Alors, classes en présentiel ou pas ? C’est le débat qui secoue l’Argentine en ce moment. Et plus particulièrement l’agglomération de «L’AMBA », la métropole du « grand Buenos Aires», où vit le tiers de la population du pays, quand même.
Le gouvernement péroniste d’Alberto Fernández avait souhaité renforcer les mesures sanitaires, à un moment où la deuxième vague est en plein essor, et où l’épidémie est de plus en plus difficile à contrôler, avec l’arrivée des mauvais jours (l’automne vient de débuter là-bas). Il avait donc jugé bon de prendre un décret pour fermer momentanément les écoles, à l’image de ce qui a pu se faire en Europe, notamment en Italie et, actuellement, en France. Aussitôt, un certain nombre de parents d’élèves mécontents ont organisé des «cacerolazos», concerts de casseroles sur les balcons, en signe de protestation. La municipalité de Buenos Aires, représentée par le gouverneur Horacio Rodríguez Larreta (opposition de droite) a attaqué le décret en justice. Avec succès : le décret a été suspendu, dans l’attente d’une autre décision de la Cour Suprême.
Selon le journal pro-gouvernemental Pagina/12, il s’agit d’un jugement partisan, et d’une décision rendue par des juges «macristes», favorables à l’opposition de droite. Un jugement « jaune , pour reprendre la couleur du PRO (Propuesta republicana, parti de l’ancien président Mauricio Macri), d’autant que l’une des juges n’est autre que l’épouse du secrétaire général de ce parti.
Le ministre de la justice a exprimé sa déception en relevant que «Le président (avait) pris une décision visant à préserver la vie de milliers d’Argentins, et non voulu s’immiscer dans les politiques éducatives». La décision de la Cour d’Appel est intervenue par ailleurs seulement quelques heures après la nouvelle d’un troisième décès de professeur dans la ville, toujours selon Pagina/12.
Dans son jugement, détaillé par Clarín, la Cour pointe le manque d’éléments concrets prouvant une augmentation des contagions dans les transports publics utilisés par les élèves, selon Clarín, le principal argument avancé par le gouvernement pour fermer les écoles.
Aussitôt le jugement rendu, les réactions ne se sont pas faites attendre. La municipalité a annoncé une série de mesures visant à organiser au mieux l’accueil des élèves, tandis que deux syndicats d’enseignants décidaient de se mettre en grève. De son côté, le ministre de la Santé, Martín Soria, a qualifié de « mascarade » (Mamarracho) juridique la décision du tribunal, pointant que les juges et le gouvernement de la ville seraient tenus pour responsables des conséquences sanitaires de celle-ci, une décision uniquement «politique».
Dans une interview à Pagina/12, Daniel Gollan, le ministre de la Santé de la province, a critiqué le changement de cap des autorités municipales, qui avaient indiqué dans un premier temps qu’elles-mêmes prononceraient cette fermeture en cas de progression des contagions, mais auraient, selon lui, changé d’orientation par pure spéculation électoraliste. La municipalité de Buenos Aires, selon lui, nie la gravité de la situation, par pure démagogie. «Nous sommes pour les classes en présentiel, dit Gollan, mais comme nous étions convenus avec eux (la municipalité) en février dernier, si la courbe progressait nous devions prendre des mesures sanitaires générales, qui incluaient l’univers scolaire».
Comme on le voit, la crise sanitaire, aussi difficile à gérer en Argentine que partout ailleurs, reste ici comme chez nous également un facteur de division et de récupérations politiques de tous ordres. Mais en Argentine peut-être plus qu’ailleurs, les clivages sont particulièrement marqués, et peuvent avoir tendance à renvoyer au second plan des débats d’intérêt général. Car ici, hélas, ces débats-là se règlent plus facilement dans les tribunaux ou dans la rue qu’autour des tables.