San Telmo

Rédigé le 5 janvier 2020

          Matinée San Telmo hier. C’est curieux l’effet que me fait à chaque fois ce quartier. Depuis le début, j’en suis « tombé amoureux », comme on dit dans les mauvais documentaires. Il représente pour moi l’essentiel de Buenos Aires, de l’âme de cette ville. Ce n’est pas un hasard non plus : c’est l’un des quartiers les plus anciens, et celui qui a accueilli les grandes vagues d’immigration des années 1890-1910. Ce qui en faisait un quartier aussi populaire que cosmopolite, avec tous ses « conventillos » (immeubles de deux ou trois étages où les appartements, minuscules, donnaient tous sur une galerie courant autour d’une cour intérieure) où s’entassaient les Européens fraichement débarqués, en majorité Espagnols et Italiens.
          Avant ces vagues, il était habité par les Portègnes les plus aisés, c’était le quartier « résidentiel ». On en voit encore les vestiges de cette époque glorieuse sur les façades des immeubles les plus anciens, même s’ils sont largement tombés en décrépitude depuis. L’épidémie de fièvre jaune est venue tout changer, et rebattre les cartes démographiques.

Dans San Telmo, vestige d’une époque disparue… – Photo PV

          Il me semble que c’est cette double identité – quartier riche, puis quartier très pauvre – qui lui confère cette âme spéciale et emblématique. Il est ainsi un concentré d’époques et de populations bien distinctes.
Sauf qu’il ne reste plus rien : ni de la première époque, ni de la seconde. Tout comme Montmartre à Paris, le quartier s’est peu à peu mué en musée historique à ciel ouvert. On a beau marcher dans les rues (beaucoup ont gardé leurs vieux pavés), difficile d’imaginer que « de vrais gens » puissent vivre ici, en tout cas dans le cœur du quartier, le rectangle qui s’étend de l’avenue Belgrano à la Place Dorrego, et de la rue Piedras à la rue Defensa. Il y a d’ailleurs peu de commerces «quotidiens» dans cette zone en revanche bien garnie en boutiques à touristes. Le marché couvert est emblématique à ce titre : les commerces « de bouche » (boucheries, légumes…) se comptent sur les doigts d’une main, l’essentiel de l’espace étant occupé par les multiples anticailleries et stands de bouffe « typique ». Le public est donc très ciblé.

Le marché – Photo PV

          Hier midi, je me suis d’ailleurs laissé tenter par un de ces stands. Dans celui-ci, pas de tables, juste un comptoir sur trois côtés, avec des tabourets hauts. Je me suis glissé sur le seul qui était libre, et j’ai attendu qu’on vienne s’occuper de moi en lisant la carte. Il s’agissait d’un stand de choripanes : un genre de hot-dog où la saucisse plastique habituelle est remplacée par un bon gros « chorizo » (Qui n’en est pas vraiment : c’est de la saucisse aussi), de porc ou de mouton, accompagné de différentes garnitures au choix. Un genre de kebab argentin, donc.
          Faut être patient, comme souvent en Argentine. Mon verre de vin est arrivé assez rapidement, mais ensuite, j’ai quasiment eu le temps de le vider avant l’arrivée de mon choripane. En même temps, c’est un gage de fraicheur : ils cuisent les chorizos seulement au fur et à mesure des commandes. C’était très bon. Mais manger seul face au comptoir, en écoutant les conversations des gens tout autour – et les écouter ne signifie pas les entendre, au mieux un brouhaha indistinct – n’incite pas à la rêverie et à la prolongation du déjeuner. Un autre que moi, ceci dit, aurait sans doute engagé une conversation avec ses voisins. Mais c’est un exercice pour le moment impossible pour moi.
          San Telmo – Montmartre. Je suppose que c’est mon attrait pour l’histoire de ces quartiers qui me les fait aimer malgré leur transformation en pièges à touristes. Derrière ces artifices récents, il n’est pas difficile de gratter pour en retrouver l’essence ancienne, et évoquer, même seulement en pensée, ce qu’ils furent avant leur muséification : les témoins d’une intense histoire populaire. En tout cas, il m’est impossible d’imaginer une visite dans l’une des deux capitales sans y passer au moins une fois.

4 mars 2021 : Unes d’un jour ordinaire

Chronique des unes d’un jour ordinaire en Argentine : à travers l’exploration de cinq journaux en ligne, les priorités du moment au pays du maté calme.

Commençons par le plus lu : Clarín. Comme à son habitude, il a cherché par quel biais attaquer le gouvernement en place. Comme partout, le plus efficace en ce moment, c’est ce bon vieux virus, inépuisable source quand on veut critiquer ceux qui se tapent la douloureuse tache d’y faire face pour tout le monde. Cette fois, la critique concerne (là aussi, comme à peu près partout) la gestion des vaccins. Clarín relève que la ville de Buenos Aires (dirigée par l’opposition) se plaint que le pouvoir central distribue les doses à travers le pays non en fonction de l’importance des groupes à risque, mais au prorata des populations. Et produit un intéressant tableau corroborant ce fait. Critiquant parallèlement, au passage, le retard pris par l’Argentine dans l’achat global de vaccins, par rapport à ses voisins brésilien et chilien. Deux gouvernements évidemment plus sympathiques aux yeux du grand quotidien argentin. Qui se demande si les régions ne feraient pas mieux de prendre leur autonomie (ce que la loi argentine permet) sur le sujet.

La Nación choisit un autre angle d’attaque, probablement plus populaire et plus efficace : la corruption de l’époque Cristina Kirchner. Lázaro Báez a été condamné à 12 ans de prison pour blanchissement d’argent sale et ce que nous appellerions en France fraude aux marchés publics : l’entrepreneur de BTP d’origine chilienne aurait bénéficié de marchés truqués de la part du gouvernement de Cristina Fernández de Kirchner, elle aussi poursuivie dans différentes affaires de corruption active et passive. Une affaire aux vastes ramifications, dans laquelle interfèrent également des soupçons de « lawfare », le pouvoir en place soupçonnant certains secteurs du monde judiciaire de pactiser avec l’opposition de droite pour « mouiller » les toujours populaires dirigeants péronistes. Un peu à la manière de ce qui a été fait au Brésil contre Lula et Dilma Roussef. Mais en l’occurrence, il semblerait que les dossiers soient bien plus solides dans le cas argentin que dans le cas brésilien, même si, des deux côtés de la frontière, les dénonciateurs de la corruption sont assez loin d’être eux-mêmes des chevaliers blancs. L’Amérique latine n’est pas, et n’a jamais été en la matière, un territoire binaire. Si le pouvoir corrompt, c’est encore et toujours plus vrai de ce côté-là de l’Atlantique. Hélas. Il est néanmoins assez croustillant de voir que la justice du Panama, paradis fiscal bien connu pour avoir abrité un temps les intérêts de l’ancien président de droite Mauricio Macri, se saisisse du dossier.

On ne sera donc pas étonné de voir que c’est justement le cas Macri que met en relief le quotidien de gauche Pagina/12, fervent supporter de Cristina Kirchner et du parti péroniste. Le quotidien – qui par ailleurs évite aujourd’hui soigneusement toute allusion aux affaires en cours contre Cristina Kirchner et Lázaro Báez – poursuit son enquête au sujet de la faillite présumée frauduleuse de l’entreprise « Correo Argentino » (l’équivalent de notre Poste), jadis propriété de la famille Macri. Cette dernière est soupçonnée d’avoir profité de son passage au pouvoir pour négocier un accord avantageux de sauvetage de l’entreprise, aux frais du contribuable. Correo Argentino, qui cherche désespérément un repreneur, doit 4 milliards et demi de pesos à l’Etat (Plus de 41 millions d’euros au cours actuel) et aurait organisé son insolvabilité en « déviant » les réserves de l’entreprise vers d’autres firmes appartenant à – ou amies de – la famille Macri. Qui s’en défend, tout en tentant, selon Pagina/12, d’évincer la juge en charge du dossier par tous les moyens.

Comment s’étonner ensuite que les Argentins se désespèrent d’être un jour gouvernés par des élus honnêtes ?

A part ça, et pour plus de légèreté, dans le plus parfait désordre : Crónica a vu apparaitre un OVNI au cours d’un journal d’infos brésilien (Si si, c’est le titre de la une en ligne !), et le Diario Popular célèbre la victoire du club de Boca Junior (celui de Maradona) en… trente-deuxièmes de finale de la coupe d’Argentine. C’est aussi le titre de une, mais notons que juste en dessous, on trouve un intéressant article sur un cas assez effrayant de prostitution de mineures par leur propre mère. (De 4 à 12 ans, les filles, quand même). Un sujet hélas universel.

04/02/21 : Isabelita a 90 ans

AUX OUBLIETTES DE L’HISTOIRE

          Aujourd’hui jeudi 4 février, nous dit le quotidien La Nación, est le jour du 90ème anniversaire de María Estela Martinez de Perón, plus connue sous son nom de scène (elle était danseuse avant de devenir la troisième épouse de Juan Perón) Isabelita.
          Celle qui fut la première présidente de l’histoire argentine semble aujourd’hui totalement oubliée de ses compatriotes : on a eu beau chercher, aucun autre des grands quotidiens en ligne ne mentionne l’événement. Et il est même assez probable qu’en lisant l’article de La Nación, plus d’un Argentin se sera étonné d’apprendre qu’elle est encore de ce monde, 45 ans après avoir été renversée, emprisonnée puis exilée par la dictature militaire.
          La Nación retrace les grandes lignes de ce qui fut sa vie, d’abord en Argentine où elle est née en 1931, puis à l’extérieur, d’abord lors des tournées sudaméricaines de sa troupe de danse, puis en exil en Espagne, avec son mari. Elle avait justement rencontré Juan Perón en 1955 à Panama, alors que celui-ci, renversé par la «Revolución Libertadora», commençait son long exil de dix-huit ans.
          Elle reviendra avec lui en 1973, et ensemble, lui président et elle vice-présidente, ils remporteront l’élection à la magistrature suprême avec 62 % des voix. C’est donc elle qui, à la mort de Perón l’année d’après (juillet 1974) prendra naturellement les rênes du pouvoir. Pas pour longtemps. Car la période est très troublée, c’est le moins que l’on puisse dire. Le péronisme est très divisé, entre mouvements de jeunes d’extrême-gauche d’une part – ce sont eux qui ont principalement contribué au retour du chef – et tendance d’extrême-droite d’autre part, rapportée dans les bagages de Perón lui-même. Ne perdons pas de vue qu’il revient d’un long exil en… terre franquiste. Le retour du péronisme est donc marqué par beaucoup de violence, entre les exactions de la Triple A (Alliance anti-communiste argentine, créée et dirigée par le secrétaire particulier de Perón, Lopez Rega) contre les gauchistes, et les attentats de ces derniers, en représailles. Sans parler, bien entendu, de toutes les tendances anti-péronistes qui n’ont évidemment pas disparu comme par enchantement.

Juan Perón et Isabelita (María Estela Martínez Cartas de Perón) en Espagne (1972)

          C’est avant tout cette image qui restera d’Isabelita. Celle d’une présidente dépassée, incompétente – elle se fera même remplacer un mois pour «raisons de santé» pendant son mandat par Italo Luder, le président du Sénat – et finalement destituée par un coup d’état militaire en mars 1976.
          Emprisonnée pendant cinq ans, les militaires l’ont libérée en 1981, et elle est repartie en Espagne, d’abord dans la résidence qu’elle partageait autrefois avec Perón, « Puerta de Hierro », puis dans son actuelle résidence à 30 kilomètres de Madrid. Elle y vit depuis complètement retirée, et s’est doucement fait oublier de ses concitoyens. Au point qu’il ne s’est trouvé qu’un seul quotidien, aujourd’hui, pour se rappeler qu’elle était toujours vivante, et que ce 4 février était le jour de son 90ème anniversaire.

Carlos Menem est mort

          L’ancien président Carlos Saúl Menem (1989-1999) est mort dimanche matin 14 février, à la clinique Los Arcos, dans le quartier de Palermo (nord-est de Buenos Aires) où il se trouvait depuis décembre dernier pour une pneumonie suivie de complications. Il avait 90 ans.
          Une veillée funèbre a été immédiatement organisée dans les locaux du Congrès, dans le centre de la capitale.
          Carlos Menem avait été élu président en juillet 1989, sous les couleurs du parti péroniste, pour succéder à Raul Alfonsín, premier président élu démocratiquement après la dictature militaire qui a sévi entre 1976 et 1983.
          Le titre de Pagina/12 résume parfaitement le souvenir que laissera probablement Menem dans l’histoire contemporaine argentine : celui d’un « leader populaire qui aura laissé un héritage impopulaire ». En 1988, gouverneur de la province de La Rioja, il était parvenu contre toute attente à souffler la place de candidat à un péroniste historique, Antonio Cafiero, alors gouverneur de Buenos Aires. Par la grâce d’un charisme certain, et d’un pouvoir de séduction et de conviction incontestable, il a su charmer les électeurs péronistes, toujours nombreux en Argentine, de gauche comme de droite. Un peu à la manière d’un Berlusconi, ou d’un Sarkozy, pour citer deux personnalités politiques parmi les plus «bling-bling» de l’histoire européenne récente.

          En pleine vague de néolibéralisme Reagano-Thatcherien, il va en appliquer les préceptes en les poussant à l’extrême, privatisant à tout va, et gouvernant en fonction des intérêts d’une petite minorité d’affairistes et de financiers, dont pas mal d’entreprises étrangères, qui vont sous son mandat acquérir à vil prix des joyaux de la couronne argentine, comme l’entreprise pétrolière YPF (Yacimientos petroliferos fiscales), totalement bradée, ou Aerolineas argentinas, la compagnie d’aviation nationale. Il a supprimé 75% du réseau ferroviaire argentin, le faisant passer de 36 000 km de lignes à seulement 9000. Remise en cause du droit du travail, coupes massives dans les emplois publics, comme le rappelle Luis Bruschtein dans son article rétrospectif du lundi 15 février, «Brique après brique, il a fait ce que même les militaires n’avaient jamais réussi à faire. Il a employé son mandat à démanteler ce qu’il restait des réalisations des premiers gouvernements péronistes : privatisation de l’eau, du gaz, de l’électricité, des transports, de l’industrie de l’acier, dérégulation de l’économie». Ce que certains de ses opposants ont appelé, et appellent encore, «la fête ménemiste» a fait danser les milliards au détriment de l’immense majorité de son peuple.
          Politiquement, il est également l’artisan de l’amnistie pour les principaux dirigeants de la dictature, et s’est rapproché des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, malgré les souvenirs douloureux de la guerre des Malouines.

          Sa politique ultralibérale et affairiste a conduit l’Argentine droit dans le mur, débouchant sur une des pires crises de son histoire, au début des années 2000. Avec des conséquences ravageuses : chômage massif, recrudescence de la pauvreté, désespoir des classes défavorisées menant à des manifestations violentes et des pillages de magasins, en 2001, avec en parallèle une crise politique aigue : pas moins de cinq présidents se succéderont en moins de trois ans, jusqu’à l’élection de Nestor Kirchner en 2003 !
          Le plus extraordinaire, c’est de constater qu’en dépit de cette politique catastrophique, Menem aura été finalement le président qui aura gouverné le plus longtemps dans l’histoire du pays : 10 ans, en étant même réélu en 1995 ! Il s’est même présenté pour un troisième mandat en 2003, avant de se retirer après le premier tour, pour éviter l’humiliation d’une défaite face à… un autre candidat péroniste ! (N. Kirchner).
          Car on ne peut pas lui enlever ça : jusqu’à la catastrophe finale, il aura su conserver une popularité certaine, en grande partie due à une de ses seules réussites économiques, au moins en début de mandat : la réduction de l’hyperinflation qui avait contraint son prédécesseur Alfonsín à la démission, ainsi que la mise en place d’une politique qui, croyaient ceux qui louaient celle de Ronald Reagan et Margaret Thatcher, allait permettre au pays de redémarrer en ouvrant son économie.

          Un intéressant article de La Nación liste un certain nombre de « petites phrases » prononcées par Menem tout au long de sa carrière, et qui en disent long sur sa duplicité et son cynisme. En voici un petit échantillon :

– « On ne sait pas combien de temps cela prendra, ni combien de sang il faudra verser, mais notre territoire (Les Malouines) reviendra à notre peuple ». (Un an avant de reprendre des relations aussi diplomatiques qu’amicales avec le Royaume-Uni)
– « Je déclare la corruption délit de trahison à la patrie ». (Il a été plusieurs fois condamné pour corruption).
– « Une rame qui se met en grève c’est une rame qui ferme » : il n’aura pas hésité à mettre cette menace envers le secteur ferroviaire à exécution, et pas seulement pour ce secteur ! (voir plus haut).
« Mon livre de chevet, ce sont les œuvres complètes de Socrate » (Qui n’a laissé aucun écrit !).
« Je n’aspire aucunement à être réélu » (2 ans avant de réformer la constitution pour permettre… sa réélection !)
« Je vais gouverner pour les enfants pauvres qui ont faim et pour les enfants riches qui sont tristes ».

          Menem le péroniste finira donc sa carrière battu par un autre péroniste, dont il dira pis que pendre ensuite tout au long de son mandat : toujours cette vieille contradiction interne à ce mouvement que nous autres Européens avons tant de mal à comprendre et à appréhender, tant il recouvre de tendances aussi diverses que franchement antagonistes. Menem peut être considéré non seulement comme un péroniste «de droite», mais probablement, également, comme un des pires, sinon le pire, des gouvernants de toute l’histoire argentine, depuis que celle-ci est une république. Et ce ne sont pas les larmes de crocodile de tous ceux qui font la queue depuis dimanche pour passer devant son cercueil qui changeront grand-chose à la trace qu’il laissera dans l’histoire, et dans le cœur de la plus grande majorité des Argentins. D’ailleurs, aux dernières nouvelles, il n’y avait pas foule aux abords du Congrès pour lui rendre un dernier hommage.

PS. Je viens de lire un article là-dessus sur le blog « gauchomalo« , de Santiago Gonzalez. L’article, écrit le 15 février, est paru également dans le quotidien « La Prensa » d’aujourd’hui, 22 février.  C’est un article très critique sur l’héritage ménemiste, mais qui lui tresse des couronnes au sujet de sa politique néolibérale, parlant d’une période inédite de « sérénité économique, de sensation de liberté et d’ouverture sur le monde » (Je traduis en synthétisant). Une opinion pas forcément partagée par tous les Argentins ayant vécu cette époque, en tout cas les plus modestes. Néanmoins, l’article qualifie cette période « d’étape mafieuse » de la saga péroniste, un « processus de désintégration de la nation argentine initié par les militaires, poursuivi par Alfonsín, institutionalisé par Menem et perfectionné par ses héritiers Kirchneristes et Macristes (qui) poursuit sa marche en avant vers un ordre nouveau non décidé par les citoyens ». L’article, à mon sens, décrit assez bien le système du pouvoir ménemiste, même s’il exempte un peu légèrement de leurs responsabilités les influents théoriciens ultra-libéraux de l’époque.

Voir également l’excellent documentaire de Pino Solanas Memoria del saqueo, (qu’on pourrait traduire par « chronique d’un saccage ») qui couvre la période allant de 1976 à 2001, soit de la dictature militaire à la fin du règne de Menem. (En espagnol).

04/02/21 : Isabelita a 90 ans

AUX OUBLIETTES DE L’HISTOIRE

          Aujourd’hui jeudi 4 février, nous dit le quotidien La Nación, est le jour du 90ème anniversaire de María Estela Martinez de Perón, plus connue sous son nom de scène (elle était danseuse avant de devenir la troisième épouse de Juan Perón) Isabelita.
          Celle qui fut la première présidente de l’histoire argentine semble aujourd’hui totalement oubliée de ses compatriotes : on a eu beau chercher, aucun autre des grands quotidiens en ligne ne mentionne l’événement. Et il est même assez probable qu’en lisant l’article de La Nación, plus d’un Argentin se sera étonné d’apprendre qu’elle est encore de ce monde, 45 ans après avoir été renversée, emprisonnée puis exilée par la dictature militaire.
          La Nación retrace les grandes lignes de ce qui fut sa vie, d’abord en Argentine où elle est née en 1931, puis à l’extérieur, d’abord lors des tournées sudaméricaines de sa troupe de danse, puis en exil en Espagne, avec son mari. Elle avait justement rencontré Juan Perón en 1955 à Panama, alors que celui-ci, renversé par la «Revolución Libertadora», commençait son long exil de dix-huit ans.
          Elle reviendra avec lui en 1973, et ensemble, lui président et elle vice-présidente, ils remporteront l’élection à la magistrature suprême avec 62 % des voix. C’est donc elle qui, à la mort de Perón l’année d’après (juillet 1974) prendra naturellement les rênes du pouvoir. Pas pour longtemps. Car la période est très troublée, c’est le moins que l’on puisse dire. Le péronisme est très divisé, entre mouvements de jeunes d’extrême-gauche d’une part – ce sont eux qui ont principalement contribué au retour du chef – et tendance d’extrême-droite d’autre part, rapportée dans les bagages de Perón lui-même. Ne perdons pas de vue qu’il revient d’un long exil en… terre franquiste. Le retour du péronisme est donc marqué par beaucoup de violence, entre les exactions de la Triple A (Alliance anti-communiste argentine, créée et dirigée par le secrétaire particulier de Perón, Lopez Rega) contre les gauchistes, et les attentats de ces derniers, en représailles. Sans parler, bien entendu, de toutes les tendances anti-péronistes qui n’ont évidemment pas disparu comme par enchantement.

Juan Perón et Isabelita (María Estela Martínez Cartas de Perón) en Espagne (1972)

          C’est avant tout cette image qui restera d’Isabelita. Celle d’une présidente dépassée, incompétente – elle se fera même remplacer un mois pour «raisons de santé» pendant son mandat par Italo Luder, le président du Sénat – et finalement destituée par un coup d’état militaire en mars 1976.
          Emprisonnée pendant cinq ans, les militaires l’ont libérée en 1981, et elle est repartie en Espagne, d’abord dans la résidence qu’elle partageait autrefois avec Perón, « Puerta de Hierro », puis dans son actuelle résidence à 30 kilomètres de Madrid. Elle y vit depuis complètement retirée, et s’est doucement fait oublier de ses concitoyens. Au point qu’il ne s’est trouvé qu’un seul quotidien, aujourd’hui, pour se rappeler qu’elle était toujours vivante, et que ce 4 février était le jour de son 90ème anniversaire.

1916 – Irigoyen et la première république populaire

         

          On l’a vu dans l’article précédent, la loi Sáenz Peña, promulguée en 1912, en instaurant le suffrage universel (masculin) et le secret du vote, a mis fin à plusieurs décennies de fraude électorale en faveur d’un seul et unique parti, celui de l’oligarchie des propriétaires terriens, le Parti Autonomiste National (P.A.N.). Les conséquences de cette nouvelle donne ne se font pas attendre : d’autres partis se glissent dans l’entrebâillement de la porte, et trouvent des électeurs parmi, en grande partie, les fils des immigrants de la dernière génération, celle de 1880-1910.
          Le principal parti d’opposition, à la fin du XIXème, c’est l’Union civique radicale. A la base, un parti de jeunes loups de la politique. Il commence par s’appeler, en 1889, « Union civique de la jeunesse » (Unión cívica de la juventud), comptant dans ses rangs outre son fondateur Francisco Barroetaveña, de futurs grands dirigeants argentins comme Juan B. Justo, qui fondera quelques années plus tard (en 1896) le premier parti socialiste argentin, et Marcelo Torcuato de Alvear, futur président de la République (1922-1928). Mais surtout, il jette des ponts avec le reste de l’opposition républicaine, et notamment l’ancien président et fondateur du grand quotidien La Nación, Bartolomé Mitre, ainsi que Leandro Alem, un ancien du Parti autonomiste en rupture de ban et fondateur du Parti Républicain.

Les fondateurs de l’Union Civique : de g. à d. Marcelo Alvear, Leandro Alem, Francisco Barroetaveña, Juan Passe – Photo DP

          Le 13 avril 1890, nait de ces rapprochements l’Union Civique, dont Leandro Alem est élu président. En juillet de la même année, ce mouvement enclenche la Revolución del Parque, qui, si elle échoue, parvient néanmoins à faire chuter Juárez Celman, qui démissionnera au profit de son vice-président Carlos Pellegrini. Première petite victoire, mais pour le moment, le P.A.N. a encore les choses bien en mains : l’opposition reste balbutiante, et, comme souvent, minée par les dissensions et querelles d’égo. Pendant ce temps, les magouilles électorales permettent au pouvoir de se maintenir à flot, comme en 1892, deux ans après la Révolution du Parc, quand Carlos Pellegrini parvient à faire interdire à l’Union Civique (devenue Union civique radicale en 1891) de présenter un candidat à la présidentielle en inventant un pseudo complot séditieux.
          Après le suicide de Leandro Alem en 1896, très affecté par les querelles internes et les défaites politiques, c’est son neveu, Hipólito Irigoyen (1852-1933), qui prend la tête du mouvement, en 1903.
          La trajectoire politique du nouveau dirigeant n’a rien de révolutionnaire. Fils d’un immigré basque français et de la sœur de Leandro Alem, il a d’abord grossit avec son oncle les rangs du P.A.N. Il n’avait alors que 17 ans. Sept ans plus tard, toujours avec son oncle, il fait partie des fondateurs du nouveau Parti Républicain, et à 25 ans, il devient député. C’est que c’est un jeune homme très actif. A partir de 1880, il officie en tant que professeur d’histoire à l’École normale d’instituteurs, en 1881, il obtient son diplôme d’avocat, et parallèlement à tout ça, il trouve encore le temps d’acheter des terres agricoles et de devenir propriétaire de plusieurs «estancias» (ranch, en bon français) où il pratique l’élevage à viande. Après la Révolution du Parc, il rejoint les rangs du nouveau parti dirigé par son oncle Leandro Alem, l’Union Civique radicale, et participe à une seconde tentative révolutionnaire, en 1893, aux côtés de Marcelo Torcuato de Alvear.  Nouvel échec, qui lui vaudra arrestation et bref exil en Uruguay.
          Troisième essai en février 1905, un soulèvement armé dans cinq grandes villes simultanément (Buenos Aires, Bahia Blanca, Mendoza, Córdoba et Santa Fe), soulèvement qui ira jusqu’à la séquestration du vice-président Figueroa Alcorta, mais qui, faute de soutien populaire et militaire, et après la proclamation de l’état de siège, se terminera par une nouvelle défaite. Un coup de boutoir qui cette fois encore ne sera pas parvenu à abattre le mur conservateur, mais qui néanmoins l’aura sérieusement fissuré. En effet, à partir de ce moment, plus rien ne sera comme avant au P.A.N., qui commence à se fractionner. C’est que certains commencent à sentir que le vent est en train de tourner, et que le bon vieux système est à bout de souffle. Cette nouvelle tendance, emmenée par Roque Sáenz Peña, finit d’ailleurs par l’emporter, et fait faire un dernier tour de piste à ce qu’il reste du P.A.N. en 1910. Le temps de promulguer la fameuse loi sur le suffrage universel et secret. Qui permettra enfin à l’opposition de prendre son tour : aux élections de 1916, c’est donc le candidat de l’Union civique radicale, Hipólito Irigoyen, qui est élu.
          Autant dire que s’est un sacré coup de tonnerre, après presque trente ans de conservatisme. Bon, ne nous emballons pas trop non plus, ce n’est pas vraiment la révolution qui triomphe avec Irigoyen. On l’a vu, l’homme n’est pas issu des bas-fonds de la société argentine, c’est un avocat doublé d’un confortable propriétaire terrien, ce n’est donc pas encore tout à fait le peuple qui arrive au pouvoir. Mais cette élection, qui met dehors, à la régulière, le vieux parti de la classe dominante, est quand même une sacrée victoire pour tous ceux qui jusque là, avaient été totalement exclus de la vie politique nationale. Car comme le rappelle l’historien Raúl Scalabrini Ortiz (« Irigoyen y Perón », Ed. Fabro, p.15) « Pendant 63 ans, de 1853 à 1916, l’oligarchie a gouverné le pays sans plus de contraintes que le choc des ambitions et de la cupidité de ses membres. Le gouvernement sortant choisissait le gouvernement suivant. Le peuple n’était rien d’autre qu’un producteur de richesses au bénéfice d’une autre partie de la société. Le pays n’avançait qu’à la mesure des désirs de l’Etranger et de son médiateur national ». Cette fois, le peuple avait donc pu choisir lui-même son destin : on comprend alors que l’avènement d’Irigoyen ait pu être vécu comme une réelle victoire populaire. Raúl Scalabrini, toujours (p.16) : « Revendiquer les droits du peuple, respecter sa volonté, équivalait à révolutionner l’ordre du régime. Celui qui incarnait la représentation légitime du peuple ne pouvait qu’être révolutionnaire au sens le plus complet du terme ». Et puis, ne pas oublier qu’Irigoyen avait participé à rien moins que trois révolutions destinées à renverser le régime conservateur. En somme, il devient naturellement le premier héros populaire de la politique argentine. Un « pré-Perón », en quelque sorte. On le verra plus tard, lorsqu’il sera lui-même confronté à la colère du peuple, lors de la « Semaine tragique » en 1919 et des grèves d’ouvriers agricoles en Patagonie en 1921, sa réaction le sera nettement moins, populaire. Mais il restera à jamais comme le premier président réellement élu au suffrage universel et non truqué de l’histoire argentine.

Hipólito Irigoyen – Photo DP

L’application de la loi est contestée !

          Coup de tonnerre, quelques jours à peine après la promulgation de la loi du l’avortement légal. María Beatriz Aucar de Trotti, une juge de la région du Chaco (Nord Argentine) a suspendu, sur plainte d’un groupe de particuliers, l’application de cette loi pour l’ensemble de la province. Motif invoqué : la loi serait incompatible avec la constitution régionale. Selon Clarín, la juge met en avant dans ses attendus que « l’article 15 de la constitution provinciale garantit le droit à la vie et à la liberté, depuis la conception, et ce pour toutes les personnes, et s’agissant d’une compétence partagée par la province et la nation, doit en conséquence primer l’interprétation (de la loi) la plus favorable à la personne humaine ». Une affirmation aussitôt contestée par l’association pour le droit à l’avortement de la province du Chaco, par la voix de la députée Tere Cubells, qui rappelle qu’une autorité provinciale ne peut décider d’appliquer ou non une loin nationale.
          Le Diario Popular s’étend sur les détails d’une querelle juridique qui devrait confronter les spécialistes du droit argentin les jours prochains. D’autant, signale ce journal, que face à une demande identique de citoyens de sa province il y a une dizaine de jours, le juge fédéral Julio Bavio, de la juridiction de Salta, avait statué de façon diamétralement opposée, arguant qu’il n’avait, lui, aucune compétence pour contester une loi votée par le pouvoir législatif national.
          Naturellement, comme le souligne dans son article le quotidien de gauche Pagina/12, l’offensive vient clairement des milieux conservateurs «pro-vie». Pagina/12 nous apprend en outre que la juge Trotti est une militante confessionnelle active, tout comme son mari, Ernesto Trotti, membre de la commission Justice et Paix de l’Archevêché du Chaco. Pagina/12 livre la liste des plaignants du Chaco : ils sont six, dont cinq femmes, toutes militantes actives de mouvements anti-avortement et anti « mariage pour tous » (Le mariage homosexuel est possible en Argentine depuis 2010). Des militants(es) anti-féministes.
          La décision de la juge du Chaco a été aussitôt vigoureusement critiquée par le ministre de la justice, Ginés González García, dans un tweet : «La juge du Chaco prend une mesure conservatoire pour interdire droit et santé aux femmes de la région. C’est incroyable. On utilise la justice pour ne pas respecter la loi !»
          Le débat promet d’être chaud. En effet, les partisans de l’inconstitutionnalité, comme par exemple Paco Achitte, chef de service de l’hôpital Perrando, cité par Clarín, argumentent que la loi (de légalisation de l’avortement) porte atteinte à l’autonomie des régions, et que celles-ci disposent toujours d’un droit de réserve en ce qui concerne un droit « non délégué » (formellement) au pouvoir national. Ce qui serait selon eux le cas de cette loi appliquée localement. Une ambigüité du droit argentin qui risque de compliquer sérieusement cette application, d’autant que d’autres régions, celles naturellement dominées par une majorité anti avortement, pourraient également se positionner dans le même sens. Paco Achitte, d’ailleurs, président du Parti « Ciudadanos A Gobernar », compte bien proposer pour sa région de Corrientes (Nord-est, frontière avec le Brésil) une « déclaration de non-adhésion au projet d’IVE (Interruption volontaire de grossesse, en espagnol) ».
          En Argentine, malgré la promulgation de la loi, le combat des femmes est encore loin d’être terminé.

1912 : la fin du P.A.N. et de la fraude électorale. Ou presque.

          L’histoire du Parti Autonomiste National (P.A.N.) commence en 1874, avec l’élection de Nicolas Avellaneda. Unification du Partido Nacional dirigé par ce dernier et du Partido autonomista d’Adolfo Alsina, à la base c’est un parti de tendance plutôt libérale et libre-échangiste, mais son mode de gouvernement, à la fois oligarchique, clientéliste et autoritaire, et ses pratiques électorales douteuses, consistant à se maintenir indéfiniment au pouvoir par le biais de la fraude, ont beaucoup altéré son image, pour en faire un simple parti conservateur de tendance autocratique. Il faut dire qu’à l’époque, on ne parlait pas de suffrage universel : c’était un collège d’électeurs plutôt réduit (moins de 300) qui décidait de l’élection ! Relativement facile à manipuler, comme on le comprendra, il était élu par les Parlements de province, selon le système dit de « la liste complète », qui permettait d’en exclure d’éventuels opposants. (Voir ici, p. 382) Des parlements massivement occupés par le pouvoir en place, grâce à l’influence et au prestige présidentiel d’une part, et au système dit du «Voto cantado» (Vote à voix haute, en quelque sorte : l’électeur aux élections locales devant se rendre au bureau électoral et faire enregistrer son choix soit en disant pour qu’il voulait voter, soit en choisissant un des bulletins posés sur la table, au vu et au su des membres du bureau. On voit d’ici ce que cela pouvait impliquer ! D’autant qu’une loi constitutionnelle donnait le droit au gouvernement en place d’intervenir dans les processus électoraux pour «protéger la forme républicaine de gouvernement» c’est-à-dire d’annuler arbitrairement les élections d’opposants [p. 383]).

Le vote à voix haute, caricature d’époque – Photo DP

– Halte, qui va là ?
– Un vote.
– Pour qui ?
– Pour Marcelino.
– Allez-y.

          Il est parvenu à se maintenir au pouvoir pendant 36 ans, soit six présidences (à l’époque, le mandat présidentiel argentin durait 6 ans), dont deux dirigées par le même Julio Roca (celui de la conquête du désert), à quelques années de distance. Il y eut un 7ème mandat, de 1910 à 1916, rempli par Roque Sáenz Peña puis, après son décès, par son vice-président Victorino de La Plaza, mais à cette époque, des scissions étaient apparues dans le parti, et ce président (Sáenz Peña) était le représentant d’une des tendances dissidentes, l’Union Nationale.

          On trouvera ici une histoire retraçant les dates marquantes de ce parti, mais attention : il s’agit du site du parti autonomiste actuel, et donc d’une présentation passablement orientée (Qui fait entre autres l’apologie de la Conquête du désert, décrite comme une guerre classique entre belligérants et ressert le mythe de la fraternisation entre vainqueurs et vaincus, les premiers apportant civilisation, santé et protection aux seconds !)

          La politique du P.A.N. durant toutes ces années de pouvoir fut toute entière mise au service de l’oligarchie dominante, essentiellement agricole. Dont, d’ailleurs, beaucoup d’élus étaient issus. Sous le règne du P.A.N., la concentration de la propriété des terres a atteint son maximum, détournant par ailleurs les grandes fortunes argentines d’un investissement industriel qui aurait pourtant été profitable à toute l’économie en maintenant son indépendance. Celui-ci, au contraire, a été largement «sous-traité» aux grandes puissances européennes, notamment britannique, française et allemande. Entre 1870 et 1914, par exemple, les investissements britanniques dans l’industrie argentine (chemin de fer, mines, produits manufacturés) ont été multipliés par 9 ! C’est en grande partie cette politique conservatrice (le pouvoir aux grands propriétaires terriens, l’industrie aux puissances étrangères) qui va conditionner le destin politique tout entier de l’Argentine, qui ne s’est jamais vraiment sortie de ce schéma, à part peut-être, dans les années du premier péronisme (1946-1955).

          Naturellement, cette omnipotence d’un seul parti a généré de nombreuses oppositions, mais, on l’a vu, celles-ci ont été aisément jugulées par un système électoral taillé pour résister à toutes les tempêtes. Il y a même eu une révolution, en 1890, dite «La revolución del parque», la révolution du parc, provoquée par la mauvaise gestion du Président Juárez Celman entrainant une crise économique aiguë. Les insurgés seront vaincus, mais Celman devra laisser sa place à son vice-président, Carlos Pellegrini, pour terminer le mandat.

Roque Sáenz Peña – Photo DP

          Ce n’est qu’en 1910 qu’on peut dater la véritable fin du règne du P.A.N. Roque Sáenz Peña, comme nous le disions plus haut, faisait bien partie du Parti autonomiste, mais toute une fraction de celui-ci, désireuse de moderniser le parti et surtout de mettre fin au système de fraude électorale, va faire scission en créant un nouveau mouvement, l’Union Nationale. C’est donc son candidat, Sáenz Peña, qui sera élu en 1910, et qui promulguera, deux ans plus tard, une loi fondamentale instituant le suffrage universel, obligatoire et surtout secret, et établissant des listes électorales fiables pour garantir la loyauté des scrutins. Oui bon, universel, universel, pas encore pour les femmes, malheureusement. Celles-ci devront attendre 1947 pour avoir le droit de mettre leur bulletin dans l’urne. Quant à la fin de la fraude, oui, un peu, pour quelques années. Elle ressortira des placards dans les années trente, pendant la fameuse «Décennie infâme», sous des gouvernements dominés par des militaires : celui de José Félix Uriburu d’abord (1930-1932), puis celui d’Agustín P. Justo (1932-1938) ensuite. Une décennie infâme qui va d’ailleurs durer un peu plus de dix ans, puisqu’elle se prolongera sous les mandats de Roberto Ortiz puis de son vice-président Ramón Castillo (1938-1943). Des joyeux drilles que n’aurait pas reniés le P.A.N. Un parti aujourd’hui toujours présent dans le paysage politique argentin, bien que tout à fait confidentiel : il a obtenu 0,13 % des voix à la présidentielle de 2019 !

La Gorge du diable est dans les détails (Iguazú)

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DU RIFIFI AUX CHUTES D’IGUAZU !

          Aujourd’hui 25 janvier, une petite information assez peu reprise par les grands journaux argentins, mais qui fait néanmoins un des titres de première page de La Nación.com, nous a conduit à ouvrir également celle du journal régional de la région de Misiones « El Territorio ».
          Nombreux sont les touristes, Argentins ou étrangers, qui passent par le superbe et célébrissime site des chutes d’Iguazú, à la frontière du Brésil et du Paraguay. Probablement le plus bel endroit au monde pour observer des cataractes impressionnantes, autant, sinon plus, que celles de Victoria ou celles du Niagara. En 2019, nous dit La Nación, le site a accueilli un nombre record de visiteurs : 1 635 000 ! Qui se massent sur les passerelles pour mitrailler les chutes et en rapporter des photos qui constitueront le clou de leurs albums de voyage, pour ceux qui en font ! Pour notre part, nous avons fait comme tout le monde, en 2008, dans un site probablement moins bien aménagé qu’il ne l’est aujourd’hui. Depuis, semble-t-il, certaines petites choses ont changé, pour les photographes amateurs comme pour les professionnels, et il ne nous a pas semblé inutile, pour les futurs visiteurs francophones, de les signaler ici.

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          Comme dans la plupart des grands sites touristiques de la planète, sur les passerelles d’observation d’Iguazú officie un certain nombre de photographes professionnels, qui vous mitraillent dès votre arrivée puis vous proposent ensuite d’acheter un ou plusieurs de ces clichés avant de repartir du site. Les photos sont généralement plutôt réussies, il faut bien le dire, et votre portait sur fond de chutes vertigineuses, avec le conjoint et/ou les enfants, peut naturellement constituer un souvenir inoubliable. Bref, malgré le prix plutôt prohibitif de l’objet, on est toujours plus ou moins tenté. Pour ces photographes, c’est un gagne-pain. Ils possèdent une autorisation officielle de l’administration du Parc et paient une patente pour pouvoir arpenter les passerelles et vous tirer le portrait. Jusque là, rien à redire, si ce n’est qu’ils peuvent parfois se montrer un brin importuns. Difficile d’admirer le paysage tranquillou sans être accosté par un de ces marchands du temple qui insiste pour que vous preniez la pose. Mais même si vous acceptez d’être photographié, rien ne vous oblige à acheter, heureusement. Enfin, presque. La mésaventure arrivée à un photographe de presse dernièrement nous a permis d’apprendre une subtilité réglementaire qu’il vaudra mieux savoir pour aller visiter le Parc en toute connaissance de cause. Samedi dernier (23 janvier), un photographe du quotidien régional «El Territorio», Sixto Fariña, venu lui aussi prendre des photos du site, s’est vu assez rudement pris à partie par les gardiens du Parc, son appareil confisqué, et sa carte mémoire effacée. Motif : il n’avait pas sollicité d’autorisation auprès de l’administration. Cette licence est gratuite pour la presse, mais néanmoins obligatoire. Ce sont les photographes officiels du Parc qui sont allés se plaindre, pour « concurrence déloyale ». Une accusation pour le moins étrange, puisque Sixto Fariña, bien entendu, n’avait aucune intention de vendre, lui, ses clichés aux touristes de passage. Certes, il avait omis de demander une autorisation. Et c’est là que le touriste doit prêter un instant d’attention.

La Garganta del Diablo – Photos PR

UN GESTE POUR AIDER LE PETIT COMMERCE SVP !      

          En effet, cette affaire, à travers la lecture attentive des deux articles de La Nación et du Territorio, nous apprend que depuis deux ans, les touristes doivent – en plus du prix d’entrée dans le Parc – s’acquitter d’un droit supplémentaire pour pouvoir entrer sur la passerelle la plus populaire – car la plus impressionnante – celle de la «Gorge du Diable» (Garganta del diablo) : à savoir, l’équivalent… du prix d’une photo de photographe professionnel ! Ainsi, rapporte El Territorio, «l’administration du Parc, aujourd’hui dirigée par Sergio Acosta, s’arroge le monopole du meilleur point de vue sur les chutes, pour le bénéfice de quelques-uns». (Par ailleurs, indique La Nación, toute une zone de la passerelle est strictement réservée aux professionnels, et interdite aux touristes, les privant ainsi d’un des meilleurs postes de photographie du lieu).
          Au-delà du malheureux incident concernant ce photographe de presse, et d’un certain abus de pouvoir des gardiens du Parc (qui n’avaient aucune qualité pour confisquer son appareil, et encore moins en vider le contenu), les touristes sont prévenus : plus question de photographier la «Garganta del diablo» gratis. Nul doute que la corporation des photographes professionnels du Parc a de l’influence : même le changement de gouvernement récent n’a pas amené l’administration à changer ce qui constitue, de notre point de vue, une forme d’impôt au bénéfice d’un groupe privé !
          L’histoire ne dit pas si le paiement de cette taxe supplémentaire vous donne droit… à une photo gratuite !

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