Petit tour rapide de la presse française, après la victoire de Javier Milei à l’élection présidentielle argentine. (Compte-rendu de cette élection ici)
Libération a la gueule de bois, soulignant que le monde politique « oscillait entre parallèles avec Trump et Bolsonaro, félicitations polies et silence radio ». Les premières félicitations, et les plus chaleureuses, émanant justement des deux anciens présidents Etatsunien et Brésilien. Faisant le tour des réactions de notre univers politique français, il relève sans surprise l’abattement à gauche (Aurélie Trouvé, LFI : « en attendant de meilleurs lundis matin, les Argentin.e.s restent un grand peuple » ou encore l’écolo Yannicke Jadot : « L’internationale de l’extrême-droite a produit son pire monstre politique, Javier Milei : l’ultra-libéralisme pour sortir des ravages sociaux du libéralisme, le climato-scepticisme face au dérèglement climatique… le négationnisme comme projet. »).
Selon ce même article, et de façon plus inattendue, il semble que la droite ne soit pas trop pressé de se lancer dans les commentaires, tandis qu’à l’étranger, la Russie et la Chine se sont montrées d’une prudence toute diplomatique, face à un futur partenaire très imprévisible. Surtout pour les Chinois, étant donné son anticommunisme virulent.
Le journal ressort par ailleurs pour ses lecteurs cinq articles sur Milei, pour mieux comprendre sa personnalité et son programme.
Au Figaro aussi, on est circonspect, ce qui est moins attendu venant de la part d’un quotidien aussi droitier. On aurait imaginé un poil plus d’enthousiasme. Soulignant l’échec patent du gouvernement précédent, le Fig’ insiste également sur la personnalité clivante et outrancière du vainqueur, et révèle une information étonnante : son adversaire malheureux, Sergio Massa, aurait en son temps apporté un soutien financier au parti de Milei, pour faire monter celui-ci au détriment de la droite classique !
Après avoir rappelé les mesures phares de son programme, comme la suppression des ministères les plus sociaux (Affaires sociales, Education, Droits de la femme) ainsi que du droit à l’avortement, le journal souligne qu’en raison de sa minorité au Parlement, il devra trouver des appuis dans la droite classique. Ceux-ci ne devraient pas manquer : à droite naturellement, mais même chez certains péronistes héritiers de la période Menem, un ancien président lui aussi ultra libéral auquel se réfère parfois Milei.
Autres soutiens nettement moins reluisants : des anciens militaires et tortionnaires des années de plomb, réjouis par les positions de la future vice-présidente en faveur d’une réhabilitation de la dictature de 1976-1983.
Le Monde, enfin, utilise lui aussi la comparaison avec Donald Trump, et anticipe le grand retour de l’intervention du Fonds monétaire international (FMI) dans une économie exsangue.
On n’attend plus que la réaction de la télé Bolloré. Non pardon. On ne l’attend pas. On la connait déjà. Les Argentins sont vraiment un grand peuple.
Il fallait s’y attendre, mais ce qui n’était pas prévu, c’est l’ampleur de la différence : 56% contre 44% !
Hier, les argentins ont donc choisi de se lancer dans le vide, en élisant Javier Milei, surnommé par beaucoup «le dingue». Suivant un mouvement quasi général dans notre monde ressemblant de plus en plus à un canard sans tête, un peuple déboussolé et épuisé se tourne vers la solution la plus suicidaire : donner les clés du restaurant à l’extrême-droite ultra-libérale, dans l’espoir qu’une fois la table renversée, on pourra remettre un plus beau couvert.
Voici donc un nouveau Trump/Bolsonaro (ajoutez les autocrates actuels ou passés les plus fantaisistes qui vous viennent à l’esprit) parvenu au pouvoir suprême.
Ceux qui auront lu mes articles précédents ne seront guère étonnés. Aucun mérite : la catastrophe était écrite à l’avance, à partir de la certitude qu’aucun(e), vraiment aucun(e) candidat(e) réellement soucieux(se) du bien public et de l’intérêt commun de ce pays à la dérive ne se profilait à l’horizon.
Après avoir écarté dès le premier tour l’alternative, déjà tentée et ayant largement prouvé son inefficacité, de la droite classique, les Argentins n’avaient gardé que deux possibilités : la peste péroniste et le choléra fasciste. (Rappelons que là-bas, les deux candidats estampillés de gauche ont obtenu moins de 3% au premier tour).
Tout bien considéré, il n’y avait guère d’autre issue possible. Quel électorat décide d’élire un ministre de l’économie affichant un bilan de près de 150% d’inflation annuelle, et une monnaie qui s’échange en quart de centimes par rapport, par exemple, à l’euro ? Dans un pays où les prix valsent quotidiennement, toujours dans le même sens, où la pauvreté atteint 40% de la population ?
Le péronisme est défait, et on ne peut que confirmer la logique et l’inéluctable de l’événement, après 16 ans (sur les 20 derniers) au pouvoir, et une prépondérance politique de près de 80 ans, depuis la première élection de Juan Perón en 1946.
Le problème, c’est que cette fois, les Argentins ne se sont pas contentés de tourner une page : ils ont carrément décidé de déchirer tout le bouquin. Et chargé un inconnu présentant de lourds symptômes psychiatriques d’en écrire un nouveau.
Milei pourra-t-il réellement appliquer le programme délirant qu’il a annoncé lors de la campagne ? Rappelons quelques mesures parmi les plus emblématiques : privatisation totale du secteur de l’éducation, suppression de la banque centrale et de la monnaie locale, pour la remplacer par le dollar, réduction drastique des aides sociales, libéralisation totale de l’économie, suppression du droit à l’avortement, déréglementation de la vente d’armes. Sa vice-présidente, Victoria Villaruel, fille d’un ancien lieutenant-colonel, et nièce d’un autre militaire jugé pour séquestration et torture pendant la dictature, veut transformer le musée commémoratif de la répression des années 1976-1983 en parc de jeux.
Pour beaucoup d’observateurs argentins, la victoire de Milei est d’abord et avant tout la défaite du péronisme. C’est le cas notamment de Clarin, journal notoirement antipéroniste, qui consacre plus d’articles à cette défaite qu’à la victoire de Milei.
C’est une évidence. C’est un pouvoir usé, que les divisions et la corruption ont rendu non seulement impuissant, mais aussi et surtout détestable aux yeux d’une majorité prête à tout pour s’en débarrasser. Y compris, donc, en portant au pouvoir une sorte de Docteur Folamour, en espérant faire parte des élus qui se sauveront du cataclysme à prévoir.
Bon, après le temps de l’euphorie du grand balayage, devrait venir celui de l’expectative. D’ailleurs on commence déjà à le sentir, même dans les canards locaux de ce matin. Même les plus satisfaits de ce renversement de table en conviennent : l’avenir est plus que jamais imprévisible. Ce que résume bien Eduardo Van Der Kooy dans Clarín : «D’abord l’enterrement du Kircherisme (du nom des deux anciens présidents péronistes, Nestor et Cristina Kirchner, NDLA), ensuite le pari pour un changement incertain».
Milei s’était fait filmer en meeting, une tronçonneuse à la main, histoire de symboliser son programme. Il lui reste, comme dit, toujours dans Clarín, Ignacio Miri, à «transformer la tronçonneuse en instrument de gouvernance».
Dans toute cette ébullition, on peut au moins être sûr qu’une chose ne va pas changer en Argentine : la division profonde, enracinée dans l’inconscient collectif depuis quasiment l’avènement de l’Indépendance en 1816, du peuple argentin.
Ne reste plus qu’à espérer que ce pays ne s’enfonce pas dans le chaos et la misère. Personnellement, depuis ce matin, je ne suis pas très optimiste.
*
Rapide revue de la presse écrite française du jour ici.
Énorme surprise au vu des résultats de la présidentielle argentine ce dimanche. Alors qu’on attendait la comète Milei, poussée par des sondages dont certains avançaient même une possibilité d’élection dès le premier tour, c’est Sergio Massa, le représentant d’une majorité au pouvoir totalement décriée et décrédibilisée qui arrive en tête !
Javier Milei, le Trump-Bolsonaro argentin, termine à plus de 7 points. Mais la plus grosse déconvenue est subie par la droite classique, dont la candidate, Patricia Bullrich, n’obtient que la troisième place et se voit donc définitivement éliminée de la course à la présidence.
Voici les résultats presque définitifs donnés par la presse argentine après plus de 98% des bulletins dépouillés :
CANDIDAT
MOUVEMENT
TENDANCE
RÉSULTAT
Sergio Massa
Unión por la patria
Gauche péroniste
36, 7 %
Javier Milei
La libertad avanza
Ext. Dr. ultra libérale
30 %
Patricia Bullrich
Juntos por el cambio
Droite classique
24 %
Une fois de plus, les sondages se sont totalement ramassés. Ils prédisaient une victoire nette du candidat d’extrême-droite, et surtout une défaite sèche du candidat de la majorité actuelle, plombé par ses résultats économiques catastrophiques (Car précisément, Massa est le ministre de l’économie !), la division du mouvement péroniste entre partisans de l’ancienne présidente – et très clivante – Cristina Kirchner et ceux d’un péronisme plus recentré, et une corruption endémique du pouvoir en place.
L’analyse de ces résultats totalement inattendus ne va pas être une partie de plaisir pour les spécialistes du genre. Car jusqu’ici, l’impression dominante, c’était que les Argentins n’en pouvaient plus, de ce gouvernement, et allaient le balayer définitif. Mon camarade – et très conservateur – Manuel prédisait même (bon, prédiction un brin auto-réalisatrice, c’est sûr !) la disparition définitive du péronisme. Rappelons quand même les résultats des primaires, qui n’annonçaient rien de bon pour le péronisme au pouvoir : Milei, 30%, la droite 28 et les péronistes 27 à répartir entre deux candidats en lice.
De nouveau, le péronisme montre sa résilience, contre vents et marées. Comme il l’a finalement toujours fait depuis la chute de son leader charismatique en 1955.
La Nación de ce matin tente un début d’explication, dans son article «Le plan Massa a fonctionné : pourquoi il a triomphé dans un pays au bord du gouffre». Premier levier : la peur. En effet, de nombreux argentins ne survivent que grâce aux aides sociales. Or, tant Bullrich que Milei présentaient des programmes annonçant leur suppression. Selon La Nación, après la défaite des primaires (Voir ci-dessus), Massa n’a pas lésiné, justement, sur leur augmentation. Et donc, pour le quotidien de droite, sur le clientélisme.
Tout en agitant le spectre d’augmentations massives une fois la droite revenue au pouvoir : énergie, transports, alimentation, ce dernier secteur se voyant d’ailleurs largement subventionné par l’État, plus dépensier que jamais. Selon le très antipéroniste éditorialiste Joaquin Morales Sóla, «On n’a jamais vu dans l’histoire, du moins sur ces dernières 40 années de démocratie, un candidat présidentiel gaspiller autant d’argent public pour aider sa campagne». Bref, résume La Nación, «on a balayé les problèmes sous le tapis», pour flatter la populace apeurée.
Ce n’est pas entièrement faux, mais vu l’état d’exaspération d’une majorité d’Argentins, ça reste un poil court.
Eduardo Aliverti, dans le quotidien de gauche Página/12, livre quelques autres explications. Selon lui, les outrances de la droite (Milei et sa tronçonneuse dans les meetings, annonçant le massacre de l’État providence, les attaques contre le Pape, la réhabilitation de la dictature militaire…), le manque de leadership de la candidate de la droite classique, la désunion de celle-ci, augurant de son incapacité à gouverner, ainsi que le profil plus rassembleur de Massa auront fini par remobiliser les électeurs les plus à gauche.
Ceci étant, qu’on soit de gauche ou de droite, il n’y a pas vraiment de quoi danser de joie à la lecture de ces résultats.
A gauche, d’une part, parce qu’on ne voit pas très bien comment ces 37% obtenus de haute lutte pourraient faire des petits lors du deuxième tour. L’électorat péroniste s’est déjà largement mobilisé lors du premier, et il n’y a donc plus tellement de réserves. Massa appelle à l’unité nationale en agitant le spectre du néo-fascisme représenté par Milei, mais les chiffres sont là : à eux deux, les candidats du rejet du péronisme ont engrangé plus de 53% des voix.
A droite, la défaite cuisante de Patricia Bullrich sonne le début d’une probable crise politique interne. Juntos por el cambio ne représente plus une alternative crédible au péronisme. C’est toujours plus facile après coup, mais on aurait pu le prévoir. La défaite de l’ancien président Mauricio Macri en 2019, après un seul mandat, était un signe clair de désaffection : la droite n’avait pas convaincu de sa capacité à sortir le pays de son marasme.
Autre signe assez éclairant : Mauricio Macri lui-même avait donné l’impression, pendant la campagne, de soutenir davantage Milei que la candidate de son propre mouvement.
Le sentiment qui continue de prédominer, c’est celui qui prévalait lors de la terrible crise de 2001 : «Qué se vayan todos», qu’ils se barrent, tous. D’où la popularité du météore prétendument antisystème Milei. A cette différence près : le péronisme, au contraire de la droite, garde indéfectiblement une base populaire solide, quoi qu’il arrive.
Reste à savoir ce que décideront les électeurs de Bullrich. Naturellement, Milei, assez déçu de son relatif échec, les appelle à se rassembler derrière lui. Peut-il parvenir à en capter une assez large majorité pour passer ?
Mathématiquement, oui. Mais pour cela, il va lui falloir lisser pas mal son discours d’ici le second tour, car ses outrances et une partie de son programme ne rassurent guère certains électeurs pas forcément prêts à abandonner leur conservatisme pépère pour embrasser un ultra-libéralisme débridé. Démanteler l’état providence et interdire l’avortement, ça va, mais proposer une loi permettant aux pères de renoncer à leur droit à la paternité, ou rompre les relations diplomatiques avec le Vatican, ça dépasse un brin leurs limites.
Les partisans de Milei, ceci dit, restent optimistes. «63% des Argentins souhaitent le changement» et «avec 12% d’inflation, le péronisme ne peut pas gagner». Mais c’est ce qu’ils disaient déjà avant ce dimanche !
Quoiqu’il en soit, le résultat du second tour garde un certain suspens. Mais n’incite guère à l’euphorie. Car quel que soit le vainqueur du 19 novembre prochain, l’Argentine se réveillera plus divisée que jamais. Qu’elle ait maintenu au pouvoir un gouvernement qui a jusqu’ici largement échoué à revitaliser l’économie du pays, ou laissé la place à un populisme d’extrême-droite totalement imprévisible. Ou, au contraire, trop prévisible.
C’est ce qui se passe, généralement, lorsque la politique ne propose plus, hélas, que de mauvaises solutions.
Ajoutons pour être complet que quelque soit le vainqueur du second tour, il n’aura pas de majorité claire au Parlement pour gouverner. En effet, il y avait également des élections législatives et régionales ce dimanche, pour renouveler une partie des députés et gouverneurs de provinces.
L’Assemblée compte 257 élus. A l’issue de ce scrutin, les péronistes en ont 108, la droite classique de Bullrich 93, et les libertaires de Milei 34. Au Sénat (72 élus), la répartition est de, respectivement, 34, 24 et 8. Autant dire que ça promet de vigoureuses séances, une fois le nouveau gouvernement composé !
PS : et la gauche traditionnelle, dans tout ça ? Ah, la candidate du FIT-U (Front de gauche et des travailleurs) a obtenu 2,7% des voix, et la gauche doit se contenter de 5 sièges à l’Assemblée et aucun au Sénat. En Argentine, la gauche, c’est comme les écologistes : à peu près personne ne sait ce que c’est.
Bon, ça fait des lustres que mon camarade et hébergeur Christophe me tanne pour que je vous baille un article sur un des sports le plus populaires d’Argentine : le rugby.
J’ai beau lui expliquer que question compétence sportive, ma légitimité est à peu près aussi évidente que celle, au hasard, de not’ bon président Picard pour expliquer la cuisson des fricadelles, il insiste. (Bon, pas trop, quand même. Dans ses connaissances, il ne manque pas de pointures sur le sujet, à commencer par lui-même, ce qui devrait lui permettre de relativiser ma propre expertise !)
M’enfin, tout de même, en ce moment, c’est la coupe du monde de rugby (Je plains ceux qui n’en ont pas entendu parler, ça ne doit pas être très confortable de vivre dans une cave à champignons ou un abri atomique). Et l’Argentine fait partie des quelques équipes qui ne se prennent pas des branlées mémorables dès qu’elles affrontent un des monstres de la compétition. Mieux : bien que seulement sur un strapontin, elle en fait un peu partie, des monstres en question.
Bon, je disais que le rugby, en Argentine, est un des sports les plus populaires. Ce n’est pas entièrement vrai. Au sens strict du terme. Tout comme le polo (voir ici), même si c’est un sport apprécié du grand public, il est l’apanage, avant tout, d’une élite. La jeunesse du rugby, ce sont plutôt des fils à papa. On est loin, donc, très loin, du caractère «popu» du football, LE sport argentin par excellence. Ou du moins, le sport des Argentins.
Cela n’empêche. L’Argentine possède une excellente équipe nationale. Les Pumas, qu’elle s’appelle. Ce qui sonne, avouons-le, nettement plus féroce que «les bleus», «le quinze de la rose» ou encore, «les kiwis». Dommage qu’en rugby comme ailleurs, l’habit ne fasse pas le moine.
Actuellement, les Argentins figurent en huitième position du classement mondial des équipes nationales. Juste devant l’Australie et les Fidji. Et surtout, juste derrière le Pays de Galles, et ça, ça devrait changer. Car avant-hier mesdames-messieurs, justement, les Argentins ont défait les Gallois en quarts de finale de la Coupe du monde ! Et pas qu’un peu : 29-17.
Les voilà donc propulsés en demies ! C’est-à-dire, si on me suit bien, qu’ils vont figurer parmi les quatre meilleures équipes du tournoi !
Bon, d’accord, leur match contre les Gallois, ce n’était pas la partie du siècle. On glosera encore longtemps, j’imagine, sur ce fameux tirage au sort qui a fait que ces quarts de finale se sont retrouvés partagés en deux tableaux totalement asymétriques. D’un côté, les quatre favoris priés de s’entretuer (Irlande-Nouvelle-Zélande ; France-Afrique du sud), de l’autre, quatre seconds couteaux qui n’auraient certainement battu aucun des quatre premiers s’ils avaient dû, justement, les affronter en quarts (Galles-Argentine ; Angleterre-Fidji).
La fédé internationale a dû le sentir, puisque, hasard ou pas, les duels des géants avaient lieu au stade de France tandis que les petits poucets n’avaient droit qu’au vélodrome de Marseille.
On ne donnait pas cher des chances des Argentins, dans ce quart. Les quotidiens et bookmakers gallois et anglais s’en léchaient les babines à l’avance, annonçant une large victoire des « diables rouges » par au moins dix points d’écart.
Et il faut bien dire que le début de la partie semblait leur donner raison. Empruntés, lents, indisciplinés, les Argentins ont très mal débuté la rencontre, et on était fondé à croire que celle-ci n’allait être qu’un long calvaire pour des félidés qui semblaient mal digérer le poireau. Après 39 minutes de jeu, ils avaient déjà les fameux dix points de retards prévus par les journalistes gallois.
Heureusement, question de faire des fautes idiotes, le quinze rouge n’était pas mal placé non plus. Cinq minutes plus tard, le buteur gaucho, Emiliano Boffelli, avait passé deux pénalités. Plus que -4 à la mi-temps, on pouvait garder espoir du côté des bleus et blancs.
Petit, l’espoir, tant, vu du public, on avait l’impression que les Gallois les dominaient de plusieurs têtes. Mais le public, justement, était nettement plus bleu ciel que rouge. Je ne sais pas comment ils font, les Argentins, pour être aussi nombreux dans les stades français cette année. Quand on voit dans quel état est l’économie de leur pays, on peut se demander où tous ces gens ont trouvé le budget astronomique nécessaire pour traverser l’Atlantique et se payer un séjour de près de deux mois pour assister au tournoi. Quand je vous disais que là-bas le rugby est plutôt un sport de riches…
Ce samedi c’était pourtant une évidence : les Argentins étaient plus nombreux que les Gallois, et criaient nettement plus fort. Je n’ai jamais rien compris à ces histoires de «public qui vous porte» et de «soutien qui vous galvanise», mais le fait est là : après la pause, les gauchos ont semblé revenir gonflés à bloc. Et un tout autre match commença. On eut même l’impression que les joueurs s’étaient contentés d’échanger leurs maillots, tellement les uns semblaient avoir adopté le jeu des autres.
Les celtes offraient deux nouvelles pénalités à Boffelli, qui faisait basculer son équipe en tête. 12-10. Les chants gallois étaient subitement éteints, et la grinta argentine, aussi désordonnée que bruyante, se poussait du col. Léger coup de froid avec le deuxième essai gallois : les défenseurs argentins, comme le chien qui croit que la baballe est lancée, s’étaient précipités sans se rendre compte que Tomos Williams l’avait finalement gardée au chaud sous son coude droit. 12-17.
Il restait encore 23 minutes à jouer, mais tout le monde avait l’air bien fatigué. Le match, déjà jugé assez brouillon par les commentateurs Lartot et Yachvili, baissa encore en qualité. Mais surtout, hélas pour eux, du côté gallois. Ceux-ci se virent enfoncés au ras de leur ligne par la masse bleue et blanche qui envoya le «Rochelais» Sclavi poser le ballon pile sur la ligne. 19-17.
A la 77ème minute, l’ouvreur gallois remplaçant voyait sa passe mal calculée interceptée par Nicolas Sanchez, qui filait dans l’en-but. Il faut dire que lui avait encore des jambes et pour cause : il n’était entré en jeu que depuis dix minutes. L’Argentine reprenait le commandement pour ne plus le lâcher. 26-17, puis 29-17 après une dernière pénalité passée par Sanchez : les bookmakers gallois buvaient le bouillon, et les Argentins, du petit lait.
Voilà donc les Argentins en demie finale. Vu leur niveau réel, on trouvera très injuste, par ailleurs, que les Français, de leur côté, n’y soient pas. Nos bleus, eux, avaient un adversaire bien plus coriace à se coltiner en quarts (l’Afrique du Sud), et ont échoué d’un rien. En attendant, dans cette coupe de monde qui a pourtant lieu en France, à plus de 10 000 kilomètres de Buenos Aires, l’Argentine restera comme une des quatre meilleures équipes. Avec L’Angleterre, L’Afrique du Sud et, comme d’habitude, la Nouvelle-Zélande. Si on avait dit ça à mon camarade Benito, il y a deux mois, il m’aurait traité de « chiflado » (cinglé). Comme quoi le rugby reste, somme toute, également un jeu de hasard.
*
Un petit tour de la presse argentine :
1. Les Pumas, en demies finales du Mondial : dans l’échelle des victoires, à quel niveau se situe celle contre le Pays de Galles ? (La Nación)
2. Les Pumas et les répercussions de leur grande victoire : du coup de poing sur la table aux émotions changeantes du Prince de Galles (La Nación)
3. Les Pumas remportent une partie épique et sont en demies pour la troisième fois de leur histoire (Clarín)
Bon, je vais faire de la pub pour une firme multinationale que je n’aime pas particulièrement, et dont je n’utilise que très rarement les services, mais cette fois, c’est pour la cause.
En effet, le 14 septembre prochain sur Netflix sort une nouvelle série qui devrait ravir tous les amateurs de littérature argentine.
Bon, cette série, paradoxalement, sera… mexicaine, et donc située au Mexique, avec des acteurs et actrices en majorité Mexicain(e)s. N’empêche, la série est tirée d’un roman argentin, d’une autrice dont je viens présentement, et prestement, vous faire l’éloge.
Je l’avoue, je l’ai découverte il y a peu, grâce aux conseils avisés du (selon moi) meilleur lecteur de toute la rive sud du Río de la Plata, mon camarade Manuel Silva, résident à la fois du quartier populaire de La Boca à Buenos Aires et de la campagne paraguayenne, où il fait de nombreux voyages pour s’occuper de ses orchidées.
Vous allez me dire : on s’en tamponne, des orchidées du Manuel. Je comprends ça, mais moi, je vois bien toute l’influence qu’elles ont sur son extraordinaire acuité d’analyse du réalisme magique de la littérature sud-américaine, dont il est un véritable spécialiste. Sans les paysages du Paraguay, effet papillon, je n’en aurais sans doute jamais appris autant sur les ressorts de l’écriture de García Marquez, de José Luis Borges ou de Julio Cortázar. Mais j’en parlerai peut-être une autre fois, ce n’est pas le sujet ici.
Le sujet, c’est la prochaine série mexicaine, donc. «Las viudas de los jueves», elle va s’appeler. Exactement comme le roman dont elle est tirée. Et c’est là qu’intervient la littérature argentine : le roman en question est de Claudia Piñeiro, autrice de dix romans depuis 2006, ainsi que plusieurs ouvrages de théâtre, de littérature de jeunesse, et de deux recueils de nouvelles.
Une collectionneuse de prix littéraires : pas moins de neuf en moins de vingt ans ! Mais bon on le sait, ce ne sont pas les prix qui font les grands écrivains. Enfin, pas forcément. On a bien filé le Goncourt à Jean Cau (1961) et à Michel Houellebecq (2010) et jamais à Raymond Queneau ou à Georges Simenon. Si c’est pas de l’injustice.
Claudia Piñeiro, ce n’est pas seulement une romancière. A la base, c’est une sociologue contrariée. En 1978, elle avait 18 ans et se destinait à cette carrière, manque de chance, les militaires venaient de prendre le pouvoir et décréter que la sociologie, c’était subversif. Fermeture de la fac, inscription en Sciences éco, en route vers une carrière de comptable ! On comprend mieux qu’en parallèle avec tous ces chiffres, elle se soit mise aux lettres. Faut bien souffler un peu.
Elle commence par écrire pour les petits. Peut-être parce qu’elle trouve ça plus facile, et moins engageant. Rien n’est moins sûr, mais ça lui met le pied à l’étrier, parce qu’elle a la chance, et surtout le mérite, de non seulement être publiée, mais de gagner en suivant son premier prix de la série de neuf. Première publication donc en 2004, mais naturellement, il y a déjà belle lurette qu’elle empile les manuscrits. Son premier vrai roman, inédit à ce jour, «El secreto de las rubias» (le secret des blondes) date de 1991.
Premier succès avec le roman «Tuya» (Tienne), finaliste du prestigieux prix Planeta. Je ne l’ai pas lu, je ne peux donc pas vous en parler. En 2005, sort celui qui va donner lieu à notre série cinématographique : «Las viudas de los jueves», Les veuves du jeudi en version française (Actes Sud).
Elle y décrit un univers qu’elle reprendra plus tard comme décor dans un autre roman, policier celui-ci : «Betibú» (pour Betty boop). Celui des lotissements fermés, vous savez, ces cités protégées, sortes de réserve des classes supérieures qui s’enferment pour éviter toute contagion avec les gueux du dehors (de la vraie vie, quoi), et surtout, vivre une vie tranquille dans un espace hyper sécurisé.
En Argentine, ça fait florès. Murs d’enceinte, barrières automatiques, gardiens intraitables, école spécifique pour les enfants, magasins, bref, vase clos. On y reste entre soi, tout le monde se connait, les règles sont strictes et tout le monde les respecte sous peine d’être mis au ban. Et donc, on s’y sent en parfaite sécurité, même en plein milieu d’un quartier de banlieue modeste, qu’on ne traverse qu’en grosse bagnole à vitres fumées, sans jamais s’y arrêter.
Les Altos de la Cascada sont un “country”, comme l’appellent les Argentins, comme bien d’autres. On y vit entre bons voisins, qui deviennent souvent des amis. Chaque jeudi, une bande de potes se réunit traditionnellement pour boire, manger, discuter, jouer, bref, se donner du bon temps. Sans les femmes. Qui se surnomment, par dérision, les «veuves du jeudi».
Toute une mini société, où s’agitent pourtant tout comme ailleurs les mêmes passions, les mêmes tricheries, les mêmes frustrations, et, souvent, le même ennui. Une société précaire, de surcroit. Le moindre aléa, maladie, perte d’emploi, et on n’existe plus. Quand on vit sur un fil, il ne faut surtout pas glisser.
Mais nous sommes en 2001. Une des pires crises économiques que l’Argentine ait connu depuis longtemps. Un effondrement, après dix ans de gestion ultra-libérale de Carlos Menem, pourtant l’idole des classes supérieures. Les Altos de la Cascada ont beau être isolés du reste du monde, leurs habitants sont bien obligés de travailler à l’extérieur. Dans de vraies entreprises, soumises aux soubresauts de l’économie.
Et c’est là que tout commence à se gripper. Pour terminer en tragédie.
Je ne sais pas ce que va donner la série. Dans le roman, Claudia Piñeiro nous livre une description implacable de cet univers glaçant, cette bulle qui ne peut que finir par éclater, tant le dôme de protection au-dessus de ces familles riches parait fragile et prêt à se briser à tout instant.
J’ai vu une bande annonce, j’ai l’impression qu’ils se sont davantage centrés sur les rapports entre habitants et les intrigues croisées que, comme Claudia Piñeiro, sur l’examen critique de ces «paradis» fermés qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à des enfers dorés. Mais ça, on ne le saura qu’en regardant la série. Sortie prévue, donc, le 14 septembre sur Netflix.
A part ça, Claudia Piñeiro a écrit d’autres livres largement dignes d’intérêt. J’ai déjà cité «Betibú», une enquête policière mené par une romancière et un journaliste, et qui se déroule également dans une de ces cités exclusives. Version française : Betibou, chez Actes sud (Il y a eu un film en 2011, de Miguel Cohan).
En français, on trouve également Une chance minuscule (Una suerte pequeña, en espagnol), qui raconte l’histoire tragique d’une jeune femme responsable malgré elle d’un effroyable accident, et qui ne peut le surmonter qu’au prix d’un abandon qui constitue, au final, une double peine. Un récit là aussi implacable, qui fait penser au formidable «Atonement» (Expiation) de l’Anglais Ian Mc Ewan. Version française toujours chez Actes sud.
Pour ceux qui peuvent lire en espagnol, je conseille également son dernier en date, «Catedrales», pas encore traduit. L’histoire d’un crime atroce et resté impuni pendant trente ans, mêlant secret familial, religion et exil sans retour (Résumé complet en lien).
Une autrice à découvrir. Personnellement, j’en suis à mon 5ème bouquin en autant de mois, et je ne lis pas que ça, naturellement. Ne me demandez pas par lequel commencer, je les ai tous dévorés.
Il fallait s’y attendre, et pourtant, le résultat laisse tout le monde pantois, à commencer par les instituts de sondage. On devrait pourtant être habitué : là-bas comme chez nous, ils se trompent régulièrement d’élection en élection !
Javier Milei était donné troisième et en perte de vitesse, il est pourtant arrivé premier ! On avait présenté ici ce candidat «anti-système», frère jumeau du Trump nord-américain. Mêmes idées, même programme, même coiffure. Et même dérèglement mental.
Son programme ? Régler le problème de l’hyper-inflation par la dollarisation de l’économie (en gros, faire du dollar la monnaie officielle), réduire l’état à sa plus simple expression en supprimant la plupart des services publics, libéraliser l’économie à la façon des Chicago Boys de Pinochet, supprimer les programmes sociaux, interdire l’avortement, libéraliser les ventes d’armes et d’organes, et en finir avec «la farce» du changement climatique, inventée par la gauche pour faire peur au bon peuple.
Un programme délirant, mais c’est un candidat délirant, dépassant Trump sur sa droite. Un demi-fou, pour ne pas dire un fou tout entier.
Bon, pas de panique, il n’est pas encore le nouveau président argentin. Il ne s’agissait cette fois que d’une primaire. Comme je l’ai expliqué ici, le système électoral argentin est à trois tours : un, des primaires pour désigner ceux qui seront les candidats officiels de chaque parti, puis ensuite deux tours comme chez nous, qui auront lieu fin octobre début novembre.
N’empêche, c’est un sacré coup de semonce. Milei a obtenu plus de 7 millions de voix, 30% des suffrages exprimés. Derrière, on trouve les deux candidats de la droite (Juntos por el cambio, ensemble pour le changement), 28%, puis les deux candidats du parti au pouvoir, «Unión por la patria», 27 %. Comme prévu, les candidats officiels seront en octobre Milei, Patricia Bullrich (que l’on compare souvent à l’Italienne Meloni) et Sergio Massa, actuel ministre de l’économie.
Qu’est-ce qui peut expliquer le vote des 7 millions d’Argentins qui se sont portés sur l’anar d’extrême-droite ? En grande partie, naturellement, on peut pointer l’usure du pouvoir et le rejet, comme partout, des politiques traditionnelles, à bout de souffle et jugées largement corrompues et détachées des préoccupations des gens ordinaires.
Depuis 2003, le péronisme de gauche, dit aussi «kirchnerisme», du nom des deux présidents qui se sont succédés, Nestor (2003-2007) et Cristina Kirchner (2007-2015), a gouverné pendant 20 ans, à peine entrecoupés de quatre ans du gouvernement de droite de Mauricio Macri (2015-2019), qui a lui aussi largement échoué dans sa tentative de relancer une économie atone et a dû laisser sa place à un autre péroniste, Alberto Fernández, le sortant actuel qui ne se représente pas.
Comme dit Bernard Lavilliers, les Argentins sont fatigués. Ils n’y croient plus. Ils ne croient plus aux promesses du péronisme, mais pas davantage à celles de la droite. Alors ils font comme les autres : ils se jettent dans les bras du premier venu qui n’a pas encore été essayé et qui fait miroiter des lendemains qui chantent, promettant d’en finir avec « la caste » des accapareurs de pouvoir incapables de faire le bonheur du peuple, mais très compétents, en revanche, pour faire le leur pendant la durée de leur mandat.
D’après le quotidien La Nación, ses électeurs sont à chercher essentiellement en province, chez les jeunes de moins de trente ans, et plutôt côté masculin. «Dans cette tranche de l’électorat, non seulement Milei convainc par ses idées, mais également par son discours de résistance au féminisme. Nombre des jeunes de cet âge sont mal à l’aise avec l’inversion des rôles, par l’avancée des idées féministes en général», pointe Juan Mayol, consultant d’un institut de sondages. Qui plus est, depuis la crise sanitaire et le très long confinement argentin, l’état est vécu par ceux-ci comme attentatoire aux libertés individuelles.
Par ailleurs, aidées par la médiatisation sans cesse croissante de l’insécurité (une insécurité largement alimentée par la crise économique et sociale), ses propositions de libéraliser la vente et l’usage des armes font mouche auprès d’une population plus âgée et urbaine.
Alors, vote de protestation ? Dans une large mesure, les Argentins ont souhaité en effet proclamer leur ras-le-bol des politiques traditionnelles, impuissantes à améliorer leur quotidien et largement éclaboussées par de multiples scandales de corruption. (L’ancienne présidente Cristina Kirchner a été récemment condamnée pour fraude aux marchés publics, et l’autre ancien président Mauricio Macri, d’une famille d’entrepreneurs très en vue, a été cité dans l’affaire des « Panama papers »).
Reste à savoir s’ils confirmeront en octobre-novembre. Auquel cas le petit tremblement de terre de dimanche dernier pourrait se transformer en véritable tsunami, portant au pouvoir un personnage plus qu’équivoque, et jeter le pays dans un inconnu particulièrement dangereux. Et extrêmement inflammable.
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Un ami de Buenos Aires, dimanche soir, après les résultats, m’a envoyé un message Whatsapp enthousiaste au sujet de ces résultats. J’étais assez atterré, et je lui ai donc fait cette réponse, que je vous traduis ci-dessous :
Cette fois, c’est lancé. A la fin de l’année, les Argentins vont retourner aux urnes pour changer de président de la République, comme tous les quatre ans.
Comme je vous l’avais expliqué ici, ils sont dotés d’un système électoral un peu différent du nôtre. Comme chez nous, pour les législatives comme pour la présidentielle, les scrutins sont «majoritaires à deux tours». Au premier, on choisit son candidat préféré, au second, on élimine celui dont on ne veut surtout pas.
LE SYSTÈME ÉLECTORAL ARGENTIN
Mais chez nous, chaque parti est censé présenter un seul candidat pour chaque scrutin et chaque poste. S’il y a concurrence interne, les partis organisent des primaires en appelant leurs militants à choisir en amont de l’élection.
Chez eux, pour cela, on organise une sorte de tour préliminaire, environ trois mois avant l’élection : les PASO, pour «Primarias Abiertas Simultaneas Obligatorias». Autrement dit, des primaires ouvertes et obligatoires : tout le corps électoral est appelé aux urnes. A cette étape, chaque parti peut présenter plusieurs candidats si ça lui chante, ou un seul.
Les électeurs votent pour un seul d’entre eux. Seuls les candidats recueillant plus de 1,5% de voix auront accès à l’élection officielle.
Il se peut alors que deux candidats d’un même parti soient au-dessus de ce minimum. En général et sauf dissidence, rare, c’est naturellement celui arrivé en tête qui représente finalement le parti.
Voilà pour le système. Les PASO vont donc avoir lieu à la mi-août. (Attention, la mi-août, chez eux, ce ne sont pas du tout les vacances : on est en plein hiver !).
Je vous le fais en version presse française, façon course de petits chevaux. En tout, une vingtaine de candidats de différents partis sont sur la ligne de départ. Après ces primaires, il devrait donc rester à peu près une demi-douzaine de qualifiés, maximum.
FORCES EN PRÉSENCE
Comme le savent ceux qui lisent régulièrement ce blog, l’Argentine se divise essentiellement en deux blocs (très) antagonistes : les péronistes et les antipéronistes. Oubliez les partis traditionnels tels qu’on les connait chez nous. En Argentine, la gauche socialiste et communiste ne pèse que quelques grammes dans la balance politique. Et ce, depuis toujours, même avant l’avènement de Juan Perón dans les années 40-50. L’écologie politique est quant à elle totalement inexistante.
La gauche est presque entièrement contenue dans le péronisme. Même si celui-ci, pourtant, recouvre à peu près l’ensemble de l’échiquier politique argentin, d’un extrême à l’autre. Je sais, c’est compliqué à comprendre, même les Argentins ont parfois du mal.
Pour vous donner une idée, entre 1989 et 1999, le président, c’était Carlos Menem. Retenez ce nom, on va en reparler plus loin. Péroniste, et… ultra-libéral. A droite toute. Reagan à côté, c’était quasiment un socialiste. Entre 2003 et 2015, Nestor Kirchner, puis sa femme, Cristina. Péronistes aussi, mais cette fois, de gauche. Tout ce que l’Argentine compte de banquiers, industriels et grands propriétaires terriens n’ont eu de cesse de les dégommer. Vous situez le paradoxe ?
La droite est tout aussi multiforme. Le gros de la troupe est constitué par une alliance de partis qui vont du centre à la droite libérale : Juntos por el Cambio (Ensemble pour le changement). Un peu plus à droite, est apparu un électron libre, dont je vous ai parlé ici et là : Javier Milei.
Voilà pour les trois grandes tendances, les seules véritablement compétitives cette année. Les seules donc, dont je vais vous bailler les grandes lignes ci-après.
CANDIDATS PRINCIPAUX
Les péronistes, réunis sous la bannière de «L’union pour la patrie» (Unión por la patria), présentent deux candidats concurrents : Sergio Massa et Juan Grabois (prononcez Graboïss’). Le premier est largement favori en interne, puisque soutenu par le président sortant, Alberto Fernández, et surtout par l’icône pasionariesque du péronisme, Cristina Kirchner.
Celle-ci, aussi détestée par la droite qu’adulée par l’immense majorité des péronistes d’origine modeste, ne peut pas se présenter, rendue inéligible par la justice pour corruption.
Sergio Massa n’est pas un inconnu. Ministre de l’économie de l’actuel gouvernement, il s’était déjà présenté à la présidentielle de 2015, et avait fini troisième derrière l’élu, Mauricio Macri, et Cristina Kirchner, la sortante de l’époque, battue.
Ce n’est donc pas un péroniste pur jus, mais c’est précisément pour ça qu’on l’a choisi : pour tenter de retenir les déçus du péronisme sortant. C’est un peu le macroniste de la course : ni de droite, ni de gauche. Pour le quotidien La Nación, c’est même un candidat Meneminoïde, autrement dit, dans la ligne de Carlos Menem, dont nous parlions ci-dessus.
Juan Grabois, lui, est un vrai péroniste de gauche. Et même très à gauche. C’est son grand handicap, dans un pays qui, comme ailleurs, penche de plus en plus à droite. Les sondages le créditent d’un petit 3%.
A droite, Juntos por el cambio propose également une primaire, entre Patricia Bullrich et Horacio Larreta.
La première est une descendante de deux « grandes familles » argentines : les Bullrich et les Pueyreddón. Spécialiste des problèmes de sécurité, elle a été ministre de l’Intérieur avec Macri en 2015.
On pourrait trouver son parcours politique atypique, mais tout bien pensé il est assez classique pour une femme issue de la grande bourgeoisie : militante des jeunesses péronistes révolutionnaires à 20 ans, supportrice du gouvernement péroniste de droite de Menem à 30, fondatrice d’un parti centriste à 47, et candidate de la droite libérale aujourd’hui. Politiquement, c’est une conservatrice tendance dure.
Son élection consacrerait le choix d’une présidente très à droite, partisane de la répression des mouvements sociaux et de la remise en question des politiques de genre (LGBT, avortement…)
Le second est l’actuel gouverneur de Buenos Aires, Horacio Rodríguez Larreta. Économiste, il a été adjoint de Domingo Cavallo, ministre de l’Économie sous Menem en 1993. Il a été membre du Parti Justicialiste (péroniste) jusqu’en 2005, avant de rejoindre la coalition de centre-droit Propuesta republicana (PRO) de Mauricio Macri.
Il représente la caution «modérée» de Juntos por el cambio, proposant de tendre la main aux adversaires péronistes, militant pour une réconciliation des Argentins. C’est à mon avis ce qui le condamne dans ces primaires.
Car le clivage est trop fort. Avec ce programme, il se coupe de beaucoup d’électeurs à droite, sans pour autant pouvoir espérer en gagner à gauche, où on va plutôt se mobiliser pour sauver le navire péroniste en perdition.
Et pour finir sur ces favoris, le fameux Milei. On se reportera avec profit à mes articles précédents à son sujet (voir liens ci-dessus). Lui, c’est l’option capitalisme sauvage, version retour à la jungle. L’État réduit à son strict minimum, suppression de toute politique sociale, laisser-faire maximum, carte entièrement blanche aux capitalistes de tout poil. On ouvre les vannes, et on voit qui pourra surnager dans le courant. Le Trumpisme, en beaucoup mieux !
(Pour la liste complète des 19 candidats en lice, c’est ici).
LES PRONOS DE L’EXPERT DES CHAMPS DE COURSES
Si on en croit les sondages, trois candidats se détachent du peloton : Sergio Massa, Patricia Bullrich et Javier Milei.
Le quotidien Clarín a ainsi mesuré la popularité des différents candidats juste après l’annonce de la liste définitive. Voici les scores, en ne gardant que les votes « sûrs et certains » :
Patricia Bullrich : 22,7 % (Larreta est à 11)
Sergio Massa : 17,8 % (Grabois : 3,3)
Javier Milei : 16 %
Cela reste serré, mais une tendance se dessine quand même assez nettement. Si Bullrich est élue, comme on semble en prendre le chemin, l’Argentine suivra le parcours du Brésil, avec un temps de retard, en élisant une sorte de Bolsonaro au féminin.
Alors, faites vos jeux. Bullrich/Bolsonaro, Massa/Macron ou Milei/Trump ? En tout cas une chose est sûre : l’Argentine de 2024 ne sera pas à gauche.
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GALERIE DE PORTRAITS
Dans l’ordre : Patricia Bullrich – Horacio Larreta – Sergio Massa – Juan Grabois.
Une fois n’est pas coutume, le blog aborde l’actualité cinématographique. En effet, un excellent film argentin vient de sortir sur les écrans français cette semaine.
Il s’agit de Camila sortira ce soir, d’Ines Barrionuevo, le titre français étant pour une fois la traduction littérale du titre en espagnol, Camila saldrá esta noche.
Camila est une fille de 17 ans, qui vit dans la ville de La Plata, au sud de Buenos Aires, avec sa mère divorcée et sa petite sœur. La grand-mère étant gravement malade et hospitalisée, la famille déménage pour Buenos Aires, afin d’être plus près d’elle.
Camila et sa sœur intègrent donc un nouveau lycée, une institution privée catholique aux préceptes stricts et où les élèves portent l’uniforme. Très vite, Camila, qui est une adolescente très engagée en faveur des droits féministes, de la légalisation de l’avortement, de la lutte contre la violence de genre, se trouve confrontée à un univers hostile, autant du côté de l’administration du lycée que d’une partie de ses nouveaux camarades masculins.
Parallèlement, elle vit également un conflit avec sa mère, qui s’inquiète de son esprit rebelle et des conséquences qu’il pourrait entrainer.
Peu à peu, Camila se fait quelques nouveaux camarades à l’intérieur du lycée, et ce petit groupe solidaire parviendra à faire sauter le couvercle qui les étouffe, et à imposer une voix différente – et assez révolutionnaire – au sein de l’établissement.
A travers le personnage central de Camila, le film brosse un portrait très juste de la jeunesse argentine actuelle, très consciente des enjeux sociétaux autour des droits de la femme, de la violence machiste, du harcèlement sexuel, de l’homosexualité et de la lutte contre un traditionalisme hors d’âge, dans ce pays encore très catholique et conservateur qu’est l’Argentine.
Ines Barrionuevo mène l’ensemble de ses jeunes acteurs et actrices avec beaucoup de sensibilité, et ceux-ci trouvent le ton juste, sans outrance ni mièvrerie, sachant rendre crédibles leurs personnages. Très beau travail de la couleur, également, avec une utilisation pertinente du clair-obscur, laissant en permanence les protagonistes à la limite de l’ombre et de la lumière, de l’enfermement et d’une liberté qu’ils ne peuvent gagner que par leur engagement et leurs actions.
Un film qui déplaira fortement aux réacs en tous genres, qui prétendent asservir les corps et les esprits au nom d’une morale moyenâgeuse qui les rassure en leur évitant de se confronter à l’évolution inexorable du monde qui les entoure. Un très beau film sur une jeunesse libre qui ne veut plus se laisser dicter ses choix.
L’Académie de Nantes a fait un dossier pédagogique complet sur ce film, là. Vous y trouverez tous les renseignements sur la réalisatrice (dont un interview), le casting, ainsi que d’utiles fiches de travail en toutes matières, pour les profs.
Bonne occasion également de relire le compte-rendu de l’excellent livre de Marie Audran sur le combat des jeunes Argentines pour les droits de la femme et l’avortement légal, sur ce blog.
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J’en profite également pour vous toucher deux mots sur une intéressante série féministo-policière chilienne, sortie récemment sur ARTE : La jauría, en français La meute.
La meute, c’est toute une organisation clandestine et machiste, dont le but est d’enlever et d’abuser de très jeunes filles, avant de les faire disparaitre.
Par l’entremise d’un jeu en ligne sur le darknet, «le jeu du loup», l’organisation enrôle des groupes de jeunes garçons et les poussent à commettre de véritables atrocités.
En parallèle, un petit groupe de policières décidées et une autre meute, bien différente, de jeunes filles volontaires, se battent pour retrouver les disparues et obliger les coupables à se découvrir.
Pour le moment, sur le site d’ARTE, deux saisons de huit épisodes. A voir ici sur le site d’Arte, ou en replay sur votre box.
Pour compléter l’article précédent sur le « 3ème » potentiel candidat à la prochaine présidentielle argentine, à la fin de cette année, voici un petit compte-rendu d’un très intéressant article publié dans le quotidien de gauche « Pagina/12 » cette semaine.
(Les parties en italiques sont des extraits traduits de l’article)
Il a été rédigé par María Seoane, et porte sur le danger qu’il y a toujours à relativiser le succès généralement jugé éphémère de ce genre de personnage qui s’auto-proclame «anti-système», et qui, pourtant, sait parfaitement se servir du dit système pour arriver à ses fins.
Milei, un épiphénomène ?
Beaucoup s’imaginent que Milei n’est qu’un produit marketing qui disparaitra dès que l’establishment et les médias décideront de mettre le pouce en bas. Sauf qu’une fois le personnage construit, il agglomère aussitôt les rancœurs, le ressentiment, le désir, mystérieux et incurable, que nous Argentins ressentons depuis la nuit des temps, d’anéantissement du prochain.
Telle est l’introduction de cet article, qui ne peut manquer de résonner sur notre propre situation en Europe. Chez nous également, le phénomène Le Pen, et l’extrême-droite européenne en général, ont longtemps été traités avec légèreté comme des épiphénomènes destinés à mourir lentement. Et pourtant, ils semblent s’installer durablement dans le paysage, jusqu’à prendre le pouvoir, comme en Italie.
Là s’arrête néanmoins probablement la comparaison. Car si, chez nous, certains milieux d’affaires voient d’un bon œil l’ascension de partis autoritaires – Voir l’empire Bolloré – Milei peut être considéré quant à lui comme un véritable porte-drapeau à part entière de ces mêmes milieux, qui le couvent des yeux.
L’ultra-libéralisme en bandoulière
Nous pouvons voir Javier Milei promener ses cheveux en bataille de plateaux de télévision en hôtel de luxe et prononcer ses litanies colériques toutes en crachats violents, destinées à un public choisi de milliardaires avides de connaitre la recette qui permettra de détruire enfin cet État prélevant des impôts afin de maintenir à flot un pays intégré.
Ses idoles ? Les grands noms de l’ultra-libéralisme, Frédéric Von Hayek, Milton Friedman, ou l’argentin Martínez de Hoz, ancien ministre de l’Économie sous la dictature. Troupe abominable; nous dit Seoane, marchant sur les cadavres de tous ceux qui ont eu à subir leurs recettes économiques, Chiliens de 1973 ou Argentins de 1976.
Sa recette à lui ? Refonder le monde en en faisant un tas de ruines.(…) Pour pouvoir exploiter les ouvriers en leur retirant tout droit, n’est-il pas précisément nécessaire de les déshumaniser, d’en faire des animaux ou de détruire l’État garant des droits humains, économiques et sociaux depuis (la révolution française de)1789 ?
La haine de classe en Argentine
Milei traine avec lui une haine bourgeoise historique, on pourrait presque dire fondatrice, en Argentine : en premier lieu, celle des colons blancs envers les indiens, qui a culminé à la fin du XIXème siècle avec la «Campagne du désert», vaste programme d’extermination et d’appropriation des territoires mené à bien par le Général et ensuite président de la République Julio Roca.
Puis, dans les années de la grande émigration «européenne», envers la « populace » amenant avec elle les idéologies anarchiste et communiste. Enfin, dans les années 40, et jusqu’à aujourd’hui, envers la «racaille» péroniste.
Une haine, nous dit Seoane, dont le carburant est avant tout économique : il s’agit pour une caste d’orienter la répartition de la richesse vers son seul profit. On a persécuté les indiens pour leur voler leurs terres, on a persécuté les ouvriers du début du XXème siècle pour qu’ils n’entravent pas la bonne marche du capitalisme financier – essentiellement anglais – comme on a renversé en 1955 l’état providence façonné par Perón.
Dans la haine véhiculée par le langage politique, flotte toujours le désir d’accaparement. La dictature militaire de 1976 qui a créé l’État terroriste-néolibéral et transnational englobait dans le langage – les « subversifs » – la justification de l’extermination d’une génération politique tandis qu’elle faisait entrer l’Argentine, avec le plan économique Videla/Martínez de Hoz, dans l’ère du pillage néolibéral du XXe siècle, avec la dette extérieure comme principal pilier.
Une politique poursuivie sous les deux mandats de Carlos Menem (1989-1999). Seoane rappelle que c’est ce président qui, bien avant Milei, avait tenté de dollariser l’économie argentine, la conduisant droit dans le mur (avec la terrible crise du début des années 2000).
Dollariser : c’est le maitre mot du programme de Milei. Derrière cela, se cache le démantèlement de l’État et une politique de dérégulation totale de l’économie.
Il s’agit bien de redonner le pouvoir au capitalisme financier. Et de, note Seoane, … réinventer un épigone de la liberté absolue du marché, un incendiaire de la Banque centrale. Un clown des médias dont la violence discursive est comme la balle que le personnage du film « Le Joker » a tirée sur le présentateur de l’émission qui l’interviewait.
Milei n’est donc rien d’autre qu’un nouveau porte-parole de l’ultra-libéralisme poussé par ceux qui dirigent à leur profit l’Argentine depuis les premiers temps de la colonisation : les tenants de la grande bourgeoisie agraire et industrielle, s’appuyant, par un discours savamment entretenu pour dénigrer les plus humbles, sur la classe moyenne supérieure d’origine européenne.
Celle-là même qui, selon les sondages, est la plus favorable à ce nouveau trublion de la politique argentine. Celle-là même qui, comme elle le proclame, «en a marre de payer pour les éternels assistés d’un État trop généreux avec les fainéants».
« Une société lassée de souffrir en constatant l’impuissance ou l’indifférence de la classe politique est amenée à chercher de nouvelles portes à pousser pour sortir de son labyrinthe »
Cette phrase du journaliste conservateur de La Nación pourrait certainement s’appliquer à bien des sociétés dans le monde actuel. Et notamment en France, où peu à peu s’installe l’idée que, face à l’incompétence et à l’échec des gouvernements jusqu’ici aux manettes, le seul parti «qu’on ait jamais essayé», c’est le Rassemblement national. Ou quand la fatigue démocratique donne des soudaines envies de se jeter dans le vide.
Fatigue argentine
C’est aussi ce qui est en train de se passer en Argentine, visiblement. Depuis la grande crise de 2000-2001, qui avait conduit à de véritables émeutes ponctuées de mises à sac et de pillages de magasins, ainsi qu’à la succession de trois présidents de la République en deux ans, et après une courte éclaircie durant le mandat de Nestor Kirchner (2003-2007), l’Argentine ne s’est jamais vraiment remise économiquement et socialement de cette crise devenue quasi permanente, et qui, tout comme en France, a fini par creuser une fracture irréductible entre deux franges de population.
D’un côté, le péronisme de gauche, qui a gouverné de 2003 à 2015 avec donc, Nestor Kirchner, puis deux mandats de son épouse Cristina. De l’autre, la droite, représentée par «Juntos por el cambio» (ensemble pour le changement) une alliance entre l’historique Union Civique Radicale et une frange plus libérale, le PRO (Propuesta republicana, proposition républicaine), emmené par Mauricio Macri, président de 2015 à 2019, et dont la politique libérale a été désavouée dans les urnes.
Depuis janvier 2020, c’est un autre président péroniste, Alberto Fernández, qui tient les rênes. Mais son impuissance à juguler l’inflation et la hausse des prix, et la tutelle encombrante de la très clivante ancienne présidente Cristina Kirchner, l’ont rendu à son tour très impopulaire : il a perdu sa majorité au Parlement lors des élections de mi-mandat.
Les Argentins ne savent donc plus vraiment vers qui se tourner pour reprendre un peu espoir, face à une situation économique désespérée, avec une inflation à trois chiffres, des hausses de prix incontrôlables, une monnaie en chute libre et une conflictivité sociale au plus haut.
Troisième voie ?
Dans une telle situation d’impasse, la tentation est donc forte de se tourner vers des terrains encore totalement inexplorés. C’est sur un de ces terrains que joue un nouvel acteur politique, apparu au début des années 2020, élu député dès 2021, et qui a propulsé de manière fulgurante son nouveau parti «La Libertard avanza», à la troisième place lors de ces mêmes élections législatives : Javier Milei.
La doctrine de Milei, c’est cela : un savant mélange de libéralisme économique le plus sauvage, de racisme assumé, de climato-scepticisme enraciné, et de rage anti-avortement. Fan de Trump et de Bolsonaro, il copine avec les mouvements d’extrême-droite européens, comme l’espagnol Vox, et a soutenu le candidat Pinochetiste chilien Antonio Kast lors de la dernière présidentielle (perdue) de ce pays.
Son crédo : virer l’état d’à peu près tous les secteurs de l’économie et du social, et promouvoir la dérégulation totale, ainsi que la «dollarisation» de l’économie argentine. (Le dollar devenant monnaie officielle du pays).
Il a naturellement l’intention de se présenter à la prochaine présidentielle, à la fin de cette année. Pour le moment, dans les sondages, il conserve la troisième place, et sa victoire est encore très hypothétique.
Mais il ne cesse de monter, aidé en cela d’une part, par l’incapacité du gouvernement actuel de renverser la tendance inflationniste et la chute vertigineuse de l’économie, et d’autre part les divisions de l’opposition de droite, où la liste des prétendants s’allonge, et au sein de laquelle les débats, pour ne pas dire les combats, sont de plus en plus rudes, entre l’ancien président Macri que se verrait bien refaire un tour de piste, la très droitière Patricia Bullrich (favorable au port d’armes des citoyens lamba pour combattre la délinquance !) et le sémillant gouverneur de Buenos Aires Horacio Rodríguez Larreta.
Et quelques autres placés en embuscade, des fois qu’on aurait besoin d’un homme ou d’une femme providentiels pour faire la synthèse.
Adhésion ou protestation ?
Pour le moment, Milei pèse environ 20% dans les sondages. Ce qui n’est certes pas encore suffisant pour croire à une victoire finale, mais, après seulement quatre ans dans l’arène politique, ce score ferait rêver bien des novices. Au vu de son impopularité actuelle, il n’est d’ailleurs pas certain que le gouvernement péroniste, lui aussi divisé entre modérés soutenant Alberto Fernández et puristes appuyant l’ancienne présidente Cristina Kirchner, en obtiendra autant lors du premier tour.
On dit la popularité de Milei très en hausse dans certains secteurs clés de la population, comme les classes moyennes grevées d’impôts et les jeunes, qui voient en lui un libertarien (il a promis la légalisation des drogues).
Son élection, cependant, constituerait un véritable séisme dans la société argentine. Car comme notre Marine Le Pen nationale, il est aussi populaire chez les uns que détesté par les autres. Peu probable dans ces conditions que son arrivée au pouvoir réduise la fameuse «grieta» (fracture) qui divise le pays entre deux tendances irréconciliables depuis la fin de la dictature.
Par ailleurs, ses projets économiques ultra-libéraux pourraient refroidir beaucoup d’enthousiasmes un tantinet imprudents dans certains secteurs de la société, en accentuant de manière exponentielle les inégalités sociales et salariales. Comme souvent, en Argentine comme ailleurs, les gens ont la mémoire courte. La dernière fois que l’ultra-libéralisme a été essayé en Argentine, c’était avec le péroniste de droite Carlos Menem (dont Milei défend le bilan). Avec le succès qu’on a vu en 2001 (voir en début d’article).
Cela étant, une bonne partie de l’électorat se déclarant prêt à franchir le pas du vote Milei n’adhère pas forcément à toutes ses thèses. Car pour une bonne part, on l’aura compris, il s’agit d’un vote avant tout protestataire, en réaction au découragement et au désenchantement vis-à-vis des partis politiques traditionnels. Un peu comme chez nous avec le RN. Ce qui rend naturellement le pari d’autant plus risqué, et de nouvelles déceptions plus que probables.
En attendant, on peut retenir son souffle. L’Argentine est au bord du gouffre. Avancera-t-elle d’un bon pas, comme la « liberté qui avance » promise par le nom du parti de Milei ?
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Liens
Article (un poil tiède) du site RFI présentant Javier Milei