côté de la population en général, l’ambiance est plutôt à la résignation. Personne ne peut ignorer ce qui se passe, et la réalité de la répression aveugle qui s’est abattue sur l’ensemble du pays. Mais la peur, la soif de tranquillité et d’ordre, voire l’adhésion au pouvoir autoritaire et à la lutte contre les mouvements révolutionnaires, font prévaloir la passivité et le silence parmi la majorité des gens. Une des formules les plus entendues à cette époque restera, faisant allusion aux personnes arrêtées, «il a bien dû le chercher» (En espagnol «Por algo será» ou «Algo habrá hecho», nous aurions dit chez nous, «il n’y a pas de fumée sans feu»).
Les actes de résistance sont rares, et principalement l’œuvre des mouvements de gauche révolutionnaire. En mars 1977, le journaliste et écrivain Rodolfo Walsh écrit une « lettre ouverte à la junte militaire » restée célèbre, qu’il enverra à différentes rédactions de journaux. Le lendemain de l’envoi, il tombera dans une embuscade tendue par les militaires. Grièvement blessé, il sera conduit en un endroit qui n’a jamais été révélé. On ne le reverra jamais.
Pour mener à bien ce travail de répression intense, les militaires argentins peuvent compter sur l’aide et les conseils bienveillants des autorités étasuniennes, qui voient naturellement d’un très bon œil ces gouvernements de leur «arrière-cour» latino-américaine s’associer activement à la lutte anti-communiste. Autour de l’Argentine, on compte d’ailleurs pas moins de quatre pays ainsi gouvernés par l’Armée : le Chili de Pinochet (dont l’accession au pouvoir doit beaucoup au gouvernement de Richard Nixon), l’Uruguay de Bordaberry, la Bolivie de Banzer et le Paraguay de Stroessner. C’est le temps de l’influence de l’Ecole des Amériques, dans laquelle les militaires sud-américains viennent faire de fréquents et fructueux stages de «lutte anti-subversive», encadrés par l’armée de l’Oncle Sam.
Néanmoins en ce qui concerne l’Argentine, un autre pays distillera également ses bons conseils et son expérience répressive : La France. En effet, des contacts étroits vont se nouer avec certains de nos hauts – et moins hauts – gradés rescapés de la guerre d’Algérie. Une guerre (pardon, des «événements» comme on a longtemps dit chez nous) qui leur a conféré une solide expérience en ce qui concerne la lutte contre les subversifs d’une part, et les techniques d’interrogatoire musclé d’autre part. Expérience dont ils feront largement profiter leurs collègues argentins, se donnant même la peine de faire le voyage jusqu’à Buenos Aires pour dispenser leurs cours. On en trouvera même sur la tribune d’Ezeiza, parmi les nervis de droite extrême ramenés par Perón en juin 1973. Parmi les instructeurs, on retrouvera un tortionnaire célèbre : le général Paul Aussaresses, un des responsables de l’assassinat du militant communiste Maurice Audin en Algérie. (Voir extraits E1 et E2)
La répression se poursuivra tout au long de la période de dictature, même si, considérant la guerre anti-subversive gagnée, les militaires fermeront une partie des centres de détention en 1978. Il y avait pour cela une autre bonne raison. A cette époque, plus personne dans le monde n’ignorait la situation dramatique des droits de l’homme en Argentine. D’autant qu’elle était largement documentée par les exilés. De nombreux mouvements de protestation et de rejet s’organisent, exigeant transparence et fin de la répression illégale. Les galonnés argentins essaieront d’ailleurs de mobiliser la population contre ce qu’ils affirmaient être un dénigrement sans fondement du pays. A propos de ces mouvements en faveur des droits humains bafoués, ils oseront même tenter de populariser le slogan «Los argentinos somos derechos y humanos», en français, «Nous Argentins sommes droits et humains».
C’est qu’il y a un enjeu, et de taille, pour la junte au pouvoir. En effet, 1978, c’est l’année de la Coupe du monde de football. Or, elle est organisée…en Argentine ! Magnifique vitrine pour une dictature en mal de reconnaissance ! Comme cela arrive périodiquement dans le sport, de nombreux mouvements mondiaux tenteront d’imposer un boycott, mais sans grande réussite. Au contraire : le mondial est un immense succès, d’autant plus que le pays hôte… remporte la coupe ! Une coupe au parfum de scandale, entaché d’un soupçon d’arrangement entre dictatures. L’armée peut ainsi capitaliser sur la liesse populaire, et faire oublier, au moins provisoirement, le régime de terreur auquel elle soumet ses concitoyens.
En ce mois de mars qui va voir passer un triste anniversaire, nous débutons une série sur les origines, le déroulement et la chute de la dernière dictature militaire en date en Argentine.
En effet, celle-ci a débuté par le coup d’état du 24 mars 1976, il y a 46 ans.
Dans un premier article, nous exposerons les conditions politiques, économiques et sociales qui ont marqué le dernier gouvernement de Juan Perón, puis après sa mort, de sa femme María Estela Martínez, dite «Isabelita» de juin 1973 à mars 1976.
Le second article portera sur l’installation de la dictature et l’organisation d’une répression généralisée, quasi industrielle, contre l’ensemble du peuple argentin.
Le troisième présentera les grandes lignes de la politique économique de la junte militaire, et ses conséquences durables sur le délitement des structures industrielles et monétaires du pays.
Le quatrième enfin enfin montrera l’isolement progressif, à l’intérieur comme à l’extérieur, du pouvoir militaire, et sa chute après la tentative désespérée de rassembler les Argentins autour d’un projet nationaliste : reprendre par la force les îles Malouines aux Anglais.
Attention : ces articles n’ont pas pour ambition de faire œuvre d’érudition historique. Ils sont destinés en priorité à informer, de manière concise, et accessible, un public certes, nous l’espérons tout du moins, intéressé par la riche histoire de ce pays, mais non spécialiste.
Ceux qui voudront aller plus loin utiliseront avec profit les liens et informations bibliographiques – très loin d’être exhaustifs – que nous listons ci-dessous !
Notre but est avant tout de donner envie, justement, d’aller plus loin, en lançant quelques pistes simples et, en tout cas nous l’essaierons, de vous faire passer un bon moment de lecture !
Quelques points de vue des militaires, extraits d’une émission argentine (10′). Attention ici : le propos de l’émission est bien de montrer le caractère stupéfiant de l’aplomb des militaires, persuadés d’avoir accompli une action bienfaitrice pour le pays.
La noche de los lápices. Film d’Héctor Oliveira (1986) basé sur un fait réel : l’arrestation, la torture et l’assassinat d’un groupe de 7 jeunes en septembre 1976. (95′)
Un autre film très intéressant, mais désormais introuvable sur le net (on en trouve de nombreux extraits néanmoins), est « Garaje Olimpo », de Marco Bechis (1999), qui raconte l’histoire d’une jeune activiste arrêtée par les militaires, transférée dans un centre de détention (un garage désaffecté), et torturée par un jeune qui s’avère être le jeune pensionnaire à qui sa mère et elle louaient une chambre de la maison.
Lettre ouverte du journaliste Rodolfo Walsh à la junte militaire – fichier audio précédé d’une courte présentation musicale – 12’29. En espagnol. (Il en existe également des extraits. Chercher « carta abierta a la junta militar ».)
Version française du texte en lecture ici.
Sur la politique économique de la période :
Le plan économique de la dictature, documentaire en espagnol (de la chaine « Televisión Pública argentina » (Point de vue de gauche) (9′)
Plata dulce, film de Fernando Ayala (1982) sur les conséquences financières de la politique économique de la dictature. (94′)
Sur les bébés volés :
« Le héros des Malouines« , nouvelle, sur ce même blog. (En versions française et espagnole), ainsi que le livre de Victoria Donda cité dans la bibliographie ci-dessus, « Moi Victoria, enfant volée de la dictature argentine ».
On a vu comment le massacre d’Ezeiza (20 juin 1973) avait constitué une rupture quasi définitive entre les deux grandes tendances du péronisme, celle de la droite anti communiste et celle de la gauche révolutionnaire.
Au moment d’Ezeiza, c’est Héctor Cámpora qui est au pouvoir. Il a été élu à la place de Perón, interdit de candidature, mais il n’est qu’un président de transition. D’autant qu’il appartient à la seconde tendance, à gauche. Or, la révolution n’entre pas, mais alors pas du tout, dans les objectifs du Juan Perón qui rentre d’Espagne, le pays de Franco, après 18 ans d’exil. Il ne veut pas faire la révolution, il veut rassembler, redevenir ce qu’il avait été durant ces première années de pouvoir, entre 1946 et 1955 : le grand «totalisateur», le leader global, l’aigle qui abrite sous ses deux ailes immenses toutes les sensibilités politiques à la fois. Les jeunes révolutionnaires l’ont aidé à revenir en semant le chaos, ravivant en chaque Argentin la nostalgie des jours heureux ? Sans doute, mais maintenant, fini la rigolade, place aux gens sérieux. Les «imberbes» peuvent rentrer chez eux, et laisser le devant de la scène aux vrais acteurs. Au besoin, s’ils ne comprennent pas, on les y aidera à coups de matraque, et/ou en se débarrassant physiquement des plus insistants. Cela ne va pas tarder, mais n’allons pas trop vite.
Le grand perdant du drame d’Ezeiza, c’est bien Cámpora, qui rend son tablier trois petites semaines après, en juillet 1973, laissant le champ libre au vieux chef et à son gourou, l’inquiétant et mystique Raspoutine argentin, José López Rega, dit « Le sorcier ». Normalement, le pouvoir provisoire, en attendant de nouvelles élections, aurait dû revenir au président du Sénat, mais López Rega, rusé, s’arrange pour le faire expédier en mission à l’étranger au même moment. En second rang, c’est donc le président de l’Assemblée nationale qui prend le fauteuil. Et ça tombe bien : c’est le propre gendre de López Rega, Raúl Lastiri. L’homme idéal pour préparer les élections prévues pour septembre, et en même temps, assurer un virage à droite bien serré pour le nouveau pouvoir.
Le 23 septembre 1973, Juan Perón remporte l’élection haut la main, avec 62% des voix dès le premier tour. C’est dire s’il était attendu ! En face, une nouvelle fois, le candidat d’opposition était Ricardo Balbín. Perón n’est pas allé chercher loin sa vice-présidente (oui, c’est comme aux Etats-Unis, on élit un « ticket » président-vice-président) : c’est tout simplement sa propre épouse, María Estela Martínez, dite « Isabelita ». Une forme de népotisme qui coûtera cher non seulement au péronisme, mais à toute l’Argentine, on le verra bientôt.
Le 25, le mouvement péroniste de gauche révolutionnaire manifeste son dépit face à la droitisation du mouvement de la pire manière qui soit, en assassinant le syndicaliste José Rucci, un des bras droits de Perón. Un attentat tellement réprouvé par la majorité de la population que le mouvement Montoneros mettra des années à en revendiquer la paternité. La gauche est définitivement éjectée du mouvement, où ne subsiste plus que la tendance droitière, dite « orthodoxe », largement influencée par López Rega. (Voir extrait de texte A)
Débute alors une période d’épuration du mouvement. Les élus de la tendance révolutionnaire démissionnent, ou sont forcés à le faire. Des lois restreignant le droit de grève ou d’association sont promulguées. López Rega crée la sinistre Triple A, Alliance anticommuniste argentine, destinée à pourchasser, réprimer et bien souvent assassiner, les «subversifs», autrement dit, les gauchistes. Enlèvements, tortures, disparitions font désormais partie du quotidien des Argentins. En trois ans de fonctionnement, la Triple A fera près d’un millier de victimes.
Perón scellera la rupture définitive avec le mouvement révolutionnaire lors de son discours du 1er mai 1974. C’est à cette occasion qu’il traitera les jeunes, pourtant venus une nouvelle fois l’accueillir avec ferveur, «d’imberbes imbéciles» (je résume), provoquant leur départ de la place de Mai, cette fois sans retour.
(Extrait du discours, après une courte présentation. On y entend clairement Perón apostropher les jeunes révolutionnaires (2’25 à 3’25) – Video sur Youtube postée par Televisión pública argentina)
Perón, malade, meurt très peu de temps après, le 1er juillet. Le pouvoir passe alors entièrement aux mains d’Isabelita et de López Rega, tandis que la situation économique, en ce début de crise mondiale, se détériore à grande vitesse. Les mouvements révolutionnaires, principales cibles de la Triple A, passent à la clandestinité et multiplient les attentats, assassinant notamment l’un des principaux responsables du massacre d’Ezeiza, le Commissaire Villar. La répression est féroce, et le pays se voit de nouveau plongé dans le chaos.
C’est alors que le gouvernement de l’inexpérimentée – et sous influence – Isabelita va commettre deux erreurs majeures. La première : s’attaquer à la CGT, syndicat jusque là d’une fidélité exemplaire au péronisme orthodoxe (José Rucci en avait été secrétaire général). La seconde : appeler les militaires au secours en leur donnant des pouvoirs discrétionnaires pour conduire la répression. Ceux-ci ne vont pas se priver de les utiliser, et y prendront goût, trouvant là de quoi s’entrainer aux enlèvements, séquestrations, tortures, en toute légalité, avec la bénédiction du gouvernement. Une expérience qui leur sera bien utile un peu plus tard.
Pendant ce temps, la crise économique s’approfondit. Le nouveau ministre de l’économie, Celestino Rodrigo, met en marche un plan d’austérité particulièrement sévère, surnommé péjorativement «Rodrigazo», qui provoque en retour une mobilisation populaire énorme, forçant López Rega à fuir le pays. Isabelita, dépassée, se met en congé du pouvoir, laissant provisoirement son fauteuil au président du Sénat, Ítalo Luder.
Le pouvoir est dans une impasse totale. Isabelita finit par reprendre son poste, au milieu des rumeurs de coup d’État et des attentats révolutionnaires. Mais elle est sans solution. Son incompétence est criante, et encore plus évidente maintenant que López Rega n’est plus à ses côtés. En janvier 1976, sa situation est devenue intenable. Au point où on en est arrivé, en réalité, tout le monde n’attend plus qu’un coup d’État militaire pour la faire basculer. Les uns, à droite, pour ramener l’ordre et l’autorité, les autres, à gauche, pour avoir enfin un adversaire à leur mesure.
Le 24 mars, Isabelita est arrêtée et l’Armée prend le contrôle du pays. Une nouvelle dictature commence.
Une amie Québécoise vient de m’informer que chez elle, il faisait tellement froid en ce moment que ses fenêtres givraient de l’intérieur !
Ce n’est certainement pas le cas de l’Argentine, qui, en plein été austral, atteint des sommets de température. Hier à Buenos Aires, selon le journal Crónica, on a atteint le second pic de température après celui relevé en janvier 1957 (43,3) : 41,1°.
Naturellement, les clim’ tournent à plein. Résultat : les fournisseurs d’électricité sont débordés, et c’est ainsi que 700 000 foyers du secteur nord du Grand Buenos Aires ont été en partie privés de courant hier.
Comme toujours, les responsabilités de la coupure font l’objet d’une polémique entre la compagnie responsable (ici, Edenor) et l’autorité publique de régulation, ENRE (acronyme espagnol d’Entité nationale de régulation de l’électricité). Selon Edenor, la coupure serait due à un incendie dans un bidonville, qui aurait ensuite affecté des câbles haute-tension. Faux, répond ENRE. Aucun incendie : les pompiers n’ont même pas été appelés. Le quotidien Clarín qui rapporte l’événement fait état de témoignages confirmant l’incendie, mais contradictoires. Selon certains, c’est l’incendie de la maison qui a affecté le câble, d’autres ont vu des étincelles sur le câble, étincelles qui auraient ensuite provoqué l’incendie de la maison !
Ce qui met tout le monde d’accord, c’est que l’ensemble du système argentin souffre d’un manque cruel d’investissement. Pour les uns, la faute à des tarifs trop bas, ne dégageant pas suffisamment de marge aux fournisseurs, qui économisent donc en retour sur l’amélioration du réseau. Pour les autres, les fournisseurs privilégient la rétribution des actionnaires au détriment d’investissements indispensables. Le quotidien de gauche Pagina/12 rappelle que le gouvernement précédent avait imposé des hausses drastiques de tarifs (jusqu’à 300% ! On imagine la réaction des Français si cela s’était produit chez nous !), et que ces hausses auraient dû déboucher sur des améliorations, mais qu’il n’en a rien été.
La Nación prend cependant la défense du gouvernement de Mauricio Macri (2015-2019), en rappelant que les gouvernements péronistes ont toujours pratiqué une politique de gel des tarifs, à ses yeux contreproductive. Un article du 27 janvier 2016, sur le site BBC world (en espagnol), l’expliquait par le besoin dans lequel s’étaient trouvés les gouvernements péronistes de maintenir des prix bas, après la terrible crise qui avait affecté le pays en 2001, et considérablement appauvri une majorité d’Argentins. D’où des tarifs subventionnés, bien loin de couvrir les coûts réels de production, et obligeant les compagnies à restreindre les investissements.
Il n’en reste pas moins que, malgré les augmentations massives de 2016, le réseau argentin reste très précaire. Pas étonnant alors que le moindre pic un peu important fasse disjoncter le système. Pagina/12 rappelle d’ailleurs le gigantesque « apagón » (coupure) de juin 2019, qui avait plongé la quasi-totalité du pays dans le noir, et avait même affecté certains pays voisins.
En Argentine, l’électricité est aux mains d’une dizaine de compagnies privées, donc libres de leur politique d’investissement, mais contraintes néanmoins de par le contrôle de l’état sur les tarifs exigés auprès des usagers. Un système assez pervers, qui conduit comme aujourd’hui à ce que chacun se renvoie la balle des responsabilités, sans qu’aucune solution ne se pointe à l’horizon.
Petite devinette posée par un grand quotidien argentin à ses lecteurs :
Ce n’est pas souvent, et même pratiquement jamais, que notre région fait la une d’un journal argentin ! Et pas n’importe lequel : le deuxième en nombre de lecteurs, et LE quotidien historique, fondé au XIXème siècle par un des premiers présidents de la République, Bartolomé Mitre !
Bon, évidemment, l’article est assez court, et le lecteur français n’apprendra rien de nouveau sur les malheurs de l’immeuble soulacais. Quant au lecteur argentin, il risque de n’y prêter qu’un œil rapide devant son café du matin, en se demandant comment il se fait que ces «boludos» de français n’ont pas pensé avant de construire à niveler les dunes pour les mettre au niveau de la mer. Je n’exagère rien : le quotidien permettant les commentaires sous l’article, on peut en lire de croquignolets.
Qui, si on avait mauvais esprit, pourraient venir confirmer notre réponse naïve à la question : «mais pourquoi diable La Nación se donne la peine de publier un article que 99% de ses lecteurs vont lire en demie diagonale ?» Ben, peut-être pour les rassurer. Le Signal, c’est peut-être celui d’un certain changement climatique, mais bon, Soulac, c’est loin, c’est la France, c’est l’Europe. En cette période de vacances d’été où une proportion non négligeable d’Argentins est en train de se faire rôtir sur les plages de l’Atlantique, de Mar del Plata à Villa Gesell, ça fait du bien de se dire que chez soi, on peut avoir construit les immeubles au ras des flots, on est tranquille. Et en effet. Florilège de commentaires :
Habemus Brutus : En réalité ce n’est pas la mer qui avance, mais la terre qui recule. (…) Seuls les mouvements tectoniques qui soulèvent une partie des terres et créent des fosses marines font qu’on a des continents. Donc il est normal qu’en cette période de tranquillité tectonique la mer gagne du terrain grâce à l’érosion des terres émergées. CQFD.
Diamanteenbruto : on voit bien qu’il est construit sur du sable, qu’est-ce que ça a à voir avec le réchauffement global ?
Indio007 : (…) Le vrai problème c’est que ça a été construit sur du sable (dune) sans qu’on ait prévu de soutènements suffisamment profonds. C’est ainsi qu’on esquive la responsabilité pénale des architectes en utilisant l’argument commode du changement climatique. Un argument qu’on ne manque jamais de sortir quand les chats commencent à aboyer (sic).
Av6551649 : Ce phénomène naturel est confondu par les scientifiques avec l’augmentation du niveau de la mer.
Sur 26 commentaires (ce qui est très peu, pour un article du journal), un seul se montre inquiet de ce que révèle le destin du Signal.
Ceci dit, on ne pourra donc pas reprocher à La Nación de vouloir effrayer ses lecteurs. A part une phrase en passant pour évoquer le fait que «Les médias, parfois, qualifient les propriétaires de l’immeuble de réfugiés climatiques», le reste de l’article se concentre sur les conséquences économico-touristiques de l’érosion marine. «Le pays (La France, NDLA) où 35 % du littoral est constitué de plages, a perdu 26 kilomètres carrés de terre entre 1949 et 2005. Dans un endroit aussi touristique que la France, où 40% des capacités hôtelières sont concentrées sur les côtes, tous les signaux sont au rouge».
On appréciera la sollicitude du grand quotidien argentin pour nos capacités hôtelières menacées. Je connais d’autres Argentins, pour ma part, qui aimeraient bien que de temps en temps, La Nación se fende d’un petit article sur l’effondrement des glaciers patagoniques. Ou la terrible sécheresse qui accable la région viticole de Mendoza.
Néanmoins, ne boudons pas notre plaisir : lire un article sur les problèmes assaillant nos belles côtes françaises, et particulièrement girondines, est tout aussi rare !