20 juin 1973 : le massacre d’Ezeiza

(NB. Les trois articles et l’interview qui composent ce chapitre de l’histoire argentine ont été publiés le 20 juin 2021, à l’occasion du 48ème anniversaire de l’événement décrit)

Il y a exactement 48 ans jour pour jour, avait lieu à Buenos Aires ce qui devait constituer la plus grande fête populaire de l’histoire politique argentine, et qui s’est transformée en une terrible et sanglante tragédie, prélude à l’une des plus féroces dictatures du XXème siècle.

Le 20 juin 1973, le général Juan Perón, qui avait présidé le pays de 1946 à 1955 avant d’être renversé par un coup d’état militaire, puis exilé et proscrit pendant dix-huit ans, était autorisé à rentrer. Deux mois auparavant, son représentant, Héctor Cámpora, a été élu président de la république. Mais dans l’esprit de l’immense majorité des Argentins, le seul vrai président, c’est Perón. Dans un pays en proie au chaos, au bord de la guerre civile, il est attendu comme le messie, seul capable de rétablir l’ordre et la prospérité.

Pour célébrer son retour, ses partisans organisent une vaste manifestation d’accueil, à côté de l’aéroport international de la capitale fédérale, l’aéroport d’Ezeiza. S’y rendent entre deux et trois millions d’Argentins. Mais rien ne va se passer comme prévu.

Dans chapitre, nous étudierons tout d’abord, brièvement, le contexte politique de l’époque. Puis nous examinerons plus en détails les faits qui se sont déroulés précisément le 20 juin, ainsi que les causes qui ont conduit au déchainement de violence gâchant la fête. Enfin, nous donnerons à lire le témoignage que nous avons recueilli auprès de Manuel Silva, qui avait 22 ans en 1973 et était présent sur les lieux de la manifestation.

 

BIBLIOGRAPHIE SUCCINCTE

Verbitsky, Horacio – Ezeiza – Ed. Contrapunto – 1985

Feinmann, José Pablo – Peronismo, filosofía de una persistencia argentina (Tome II) –  Ed. Planeta – 2011

Rouquié, Alain – Le siècle de Perón – Chapitre 3 : l’exil et le royaume – Ed. du Seuil – 2016

Novaro, Marcos – Historia de la Argentina, 1955-2010 – Chapitre 5 : Du « printemps des peuples » à l’empire de la terreur – Ed. Siglo veintiuno – 2011

Lafage, Franck – L’Argentine des dictatures – Chapitre IV : l’Argentine des années aveugles, 1966-1976 – Ed. L’Harmattan – 1991

Robin, Marie-Monique – Escadrons de la mort, l’école française – Ed. La Découverte – 2004 (Voir également en vidéo)

EN VIDEO

L’excellent et complet documentaire présenté par Román Lejtman, datant de 2011, tiré de la série « Documenta ». Tout en images d’archives et en témoignages de participants à l’événement, notamment le militant de la Jeunesse péroniste Jorge Taiana, les écrivains Martín Caparrós et Eduardo Anguita, ainsi que le journaliste Eduardo Tarnassi.

Le documentaire de Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort, l’école française, qui dévoile les relations étroites entre certains officiers d’Indochine et d’Algérie et l’Armée argentine, ainsi que leur rôle de « conseillers en guerre anti-subversive ».

AUDIO

Un épisode de la série radiophonique « Historias de nuestra historia » sur Ezeiza. Par l’historien Felipe Pigna.

 

 

1ère partie : le retour de Perón

          En juin 1973, il y a déjà 18 ans que le président Juan Perón a été renversé par un coup d’état militaire. Pendant 18 ans, il a vécu en exil, d’abord dans différents pays d’Amérique latine, Paraguay, Panama, Nicaragua, Venezuela, République Dominicaine, puis à partir de 1960 et de manière pérenne, à Madrid en Espagne.
         Pendant toute la durée de l’exil de Perón, mais surtout à partir de la prise de pouvoir du général Juan Carlos Onganía en 1966, le mouvement de résistance péroniste a été divisé en deux camps plus ou moins antagonistes, un affrontement que seul le leadership de Perón avait été en mesure de contenir.
          D’un côté, ce qu’on pourrait appeler «la frange orthodoxe» du péronisme, essentiellement représentée par le mouvement syndical, tenu par des leaders comme Augusto Vandor, José Rucci et Lorenzo Miguel. Pendant ses deux mandats de gouvernements, entre 1946 et 1955, Perón avait fait des syndicats le fer de lance de son mouvement justicialiste. Pratiquant une politique sociale volontariste d’amélioration de la condition ouvrière, il avait coupé l’herbe sous les pieds des mouvements marxistes traditionnels, socialistes et communistes, réduits à de simples groupuscules ou intégrés dans le mouvement péroniste. Prenant le contrôle des syndicats, il était parvenu à en faire, avec l’aide de sa femme Evita, les courroies de transmission de son pouvoir auprès de la classe ouvrière. Le principal syndicat, la CGT, lui était tout dévoué.
          De l’autre, un secteur nettement plus révolutionnaire et revendicatif, influencé par les mouvements de libération d’Amérique latine, et notamment le castrisme. Un secteur beaucoup plus jeune également, dans lequel on trouvait de jeunes catholiques convertis au marxisme, les «Montoneros», mais également des mouvements de gauche extrême, comme les FAR (Forces armées révolutionnaires), l’ERP (Armée révolutionnaire du peuple) ou les FAP (Forces armées péronistes). Pour ces derniers, l’objectif ultime du péronisme ne pouvait qu’être instaurer un «socialisme national», à la manière des Cubains.
          Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que malgré ces divergences profondes quant à leurs visions politiques respectives, ces deux tendances, jusqu’à Ezeiza, n’ont jamais cessé de cohabiter à l’intérieur du péronisme, grâce au charisme même de Perón, le grand unificateur, gérant avec maestria ces antagonismes, en jouant même pour affirmer son leadership.
En exil à Madrid, Perón n’aura de cesse de tirer sur ces deux cordes : vers sa droite, le mouvement syndical, appelé à composer avec les différents pouvoirs et à maintenir la classe ouvrière dans les clous, tout en luttant pour la fin de la proscription du péronisme ; vers sa gauche, les mouvements de jeunes incités à harceler ces mêmes pouvoirs, afin de leur montrer «les muscles» toujours vigoureux du parti péroniste, et en même temps la persistance du contrôle que le vieux chef avait sur lui.
          Jeu subtil d’un chef charismatique et habile, poussant ses pions de tous les cotés de l’échiquier pour mieux occuper le terrain et en rester le seul maître. Dans les années soixante, c’est à un chaud partisan de la révolution cubaine qu’il confie le soin de le représenter : John William Cooke.

Photo DP Wikiquote
John William Cooke

          Ses partisans n’ont ensuite jamais cessé d’œuvrer à son retour, malgré la proscription totale dont il faisait l’objet, puisqu’il était même interdit, sous les gouvernements militaires qui se sont succédé – entrecoupés il est vrai de respirations plus démocratiques, avec le gouvernement de trois présidents civils entre 1958 et 1966 – de prononcer le nom même de l’ancien président, et, bien entendu de s’afficher comme péroniste déclaré.
En 1966, un nouveau coup d’état a renversé le président civil Arturo Illia et porté au pouvoir un autre général, Juan Carlos Onganía, qui sera lui-même remplacé en 1970 par le général Alejandro Lanusse. Il s’ensuit une période de violence et de chaos, générée par la déliquescence de l’état argentin, les difficultés économiques et sociales, l’autoritarisme des militaires, l’absence de démocratie et les crispations sociales et civiques qui en découlent. Les coups de mains de groupes extrémistes péronistes se multiplient, encouragés de loin par le vieux leader (en 1970, il a déjà 75 ans). Les groupes révolutionnaires sont de plus en plus actifs : Montoneros, ERP (Armée révolutionnaire du peuple) FAR (Forces armées révolutionnaires), FAP (Forces armées péronistes), tendant, mais en ordre dispersé, vers un même but : renverser l’état militaire.
          En 1970, ce chaos généralisé force Onganía à renoncer à son projet de renforcer la dictature militaire. Alejandro Lanusse lui succède, plus réaliste et enclin à rechercher un accord avec les partis civils : le Grand Accord National, censé permettre le retour à la démocratie tout en sauvant la face des militaires. Néanmoins Lanusse ne parvient pas à rassembler autour de lui les forces démocratiques, qui s’allient au contraire pour exiger la fin de la dictature militaire et la remise de tout le pouvoir aux civils.
          Pendant ce temps, Perón, toujours proscrit mais sentant que le mouvement social lui est de plus en plus favorable, continue de soutenir les forces révolutionnaires et de les engager à poursuivre la résistance et à réclamer son retour. Fin tacticien, il scelle un accord avec Ricardo Balbín, un des principaux dirigeants du Parti Radical, pourtant vieil ennemi du péronisme, proposant même un «ticket» électoral pour se présenter avec lui lors d’élections démocratiques. Mais les militaires parviennent à exclure une fois encore Perón du jeu, et celui-ci est interdit de candidature.

Juan Perón et Ricardo Balbín

          Malgré tout, la situation du gouvernement de Lanusse est de plus en plus intenable. La rue est en ébullition, les attentats se multiplient, et la population réclame le retour à l’ordre et à la paix. Or, il devient de plus en plus évident qu’un seul homme peut les imposer : celui qui tient en réalité les rênes de la contestation, et représente à lui seul le vrai pilier de toute l’opposition au régime militaire. Perón a en outre toute l’autorité nécessaire sur les groupes révolutionnaires, qui lui sont dévoués et militent activement pour le faire revenir en Argentine. L’ancien président représente donc la seule garantie crédible de retour à l’ordre.
          Lanusse, contraint de céder, permet la tenue d’élections libres, y mettant néanmoins une condition : que Perón ne puisse se présenter en personne. Ce qui arrange, d’une certaine façon, les militants des deux camps, péronistes et radicaux, que l’accord de circonstance entre Balbín et l’ancien président en exil n’enthousiasmait pas vraiment.
          Mais cette nouvelle exclusion de Perón, qui est resté populaire dans la mémoire des Argentins, a pour effet de doper la tendance la plus à gauche, et la plus active, du péronisme. D’autant que Perón lui-même choisi un «remplaçant» très à gauche pour représenter son mouvement aux élections: Héctor Cámpora.

Héctor Cámpora

          Les élections de mars 1973 sont une surprise totale pour tout le monde. Elles sont un échec sanglant pour Lanusse et le pouvoir militaire, qui avait compté que l’absence de Perón profiterait au candidat radical Balbín, et un triomphe inespéré par son ampleur, pour le parti péroniste. Héctor Cámpora est élu dès le premier tour, et les péronistes remportent de surcroit 20 régions sur 22.
          Mais personne n’est dupe : Cámpora n’est qu’un président de transition, en attendant le retour définitif, et très espéré, du vieux général exilé. Un slogan fait d’ailleurs florès à ce moment-là : «Cámpora au gouvernement, Perón au pouvoir». Son retour n’est plus qu’une question de jours.
          La «dépéronisation des esprits», après laquelle avaient couru les différents gouvernements militaires et civils qui s’étaient succédé entre 1955 et 1973, était donc un formidable échec : le péronisme avait survécu dans la mémoire populaire, et semblait revenir plus fort que jamais.
Juan Perón avait fait un premier voyage à Buenos Aires en novembre 1972, pour venir négocier avec Balbín et organiser son front politique électoral multi-partis, le FREJULI (Frente justicialista de liberación). Toujours proscrit, il avait néanmoins dû rentrer en Espagne aussitôt après. Cámpora élu, le retour définitif du vieux leader fut programmé pour le 20 juin suivant. Un retour attendu par le «petit» peuple argentin, dira le philosophe péroniste José Pablo Feinmann, comme celui de Godot par les deux protagonistes de la pièce de Ionesco. Sauf que cette fois, Godot allait réellement faire son entrée dans la pièce. Pour, finalement, le plus grand malheur des Vladimir et Estragon Argentins. Car ce retour tardif allait avoir les conséquences exactement inverses à celles espérées par l’ensemble de la société argentine.
          Ce que nous verrons dans la partie suivante.

Les Argentins descendent-ils des bateaux ?

          Polémique ces temps-ci en Argentine, suite à une petite phrase prononcée par le Président Alberto Fernández sur l’origine des Argentins.

          Peut-être avez-vous déjà lu, ou entendu, la formule fameuse au sujet de l’immigration argentine : «Les Mexicains descendent des Aztèques, les Péruviens des Incas. Les Argentins, eux, descendent… des bateaux !». Une formule qui connait pas mal de déclinaisons et de nuances, dont celle, donc, du président, qui a prononcé exactement celle-ci : «Les Mexicains descendent des indiens, les Brésiliens de la forêt, mais nous autres Argentins, nous sommes arrivés en bateau». Une phrase jugée raciste par de nombreux critiques, d’autant qu’elle a été prononcée lors d’une entrevue avec le premier ministre de l’ancienne puissance coloniale espagnole, Pedro Sanchez. Concours de circonstances plutôt malheureux, il faut bien dire. 

Alberto Fernandez, président de la République Argentine – Photo DP

          D’où vient cette phrase, et que veut-elle signifier ? Son origine est, comme toujours dans ces cas-là, assez discutée. Alberto Fernández l’attribue à l’écrivain Mexicain Octavio Paz (1914-1998), prix Nobel de littérature en 1990. Clarín, en bon quotidien d’opposition, préfère l’attribuer au chanteur Litto Nebbia, dans sa chanson «Nous sommes arrivés par bateau», de 1982. Forcément : Litto Nebbia serait un ami du président. Paz avait écrit très exactement : «Les Mexicains descendent des Aztèques, les Péruviens des Incas, et les Argentins, des bateaux». Une boutade, naturellement, par laquelle l’auteur Mexicain voulait illustrer l’impact beaucoup plus grand de l’immigration européenne sur l’Argentine que sur les autres pays sud américains. Voir à ce sujet notre article «1880-1910 : la grande vague d’immigration»

          En effet, l’Argentine a vécu à la fin du XIXème siècle et au début du XXème, une vague d’arrivées massives de toute l’Europe, qui a contribué à largement façonner son visage cosmopolite d’aujourd’hui, d’autant que, plus qu’aucun autre pays, elle a également, au cours du XIXème siècle, joyeusement massacré tout, ou presque, ce que la contrée comptait de peuples premiers. Voir ici le déroulé de cette «conquête du désert».

          C’est naturellement ce qui a contribué à braquer une partie des Argentins qui ne veulent pas qu’on efface ainsi d’une phrase un peu facile la réalité d’une terre colonisée, en niant la préexistence de peuples installés bien avant l’arrivée des premiers colons. C’est bien légitime. On verra ici la réaction du célèbre acteur Argentin Ricardo Darín (Les nouveaux sauvages, Le sommet), qui relativise néanmoins la polémique : «Il y a des choses plus graves».

          Alberto Fernández, qui ne dit pas autre chose, a demandé a Victoria Donda, la directrice de l’Institut National contre la discrimination, la xénophobie et le racisme (INADI), d’analyser sa phrase afin d’établir si elle «correspond à un acte de discrimination» de sa part. Dans sa lettre à Victoria Donda, il précise qu’aujourd’hui «vivent dans le pays des dizaines de peuples originaires, avec leurs langues et leurs traditions propres. De plus, des enquêtes sérieuses montrent qu’un pourcentage approchant les 50% des Argentins a une ascendance indigène», et il ajoute «Nous sommes cette diversité dont nous devons être fiers. Nous sommes le résultat d’un dialogue inter-culturel». Sa lettre à Victoria Donda est reproduite intégralement dans cet article de Pagina/12. Article sous lequel quelques commentateurs facétieux pointent avec humour la proximité politique de Donda avec le président : peu probable que celle-ci désavoue celui-là !

          Ce qui n’empêche pas de souligner l’opportunisme de certains qui, en d’autres occasions, ne sont pas aussi empressés à reconnaitre la réalité des peuples premiers argentins, et à condamner les massacres d’indiens du XIXème siècle. L’anti racisme est en Argentine comme partout, un outil politique bien utile !

          Sur le sujet de l’immigration argentine, on lira également avec profit, publiés ce même jour, deux articles de fond. Celui de Jorge Alemán dans Pagina/12, «Note sur les bateaux», qui pointe que «Le métissage hybride argentin serait impensable sans les bateaux» et que «Le vrai racisme serait d’effacer cela en escamotant l’histoire». Et celui de Patricia Kolenikov dans Clarín, «Nous sommes venus en bateaux pour échapper à la faim et à la barbarie européenne» qui explique les raisons de la grande vague migratoire et l’odyssée des migrants du début du XXème siècle.

          Car oui, les Argentins descendent AUSSI des bateaux, même si ce n’est pas une raison pour penser que l’Argentine n’est qu’un lointain pays européen.

Arrivée de migrants – Buenos Aires – Photo DP

03 juin 2021 : Ni una menos !

NI UNA MENOS : le point sur les violences faites aux femmes

Aujourd’hui 3 juin 2021, on célèbre en Argentine le 6ème anniversaire de la naissance du mouvement «Ni una menos». Ce slogan, qui signifie littéralement «Pas une de moins », fait référence au nombre toujours important de féminicides commis dans ce pays qui, comme souvent lorsqu’on se réfère aux pays latins, est qualifié de «machiste». Il veut appeler à ce qu’il n’y ait plus une femme qui disparaisse pour cause d’assassinat machiste. En français, il est probable qu’on traduirait plus sûrement ce slogan par «Pas une de plus», dans la liste des victimes de ces violences. Passons sur ces problèmes, anecdotiques, de sémantique.

Photo DP – capture d’écran

Le 3 juin 2015, avait lieu la première manifestation sous le slogan «Ni una menos». 4 articles dans la presse argentine d’aujourd’hui viennent faire le point sur la situation des femmes dans le pays, 6 ans après cette première manifestation. Elle n’est guère brillante.
Citant le rapport de l’Office central de la femme et l’association «La Casa del encuentro», Clarín et le Diario Popular dressent un tableau peu encourageant de la situation, qui ne semble guère s’améliorer. En effet, les chiffres restent consternants. En 2020, on a compté 251 femmes assassinées, contre 252 en 2019. «Une de moins» souligne ironiquement Clarín. Sans parler des agressions qui n’ont heureusement pas débouché sur la mort des victimes. Depuis la première manifestation «Ni una menos», ce sont 1717 femmes qui sont mortes, selon le rapport officiel (1733 selon l’association «Casa del encuentro»). Privant de mère entre 1500 et 2000 enfants, selon les sources. 64 % des meurtres ont été commis par le mari, le compagnon, ou un ex des victimes, et dans 9 cas sur 10, l’agresseur était connu de sa victime. Dans 54% des cas, l’agression a lieu au sein du foyer.

QUE FAIT LA JUSTICE ?

Clarín relève que seules 20% des victimes avaient porté plainte contre leur agresseur au moins une fois avant de mourir sous ses coups. Et sur ces 20%, seulement la moitié avaient été placées sous protection judiciaire. Trop de juges ont tendance à minimiser les faits, et à rester passifs.
Pagina/12 révèle que le gouvernement vient de lancer un plan d’action, dénommé «Programa acercar derechos» (qu’on pourrait traduire approximativement par «Programme pour des droits plus accessibles»). Il s’agit de mettre à disposition des différentes provinces du pays des équipes spécialisées interdisciplinaires (avocats, psychologues, travailleurs sociaux)afin de venir en aide aux femmes victimes de violence et les accompagner dans leurs démarches auprès de la justice, ainsi que leur faciliter l’accès aux aides de l’état et leur fournir une aide psychologique.

QUE FAIT LE GOUVERNEMENT ?

Le gouvernement d’Alberto Fernández compte avec un ministère dédié, le «Ministère de la femme, du genre et de la diversité», dirigé par Elizabeth Gómez Alcorta, dont dépend également un service spécial appelé «Approche générale des violences en raison du genre», en charge de la coordination des politiques de défense du droit des femmes à travers le pays. En effet, un des problèmes réside dans le caractère très décentralisé de l’administration politique argentine, où les provinces et les municipalités gardent une certaine autonomie de décision, mais manquent souvent de moyens pour les mettre en œuvre. Par exemple, relève Josefina Kelly, membre du service, seulement 30% des municipalités possèdent un service dédié aux problèmes de genre. D’où la nécessité de renforcer leurs moyens, en les dotant de budgets spécifiques et en leur fournissant des personnels compétents. Il s’agit également de promouvoir des politiques de prévention efficace, notamment par l’éducation, la pédagogie et le renforcement du débat public. Selon une autre membre du cabinet, Laurana Malacalza, rien n’a été fait jusqu’ici pour mieux coordonner politiques publiques et politiques régionales, ni pour améliorer l’action de la Justice dans ce domaine.

Cela sera-t-il vraiment suffisant dans un pays où une femme meurt toutes les 35 heures sous les coups ? Quelle efficacité auront ces équipes du «Programa acercar derechos», comment seront-elles reçues dans les différentes provinces, dont certaines sont dirigées par des administrations d’opposition au gouvernement actuel ? De quels moyens réels, sonnants et trébuchants, disposeront-elles dans un pays en proie à une crise économique considérablement aggravée par l’actuelle crise sanitaire ? Peut-on espérer des chiffres moins désolants pour le 7ème anniversaire de «Ni una menos» en 2022 ? Pendant ce temps, hélas, les «affaires» semblent continuer : voir ici, et .

Photo DP

Sur le féminisime en Argentine, voir aussi l’excellent livre de Marie Audran, «Pibas», sur ce même site.

28 mai 2021. Revue de presse

Que retenir des grands titres de la presse argentine en ligne ce jourd’hui 28 mai ?

Le maudit virus fait toujours la une, on s’en doute. Comme partout, et à peu près dans les mêmes termes : en Argentine, on en est à la seconde vague, et les chiffres s’affolent. Clarín signale que le pays vient de franchir la barre des 40 000 cas quotidiens, pour 551 morts jeudi. Avec un pic historique d’admissions en soins intensifs : 6800. 38% des malades proviennent de la province de Buenos Aires, ce qui reste logique compte tenu de ce que le tiers des Argentins réside dans cette région. Selon Clarín, l’Argentine serait le 10ème pays le plus touché au monde.

Le gouvernement est durement critiqué par la presse d’opposition, à la fois pour l’inefficacité d’un confinement pourtant constamment prolongé (mais qui semble devoir s’alléger prochainement), et pour son incapacité à développer une politique vaccinale volontariste. La Nación titre sur «les explications rances d’Alberto Fernández (le président, NDLA) sur cet échec». Et notamment sur la campagne vaccinale, qui reste encalminée. D’après le quotidien conservateur, citant le site «Our World in data», la couverture vaccinale du pays n’excèderait pas 5,5%, à comparer avec ses voisins chilien (41,2%) et uruguayen (28,6%). Alberto Fernández de son côté, critique la firme Pfizer, disant avoir négocié la commande de 14 millions de doses, mais que le laboratoire américain avait exigé des conditions impossibles à satisfaire, et qu’il avait donc dû y renoncer. Selon le président, Pfizer «ne voulait simplement pas que le contrat aboutisse». Pour le moment, les vaccins les plus utilisés par l’Argentine restent donc le Sputnik V russe et le Sinopharm chinois, dont, en ce qui concerne ce dernier, les importations vont reprendre en juin et juillet, après une interruption due à la volonté chinoise de privilégier son propre public.

Comme souvent en Argentine, cette affaire de contrat rompu va se terminer devant les tribunaux. En effet, l’ancienne ministre de droite Patricia Bullrich a accusé le gouvernement d’avoir refusé l’offre de Pfizer par pure idéologie, pour privilégier les solutions russe et chinoise, ainsi qu’un conglomérat argentin associé à Astra Zeneca. Bullrich accuse également le gouvernement d’avoir pratiqué le favoritisme dans la distribution de vaccin, prétendant également que la vaccination était «un cadeau de fonctionnaire généreux», alors qu’il est financé par les deniers de l’Etat. Pire : elle est allée jusqu’à accuser le gouvernement d’avoir exigé des pots de vin de la part de Pfizer. Ce que la firme a aussitôt démenti. Le gouvernement assigne l’ancienne ministre pour diffamation, nous indique Clarín dans son article.

Pour le reste de l’actualité, à signaler que le débat se poursuit entre ministre de l’éducation et Communauté autonome de Buenos Aires (CABA) au sujet de la fermeture des écoles et l’enseignement à distance, le gouverneur de la CABA réaffirmant sa volonté de ne pas se soumettre aux mesures de fermeture décidées par le gouvernement. On se souvient que Buenos Aires avait porté l’affaire devant les tribunaux (eh oui, encore et toujours), et avait obtenu gain de cause, forçant la réouverture des établissements scolaires. (Voir notre article du 19 avril). Eh bien un groupe de juristes vient de porter plainte contre les quatre juges qui avaient donné raison à la CABA, pour mise en danger de la vie d’autrui, comme nous dirions chez nous, excès de pouvoir (ils ont invalidé une disposition nationale au profit d’une institution provinciale), défaut d’expertise (aucun expert compétent n’a été commis par les juges).

Le Diario Popular indique que l’Argentine s’est associée à 24 pays (sur 47) pour voter la résolution demandant une enquête sur des possibles violations des droits de l’homme en Israël et Palestine, à la Commission des Droits de l’homme de l’ONU. Un vote que la Chancellerie argentine a défendu en affirmant sa conformité avec le vœu exprimé par la Haute-Commissaire aux droits de l’homme de l’organisation internationale, Michelle Bachelet (Celle-ci avait notamment affirmé que «Les bombardements d’Israël sur Gaza pourraient être considérés comme des crimes de guerre»). L’enquête vise aussi bien le gouvernement israélien que le Hamas, mais Clarín souligne une certaine hypocrisie dans la résolution, puisque, selon ce journal, le Hamas n’étant pas un état constitué, il ne peut donc être directement concerné par cette enquête. Le quotidien anti péroniste pointe que l’Argentine a uni son vote à celui du Mexique, de la Bolivie, du Venezuela, de la Russie et de la Chine (pays que ce journal ne porte naturellement pas dans son cœur), contre celui de pays amis (et plus démocrates) comme les Etats-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Uruguay. Notons que lors de ce vote, le Brésil, l’Italie et la France ont préféré s’abstenir, une position que Clarín met en avant comme ce qu’aurait dû être celle de l’Argentine dans cette affaire.

Et pour finir, pêle-mêle :

On vient de découvrir qu’une résidence de maisons de luxe, fermée comme il se doit, sise à une petite heure de la capitale, piratait son électricité, comme dans un vulgaire bidonville. 38 maisons au tout électrique, grosse facture de rattrapage en prévision (Les propriétaires risquent même six ans de prison !). A lire dans La Nación et le Diario Popular.

Le voyage de notre Président Macron au Rwanda n’a pas suscité beaucoup d’intérêt en Argentine : un seul article, dans Pagina/12, qui rend compte du rapport Duclert et met l’accent sur les responsabilités des divers politiques de l’époque. Mais conclut en constatant que «la vérité finale sur la Rwanda n’est pas encore écrite. Cette vérité est toujours objet de querelles politiques entre adorateurs de Mitterrand et politiciens de droite, et il faudra attendre longtemps avant que l’histoire ne surgisse de l’ombre dans laquelle la culture coloniale et la morale idéologique la tiennent encore enfermée».

Allez, pour nous quitter sur un petit sourire, la blague papale aux fidèles brésiliens venus lui serrer la pince au Vatican. A leur demande : «Saint Père, priez pour nous, les Brésiliens», François aurait répondu tout de go : «Ah vous les Brésiliens, rien ne peut vous sauver. (Le Brésil), c’est beaucoup de Cachaça, et peu de prière !». Provoquant l’hilarité et la bonne humeur générale. Un marrant, Francisco, on vous dit ! A voir en texte et en images sur le Diario Popular !

¡Nada más por el momento !

4 mai 2021. La France rend le butin !

          Selon Pagina/12 du 4 mai 2021, la France va restituer à l’Argentine les restes mortuaires d’un chef Tehuelche, qui avaient été dérobés, en même temps que près de 1400 autres objets de diverses natures, par le Comte De La Vaux entre mars 1896 et juillet 1897, dans le sud argentin.
          Ces restes de Liempichún Sakamata, comprenant son squelette, mais également divers objets se trouvant dans sa sépulture, étriers, pendentifs, pièces d’argent, ont été exposés au Musée de l’Homme à Paris jusqu’en 2009, avant d’être relégués à la réserve du musée.
          «C’est un pas important vers la réparation historique des dommages causés à nos communautés», a commenté l’anthropologue de L’institut National des Affaires indigènes, Fernando Miguel Pepe, qui a soutenu depuis 2015 la demande de la communauté Tehuelche. «Mais cette victoire est essentiellement l’œuvre des peuples premiers, lesquels n’ont cessé de se battre pour que soit reconnu ce droit humain universel qu’est celui de pouvoir donner une sépulture à leurs ancêtres telle que leur dicte leur cosmovision».
          Pagina/12 relève que la restitution antérieure, par la France, des crânes de 24 Algériens assassinés pendant la bataille qui a conduit à la prise de Zaatcha par le général Herbillon en 1849, aura constitué un précédent favorable.
          Ces restitutions, tout comme celle, aussi récente, des biens culturels dérobés pendant les guerres coloniales au Bénin et au Sénégal, marque un net changement dans la politique française par rapport à ce problème. Notre pays s’est très longtemps montré plus que rétif, invoquant hypocritement, comme le faisait par exemple l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault , «l’inaliénabilité des œuvres détenues par les musées nationaux». Ou encore, le danger qu’il y avait à restituer des œuvres qui, argumentait-on, seraient bien mieux conservées en France que dans leur pays d’origine. En somme, le voleur prétendant que les biens volés étaient finalement dans de meilleures mains que celles de leur légitime propriétaire !
          Les Tehuelches, appelés également Aonikenk, sont un peuple de Patagonie, dont le territoire s’étend sur deux pays, l’Argentine et le Chili. S’ils ont pratiquement totalement disparu de ce dernier pays, un recensement de 2010 évalue leur population en Argentine à 28 000 environ, dont une partie métissée avec une autre communauté indienne, les Mapuches. La plupart vit actuellement dans la province de Santa Cruz, connue pour ses immenses glaciers andins.

Répartition des peuples indigènes – Source : Wikipedia.org

Les langues indiennes – Source : wiki commons

Voir également sur ce blog, sur le sujet des peuples indigènes :
La conquête du désert.

¿Buenos o malos aires?

Escrito el 22 de enero de 2020

          Es LA pregunta, cuando me interrogan sobre mi pasión por la capital argentina. Y ya que no me gusta, cuando se me hace una pregunta, no saber qué contestar, tengo la respuesta preparada. ¿Lo que me gusta de Buenos Aires? Su alma, su ambiente, su atmósfera.

          Ya. O sea, la típica respuesta cursi, la fórmula rimbombante por excelencia. El alma, la atmósfera, esas palabras tan vacías que uno puede llenarlas con todo lo que le viene a la gana. Hay lugar. Pero sin embargo… Sí que hay algo en el aire, en la atmósfera, algo difícil de describir, pero que hace de Buenos Aires una ciudad que no se parece a ninguna otra, bueno, dentro de las que ya visité, en Francia o en otros países. Ya, ¿y entonces? ¿Qué? ¿Qué es lo que se puede entender detrás de esas palabras?

          Me lo pregunto. Ya que en realidad, por qué amo esta ciudad, si me paro un rato a reflexionar, en absoluto no lo sé. Si me paro un rato a reflexionar, si me paro cinco minutos para medir sus encantos, lo que veo primero son sus defectos. Dicho de manera desordenada: es una ciudad demasiado grande, ruidosa, mal cuidada, anárquica, imposible de entender para el viajero ocasional, hasta puede presentar un ambiente hostil a veces, en ciertos barrios a ciertas horas. Al contrario de otras capitales más valoradas, como Paris o Londres, muestra una cara totalmente disonante en cuanto a la arquitectura. Permitieron los peores atentados al buen gusto, el vandalismo más salvaje contra la historia, justificaron, hasta alentaron destrucciones irreparables contra edificios que nunca más podrán testificar del pasado sin embargo tan apasionante de esta ciudad.

          Tomemos de ejemplo el barrio que mejor conozco puesto que resido aquí cuando voy a Argentina: La Recoleta. Leer las guías, ver los documentales, siempre sale el mismo refrán: Recoleta es “el barrio más parisino de Buenos Aires”. Bueno, no es que sea totalmente falso. Recoleta es más parisino que San Nicolás, La Boca, Palermo, Balvanera… eso sí. Y mucho. Pero hay que relativizar un poco. Depende de lo que uno entiende por “parisino”, claro.

          El nombre del barrio viene del francés: aquí los “Recollets”, monjes franciscanos que venían de Francia, construyeron un convento a principios del siglo XVIII. Luego, hubo una ola de migración francesa entre 1840 y 1850, una década de fuerte inmigración gala. La única, puesto que la siguiente, entre 1890 y 1910 trajo sobre todo italianos, alemanes y europeos del este, sin hablar de los españoles, claro, siempre mayoritarios (Una curiosidad en cuanto a la inmigración española. Como dentro de ellos figuraba un montón de gente procedente de Galicia, permaneció el apodo: en Argentina, un inmigrante español siempre lo califican de “gallego”).

          No se puede cuestionar que Francia dejo ciertas huellas arquitecturales en el barrio, que todavía se pueden notar allí o allá, como por ejemplo el Palacio Duhau o unos edificios “haussmanianos”, (del barón Haussmann, quien tanto influyo en el aspecto actual de Paris durante el reino de Napoleón III), o “art déco”, ya que esta influencia francesa se mantuvo hasta 1930, más o menos.

          Pero la verdad es que Argentina es un país americano, con todas sus cualidades y todos sus defectos. Quiero decir que aquí la única regla en arquitectura, es… que no hay ninguna regla. No existe un organismo como “Bâtiments de France” en Argentina, para proteger el patrimonio arquitectural nacional.

         Los años 60 (años en que, además, gobernaron sobre todo militares poco aficionados a la piedra antigua), ansiosas de encontrar espacio para la vivienda, fueron devastadoras. No se alzó nadie para defender los edificios históricos. No sólo destruyeron mucho, pero también construyeron sin reglas, tanto en lo que se refiere al estilo como en lo que se refiere a la altura o los materiales utilizados. Así poco a poco la ciudad se vuelve un mero “patchwork” de construcciones heterogéneas. Por ejemplo, avenida Callao:

Y así se podrían multiplicar los “encontronazos”.

          Así que no puedo, verdaderamente, pretender que Buenos Aires sea “una ciudad linda”. Ni hablar de las veredas (cuidado con los baches y las placas que sobresalen), tampoco de los enormes contenedores de basura en plena calle, o de las avenidas repletas de coches bocinando (Buenos Aires cuenta con tan sólo una calle peatonal, la Florida). No, no es por su belleza que amo a esta ciudad. Paris, Londres, Madrid, Viena, son ciudades muchos más lindas en cuanto a su arquitectura. Ciudades cuyo patrimonio supieron preservar, y donde no se permitió a los promotores realizar masacres armados de martillos neumáticos y hormigoneras. Aunque ojo, incluso en Paris, si uno se pasea en la zona de la “Porte d’Italie”, por ejemplo, se puede constatar también como se perpetraron atentados irreparables…

          Cuidado que no estoy pretendiendo que Buenos Aires ya no tiene patrimonio. Queda mucho, por suerte. Además desde una década hay una toma de consciencia, y el tiempo alegre de la fiesta destructiva parece haber terminado. Sin embargo ya es demasiado tarde para algunos tesoros desaparecidos. Se cometieron daños irreversibles. No queda nada por ejemplo de los conventillos de San Telmo, que albergaron los migrantes del fin de siglo XIX. Nada del primer puerto de la ciudad, en La Boca, convertido en teatro para turistas, con sus casas pintadas y sus falsos bares de tango (Para el tango, ir hasta Boedo, menos ostentoso pero mucho más autentico).

          Bueno, entonces, ¿Acaso nos va a escupir porque te gusta tanto esta ciudad desvencijada? Exactamente eso: sus cicatrices, sus dolores, su nostalgia para una historia cuyos testigos ya fallecieron casi todos, su alma de ciudad herida, martirizada, arruinada, pero sin embargo tan viva, tan alegre, tan optimista a pesar de las brutalidades del tiempo, de la economía y de la corrupción de sus elites políticas. O sea que lo que me gusta ante todo en esta ciudad son sus habitantes, los porteños. Los que animan a su alma, que modelan su ambiente, y calientan su atmósfera.

 

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Para ilustrar este artículo, añadí una pequeña galería de fotos abajo. Intenté elegir unas imágenes representativas de la arquitectura porteña.

(Todas las fotos son del autor del presente artículo)

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Pequeño panorama de la arquitectura porteña:

LA RECOLETA, esquina Juncal y Talcahuano:

LA PLAZA DE MAYO. A la izquierda, el Cabildo, en frente la catedral.

Avenida Santa Fe:

SAN TELMO

Otra vez en SAN TELMO, calle San Lorenzo:

Avenida Corrientes:

Entrada al « Caminito », barrio de La Boca

En 1940 :

70 años más tarde:

LA BOCA para los turistas:

LA BOCA de los porteños:

PALERMO:

PUERTO MADERO:

La tienda inglesa Harrods, esquina de San Martín y Córdoba. Abandonada desde 1998:

PARQUE CHAS, barrio residencial en el norte de Buenos Aires:

 

 

Y para terminar, al voleo:

 

 

 

 

 

 

 

PV

Pourquoi aimer Buenos Aires ?

Rédigé le 22 janvier 2020

          C’est une question qui revient souvent, lorsqu’on m’interroge sur ma passion pour cette ville. Comme j’ai horreur, en général, de ne pas savoir répondre à une question, j’en ai donc une toute prête pour celle-ci. Ce que j’aime de Buenos Aires ? Son âme, son ambiance, son atmosphère.

         Voilà bien une réponse qui sent la formulation toute faite, prête à l’emploi. «L’âme», «l’atmosphère», ces mots tellement creux qu’on peut y faire rentrer tout ce qu’on veut, il y a de la place. Mais pourtant… Il ya quelque chose dans l’air, dans l’atmosphère, justement, difficile à décrire, mais qui fait que cette ville ne ressemble à aucune autre, enfin, parmi celles que j’ai eu la chance de visiter, en France et ailleurs. Alors quoi, hein ? Qu’est-ce qu’on peut mettre de réel derrière ces mots ?
Je me le demande sérieusement. Parce qu’en réalité, pourquoi j’aime tant cette ville, si je réfléchis un peu, je n’en sais fichtre rien.

          Parce que si je me pose cinq minutes pour l’observer dans tous ses atours, pour la regarder vivre dans tout son quotidien, ce que je constate d’abord, c’est qu’elle ne manque pas de défauts. Pêle-mêle : c’est une ville trop grande, sale, bruyante, assez mal entretenue, désordonnée, incompréhensible au voyageur de passage, voire hostile parfois, à certains moments ou dans certains quartiers. Contrairement à d’autres capitales plus huppées, comme Paris ou Londres, elle est totalement disharmonique, architecturalement parlant. On y a autorisé les pires attentats au bon goût, permis le plus sauvage vandalisme contre l’Histoire, justifié, voire même encouragé des destructions irréparables contre des bâtiments qui ne pourront plus jamais témoigner du passé pourtant passionnant de cette ville.

          Prenons par exemple le quartier que je connais maintenant le mieux : La Recoleta. Consultez les guides, lisez les brochures, regardez les documentaires, vous entendrez toujours le même refrain : Recoleta, c’est le «quartier le plus parisien de Buenos Aires». Ce n’est pas tout à fait faux : le plus parisien, certainement. Plus parisien que San Nicolas, que la Boca, que Palermo, que Balvanera… Naturellement. Tout dépend de ce qu’on entend par «parisien».

          Le nom même du quartier est d’origine française : c’est à cet endroit que les «Recollets», moines franciscains venus de France, ont installé un couvent au début du XVIIIème siècle. Puis, seconde vague française vers 1840, décennie de forte immigration gauloise. La seule, d’ailleurs, car ensuite, durant l’autre grande vague migratoire européenne vers l’Argentine, entre 1890 et 1910, ce sont surtout les Italiens, les Allemands et les Européens de l’est qui sont arrivés. (Je ne parle pas des Espagnols, migrants permanents vers ce pays. C’est rigolo d’ailleurs : au XIXème siècle, c’était surtout des galiciens qui venaient, du coup le nom est resté. Pour un Argentin, un Espagnol d’origine, c’est toujours un «gallego»).

          Il n’en est pas moins vrai qu’au cours du XIXème, la France a laissé une assez forte empreinte architecturale sur le quartier, dont il reste quelques traces marquantes, comme le Palais Duhau ou quelques immeubles effectivement «haussmanniens», voire art déco, car cette influence s’est maintenue jusqu’en 1930 à peu près.

          Seulement voilà : l’Argentine est un pays américain dans toute sa splendeur. Je veux dire par là que la seule règle qui vaille, c’est qu’il n’y en a pas. De règle. Pas de «Bâtiments d’Argentine» comme il y a les «Bâtiments de France», pour protéger le patrimoine historique.

          Les années soixante (durant lesquelles, de surcroit, dominèrent des gouvernements militaires ultra-libéraux pas vraiment amateurs de vieilles pierres), avides d’espace pour le logement, ont été dévastatrices. Et personne pour défendre les édifices historiques. Non seulement on a beaucoup démoli, mais on a construit sans règle, donc. Ni pour le style, ni pour les hauteurs, ni pour les matériaux. C’est ainsi que peu à peu, la ville s’est retrouvée totalement «mitée», ne formant plus qu’un vilain patchwork de constructions hétéroclites.

          Tenez, par exemple, sur l’avenue Callao :

Photo PV

          On pourrait multiplier les exemples d’ «encontronazos», comme on dit ici, de chocs de culture.

          Alors non, je ne peux pas prétendre que Buenos Aires soit une belle capitale. Ne parlons pas des trottoirs (gaffe aux trous et aux plaques descellées), des conteneurs à poubelles énormes, le long des rues, et qui débordent, et des avenues livrées aux voitures (une seule pauvre rue piétonne dans le micro-centre : la rue Florida). Ce n’est pas pour sa beauté que j’aime tant cette ville. Paris, Londres, Madrid, Rome, Vienne, sont des villes bien plus belles architecturalement parlant. Des villes où on a su préserver le patrimoine, et où on n’a pas permis partout que des promoteurs massacrent l’histoire à coup de marteaux-piqueurs et de bétonnières. (Je dis bien «pas partout», parce que si on va faire un tour du côté du quartier de la Porte d’Italie à Paris, hein…)

          Attention cependant : je ne suis pas non plus en train de dire que Buenos Aires n’a plus de patrimoine. Il en reste quand même pas mal, heureusement. Et depuis une dizaine d’années, une prise de conscience a eu lieu, et le joyeux temps du n’importe semble terminé.

          Mais hélas, des dégâts irréversibles ont été commis. Il ne reste plus rien, par exemple, des conventillos de San Telmo, qui abritaient les émigrants du début du XXème. Plus rien non plus du premier quartier portuaire, transformé en guignol à touristes avec ses maisons peintes et ses fausses boites à tango. (Pour le tango, allez voir à Boedo, c’est moins pimpant, mais bien plus authentique).

          Alors quoi, qu’est-ce que tu aimes tant, de cette ville déglinguée ? Ben justement ça : ses cicatrices, ses douleurs, sa nostalgie pour une histoire dont on a tué tous les témoins, son âme de ville blessée, martyrisée, enlaidie, mais pourtant tellement vivante, tellement gaie, tellement optimiste en dépit des brutalités du temps, de l’économie et de la corruption de son personnel politique. En somme, ce que j’aime de Buenos Aires, surtout, ce sont les Portègnes, comme s’appellent ici les habitants. Et qui font… son âme, son ambiance et son atmosphère.

          Pour illustrer mon propos, vous trouverez ci-dessous en annexe une petite galerie photos, où j’ai essayé de vous présenter les diverses facettes de l’architecture portègne !

          (Toutes les photos sont du rédacteur de cet article)

 

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GALERIE PHOTOS : petit tour d’horizon architectural.

La Recoleta, au coin des rues Juncal et Talcahuano :

Plaza de Mayo. A gauche, le Cabildo, en face, la cathédrale :

Avenue Santa Fe :

San Telmo :

Toujours dans San Telmo, rue San Lorenzo :

Avenue Corrientes :

L’entrée du Caminito, quartier de La Boca :

En 1940

70 ans plus tard

La Boca pour les touristes :

 

La Boca au naturel :

 

Palermo :

Puerto Madero :

Le magasin anglais Harrods, au coin de la rue San Martín et de l’avenue Córdoba. Friche commerciale depuis 1998 :

Parque Chas, quartier résidentiel au nord de Buenos Aires :

 

 

Et un petit « pêle-mêle » au hasard des rues, pour finir :

Écoles ouvertes ou fermées ?

          Alors, classes en présentiel ou pas ? C’est le débat qui secoue l’Argentine en ce moment. Et plus particulièrement l’agglomération de «L’AMBA », la métropole du « grand Buenos Aires», où vit le tiers de la population du pays, quand même.
          Le gouvernement péroniste d’Alberto Fernández avait souhaité renforcer les mesures sanitaires, à un moment où la deuxième vague est en plein essor, et où l’épidémie est de plus en plus difficile à contrôler, avec l’arrivée des mauvais jours (l’automne vient de débuter là-bas). Il avait donc jugé bon de prendre un décret pour fermer momentanément les écoles, à l’image de ce qui a pu se faire en Europe, notamment en Italie et, actuellement, en France. Aussitôt, un certain nombre de parents d’élèves mécontents ont organisé des «cacerolazos», concerts de casseroles sur les balcons, en signe de protestation. La municipalité de Buenos Aires, représentée par le gouverneur Horacio Rodríguez Larreta (opposition de droite) a attaqué le décret en justice. Avec succès : le décret a été suspendu, dans l’attente d’une autre décision de la Cour Suprême.
          Selon le journal pro-gouvernemental Pagina/12, il s’agit d’un jugement partisan, et d’une décision rendue par des juges «macristes», favorables à l’opposition de droite. Un jugement « jaune , pour reprendre la couleur du PRO (Propuesta republicana, parti de l’ancien président Mauricio Macri), d’autant que l’une des juges n’est autre que l’épouse du secrétaire général de ce parti.
          Le ministre de la justice a exprimé sa déception en relevant que «Le président (avait) pris une décision visant à préserver la vie de milliers d’Argentins, et non voulu s’immiscer dans les politiques éducatives». La décision de la Cour d’Appel est intervenue par ailleurs seulement quelques heures après la nouvelle d’un troisième décès de professeur dans la ville, toujours selon Pagina/12.
          Dans son jugement, détaillé par Clarín, la Cour pointe le manque d’éléments concrets prouvant une augmentation des contagions dans les transports publics utilisés par les élèves, selon Clarín, le principal argument avancé par le gouvernement pour fermer les écoles.
          Aussitôt le jugement rendu, les réactions ne se sont pas faites attendre. La municipalité a annoncé une série de mesures visant à organiser au mieux l’accueil des élèves, tandis que deux syndicats d’enseignants décidaient de se mettre en grève. De son côté, le ministre de la Santé, Martín Soria, a qualifié de « mascarade » (Mamarracho) juridique la décision du tribunal, pointant que les juges et le gouvernement de la ville seraient tenus pour responsables des conséquences sanitaires de celle-ci, une décision uniquement «politique».
          Dans une interview à Pagina/12, Daniel Gollan, le ministre de la Santé de la province, a critiqué le changement de cap des autorités municipales, qui avaient indiqué dans un premier temps qu’elles-mêmes prononceraient cette fermeture en cas de progression des contagions, mais auraient, selon lui, changé d’orientation par pure spéculation électoraliste. La municipalité de Buenos Aires, selon lui, nie la gravité de la situation, par pure démagogie. «Nous sommes pour les classes en présentiel, dit Gollan, mais comme nous étions convenus avec eux (la municipalité) en février dernier, si la courbe progressait nous devions prendre des mesures sanitaires générales, qui incluaient l’univers scolaire».
          Comme on le voit, la crise sanitaire, aussi difficile à gérer en Argentine que partout ailleurs, reste ici comme chez nous également un facteur de division et de récupérations politiques de tous ordres. Mais en Argentine peut-être plus qu’ailleurs, les clivages sont particulièrement marqués, et peuvent avoir tendance à renvoyer au second plan des débats d’intérêt général. Car ici, hélas, ces débats-là se règlent plus facilement dans les tribunaux ou dans la rue qu’autour des tables.

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