San Martín et la traversée des Andes

 

Monument à San Martín – Mendoza – Photo DP

          On a vu dans un article précédent (9 juillet 1816, l’indépendance de l’Argentine) qui était San Martín et son importance dans la construction de l’Argentine libre. San Martín est LE grand « prócer » argentin, le grand homme de la nation, le libérateur, au même titre que Bolivar au Venezuela.
En réalité, il l’est également pour les Chiliens et les Péruviens : c’est lui qui a également contribué à la libération de ces territoires de la tutelle espagnole. On le verra, il a même un temps gouverné le Pérou enfin indépendant. Bref, c’est un personnage capital si on veut bien comprendre la chronologie des indépendances du cône sud.
Un de ses grands faits d’armes restera cependant, et de loin, la fameuse «traversée des Andes», en 1817. Geste héroïque s’il en fut : personne ne l’avait fait avant lui et son armée.

          Revenons au début. On s’en souvient, à son arrivée d’Espagne, en 1812, il a commencé par participer à l’éviction du premier triumvirat gouvernant l’Argentine pas encore tout a fait libérée de la tutelle coloniale. Pour le remplacer par un second triumvirat plus proche de ses idées, et de celles de ses compagnons de la «Loge Lautaro», société plus ou moins secrète fondée dans le but de favoriser les indépendances latino-américaines.
          En 1814, le Directeur suprême de ce second Trimuvirat, Gervasio Antonio de Posadas, le nomme Gouverneur de la région de Cuyo, dont la ville principale est Mendoza, au pied des Andes. San Martín avait déjà pris également en charge la direction de « l’armée du nord », en remplacement de Manuel Belgrano, un général qui avait subi deux lourdes défaites contre les royalistes en octobre et novembre 1813. C’est à Mendoza que San Martín va donc préparer sa périlleuse expédition.
          Jusque là, les diverses tentatives pour combattre les Espagnols et libérer le Pérou passaient toutes par le nord, jugé plus praticable. Le passage du nord, c’est-à-dire en passant par la région de Salta, puis le sud-ouest de l’actuelle Bolivie, qui faisait alors partie de ce qui était appelé «le Haut-Pérou». Mais en localisant les combats dans cette zone, aucune victoire décisive ne fut acquise par aucun des belligérants, remportant chacun et successivement des batailles : la situation était figée. D’où l’idée de San Martín d’essayer une nouvelle voie de conquête : le passage des Andes pour gagner le Pacifique et rejoindre par l’océan la capitale du Pérou, Lima. Pas du tout cuit, et même particulièrement gonflé, quand on connait l’altitude du massif montagneux. Il allait falloir compter avec le manque de chemins et d’oxygène sur le parcours. Sans compter qu’il fallait aussi traverser des territoires Mapuches !

          Pour toutes ces raisons, il faut deux ans à San Martín pour préparer son armée. D’abord, trouver de l’argent pour l’équiper (ce qu’il fera en taxant les commerçants et les propriétaires terriens, et en confisquant les biens des Espagnols frileux à soutenir l’indépendance), ensuite, entrainer les hommes en prévision des conditions extrêmes qu’ils allaient devoir affronter. Car il faut tout prévoir : des armes en quantité suffisante, des chevaux, de quoi fabriquer des ponts provisoires pour franchir rivières et précipices, du ravitaillement, un service de santé pourvu en hommes et en matériel, etc, etc…
          Bien décidé à ne pas se détourner de ses plans initiaux, San Martín se refusera même à reporter son opération pour revenir prêter main-forte au camp unitaire dans la guerre civile qui l’oppose aux fédéralistes d’Artigas et des provinces de la «Ligue des peuples libres» (Voir l’article précédent sur l’indépendance de l’Argentine). Rien ne pourra le détourner de son grand œuvre : la libération du Chili d’abord, puis du Pérou, ces deux territoires toujours aux mains des Espagnols.
          Enfin prête, l’Armée des Andes se met en route le 19 janvier 1817. Elle comprend 5000 hommes (dont 25 guides de montagne), 1600 chevaux et près de 10000 mules ! Pour tromper l’ennemi royaliste, San Martín divise ses forces : deux colonnes principales, l’une sous les ordres du général en chef lui-même, l’autre commandée par le Général Las Heras, mais l’astuce, c’est de prévoir également quatre colonnes secondaires, pour confondre l’ennemi et l’obliger à se diviser lui aussi. Ces colonnes secondaires se déploient bien plus au sud et au nord des deux principales, ouvrant ainsi un front de près de 2000 kilomètres, en gros, de l’actuelle Copiapo au nord à l’actuelle Talca au sud (du Chili). Tandis que San Martín et Las Heras, quant à eux, piquaient plein centre, en direction de Santiago. La tactique fonctionne d’autant mieux que le déploiement de forces royalistes sur une zone aussi étendue provoque en retour plusieurs mouvements favorables aux troupes révolutionnaires. Les royalistes sont pris en tenaille, ne sachant plus trop où concentrer leurs forces. En moins d’un mois, les deux colonnes principales font la jonction à Curimón, près de San Felipe, dans la vallée du fleuve Aconcagua. A moins de 100 kilomètres au nord de Santiago. Les forces royalistes se portent à leur rencontre, qui a lieu à Casas de Chacabuco et se solde par une nette victoire des troupes de San Martín. Nous sommes le 12 février 1817 : le gouverneur royaliste Casimiro Marco del Pont est capturé, et ses troupes se replient bien plus au sud, à Talcahuano, un petit port près de Concepción. Le 18, le général chilien Bernardo O’Higgins, qui faisait partie de la colonne de San Martín, est nommé directeur suprême de la «Patrie nouvelle». Un an plus tard, après une nouvelle bataille victorieuse contre les royalistes à Maipú (5 avril 1818) , le Chili deviendra une république indépendante.

          San Martín peut continuer son œuvre plus au nord, en direction du Pérou.

Les Andes à la frontière Chili-Argentine – Photo PV

Maradona

          Sidération en Argentine. Un dieu qui jusque là était vivant, ou à peu près, est mort. A 60 ans. Pile le même âge que son ancien ami Nestor Kirchner, l’ancien président. Pile dix ans après. Et pile le même jour (mais quatre ans plus tard) que son autre ancien ami Fidel Castro. Maradona a toujours eu le don de savoir bien tomber. A une semaine près, son but de la main contre l’Angleterre en quarts de finale de la coupe du monde 1986 (22 juin) venait marquer la fière vengeance de l’humiliation subie quatre ans plus tôt lors de la guerre des Malouines. (14 juin 1982)

          L’Argentine est en larmes. L’Argentine toute entière. On a beau chercher, fouiller la presse de ce jeudi 26 novembre, pas de voix discordante. De toute façon, comme dit Clarín, ce n’est pas seulement l’Argentine qui chiale le héros trop tôt disparu, mais le monde entier. Clarín a raison, d’ailleurs : depuis hier soir, nos radios et télés nationales, en France, tournent en boucle. Pour le Parisien, c’était une rock star avec un ballon. Pour L’Equipe, « L’Argentine pleure son Dieu » (avec majuscule). Libération reprend carrément une formule nietzschéenne : « Ainsi jouait Maradona ». France info y va elle aussi de son « Dieu du foot ». Et ainsi de suite. Un dieu. Ben oui, hein, la main qui lui a servi à battre les Anglais en 1986 n’était pas vraiment la sienne, mais celle de Dieu. Maradona était donc Dieu. Personnifié. Pelé, lui, qui n’a pas la chance d’être mort, n’aura jamais eu que le titre de roi. Messi, comme son nom l’indique, ne sera jamais qu’un représentant de Dieu, Beckenbauer restera Kaiser et Johan Cruyff devra à jamais se contenter du modeste titre de « Prince d’Amsterdam ».

          Remarquez, Dieu, c’est mieux que saint. Parce que c’est bien le paradoxe, avec Maradona. Si on ne lui mégote pas son titre divin, décerné à la quasi unanimité du monde entier, donc, (et quand on dit quasi, c’est pour se donner une dernière illusion de crédibilité néanmoins tout à fait dispensable dans ce cas), il y aurait sans doute un poil moins de monde pour lui accorder la sanctification. Faut vraiment être un footballeur pour mériter ainsi l’appellation de Dieu, mais pas celle de saint. Surtout dans un pays aussi catholique que l’Argentine.

          Catholique, Maradona l’était sans nul doute, mais pas forcément au sens orthodoxe du terme. Mais comme à tout bon catholique, même non confessé, on lui accorde tous les pardons du monde. Comme dit l’excellent Roberto Fontanarrosa, célèbre écrivain et dessinateur de BD, cité par La Nación, « Je me fiche de ce que Maradona a fait de sa vie, ce qui compte, c’est ce qu’il a fait de la mienne ». Quand un type suscite un tel amour, même de la part d’un homme aussi posé, intelligent et caustique que Roberto Fontanarrosa[1], au point de faire oublier tous ses côtés obscurs, on ne peut que soulever son chapeau au passage du cercueil. Maradona fait donc partie de ces gens qui, comme disait un supporter de Trump, « peuvent abattre un type au hasard dans la rue sans perdre une once de popularité ». Maradona restera à tout jamais au-dessus de toute avanie. La Nación et Clarín, tout à leur célébration, passent en chœur au-dessus des liens de l’idole avec le guevarisme, le castrisme, le chavisme, le madurisme, tout ce que ces journaux vomissent pourtant à longueur de colonnes. Les supporters de gauche vous insultent si vous osez mentionner ses autres liens, bien différents, avec la mafia calabraise, du temps de sa splendeur napolitaine. De toute façon, ce ne sont pas les hommes qui peuvent s’arroger le droit de pardonner à un dieu, n’est-ce pas ?

          Ce déchainement d’idolâtrie, on l’aura compris, nous laisse un tantinet pantois. Il en dit long sur ce que sont devenues nos sociétés, quand la mort d’un type dont le talent consistait à jongler avec un ballon et défrayer la chronique pendant et après sa glorieuse carrière par ses frasques et ses diverses addictions devient un événement planétaire, et que son nom devient celui d’une nouvelle divinité universelle.

          Une amie vient de nous envoyer le son du discours d’une certaine Margarita Pécaros. Une Cubaine. A Cuba aussi, la mort du dieu du foot est un séisme populaire. Emportée par son lyrisme, Margarita en vient à espérer que Maradonna et Dieu, en frères jumeaux enfin réunis, vont pouvoir désormais taper le ballon ensemble. Pourvu qu’un tir trop puissant, ou un dribble trop appuyé, ne réveille pas nos valeureux morts ordinaires de leur bienheureux sommeil.

[1] Auteur notamment de l’excellente chronique « Uno nunca sabe », chez Planeta.

8 novembre 2020

         VICTOIRE POUR JOE BIDEN : les réactions de la presse Argentine

          Pas de voix discordante en ce dimanche, à la une des six grands quotidiens en ligne d’Argentine : tout le monde annonce la victoire de Joe Biden comme définitive, actant l’élection de celui-ci comme 46ème président des Etats-Unis.
          La Nación insiste sur l’extrême tension générée par ces élections assez perturbées par la crise sanitaire, induisant un fort taux de vote par correspondance. Ce qui a eu pour effet d’une part de grandement retarder le comptage des voix et la proclamation des résultats, mais a également permis à Donald Trump de jeter la suspicion sur le processus électoral. Le quotidien note par ailleurs que ces attaques, lancées déjà avant l’élection, et soutenues par de nombreux cadres républicains, ont « empêché toute possibilité de renforcer ce système électoral par anticipation ». Il relève également le caractère infondé, et non prouvé, des accusations de fraude lancées par le camp républicain.
          Crónica, conforme à sa ligne plus « people », s’intéresse plutôt à la personnalité de la vice-présidente, Kamala Harris. « Fille d’une scientifique Indienne et d’un économiste Jamaïcain, mariée à un avocat juif », relève le quotidien visiblement marqué par le cosmopolitisme de la nouvelle vice-présidente, et qui relève qu’elle est parvenue à s’imposer dans un milieu traditionnellement réservé aux « hommes blancs ». Selon le quotidien, Kamala Harris, qui a toujours mis l’accent sur la défense des droits des minorités, notamment des femmes et des noirs, peut être considérée comme un élément « progressiste » dans une balance démocrate plutôt centriste, même si elle s’est attirée de nombreuses critiques de la part de la gauche du Parti en raison de sa supposée indulgence vis-à-vis de la police.
          Le Diario Popular préfère insister sur la volonté réconciliatrice de Joe Biden, dans un pays que Trump a rendu conflictuel à l’extrême. Citant le nouveau président, il veut voir en lui celui qui « va restaurer l’âme des Etats-Unis, pour reconstruire le pays autour de sa colonne vertébrale, la classe moyenne ». Le Diario Popular souligne également que Trump est seulement le cinquième président à perdre la réélection, après Herbert Hoover en 1932, Gerald Ford en 1976, Carter en 1980 et George Bush senior en 1992, et que son mandat a été marqué par un fort taux de conflictivité à l’international, entre la sortie de l’Accord de Paris, la négation du changement climatique, l’escalade commerciale avec la Chine, la rupture de l’accord sur le nucléaire iranien, et des relations pour le moins rugueuses avec les propres alliés des Etats-Unis.
           Le retour à l’unité du pays, c’est ce que veut croire également Clarín, citant lui aussi l’appel à la réconciliation et la main tendue aux électeurs républicains : « Je comprends votre tristesse, moi aussi j’ai perdu des élections. Mais le temps est venu d’être de nouveau ensemble, de nous unir pour guérir le pays. ». Clarín craint cependant que malgré les difficultés – le résultat des recours envisagés par le camp républicain s’annonce incertain – il est « peu probable que Trump concède (de sitôt) la victoire à son adversaire ». En outre, le quotidien souligne l’enracinement probable du « Trumpisme » pour une longue période dans une opinion américaine plus divisée que jamais, et surtout, pour une bonne part, radicalisée. Ce qui annonce un après élection qui pourrait se transformer en « champ de bataille ».
          Le quotidien péroniste Pagina/12 s’intéresse quant à lui aux futures relations entre la nouvelle administration étatsunienne et celle du gouvernement argentin. Avec espoir, mais sans trop d’illusions non plus. Avec la défaite d’un Trump activement soutenu par le Brésilien Bolsonaro et le Colombien Duque, Alberto Fernández, indique Pagina/12, se verrait bien comme le nouvel interlocuteur privilégié de l’administration Biden pour l’Amérique latine. Biden et Fernández ne manquent pas de points d’intersection sur beaucoup de sujets, même si, tempère Pagina/12, il ne faut pas se faire trop d’illusions sur le plan économique : sur ce plan il n’y a pas beaucoup de différence entre les philosophies républicaine et démocrate. D’ailleurs, la plupart des diplomates argentins souligne que de ce point de vue « la période Bush aura été plus profitable à l’Argentine que celle d’Obama », et par ailleurs Trump s’est toujours montré arrangeant vis à vis de l’Argentine notamment dans les relations de cette dernière avec le FMI. Néanmoins, citant le Financial Times, il souligne qu’Alberto Fernández est là-bas considéré comme un « homme de gauche pragmatique », loin d’être un « chaviste ». En tout état de cause, il faudra de toute façon attendre le prochain Sommet des Amériques, en 2021 – qui aura précisément lieu aux Etats-Unis – pour mieux connaitre les intentions futures de Joe Biden vis-à-vis du continent sud-américain.

6 novembre 2020

REVUE DE PRESSE DU 06 NOVEMBRE 2020

Pour cette première revue, plutôt que de développer un seul sujet en confrontant les différentes présentations, nous allons simplement parcourir les unes des journaux nationaux en ligne (voir la liste sur la page « revue de presse ») afin de mettre en relief leurs priorités, ce qu’ils mettent en avant. Ceci afin de donner une petite idée de leurs différentes lignes éditoriales.

ELECTION DE JOE BIDEN

Aujourd’hui vendredi 6 novembre, l’actualité est naturellement toujours dominée par l’élection présidentielle américaine. Elle est le titre principal des deux plus grands quotidiens, Clarín et La Nación, et du principal journal de gauche, Pagina/12. Qui indiquent unanimement que Jo Biden est en bonne voie d’être élu. Leurs articles sont d’ordre factuel, donnant des informations qui leur semblent être fiables, informations qui ne diffèrent pas de celles qu’on peut par ailleurs trouver dans nos propres journaux. Ce qui a le don d’agacer les lecteurs des deux journaux de droite, à lire leurs commentaires. Pour la plupart, ceux-ci reprennent les arguments trumpistes : les démocrates sont en train de « voler » l’élection, Biden est un corrompu pédophile et sénile, les démocrates ont passé les quatre ans de mandat de Trump a tenter de le renverser, etc… En général, ils ne veulent pas croire à une victoire démocrate. Clarín néanmoins souligne l’espoir du gouvernement argentin d’une victoire de Jo Biden, qui, selon le quotidien, éloignerait les Etats-Unis du Brésil de Bolsonaro, et permettrait de renouer le dialogue avec Cuba et le Venezuela, deux pays dont les régimes sont classés par Clarín comme proches du péronisme de Cristina Fernández, la vice- présidente Argentine. Là encore, les commentaires des lecteurs sont peu amènes : pour certains, Biden, « Kristina » (avec le fameux K de ralliement utilisé par ceux qui détestent la vice-présidente), Alberto, sont à mettre dans le même sac des communistes corrompus et voleurs, et ils sont assez nombreux à critiquer l’apparent soutien porté par Clarín et la Nación au candidat démocrate.

CORONAVIRUS

L’autre grand titre, c’est naturellement l’évolution de la pandémie. Contrairement à la France, les chiffres sont un peu plus rassurants, et il semblerait qu’on se dirige vers un déconfinement progressif sur l’agglomération de Buenos Aires, où vit le quart de la population du pays. Le système est un peu différent du nôtre. A Buenos Aires, on était jusqu’ici en «confinement social préventif et obligatoire», on passerait donc à une simple «distanciation sociale». La décision de changement sera prise à l’issue de la rencontre entre le Président de la nation et les élus de la Communauté urbaine de Buenos Aires. Si elle est favorable, chaque district pourra définir les activités économiques qui pourront reprendre ou non, il n’y aura plus besoin d’attestation pour pouvoir circuler librement, même si les transports publics resteront réservés aux déplacements de travail. Les réunions de famille et d’amis seront de nouveau autorisés, et les locaux publics, comme les restaurants, les bars, les cinémas, les théâtres, pourront aller jusqu’à 50 % de leur capacité d’accueil.
En ce qui concerne un éventuel vaccin, Pagina/12 croit savoir que le gouvernement maintient d’étroites relations avec la Russie, qui non seulement a lancé d’intenses recherches sur son sol, mais investit également dans la recherche en Argentine. Clarín est même plus précis : le gouvernement aurait déjà réservé 25 millions de doses du vaccin russe «Sputnik», ce qui permettrait de vacciner, à raison de deux doses par personnes, plus de 12 millions de citoyens argentins. Selon les chiffres du même journal, le nombre de cas argentins s’élevait cette semaine à 1.205.928.

Les autres grands titres

Hors ces deux grands sujets unanimement traité par la presse argentine, celle-ci se distingue néanmoins par une grande variété de premières pages. Si Clarín consacre un article, comme à son habitude, à l’enquête en cours sur la présumée corruption de Cristina Kirchner pendant ses deux mandats, se félicitant de la décision de la Cour Suprême de ne pas destituer le juge Castelli (destitution réclamée par le gouvernement), La Nación s’inquiète d’une nouvelle probable dévaluation du peso, rendant compte d’un sondage assez pessimiste réalisé auprès des citoyens Argentins. Un sondage qui montrerait par ailleurs un retournement de l’opinion en défaveur de l’actuel gouvernement. Le « Diario Popular » quant à lui, fait son principal titre sur les 200 ans de la conquête des îles Malouines, reprises par les Britanniques 13 ans seulement plus tard. Un sujet particulièrement sensible en Argentine, où auront lieu sur tout le territoire des cérémonies de commémoration de ce bicentenaire du « Premier drapeau argentin planté sur les îles ».

9 juillet 1816 : l’indépendance de l’Argentine

          Après les événements de 1810 (Cf texte précédent « Vers l’indépendance »), s’ensuit une période d’intenses combats entre légalistes fidèles à la Couronne d’Espagne et partisans d’une révolution politique. Ceux-ci, peu à peu, prennent l’avantage, sans pour autant se décider à déclarer l’indépendance, jugée encore trop aventureuse par les chefs des groupes patriotiques, comme Manuel de Sarratea, Gervasio de Posadas ou Miguel Estanislao Soler.
          Petit à petit, l’ancien Vice-royaume se trouve grignoté, et finit, du moins pour sa partie sud, par se résumer à la région du Haut-Pérou. Les forces en présence se stabilisent sur une ligne de front située à la région frontière du Haut-Pérou et du Río de la Plata : Salta, qui va devenir pour quelques années l’épicentre d’un conflit ouvert dont seront victimes les habitants, obligés de vivre dans un perpétuel état de guerre.
          Paradoxalement, c’est un général formé en Espagne, et qui a combattu activement dans l’Armée royale contre les forces Napoléoniennes, qui va donner l’impulsion décisive au mouvement vers l’indépendance totale du Río de la Plata : José de San Martín. Militaire espagnol, donc, mais né dans le Vice-royaume, la révolution du 25 mai 1810 lui fait prendre conscience des grands changements en cours dans sa « patrie » d’origine, qui font vaciller sa loyauté envers l’autorité qu’il servait jusqu’ici sans état d’âme. Il sent qu’il lui faut choisir entre celle-ci et ses véritables racines, dont il est convaincu que l’émancipation est inéluctable.

José de San Martín – Photo DP

          Il démissionne, et en 1812, il débarque à Buenos Aires pour offrir ses services aux autorités locales, qui l’accueillent à bras ouverts. Il se met tout de suite au boulot, et, dès octobre, commence par renverser ces mêmes autorités (Le « premier triumvirat », dirigé conjointement par Feliciano Chiclana, Manuel de Sarratea y Juan Martín de Pueyrredón), jugées trop frileusement indépendantistes.
          En 1815, il propose au gouvernement de lever une armée pour marcher, à travers les Andes, vers le Chili, puis remonter au Pérou, pour défaire les armées royales. Parallèlement, d’autres régions se soulèvent, comme le Venezuela de Simón Bolívar, et peu à peu, le continent se libère de la tutelle espagnole. C’est là que les ennuis commencent, car comme de juste, les révolutionnaires ne sont pas tous d’accord sur la manière d’organiser la future indépendance. Résultat : au lieu de s’unir pour former une seule et même nouvelle patrie, on va plutôt vers une partition en plusieurs entités antagonistes. Comme souvent, ce qui motive ces luttes intestines, c’est la prétention de certains d’imposer leur suprématie. En l’occurrence, celle de Buenos Aires, comme capitale des nouveaux territoires indépendants. Ce centralisme est combattu en premier lieu par Gervasio Artigas, dirigeant la « Bande Orientale », territoire de l’est de l’estuaire recouvrant à peu près l’actuel Uruguay, qui propose lui, un système plus fédéraliste de provinces autonomes et souveraines. Voilà qui commence mal pour les « Provinces Unies du Río de la Plata », comme on appelle alors les territoires libérés du joug espagnol, car Artigas est suivi par certaines d’entre elles, comme Entre Ríos, Santa Fe, Misiones, Córdoba, formant une confédération autoproclamée « Ligue des peuples libres ». Profitant des tensions entre révolutionnaires, les royalistes reprennent pied au Mexique, dans la région de la Nouvelle-Grenade (Colombie) et du Venezuela, au Pérou et au Chili.
          Début 1816, les indépendantistes ne dominent donc plus que la grande région du Río de la Plata, toujours divisée en deux. Pour tenter d’apaiser les tensions, on décide de se réunir ailleurs qu’à Buenos Aires : c’est la ville de Tucumán qui est choisie pour réunir un grand congrès destiné à mettre tout le monde d’accord autour de l’objectif ultime : la déclaration d’indépendance. Enfin. Bon, évidemment, il y a toujours des râleurs insatisfaits, et certaines régions, comme Santa Fe, Corrientes, Entre Ríos, refusent de s’asseoir autour de la table. Néanmoins, le Congrès parvient à voter l’Indépendance des Provinces Unies du Río de la Plata, actée le 9 juillet 1816. 

Déclaration de l’indépendance – 9 juillet 1816 – Tableau de Francisco Fortuny Photo DP

Voici à quoi ressemblait à peu près la carte du cône sud au moment de l’indépendance:

Une curiosité :
Cette indépendance en deux temps (Prise d’autonomie en 1810 et véritable indépendance en 1816), fait que l’Argentine peut se targuer d’avoir deux jours de fête nationale : le 25 mai (Fête de la Révolution de mai) et le 9 juillet (Fête de l’indépendance) !

Vers l’indépendance

 

          En 1776, la Couronne espagnole fonde,  à partir d’une partie de l’ancien Vice-royaume du Pérou, le nouveau Vice-royaume du Rio de la Plata. Géographiquement, celui-ci recouvre à peu près les territoires actuels de l’Argentine, de la Bolivie, du Paraguay et de l’Uruguay. Son épicentre est alors la localité de Potosí (Bolivie), où sont extraites les plus grandes quantités d’argent. Mais la situation stratégique de Buenos Aires, au bord de l’Atlantique, lui confère le rôle de « porte » vers l’Europe, lui assurant une importance économique certaine, celle de port d’échanges. Elle devient ainsi rapidement la véritable capitale du Vice-royaume.
          Tout semble marcher comme sur des roulettes pour l’Espagne. L’argent arrive en grande quantité (il se dit qu’avec l’argent extrait des mines de Potosí, on pourrait construire un pont entre Buenos Aires et l’Europe), et la Couronne engrange des bénéfices colossaux. Mais hélas, ça ne va pas durer.
          Responsable : Napoléon Ier. Assoiffée de conquêtes, l’ombre de son bicorne commence à s’étendre sur toute l’Europe. Et les Pyrénées sont un rempart bien dérisoire. En 1808, au faîte de sa gloire, l’ancien petit caporal devenu un grand général décide d’aller voir s’il n’y aurait pas moyen d’étendre l’Empire français un poil plus au sud. Fernando VII n’est pas vraiment d’accord, mais il ne va pas avoir le choix : Napoléon le capture et met sur son trône son propre frère Joseph Bonaparte.
          Naturellement les Espagnols n’ont pas l’heur de trouver leur nouveau souverain à leur goût. Sans compter que la soldatesque française ne fait pas dans la dentelle pour imposer sa loi. C’est peu de dire que les autochtones en ont gros sur le cœur, même les moins disposés à l’égard de Fernand le perdant. Bref, ils se rebellent, et forment des groupes de soutien – les «juntes» –  dans tout le pays, pour réclamer qu’on leur rende un roi qui parle la même langue qu’eux, et sans accent corse, si possible. Leur autre crainte, c’est que Napoléon ne se mette à lorgner en direction de l’ouest. Une confrérie de tontons flingueurs se forme conséquemment en Andalousie : la Junte de Séville, qui fédère toutes les autres avec un seul but : expulser ces maudits Français et éviter qu’ils ne mettent la main sur le grisbi américain.
          Las, l’Armée Napoléonienne, ce n’est pas du chiqué : ils sont vraiment trop forts. Et sans aucune pitié.

Juan Carrafa : fusilamientos del 2 de mayo 1808 – Photo DP

          Voilà donc l’Espagne aux mains des Français, pour cinq ans. La nouvelle traverse l’Atlantique, à vitesse de bateau. Chez les créoles (c’est comme ça qu’on appelle les natifs d’origine européenne, en Amérique), c’est l’effervescence : l’autorité suprême est en panne. Ne serait-ce pas le bon moment pour s’en débarrasser, et se mettre à se gouverner soi-même, sans dépendre d’un pouvoir aussi lointain que peu connecté avec les réalités locales ?
          Alors, à son tour, on forme des « juntes », dont le but est de supplanter les autorités coloniales dans certaines grandes villes comme Caracas, Bogota, Santiago du Chili ou Buenos Aires. Bien entendu, il y a des résistances dans l’autre sens. Certaines villes restent fidèles à la Couronne, comme Mexico, Lima ou Montevideo. Mais le ver est dans le fruit, et le 25 mai 1810, à Buenos Aires, ces nouveaux révolutionnaires viennent sous les fenêtres du Cabildo crier leur opposition au Vice-roi. Celui-ci, Baltasar Hidalgo de Cisneros, doit renoncer. Ce n’est pas encore tout à fait l’indépendance – le territoire ne se sépare pas de la tutelle espagnole, mais son représentant sur place est désormais un créole – mais le processus, inéluctable, est lancé.

Rio de la Plata

     Littéralement, Río de la Plata signifie « Fleuve de l’argent ». Le métal, bien entendu. C’est ainsi qu’on nomme le gigantesque estuaire du fleuve Paraná, qui sépare l’Uruguay au nord de l’Argentine au sud. A l’origine de ce nom, on trouve une des premières expéditions des conquérants espagnols dans cette région. Elle remonte à 1512, et fut menée par Juan Díaz de Solís, successeur d’Amérigo Vespucci[1] au titre de « Premier pilote » de la Maison Indienne (Casa de Contratación) du Royaume d’Espagne alors gouverné par Fernando II d’Aragon, dit « le Catholique ». Après ce premier contact, Solís revint dans l’estuaire quatre ans plus tard, après la découverte de l’Océan Pacifique par Vasco Nuñez de Balboa en 1513, dans l’espoir de trouver un passage entre les océans. Malheureusement, ce fut aussi sa dernière aventure. A peine débarqués sur le rivage, près de l’actuelle île Martín García (qui doit d’ailleurs son nom à l’un des membres de l’expédition qui y fut enterré), du côté oriental de l’estuaire, actuel Uruguay, ils furent massacrés par les indiens Charrúas. Leurs compagnons restés sur les navires s’enfuirent aussitôt. Une partie d’entre eux réussit à regagner l’Espagne, mais certains, pris dans une tempête au large du Brésil, furent recueillis par des indiens Guarani.

Juan de Solis, découvreur du Rio de La Plata (Photo domaine public)
                                             (Photo DP)

     Parmi eux, se trouvait un Portugais, Aleixo García, qui allait avoir une influence importante par la suite dans la diffusion de la légende de la « Sierra de la plata », la Montagne d’argent, un territoire qu’ils allèrent chercher jusqu’aux contreforts de la cordillère des Andes, dans l’actuelle région argentine du Chaco. Ce fut également l’occasion de leur premier contact avec la civilisation Inca, encore inconnue, dont ils se contentèrent de piller une réserve, trouvant là des objets en métaux précieux, dont la découverte laissait entrevoir la supposée richesse de la contrée. Convaincu de l’existence de la Montagne d’argent, un autre explorateur, Vénitien celui-là, Sebastiano Caboto, tenta sa chance à son tour, guidé par un des membres de l’expédition Solís qui était resté vivre auprès des indiens Guarani et prétendait connaître l’emplacement de la fameuse Montagne.        
     L’expédition fut un échec, et se solda une nouvelle fois par la mort de la plupart des hommes engagés, de maladie ou massacrés par les indiens. Mais la légende, entretenue par les indigènes évoquant devant les survivants l’existence d’une cité fabuleuse, persista encore de nombreuses décennies.

Coucher de soleil sur le Rio de La Plata à Colonia del Sacramento (Uruguay)
Rio de La Plata à Colonia del Sacramento. Photo PV

[1] Celui qui, dit-on, a donné son nom au continent, l’Amérique.

Seconde fondation de Buenos Aires

          Après le départ de Mendoza, pendant près de quarante ans, plus personne ne revient troubler la tranquillité des abords de l’estuaire du Río de la Plata, et les indiens se réapproprient leur territoire. Les Espagnols se contentent de continuer de coloniser le Paraguay, et la ville d’Asunción se développe, dirigée par Martínez de Irala[1].
           C’est là qu’un explorateur va rencontrer une partie des anciens habitants du premier Buenos Aires, qui ont fui en 1541. L’explorateur en question n’est pas n’importe qui. D’abord, il s’appelle Alvar Nuñez Cabeza de Vaca. Les hispanophones l’auront compris : il a un nom plutôt rigolo, « Tête de vache ». Mais surtout, c’est lui qui va découvrir, en descendant le Paraná vers l’estuaire, les très célèbres et impressionnantes chutes d’Iguazú. En passant.
          Mais ce que Cabeza de Vaca (venu paré du titre d’Adelantado , donc de représentant de la Couronne espagnole), découvre surtout, c’est que Martínez de Irala en prend à son aise, et que cette possession est très mal tenue. Il essaie d’y remettre un semblant d’ordre, mais finit par se faire expulser manu-militari par Irala. Retour en Espagne.
          Pendant ce temps, la colonisation du Pérou et de l’actuelle Bolivie s’est poursuivie, d’autant plus avec la découverte des mines d’argent de la région de Potosí[2]. La fameuse « Montagne d’argent »[3] a donc enfin été trouvée ! En quelque sorte. Les conquistadores se mettent en devoir de consolider leurs possessions dans cette zone, tout en descendant vers le sud. C’est ainsi que furent fondées quelques villes de l’intérieur, aujourd’hui très importantes : Santiago del Estero en 1553, Mendoza en 1561, San Miguel de Tucumán en 1565, Córdoba[4] en 1573.
           Il devient de plus en plus nécessaire de créer un port sur l’estuaire du Paraná. D’une part pour faciliter l’expédition du métal précieux vers l’Espagne, et d’autre part pour sécuriser l’accès à ces territoires, très convoités également par les rivaux européens.
          On l’a vu dans les articles précédents, la rive nord, celle de l’actuel Uruguay, n’est guère accueillante. D’une part en raison de la présence des indiens Charrúas, d’autre part de celle des Portugais bien installés au Brésil et qui lorgnent sur la zone.
          C’est là qu’intervient Juan de Garay. Il est en quelque sorte l’adjoint du troisième Adelantado nommé par la Couronne espagnole, Juan Ortiz de Zárate. Avec ce dernier, De Garay fonde  en 1573 la ville de Santa Fe, située sur les rives du Paraná, à près de 500 kilomètres au nord du Río de la Plata. Après la mort de Zárate, De Garay devient le nouveau gouverneur de la région et décide de reprendre la colonisation de l’estuaire. Il s’embarque donc en 1580, depuis la ville d’Asunción, avec une soixante d’hommes, emportant également bétail et outils, pour refonder la ville abandonnée en 1536. A son arrivée, il distribue des terres entre les hommes, ceux-ci devenant les premiers « hijosdalgos de solar conocido », plus connus sous le nom « d’hidalgos ».
          Le 11 juin 1580 exactement, Juan de Garay plante « L’arbre de la justice» (Ou une grande croix, selon les versions) sur l’emplacement de ce qui deviendra la place principale de la ville nouvelle, dont le premier nom est « Ciudad de la Trinidad » («Ville de la Trinité»).
          Celle-ci ne s’implante pas tout à fait au même endroit que celle pensée par Mendoza, mais légèrement plus au nord, mettant à profit un secteur plane et légèrement surélevé, et donc moins facilement inondable. Ce secteur couvrait une zone qui serait délimitée aujourd’hui, à peu près, par les rues Salta et Libertad à l’ouest, l’avenue Córdoba au nord, l’avenue Independencia au sud et bien sûr, le Río de la Plata à l’est. Le point central en étant la nouvelle Plaza Mayor, aujourd’hui Plaza de Mayo sur laquelle sont construits d’abord, le Cabildo (sorte de mairie de la ville), dont il subsiste encore une partie, puis la Cathédrale, et ce qui deviendra la Casa Rosada, le palais présidentiel, à l’origine maison de l’Adelantado.

Le Cabildo de Buenos Aires. A l’origine, il comptait quatre arcades de plus de chaque côté (Photo PV)

 

         Comme toutes les villes coloniales espagnoles ou presque, le plan de la ville nouvelle est parfaitement géométrique. La ville est divisée en carrés d’égale superficie, séparés par des rues parfaitement rectilignes. Ces carrés sont appelés «cuadras»  et ont ce côté pratique de permettre de facilement évaluer les distances à parcourir d’un point à un autre ! (Comptez 125 m environ la cuadra).
          Enfin pour l’instant, justement, ce n’est qu’un plan. La soixantaine de nouveaux arrivants ne va pas suffire à peupler les près de 160 cuadras prévues par le plan initial de Garay ! Tout reste encore à construire, et le premier Buenos Aires a l’allure d’un gros bourg de campagne, avec ses masures de torchis et de bois, ses rues boueuses et ses propriétés mal bornées, provoquant d’innombrables conflits de voisinage. Sans parler des indiens Querandies et Guarani, qui demeurent toujours menaçants, et des raids des corsaires anglais, qui s’intéressent de près aux navires espagnols croisant dans le secteur. Il va falloir encore de nombreuses années avant qu’on puisse comparer Buenos Aires à ses rivales de l’intérieur, déjà bien mieux urbanisées, et surtout bien plus riches. Mais sa situation géographique va constituer pour son développement un formidable tremplin…

[1] Au sujet d’Irala, voir « La première fondation de Buenos Aires »

[2] Potosí, qui a donné naissance à une formule espagnole encore utilisée jusqu’à un passé récent : « valoir un Potosí » signifiant bien sûr, coûter très cher.

[3] Voir « Le Río de la Plata ».

[4] Aujourd’hui deuxième ville d’Argentine en nombre d’habitants.

Première fondation de Buenos Aires

     Après la conquête de l’Empire Inca par Francisco Pizarro en 1532, les Espagnols cherchent à consolider leurs bases américaines, et notamment vis-à-vis de leurs rivaux Portugais qui tiennent les côtes brésiliennes. C’est pourquoi ils tiennent à contrôler cette grande entrée à l’intérieur du continent que constitue l’estuaire du Paraná, et projettent donc d’y construire un port. A cette fin, le roi Carlos V (Charles Quint) nomme Pedro de Mendoza Adelantado du Río de La Plata, sorte de gouverneur, ou de préfet, représentant la couronne dans cette zone de conquête. Mendoza affrète donc plusieurs navires, sur lesquels prennent place environ 2500 hommes, dont 200 esclaves Cap-Verdiens et Guinéens. Un autre navire, affrété par deux banquiers Allemands, prend place dans la flotte et transporte pour sa part environ 150 européens, pour la plupart Allemands, Portugais et Flamands.
     La flotte atteint l’estuaire en janvier 1536. Mais Mendoza, instruit de l’expérience malheureuse de Solís avec les indiens Charrúas (Voir l’article précédent), évite de débarquer sur la rive nord (actuelles côtes uruguayennes), et s’établit sur la rive sud. Il fonde le port qui prendra le nom de « Santa María del Buen Ayre », au confluent de l’estuaire et d’une rivière surnommée le « Riachuelo »[1]. L’origine de ce nom (Santa María del Buen Ayre) a donné lieu à de nombreuses hypothèses, mais la plus couramment admise est qu’il serait en rapport avec la consécration de la ville nouvelle à la Vierge du Bon Air, protectrice des marins. Pas grand-chose à voir, quoiqu’en pensent certains Argentins un poil chauvins, avec la pureté de l’air qu’on respire dans le coin.
     A l’époque, la rive argentine de l’estuaire n’est pas complètement déserte non plus. Pas de Charrúas en vue, les gens du cru sont plutôt des Querandies.  Plus accueillants dans un premier temps : ils fournissent même des vivres aux nouveaux arrivants. Mais ça ne dure pas. Au bout de deux semaines, ils attaquent les Espagnols. Cette première échauffourée se soldera par des centaines de morts des deux côtés, mais cela ne découragera pas Mendoza qui continuera l’installation de la place forte en bordure d’estuaire.
     Assez rapidement, les nouveaux colons rencontrent des problèmes de ravitaillement, et la situation devient critique, d’autant que les indiens reprennent leur harcèlement. En mai, ceux-ci assiègent le camp en nombre, et le détruisent pratiquement entièrement[2]. Les Espagnols parviennent à les mettre en fuite, mais ils sont contraints d’abonner le fort et de regagner les bateaux qui ont échappé à l’incendie.
     En attendant des renforts, une partie des hommes remonte le Paraná vers le nord, avec Pedro de Mendoza, tandis qu’une autre partie reste sur le site, sous les ordres de Francisco Ruiz Galán.
     Mendoza, atteint de syphilis, doit rapidement rebrousser chemin, laissant ses compagnons sous le commandement de Juan de Ayolas, qui avait d’ailleurs déjà mené une première expédition le long des rives du Paraná. Ayolas et ses hommes, dont son aide de camp Domingo Martínez de Irala, remonteront jusqu’à l’actuel Paraguay, dont ils fonderont la future capitale, Asunción.
     En juin 1537, de plus en plus malade, Mendoza décide de s’embarquer pour l’Espagne, avec l’espoir de revenir avec d’autres renforts. Il ne l’atteindra jamais : il meurt sur le bateau, au large des Iles Canaries.  

En 1541, le fort de Santa María del Buen Ayre, où ne subsistait plus que 350 habitants toujours à la merci des attaques indiennes, sera définitivement abandonné. La plupart de ses occupants file plus au nord, vers Asunción et le Paraguay.  Il faudra attendre près de quarante ans, avec l’arrivée de Juan de Garay en 1580, pour voir les Espagnols prendre pied de façon pérenne sur les bords du Río de La Plata : ce sera la « seconde fondation » de Buenos Aires. Une autre histoire, et un nouveau départ, plus solide celui-là.

Statue de Pedro de Mendoza, dans le Parc Lezama, emplacement supposé du premier fort – Photo DP

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[1] Cette rivière traverse aujourd’hui le quartier portègne de La Boca.

[2] Voir à ce sujet la nouvelle « El hambre », de Manuel Mujica Láinez, dans le recueil « Misteriosa Buenos Aires » paru en 1950. Il existait une traduction française de ce recueil chez Séguier (1990), mais elle a apparemment disparu du catalogue.