03 juin 2021 : Ni una menos !

NI UNA MENOS : le point sur les violences faites aux femmes

Aujourd’hui 3 juin 2021, on célèbre en Argentine le 6ème anniversaire de la naissance du mouvement «Ni una menos». Ce slogan, qui signifie littéralement «Pas une de moins », fait référence au nombre toujours important de féminicides commis dans ce pays qui, comme souvent lorsqu’on se réfère aux pays latins, est qualifié de «machiste». Il veut appeler à ce qu’il n’y ait plus une femme qui disparaisse pour cause d’assassinat machiste. En français, il est probable qu’on traduirait plus sûrement ce slogan par «Pas une de plus», dans la liste des victimes de ces violences. Passons sur ces problèmes, anecdotiques, de sémantique.

Photo DP – capture d’écran

Le 3 juin 2015, avait lieu la première manifestation sous le slogan «Ni una menos». 4 articles dans la presse argentine d’aujourd’hui viennent faire le point sur la situation des femmes dans le pays, 6 ans après cette première manifestation. Elle n’est guère brillante.
Citant le rapport de l’Office central de la femme et l’association «La Casa del encuentro», Clarín et le Diario Popular dressent un tableau peu encourageant de la situation, qui ne semble guère s’améliorer. En effet, les chiffres restent consternants. En 2020, on a compté 251 femmes assassinées, contre 252 en 2019. «Une de moins» souligne ironiquement Clarín. Sans parler des agressions qui n’ont heureusement pas débouché sur la mort des victimes. Depuis la première manifestation «Ni una menos», ce sont 1717 femmes qui sont mortes, selon le rapport officiel (1733 selon l’association «Casa del encuentro»). Privant de mère entre 1500 et 2000 enfants, selon les sources. 64 % des meurtres ont été commis par le mari, le compagnon, ou un ex des victimes, et dans 9 cas sur 10, l’agresseur était connu de sa victime. Dans 54% des cas, l’agression a lieu au sein du foyer.

QUE FAIT LA JUSTICE ?

Clarín relève que seules 20% des victimes avaient porté plainte contre leur agresseur au moins une fois avant de mourir sous ses coups. Et sur ces 20%, seulement la moitié avaient été placées sous protection judiciaire. Trop de juges ont tendance à minimiser les faits, et à rester passifs.
Pagina/12 révèle que le gouvernement vient de lancer un plan d’action, dénommé «Programa acercar derechos» (qu’on pourrait traduire approximativement par «Programme pour des droits plus accessibles»). Il s’agit de mettre à disposition des différentes provinces du pays des équipes spécialisées interdisciplinaires (avocats, psychologues, travailleurs sociaux)afin de venir en aide aux femmes victimes de violence et les accompagner dans leurs démarches auprès de la justice, ainsi que leur faciliter l’accès aux aides de l’état et leur fournir une aide psychologique.

QUE FAIT LE GOUVERNEMENT ?

Le gouvernement d’Alberto Fernández compte avec un ministère dédié, le «Ministère de la femme, du genre et de la diversité», dirigé par Elizabeth Gómez Alcorta, dont dépend également un service spécial appelé «Approche générale des violences en raison du genre», en charge de la coordination des politiques de défense du droit des femmes à travers le pays. En effet, un des problèmes réside dans le caractère très décentralisé de l’administration politique argentine, où les provinces et les municipalités gardent une certaine autonomie de décision, mais manquent souvent de moyens pour les mettre en œuvre. Par exemple, relève Josefina Kelly, membre du service, seulement 30% des municipalités possèdent un service dédié aux problèmes de genre. D’où la nécessité de renforcer leurs moyens, en les dotant de budgets spécifiques et en leur fournissant des personnels compétents. Il s’agit également de promouvoir des politiques de prévention efficace, notamment par l’éducation, la pédagogie et le renforcement du débat public. Selon une autre membre du cabinet, Laurana Malacalza, rien n’a été fait jusqu’ici pour mieux coordonner politiques publiques et politiques régionales, ni pour améliorer l’action de la Justice dans ce domaine.

Cela sera-t-il vraiment suffisant dans un pays où une femme meurt toutes les 35 heures sous les coups ? Quelle efficacité auront ces équipes du «Programa acercar derechos», comment seront-elles reçues dans les différentes provinces, dont certaines sont dirigées par des administrations d’opposition au gouvernement actuel ? De quels moyens réels, sonnants et trébuchants, disposeront-elles dans un pays en proie à une crise économique considérablement aggravée par l’actuelle crise sanitaire ? Peut-on espérer des chiffres moins désolants pour le 7ème anniversaire de «Ni una menos» en 2022 ? Pendant ce temps, hélas, les «affaires» semblent continuer : voir ici, et .

Photo DP

Sur le féminisime en Argentine, voir aussi l’excellent livre de Marie Audran, «Pibas», sur ce même site.

28 mai 2021. Revue de presse

Que retenir des grands titres de la presse argentine en ligne ce jourd’hui 28 mai ?

Le maudit virus fait toujours la une, on s’en doute. Comme partout, et à peu près dans les mêmes termes : en Argentine, on en est à la seconde vague, et les chiffres s’affolent. Clarín signale que le pays vient de franchir la barre des 40 000 cas quotidiens, pour 551 morts jeudi. Avec un pic historique d’admissions en soins intensifs : 6800. 38% des malades proviennent de la province de Buenos Aires, ce qui reste logique compte tenu de ce que le tiers des Argentins réside dans cette région. Selon Clarín, l’Argentine serait le 10ème pays le plus touché au monde.

Le gouvernement est durement critiqué par la presse d’opposition, à la fois pour l’inefficacité d’un confinement pourtant constamment prolongé (mais qui semble devoir s’alléger prochainement), et pour son incapacité à développer une politique vaccinale volontariste. La Nación titre sur «les explications rances d’Alberto Fernández (le président, NDLA) sur cet échec». Et notamment sur la campagne vaccinale, qui reste encalminée. D’après le quotidien conservateur, citant le site «Our World in data», la couverture vaccinale du pays n’excèderait pas 5,5%, à comparer avec ses voisins chilien (41,2%) et uruguayen (28,6%). Alberto Fernández de son côté, critique la firme Pfizer, disant avoir négocié la commande de 14 millions de doses, mais que le laboratoire américain avait exigé des conditions impossibles à satisfaire, et qu’il avait donc dû y renoncer. Selon le président, Pfizer «ne voulait simplement pas que le contrat aboutisse». Pour le moment, les vaccins les plus utilisés par l’Argentine restent donc le Sputnik V russe et le Sinopharm chinois, dont, en ce qui concerne ce dernier, les importations vont reprendre en juin et juillet, après une interruption due à la volonté chinoise de privilégier son propre public.

Comme souvent en Argentine, cette affaire de contrat rompu va se terminer devant les tribunaux. En effet, l’ancienne ministre de droite Patricia Bullrich a accusé le gouvernement d’avoir refusé l’offre de Pfizer par pure idéologie, pour privilégier les solutions russe et chinoise, ainsi qu’un conglomérat argentin associé à Astra Zeneca. Bullrich accuse également le gouvernement d’avoir pratiqué le favoritisme dans la distribution de vaccin, prétendant également que la vaccination était «un cadeau de fonctionnaire généreux», alors qu’il est financé par les deniers de l’Etat. Pire : elle est allée jusqu’à accuser le gouvernement d’avoir exigé des pots de vin de la part de Pfizer. Ce que la firme a aussitôt démenti. Le gouvernement assigne l’ancienne ministre pour diffamation, nous indique Clarín dans son article.

Pour le reste de l’actualité, à signaler que le débat se poursuit entre ministre de l’éducation et Communauté autonome de Buenos Aires (CABA) au sujet de la fermeture des écoles et l’enseignement à distance, le gouverneur de la CABA réaffirmant sa volonté de ne pas se soumettre aux mesures de fermeture décidées par le gouvernement. On se souvient que Buenos Aires avait porté l’affaire devant les tribunaux (eh oui, encore et toujours), et avait obtenu gain de cause, forçant la réouverture des établissements scolaires. (Voir notre article du 19 avril). Eh bien un groupe de juristes vient de porter plainte contre les quatre juges qui avaient donné raison à la CABA, pour mise en danger de la vie d’autrui, comme nous dirions chez nous, excès de pouvoir (ils ont invalidé une disposition nationale au profit d’une institution provinciale), défaut d’expertise (aucun expert compétent n’a été commis par les juges).

Le Diario Popular indique que l’Argentine s’est associée à 24 pays (sur 47) pour voter la résolution demandant une enquête sur des possibles violations des droits de l’homme en Israël et Palestine, à la Commission des Droits de l’homme de l’ONU. Un vote que la Chancellerie argentine a défendu en affirmant sa conformité avec le vœu exprimé par la Haute-Commissaire aux droits de l’homme de l’organisation internationale, Michelle Bachelet (Celle-ci avait notamment affirmé que «Les bombardements d’Israël sur Gaza pourraient être considérés comme des crimes de guerre»). L’enquête vise aussi bien le gouvernement israélien que le Hamas, mais Clarín souligne une certaine hypocrisie dans la résolution, puisque, selon ce journal, le Hamas n’étant pas un état constitué, il ne peut donc être directement concerné par cette enquête. Le quotidien anti péroniste pointe que l’Argentine a uni son vote à celui du Mexique, de la Bolivie, du Venezuela, de la Russie et de la Chine (pays que ce journal ne porte naturellement pas dans son cœur), contre celui de pays amis (et plus démocrates) comme les Etats-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Uruguay. Notons que lors de ce vote, le Brésil, l’Italie et la France ont préféré s’abstenir, une position que Clarín met en avant comme ce qu’aurait dû être celle de l’Argentine dans cette affaire.

Et pour finir, pêle-mêle :

On vient de découvrir qu’une résidence de maisons de luxe, fermée comme il se doit, sise à une petite heure de la capitale, piratait son électricité, comme dans un vulgaire bidonville. 38 maisons au tout électrique, grosse facture de rattrapage en prévision (Les propriétaires risquent même six ans de prison !). A lire dans La Nación et le Diario Popular.

Le voyage de notre Président Macron au Rwanda n’a pas suscité beaucoup d’intérêt en Argentine : un seul article, dans Pagina/12, qui rend compte du rapport Duclert et met l’accent sur les responsabilités des divers politiques de l’époque. Mais conclut en constatant que «la vérité finale sur la Rwanda n’est pas encore écrite. Cette vérité est toujours objet de querelles politiques entre adorateurs de Mitterrand et politiciens de droite, et il faudra attendre longtemps avant que l’histoire ne surgisse de l’ombre dans laquelle la culture coloniale et la morale idéologique la tiennent encore enfermée».

Allez, pour nous quitter sur un petit sourire, la blague papale aux fidèles brésiliens venus lui serrer la pince au Vatican. A leur demande : «Saint Père, priez pour nous, les Brésiliens», François aurait répondu tout de go : «Ah vous les Brésiliens, rien ne peut vous sauver. (Le Brésil), c’est beaucoup de Cachaça, et peu de prière !». Provoquant l’hilarité et la bonne humeur générale. Un marrant, Francisco, on vous dit ! A voir en texte et en images sur le Diario Popular !

¡Nada más por el momento !

4 mai 2021. La France rend le butin !

          Selon Pagina/12 du 4 mai 2021, la France va restituer à l’Argentine les restes mortuaires d’un chef Tehuelche, qui avaient été dérobés, en même temps que près de 1400 autres objets de diverses natures, par le Comte De La Vaux entre mars 1896 et juillet 1897, dans le sud argentin.
          Ces restes de Liempichún Sakamata, comprenant son squelette, mais également divers objets se trouvant dans sa sépulture, étriers, pendentifs, pièces d’argent, ont été exposés au Musée de l’Homme à Paris jusqu’en 2009, avant d’être relégués à la réserve du musée.
          «C’est un pas important vers la réparation historique des dommages causés à nos communautés», a commenté l’anthropologue de L’institut National des Affaires indigènes, Fernando Miguel Pepe, qui a soutenu depuis 2015 la demande de la communauté Tehuelche. «Mais cette victoire est essentiellement l’œuvre des peuples premiers, lesquels n’ont cessé de se battre pour que soit reconnu ce droit humain universel qu’est celui de pouvoir donner une sépulture à leurs ancêtres telle que leur dicte leur cosmovision».
          Pagina/12 relève que la restitution antérieure, par la France, des crânes de 24 Algériens assassinés pendant la bataille qui a conduit à la prise de Zaatcha par le général Herbillon en 1849, aura constitué un précédent favorable.
          Ces restitutions, tout comme celle, aussi récente, des biens culturels dérobés pendant les guerres coloniales au Bénin et au Sénégal, marque un net changement dans la politique française par rapport à ce problème. Notre pays s’est très longtemps montré plus que rétif, invoquant hypocritement, comme le faisait par exemple l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault , «l’inaliénabilité des œuvres détenues par les musées nationaux». Ou encore, le danger qu’il y avait à restituer des œuvres qui, argumentait-on, seraient bien mieux conservées en France que dans leur pays d’origine. En somme, le voleur prétendant que les biens volés étaient finalement dans de meilleures mains que celles de leur légitime propriétaire !
          Les Tehuelches, appelés également Aonikenk, sont un peuple de Patagonie, dont le territoire s’étend sur deux pays, l’Argentine et le Chili. S’ils ont pratiquement totalement disparu de ce dernier pays, un recensement de 2010 évalue leur population en Argentine à 28 000 environ, dont une partie métissée avec une autre communauté indienne, les Mapuches. La plupart vit actuellement dans la province de Santa Cruz, connue pour ses immenses glaciers andins.

Répartition des peuples indigènes – Source : Wikipedia.org

Les langues indiennes – Source : wiki commons

Voir également sur ce blog, sur le sujet des peuples indigènes :
La conquête du désert.

¿Buenos o malos aires?

Escrito el 22 de enero de 2020

          Es LA pregunta, cuando me interrogan sobre mi pasión por la capital argentina. Y ya que no me gusta, cuando se me hace una pregunta, no saber qué contestar, tengo la respuesta preparada. ¿Lo que me gusta de Buenos Aires? Su alma, su ambiente, su atmósfera.

          Ya. O sea, la típica respuesta cursi, la fórmula rimbombante por excelencia. El alma, la atmósfera, esas palabras tan vacías que uno puede llenarlas con todo lo que le viene a la gana. Hay lugar. Pero sin embargo… Sí que hay algo en el aire, en la atmósfera, algo difícil de describir, pero que hace de Buenos Aires una ciudad que no se parece a ninguna otra, bueno, dentro de las que ya visité, en Francia o en otros países. Ya, ¿y entonces? ¿Qué? ¿Qué es lo que se puede entender detrás de esas palabras?

          Me lo pregunto. Ya que en realidad, por qué amo esta ciudad, si me paro un rato a reflexionar, en absoluto no lo sé. Si me paro un rato a reflexionar, si me paro cinco minutos para medir sus encantos, lo que veo primero son sus defectos. Dicho de manera desordenada: es una ciudad demasiado grande, ruidosa, mal cuidada, anárquica, imposible de entender para el viajero ocasional, hasta puede presentar un ambiente hostil a veces, en ciertos barrios a ciertas horas. Al contrario de otras capitales más valoradas, como Paris o Londres, muestra una cara totalmente disonante en cuanto a la arquitectura. Permitieron los peores atentados al buen gusto, el vandalismo más salvaje contra la historia, justificaron, hasta alentaron destrucciones irreparables contra edificios que nunca más podrán testificar del pasado sin embargo tan apasionante de esta ciudad.

          Tomemos de ejemplo el barrio que mejor conozco puesto que resido aquí cuando voy a Argentina: La Recoleta. Leer las guías, ver los documentales, siempre sale el mismo refrán: Recoleta es “el barrio más parisino de Buenos Aires”. Bueno, no es que sea totalmente falso. Recoleta es más parisino que San Nicolás, La Boca, Palermo, Balvanera… eso sí. Y mucho. Pero hay que relativizar un poco. Depende de lo que uno entiende por “parisino”, claro.

          El nombre del barrio viene del francés: aquí los “Recollets”, monjes franciscanos que venían de Francia, construyeron un convento a principios del siglo XVIII. Luego, hubo una ola de migración francesa entre 1840 y 1850, una década de fuerte inmigración gala. La única, puesto que la siguiente, entre 1890 y 1910 trajo sobre todo italianos, alemanes y europeos del este, sin hablar de los españoles, claro, siempre mayoritarios (Una curiosidad en cuanto a la inmigración española. Como dentro de ellos figuraba un montón de gente procedente de Galicia, permaneció el apodo: en Argentina, un inmigrante español siempre lo califican de “gallego”).

          No se puede cuestionar que Francia dejo ciertas huellas arquitecturales en el barrio, que todavía se pueden notar allí o allá, como por ejemplo el Palacio Duhau o unos edificios “haussmanianos”, (del barón Haussmann, quien tanto influyo en el aspecto actual de Paris durante el reino de Napoleón III), o “art déco”, ya que esta influencia francesa se mantuvo hasta 1930, más o menos.

          Pero la verdad es que Argentina es un país americano, con todas sus cualidades y todos sus defectos. Quiero decir que aquí la única regla en arquitectura, es… que no hay ninguna regla. No existe un organismo como “Bâtiments de France” en Argentina, para proteger el patrimonio arquitectural nacional.

         Los años 60 (años en que, además, gobernaron sobre todo militares poco aficionados a la piedra antigua), ansiosas de encontrar espacio para la vivienda, fueron devastadoras. No se alzó nadie para defender los edificios históricos. No sólo destruyeron mucho, pero también construyeron sin reglas, tanto en lo que se refiere al estilo como en lo que se refiere a la altura o los materiales utilizados. Así poco a poco la ciudad se vuelve un mero “patchwork” de construcciones heterogéneas. Por ejemplo, avenida Callao:

Y así se podrían multiplicar los “encontronazos”.

          Así que no puedo, verdaderamente, pretender que Buenos Aires sea “una ciudad linda”. Ni hablar de las veredas (cuidado con los baches y las placas que sobresalen), tampoco de los enormes contenedores de basura en plena calle, o de las avenidas repletas de coches bocinando (Buenos Aires cuenta con tan sólo una calle peatonal, la Florida). No, no es por su belleza que amo a esta ciudad. Paris, Londres, Madrid, Viena, son ciudades muchos más lindas en cuanto a su arquitectura. Ciudades cuyo patrimonio supieron preservar, y donde no se permitió a los promotores realizar masacres armados de martillos neumáticos y hormigoneras. Aunque ojo, incluso en Paris, si uno se pasea en la zona de la “Porte d’Italie”, por ejemplo, se puede constatar también como se perpetraron atentados irreparables…

          Cuidado que no estoy pretendiendo que Buenos Aires ya no tiene patrimonio. Queda mucho, por suerte. Además desde una década hay una toma de consciencia, y el tiempo alegre de la fiesta destructiva parece haber terminado. Sin embargo ya es demasiado tarde para algunos tesoros desaparecidos. Se cometieron daños irreversibles. No queda nada por ejemplo de los conventillos de San Telmo, que albergaron los migrantes del fin de siglo XIX. Nada del primer puerto de la ciudad, en La Boca, convertido en teatro para turistas, con sus casas pintadas y sus falsos bares de tango (Para el tango, ir hasta Boedo, menos ostentoso pero mucho más autentico).

          Bueno, entonces, ¿Acaso nos va a escupir porque te gusta tanto esta ciudad desvencijada? Exactamente eso: sus cicatrices, sus dolores, su nostalgia para una historia cuyos testigos ya fallecieron casi todos, su alma de ciudad herida, martirizada, arruinada, pero sin embargo tan viva, tan alegre, tan optimista a pesar de las brutalidades del tiempo, de la economía y de la corrupción de sus elites políticas. O sea que lo que me gusta ante todo en esta ciudad son sus habitantes, los porteños. Los que animan a su alma, que modelan su ambiente, y calientan su atmósfera.

 

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Para ilustrar este artículo, añadí una pequeña galería de fotos abajo. Intenté elegir unas imágenes representativas de la arquitectura porteña.

(Todas las fotos son del autor del presente artículo)

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Pequeño panorama de la arquitectura porteña:

LA RECOLETA, esquina Juncal y Talcahuano:

LA PLAZA DE MAYO. A la izquierda, el Cabildo, en frente la catedral.

Avenida Santa Fe:

SAN TELMO

Otra vez en SAN TELMO, calle San Lorenzo:

Avenida Corrientes:

Entrada al « Caminito », barrio de La Boca

En 1940 :

70 años más tarde:

LA BOCA para los turistas:

LA BOCA de los porteños:

PALERMO:

PUERTO MADERO:

La tienda inglesa Harrods, esquina de San Martín y Córdoba. Abandonada desde 1998:

PARQUE CHAS, barrio residencial en el norte de Buenos Aires:

 

 

Y para terminar, al voleo:

 

 

 

 

 

 

 

PV

Pourquoi aimer Buenos Aires ?

Rédigé le 22 janvier 2020

          C’est une question qui revient souvent, lorsqu’on m’interroge sur ma passion pour cette ville. Comme j’ai horreur, en général, de ne pas savoir répondre à une question, j’en ai donc une toute prête pour celle-ci. Ce que j’aime de Buenos Aires ? Son âme, son ambiance, son atmosphère.

         Voilà bien une réponse qui sent la formulation toute faite, prête à l’emploi. «L’âme», «l’atmosphère», ces mots tellement creux qu’on peut y faire rentrer tout ce qu’on veut, il y a de la place. Mais pourtant… Il ya quelque chose dans l’air, dans l’atmosphère, justement, difficile à décrire, mais qui fait que cette ville ne ressemble à aucune autre, enfin, parmi celles que j’ai eu la chance de visiter, en France et ailleurs. Alors quoi, hein ? Qu’est-ce qu’on peut mettre de réel derrière ces mots ?
Je me le demande sérieusement. Parce qu’en réalité, pourquoi j’aime tant cette ville, si je réfléchis un peu, je n’en sais fichtre rien.

          Parce que si je me pose cinq minutes pour l’observer dans tous ses atours, pour la regarder vivre dans tout son quotidien, ce que je constate d’abord, c’est qu’elle ne manque pas de défauts. Pêle-mêle : c’est une ville trop grande, sale, bruyante, assez mal entretenue, désordonnée, incompréhensible au voyageur de passage, voire hostile parfois, à certains moments ou dans certains quartiers. Contrairement à d’autres capitales plus huppées, comme Paris ou Londres, elle est totalement disharmonique, architecturalement parlant. On y a autorisé les pires attentats au bon goût, permis le plus sauvage vandalisme contre l’Histoire, justifié, voire même encouragé des destructions irréparables contre des bâtiments qui ne pourront plus jamais témoigner du passé pourtant passionnant de cette ville.

          Prenons par exemple le quartier que je connais maintenant le mieux : La Recoleta. Consultez les guides, lisez les brochures, regardez les documentaires, vous entendrez toujours le même refrain : Recoleta, c’est le «quartier le plus parisien de Buenos Aires». Ce n’est pas tout à fait faux : le plus parisien, certainement. Plus parisien que San Nicolas, que la Boca, que Palermo, que Balvanera… Naturellement. Tout dépend de ce qu’on entend par «parisien».

          Le nom même du quartier est d’origine française : c’est à cet endroit que les «Recollets», moines franciscains venus de France, ont installé un couvent au début du XVIIIème siècle. Puis, seconde vague française vers 1840, décennie de forte immigration gauloise. La seule, d’ailleurs, car ensuite, durant l’autre grande vague migratoire européenne vers l’Argentine, entre 1890 et 1910, ce sont surtout les Italiens, les Allemands et les Européens de l’est qui sont arrivés. (Je ne parle pas des Espagnols, migrants permanents vers ce pays. C’est rigolo d’ailleurs : au XIXème siècle, c’était surtout des galiciens qui venaient, du coup le nom est resté. Pour un Argentin, un Espagnol d’origine, c’est toujours un «gallego»).

          Il n’en est pas moins vrai qu’au cours du XIXème, la France a laissé une assez forte empreinte architecturale sur le quartier, dont il reste quelques traces marquantes, comme le Palais Duhau ou quelques immeubles effectivement «haussmanniens», voire art déco, car cette influence s’est maintenue jusqu’en 1930 à peu près.

          Seulement voilà : l’Argentine est un pays américain dans toute sa splendeur. Je veux dire par là que la seule règle qui vaille, c’est qu’il n’y en a pas. De règle. Pas de «Bâtiments d’Argentine» comme il y a les «Bâtiments de France», pour protéger le patrimoine historique.

          Les années soixante (durant lesquelles, de surcroit, dominèrent des gouvernements militaires ultra-libéraux pas vraiment amateurs de vieilles pierres), avides d’espace pour le logement, ont été dévastatrices. Et personne pour défendre les édifices historiques. Non seulement on a beaucoup démoli, mais on a construit sans règle, donc. Ni pour le style, ni pour les hauteurs, ni pour les matériaux. C’est ainsi que peu à peu, la ville s’est retrouvée totalement «mitée», ne formant plus qu’un vilain patchwork de constructions hétéroclites.

          Tenez, par exemple, sur l’avenue Callao :

Photo PV

          On pourrait multiplier les exemples d’ «encontronazos», comme on dit ici, de chocs de culture.

          Alors non, je ne peux pas prétendre que Buenos Aires soit une belle capitale. Ne parlons pas des trottoirs (gaffe aux trous et aux plaques descellées), des conteneurs à poubelles énormes, le long des rues, et qui débordent, et des avenues livrées aux voitures (une seule pauvre rue piétonne dans le micro-centre : la rue Florida). Ce n’est pas pour sa beauté que j’aime tant cette ville. Paris, Londres, Madrid, Rome, Vienne, sont des villes bien plus belles architecturalement parlant. Des villes où on a su préserver le patrimoine, et où on n’a pas permis partout que des promoteurs massacrent l’histoire à coup de marteaux-piqueurs et de bétonnières. (Je dis bien «pas partout», parce que si on va faire un tour du côté du quartier de la Porte d’Italie à Paris, hein…)

          Attention cependant : je ne suis pas non plus en train de dire que Buenos Aires n’a plus de patrimoine. Il en reste quand même pas mal, heureusement. Et depuis une dizaine d’années, une prise de conscience a eu lieu, et le joyeux temps du n’importe semble terminé.

          Mais hélas, des dégâts irréversibles ont été commis. Il ne reste plus rien, par exemple, des conventillos de San Telmo, qui abritaient les émigrants du début du XXème. Plus rien non plus du premier quartier portuaire, transformé en guignol à touristes avec ses maisons peintes et ses fausses boites à tango. (Pour le tango, allez voir à Boedo, c’est moins pimpant, mais bien plus authentique).

          Alors quoi, qu’est-ce que tu aimes tant, de cette ville déglinguée ? Ben justement ça : ses cicatrices, ses douleurs, sa nostalgie pour une histoire dont on a tué tous les témoins, son âme de ville blessée, martyrisée, enlaidie, mais pourtant tellement vivante, tellement gaie, tellement optimiste en dépit des brutalités du temps, de l’économie et de la corruption de son personnel politique. En somme, ce que j’aime de Buenos Aires, surtout, ce sont les Portègnes, comme s’appellent ici les habitants. Et qui font… son âme, son ambiance et son atmosphère.

          Pour illustrer mon propos, vous trouverez ci-dessous en annexe une petite galerie photos, où j’ai essayé de vous présenter les diverses facettes de l’architecture portègne !

          (Toutes les photos sont du rédacteur de cet article)

 

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GALERIE PHOTOS : petit tour d’horizon architectural.

La Recoleta, au coin des rues Juncal et Talcahuano :

Plaza de Mayo. A gauche, le Cabildo, en face, la cathédrale :

Avenue Santa Fe :

San Telmo :

Toujours dans San Telmo, rue San Lorenzo :

Avenue Corrientes :

L’entrée du Caminito, quartier de La Boca :

En 1940

70 ans plus tard

La Boca pour les touristes :

 

La Boca au naturel :

 

Palermo :

Puerto Madero :

Le magasin anglais Harrods, au coin de la rue San Martín et de l’avenue Córdoba. Friche commerciale depuis 1998 :

Parque Chas, quartier résidentiel au nord de Buenos Aires :

 

 

Et un petit « pêle-mêle » au hasard des rues, pour finir :

Écoles ouvertes ou fermées ?

          Alors, classes en présentiel ou pas ? C’est le débat qui secoue l’Argentine en ce moment. Et plus particulièrement l’agglomération de «L’AMBA », la métropole du « grand Buenos Aires», où vit le tiers de la population du pays, quand même.
          Le gouvernement péroniste d’Alberto Fernández avait souhaité renforcer les mesures sanitaires, à un moment où la deuxième vague est en plein essor, et où l’épidémie est de plus en plus difficile à contrôler, avec l’arrivée des mauvais jours (l’automne vient de débuter là-bas). Il avait donc jugé bon de prendre un décret pour fermer momentanément les écoles, à l’image de ce qui a pu se faire en Europe, notamment en Italie et, actuellement, en France. Aussitôt, un certain nombre de parents d’élèves mécontents ont organisé des «cacerolazos», concerts de casseroles sur les balcons, en signe de protestation. La municipalité de Buenos Aires, représentée par le gouverneur Horacio Rodríguez Larreta (opposition de droite) a attaqué le décret en justice. Avec succès : le décret a été suspendu, dans l’attente d’une autre décision de la Cour Suprême.
          Selon le journal pro-gouvernemental Pagina/12, il s’agit d’un jugement partisan, et d’une décision rendue par des juges «macristes», favorables à l’opposition de droite. Un jugement « jaune , pour reprendre la couleur du PRO (Propuesta republicana, parti de l’ancien président Mauricio Macri), d’autant que l’une des juges n’est autre que l’épouse du secrétaire général de ce parti.
          Le ministre de la justice a exprimé sa déception en relevant que «Le président (avait) pris une décision visant à préserver la vie de milliers d’Argentins, et non voulu s’immiscer dans les politiques éducatives». La décision de la Cour d’Appel est intervenue par ailleurs seulement quelques heures après la nouvelle d’un troisième décès de professeur dans la ville, toujours selon Pagina/12.
          Dans son jugement, détaillé par Clarín, la Cour pointe le manque d’éléments concrets prouvant une augmentation des contagions dans les transports publics utilisés par les élèves, selon Clarín, le principal argument avancé par le gouvernement pour fermer les écoles.
          Aussitôt le jugement rendu, les réactions ne se sont pas faites attendre. La municipalité a annoncé une série de mesures visant à organiser au mieux l’accueil des élèves, tandis que deux syndicats d’enseignants décidaient de se mettre en grève. De son côté, le ministre de la Santé, Martín Soria, a qualifié de « mascarade » (Mamarracho) juridique la décision du tribunal, pointant que les juges et le gouvernement de la ville seraient tenus pour responsables des conséquences sanitaires de celle-ci, une décision uniquement «politique».
          Dans une interview à Pagina/12, Daniel Gollan, le ministre de la Santé de la province, a critiqué le changement de cap des autorités municipales, qui avaient indiqué dans un premier temps qu’elles-mêmes prononceraient cette fermeture en cas de progression des contagions, mais auraient, selon lui, changé d’orientation par pure spéculation électoraliste. La municipalité de Buenos Aires, selon lui, nie la gravité de la situation, par pure démagogie. «Nous sommes pour les classes en présentiel, dit Gollan, mais comme nous étions convenus avec eux (la municipalité) en février dernier, si la courbe progressait nous devions prendre des mesures sanitaires générales, qui incluaient l’univers scolaire».
          Comme on le voit, la crise sanitaire, aussi difficile à gérer en Argentine que partout ailleurs, reste ici comme chez nous également un facteur de division et de récupérations politiques de tous ordres. Mais en Argentine peut-être plus qu’ailleurs, les clivages sont particulièrement marqués, et peuvent avoir tendance à renvoyer au second plan des débats d’intérêt général. Car ici, hélas, ces débats-là se règlent plus facilement dans les tribunaux ou dans la rue qu’autour des tables.

Derniers articles parus

(NB. Si vous souhaitez recevoir directement par courriel les notifications de nouvelles parutions : voir rubrique contact.)

05/01/2025. La Mémoire courte. Menace sur la politique des droits humains en Argentine. Le gouvernement de Javier Milei, dont on connait la nostalgie pour les heureux temps de la dictature militaire, attaque les politiques de mémoire, en réduisant les moyens des Centres mémoriels et de certains musées. Sous couvert de « restructurations », il licencie du personnel et cherche à réorienter les thématiques abordées dans ces Centres, pour en édulcorer le sens et surtout, faire oublier les crimes d’état commis par les militaires.

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18/12/2024. Mercosur : où en est l’agriculture argentine ? L’Union Européenne est sur le point de finaliser l’accord avec les cinq pays sud-américains du Mercosur. Nos agriculteurs français sont furieux et crient à la concurrence déloyale, car l’agriculture de là-bas, selon eux, n’est pas soumise aux mêmes normes que la nôtre. Qu’en est-il en Argentine, plus particulièrement ?

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12/12/2024. Non-lieu pour les rugbymen français. Fin du feuilleton commencé cette été pendant la tournée des internationaux français en Argentine. Hugo Auradou et Oscar Jégou ont été déclarés innocents de l’accusation de viol en réunion portée par une jeune infirmière argentine qu’ils avaient rencontrée en boite de nuit.

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12/11/2024. Victoire de Trump : perceptions argentines. L’élection de Trump, quelles réactions, quelles conséquences pour l’Argentine de l’ami de Donald et d’Elon Musk, le président Javier Milei ? On a fait le tour de la presse argentine, pour prendre la température.

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06/11/2024. Des glaciers en danger ! En Patagonie argentine, le parc national des glaciers représente une des plus grandes réserves d’eau mondiale après l’Antarctique. Toute cette zone, ainsi que le côté chilien, non moins riche en glaciers, est aujourd’hui menacée par le réchauffement climatique : depuis une dizaine d’années, leur diminution s’accélère.

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31/10/2024. L’Argentine s’isole. La ministre des Affaires étrangères argentine, Diana Mondino, vient d’être limogée par le président Milei. Il lui reproche d’avoir fait voter l’Argentine en faveur d’une résolution de l’ONU condamnant le blocus contre Cuba. Seuls deux pays ont voté contre cette énième résolution : les États-Unis, bien sûr, et Israël. En prenant cette position, Milei isole un peu plus son pays sur la scène internationale, après avoir traité l’ONU d’institution inutile.

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16/09/2024. San Telmo et son histoire. Nous avions déjà donné un aperçu de ce quartier, un des plus anciens de Buenos Aires. Voici une brève relation de son histoire, de la première fondation de Buenos Aires à nos jours.

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03/09/2024. Point sur l’actualité. Les dernières nouvelles d’Argentine : ça va bien, mais ça va très mal. Ou le contraire.

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28/08/2024. L’affaire des deux rugbymen français. Début juillet, dans le cadre de la tournée de l’équipe de France de rugby en Argentine, deux joueurs ont été accusés de viol en réunion et placés en garde à vue. Où en est-on de cette affaire après un mois et demi d’instruction ?

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22/06/2024. Eaux-fortes de Buenos Aires. Il y a peu de chances pour vous connaissiez, ou même ayez entendu parler, de l’écrivain Roberto Arlt (1900-1942). Il n’a hélas pas vécu suffisamment longtemps pour avoir le temps de constituer une œuvre conséquente. Mais il aurait pu faire partie des grands classique, au même titre qu’un Borges, un Sabato ou un Cortazar. Nous vous le présentons ici, et notamment son recueil de textes « Eau-fortes de Buenos-Aires », petit bijou de sociologie historique, formidable témoignage de la vie quotidienne dans la capitale argentine entre 1928 et 1933.

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08/06/2024. Salauds de pauvres ! Crise dans les soupes populaires. Le gouvernement, pour lequel l’aide sociale n’est rien d’autre qu’un détournement de fonds au détriment de la société dans son ensemble, les a fait fermer, privant ainsi les 50% de pauvres argentins (dernier chiffre en date) d’un recours alimentaire précieux. Un peu comme si ici, on fermait les restaus du cœur. Des tonnes de nourriture pourrissent désormais dans des hangars, faute de distribution, une distribution qui a cependant repris, désormais assurée par l’armée, mais selon une répartition très inégalitaire selon les régions.

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11/05/2024. Le niveau de vie des Argentins. Un petit point sur la situation économique en Argentine, quatre mois après l’installation du nouveau gouvernement ultra-libéral de Javier Milei. Quel revenu aujourd’hui pour faire partie de la classe moyenne ? Quel seuil pour la pauvreté ? Quelles perspectives après les mesures drastiques d’austérité ?

 

 

 

 

Pibas, livre vert du féminisme argentin

          Il y a quelque temps, une amie, qui connait mon intérêt pour tout ce qui se passe en Argentine, d’une part, et pour les idées progressistes d’autre part, m’a offert un curieux petit livre au titre on ne peut plus argentin «Pibas» (gamines, en espagnol de là-bas).
          Il est l’œuvre d’une française, Marie Audran, qui est allée à La Plata (une ville située à une soixantaine de kilomètres au sud de la capitale, Buenos Aires). Elle y a rencontré des jeunes de 13 à 20 ans, au moment où la bataille législative sur la légalisation de l’avortement battait son plein au Congrès de la Nation.
          Elle en a ramené une suite d’entretiens avec des filles, mais aussi des garçons, dans lesquels ils/elles livrent leur vision de la société argentine , de son futur, et des espoirs qu’ils/elles fondent sur leurs propres capacités à faire changer les choses, dans un pays miné par les divisions politiques, le conservatisme, le populisme et la corruption des élites.
          Marie Audran entrecoupe les comptes-rendus de ces entretiens de mises en contexte utiles pour le lecteur étranger qui ne connaitrait pas, ou superficiellement, l’Argentine. Elle présente les diverses associations féministes, comme celles des HIJXS (Filles et fils pour l’identité et la justice et contre l’oubli) issue de celle des «Grands-mères de la place de Mai», luttant pour retrouver les enfants volés de la dictature, les associations d’élèves (centres étudiants), ou le collectif «Socorristas en red» (secouristes en réseau), qui accompagne les femmes devant se faire avorter. Elle rappelle l’héritage de la dictature militaire de 1976-1983, et le positionnement politique des trois derniers gouvernants du pays, Nestor et Cristina Kirchner et Mauricio Macri.
          Tout au long du livre, on suit le cheminement intellectuel d’une douzaine de jeunes, dans le rapport qu’ils entretiennent avec la société dans laquelle ils vivent, et comment ils aimeraient la voir changer vers plus de solidarité, d’humanisme et d’égalité, que ce soit de classes ou de genres.

Quelques extraits, tirés des entretiens.

« Je n’ai jamais rien lu sur le féminisme, mais des choses réelles me sont arrivées, des choses que j’ai vécues dans ma chair. (…) Je me rappelle (….) d’une fois dans le bus, d’une femme qui était avec son petit garçon qui n’arrêtait pas de pleurer. Elle lui a dit «Mais arrête, tu ressembles à une fille». Et moi j’ai pensé «Quoi ? Je ne comprends pas… C’est n’importe quoi…» Ensuite, un homme âgé est monté avec une petite fille qui avait l’air d’être aussi l’enfant de cette femme. Ils faisaient des chatouilles à la petite fille. Le petit garçon a commencé à frapper la fille et l’homme a rigolé et a dit «Ah ah ! Ni una menos !» (Plus une en moins, slogan féministe contre les féminicides, dérivé de l’autre slogan « pas une morte de plus » NDLA) et il a fait semblant de la frapper. Je ne suis jamais descendue du bus aussi énervée. Ma journée était gâchée. Cette scène, je l’ai vue. Je me suis demandé comment ça devait être chez eux s’ils font ça dans le bus. Sans honte. »
Vicky, 13 ans.

« Aujourd’hui, il est temps que les femmes soient maîtresses de leur corps. Ni Macri (Mauricio Macri, président de l’Argentine à l’époque de l’entretien. NDLA) ni le Pape ne pourra freiner la vague féministe qui parcourt le monde.»
Ornella, 24 ans

« Moi, j’ai l’impression qu’on est la nouvelle génération. On se forme : en nous organisant, en allant à des réunions, en nous politisant et en portant les débats dans nos sphères respectives, dans nos écoles, on essaie d’inclure d’autres personnes à tout ça. Pour les temps à venir, on doit tout améliorer dès maintenant. S’impliquer dans les problématiques de la société et pas seulement dans celles de l’école, ne pas rester les bras croisés, mais être de vrais acteurs de ce qui est en train de se passer.»
Marcos, 18 ans.

« Du coup, tu ressens plus d’empathie pour les autres. Tu ne laisses pas quelqu’un se faire insulter devant toi. A chaque fois que quelqu’un fait un commentaire machiste, les pibas lui disent : « Eh ! Ta gueule ! ». Avant, les mecs parlaient mal et étaient morts de rire. Aujourd’hui, je m’en rends plus compte et je fais plus attention. »
Araceli, 19 ans.

« Il y avait une question qui commençait à nous traverser l’esprit – on avait entre 12 et 13 ans –, c’était pourquoi on nous criait des trucs dans la rue, ou qu’on se sentait mal à l’aise à cause de la présence d’un homme en se promenant. Ça, ça n’arrivait pas à mon frère. Tu te mets à faire ces petites comparaisons de la vie quotidienne. Aucune femme n’aime qu’on lui crie des choses dans la rue, mais ça nous arrivait à toutes. On commençait à se poser des questions : « Pourquoi un type pense qu’il peut se permettre de me crier ça ? » Quand tu as 12, 13, 14 ans, ce que tu penses, ce n’est pas « fils de pute », non, tu ne penses pas ça : tu te sens coupable. C’est en tout cas ce qui m’arrivait à l’époque, puis je m’en suis libérée. Me rendre compte à 13 ans que je n’étais pas coupable de cette situation. Ça a été un vrai déclencheur. Moi, 13 ans, victime de harcèlement de rue. J’ai mis plus de temps pour relier ça à des situations où le corps est considéré comme un objet. Je ne le remarquais pas directement. Je ne le reliais pas avec le regard que les hommes ont sur nos corps. »

« Pour moi, ça a été incroyable. Comme quand les choses commencent à avoir du sens. Tu vis dans un monde où tout semble être établi et d’un coup tu commences à faire des liens. Et ça a été comme ça avec tous les sujets. »

« Quand tu es ado et que tu commences à faire tous ces liens et à te rendre compte que ton corps est politique, il se passe quelque chose de très beau. »
Marina, 18 ans.

« … ils nous mettent des barrières, et nous, on saute par-dessus. »
Helena, 18 ans.

« Nous sommes tous des êtres politiques. Nous nous révolutionnerons toujours. Moi, je me suis révolutionnée. C’est sûr. Petit à petit, j’ai découvert ce que je pensais vraiment, car tout ce que je racontais avant, tout ce qu’on m’avait inculqué et tout ce que j’avais entendu de mes parents ou à l’école, tout ce que je pensais acquis a été bouleversé. Tout s’est retrouvé sens dessus dessous. »
Mercedes, 17 ans.

En complément :

Cualca fractal, la chaine youtube de l’humoriste féministe Malena Pichot.
https://www.youtube.com/channel/UCLy9QLv0obCtnYIR0bKJ37A

Site de la revue féministe argentine en ligne « Anfibia »
http://revistaanfibia.com/

(Références citées dans le livre)

 

1930 : premier coup d’état militaire

Place du Congrès – Buenos Aires – septembre 1930 – Photo DP
  1. CRISE ECONOMIQUE, CRISE POLITIQUE 

           1929, on le sait, est marquée par une grande crise économique. Pour y faire face, la Grande-Bretagne crée le Commonwealth englobant dans un premier temps le Canada, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. De grands concurrents de l’Argentine sur le marché mondial des viandes. Par ailleurs, trois autres grandes puissances restreignent leurs importations : États-Unis, Allemagne et France. Résultat : le secteur exportateur argentin, largement dépendant de l’élevage, s’effondre, et avec lui, l’entrée des devises nécessaires aux importations de biens manufacturés. Malgré cela, Irigoyen et son gouvernement continuent de creuser le déficit en alimentant le paiement de la dette.

          Pour faire face au problème de l’import, l’Argentine cherche à renforcer son marché intérieur, investissant dans la production nationale, par la création d’une industrie manufacturière locale.

          La chute des prix agricoles provoque un immense exode rural : les petits agriculteurs viennent grossir les rangs des ouvriers des nouvelles usines dans les grandes villes.

          Mais la crise économique, marquée par cet effondrement du secteur agricole, une inflation galopante, la corruption des élites politiques, le délitement du parti au pouvoir et la santé chancelante du président Irigoyen débouche sur une crise politique qui ne trouve de résolution que dans l’intervention de l’Armée. C’est le premier coup d’état militaire de l’histoire argentine, impulsé conjointement par la classe des propriétaires terriens et l’État-major militaire.

           Néanmoins, plusieurs tendances s’affrontent au sein de l’Armée. D’un côté, influencés par la montée des fascismes en Europe, les ultranationalistes, qui rêvent d’imposer à leur tour un régime autoritaire sur ces modèles étrangers. Leur leader est le général  José Félix Uriburu, soutenu par la hiérarchie catholique, très puissante en Argentine. L’autre tendance, dirigée pareillement par un général, Agustín Pedro Justo, prône le retour à «l’ancien régime» conservateur, celui qui prévalait du temps du Parti Autonomiste National, avant la Loi Saenz Peña. C’est-à-dire, le retour à un régime basé sur une démocratie «contrôlée» par la fraude électorale et la proscription des opposants.

José Félix Uriburu – Photo DP

2. UN COUP D’ÉTAT EN FORME DE COUP DE BLUFF

          L’opposition civile au gouvernement d’Irigoyen est forte, mais pareillement divisée. D’un côté, ceux qu’on pourrait qualifier de «légalistes», plutôt situés à gauche, qui critiquent sévèrement la politique sociale (ou antisociale, plutôt, voir les événements de Patagonie). On trouve là des socialistes, par exemple, ou certains militants radicaux parmi les plus à gauche. De l’autre, les chantres d’un pouvoir fort, dont l’écrivain Leopoldo Lugones se fait le porte-parole, qui qualifiait la démocratie de «culte de l’incompétence». Dans cette tendance, on trouve également tout un groupe de jeunes maurrassiens, qui créent La Nueva República, et militent pour le retour au pouvoir de l’élite ancienne, et donc de la hiérarchie sociale qui va avec. Ceux-là en pincent pour Uriburu, ce général de 60 ans qui vient de prendre sa retraite.  Mais dans l’esprit de celui-ci, dans un pays stable depuis 50 ans et qui s’est habitué à la démocratie, il convient de créer un «climat révolutionnaire» . Une Ligue républicaine se constitue, et investit la rue. Uriburu exige cependant que les militaires gardent en main tous les leviers de commande du coup d’état : il se méfie des politiques, et son but premier est d’abroger la loi Saenz Peña. Vous savez, cette loi inique qui avait mis fin au bon vieux système de la fraude électorale !

          Mais avant de pouvoir lancer la «révolution», il faut tout de même gagner le gros de l’Armée. Or pour le moment, le gros de l’Armée, justement, est plutôt légaliste, et pas encore très « Uriburiste ». Pour ces modérés, dont fait partie le «concurrent» d’Uriburu, Justo, les objectifs du général représentent un saut dans le vide. Même s’ils s’opposent eux aussi au pouvoir radical en place, ils préféreraient qu’on reste dans un strict cadre politique pour le faire tomber. Pour leur donner des gages, Uriburu finit par accepter d’associer les partis civils à son mouvement. Le coup d’état peut être lancé, et une campagne de déstabilisation d’Irigoyen débute, au Parlement, dans la presse et dans la rue. Des manifestations d’étudiants dégénèrent. Yrigoyen, malade, cède le pouvoir  le 5 septembre 1930 au vice-président Martínez, qui proclame l’état de siège.

          Côté militaire, le soulèvement est prévu pour le lendemain, 6 septembre. Mais dans les casernes, ce n’est pas le franc enthousiasme. Il y subsiste quand même pas mal de loyalistes, comme l’est également l’ensemble de la police. Le coup n’est pas assuré d’être gagnant, et certains hésitent à se lancer dans l’aventure. La Marine, par exemple, attend de voir. Pour beaucoup, il sera toujours temps après coup de rallier la victoire, ou dans le cas contraire, de proclamer son indéfectible loyauté. D’autant qu’Uriburu ne jouit pas d’une extrême popularité parmi les militaires, et qu’il n’est pas très connu dans la population.

          Malgré tout, les rebelles réussissent in-extremis à faire une bonne prise : ils rallient le directeur du collège militaire, le Général Reynolds, grand admirateur d’Irigoyen mais qui juge qu’il est temps que le vieux président  passe la main, et admet qu’il devient nécessaire de la lui forcer. Reynolds embarque alors les jeunes officiers du Collège dans l’aventure. 

          En dépit de ce ralliement de dernière minute, les troupes d’Uriburu restent maigres : 600 cadets et officiers du Collège militaire, plus 800 hommes de troupe, et une poignée de civils entreprennent une marche sur Buenos Aires.  Le miracle se produit cependant : le mouvement ne rencontre pratiquement aucune résistance sur son passage, et parvient à atteindre la place du Congrès presque sans encombre. Citons Alain Rouquié citant un personnage encore inconnu, mais qui deviendra prestigieux quelques années plus tard : «En fait, comme le remarque le Capitaine Perón, observateur et participant, le succès du mouvement tient du miracle ou, plutôt, il est dû à l’apathie et à la désintégration gouvernementale que vient renforcer l’indifférence populaire». (Pouvoir militaire et société politique en République Argentine – Alain Rouquié – Presses de la fondation nationale des sciences politiques – 1978 – p.182)  En somme, le coup d’état réussit surtout parce que le peuple argentin, fatigué, tourne le dos à un président qu’il a pourtant adulé, mais qui est jugé désormais usé. Malade, décrédibilisé, Irigoyen démissionne, tout comme son vice-président, contraint de laisser la Maison Rose (le Palais présidentiel) à des insurgés pourtant pas si sûrs d’eux, mais qui, comme le souligne Alain Rouquié dans l’ouvrage précédemment cité, ont réussi «un coup de bluff historique». Uriburu devient donc président de fait, proclame l’État de siège sur toute l’étendue du territoire argentin, et destitue tous les élus en place, sauf ceux qui lui sont favorables. Le premier coup d’état militaire de l’histoire argentine vient d’avoir lieu. Il n’y en aura pas moins de quatre autres dans les 46 ans qui vont suivre. Et entre 1930 et 1983, ce ne sont pas moins de 15 militaires qui s’assiéront dans le fauteuil présidentiel. Quelques uns élus (Agustín P. Justo, Juan Perón) mais pour la plupart, de fait.

3. UN DICTATEUR EN ÉCHEC

          Uriburu ne va durer que deux ans, ceci dit. Avec lui, on voit revenir au pouvoir les vieux caciques de l’ancien régime, certains même qu’on a vu au gouvernement…avant 1900 ! Et dans leur sillage, toute une société de gros propriétaires terriens et de membres du sélect Jockey-club, des banquiers et des hommes d’affaires. On fait mieux, pour un renouveau politique. En somme, la révolution d’Uriburu, c’est la révolution des riches, «une révolution de classe», comme le dira un partisan nationaliste du coup d’état quelques années plus tard. Toute une oligarchie favorable au libéralisme économique et admiratrice des États-Unis prend les commandes derrière Uriburu, pour mener une politique largement profitable aux intérêts privés.

          Politiquement, Uriburu cherche avant tout à abolir la démocratie et le régime des partis, pour installer un régime corporatiste et «apolitique». En d’autres termes, à réserver le pouvoir à une certaine élite, censée être «la plus apte» à gouverner, contre les partis qu’il affirme «élus par une majorité d’analphabètes». Le problème, c’est que cette orientation ne rencontre guère l’enthousiasme, ni dans l’armée, où subsiste une forte tendance «légaliste» peu encline à casser la constitution argentine et à instaurer une véritable dictature, ni parmi les partis civils, conservateurs inclus, qui se méfient des tendances autocratiques du général. Dans ce contexte, l’étoile du vieil adversaire d’Uriburu, le général Justo, commence à monter. Celui-ci représente, dans l’esprit des militaires légalistes comme des civils conservateurs, la meilleure garantie à la fois contre le retour des radicaux au pouvoir, et pour l’instauration d’une démocratie «contrôlée» c’est-à-dire dirigée par un exécutif fort, mais néanmoins entrouverte à une certaine – quoique très limitée – participation populaire. En somme, une dictature «présentable».

          Contraint d’organiser des élections, Uriburu ne pourra empêcher le triomphe de Justo, élu en novembre 1931 avec comme vice-président le fils de l’ancien président et général de la conquête du désert, Julio Roca. Il la lui aura même facilité, en interdisant la candidature du radical et ancien président (1922-1928) Marcelo T. de Alvear, donné favori.

          Uriburu mourra deux mois après l’investiture de Justo, en avril 1932. La première dictature militaire n’aura pas duré longtemps, mais elle aura fortement contribué à instiller dans l’armée un certain ferment autoritaire, qu’on ne tardera pas à revoir à l’œuvre.

Le pont Alsina à Buenos Aires. Construit entre 1932 et 1938, il s’est appelé « Pont Uriburu » jusqu’en 2002, date à laquelle on a décidé de débaptiser les lieux faisant référence à des dictateurs. En 2015, on lui a donné le nom de « Pont Ezequiel Demonty », en référence à un jeune, victime de violence policière. Tout un changement d’époque, qui aura pris…un certain temps. – Photo DP

Pour aller plus loin :

Alain RouquiéPouvoir militaire et société politique en République Argentine- Presses de la fondation nationale des sciences politiques – 1978

Franck LafageL’argentine des dictatures 1930-1983 – L’Harmattan – 1991

Alejandro HorowiczLas dictaduras argentinas – historia de una frustración nacional – Edhasa (Buenos Aires) – 2012

Cette petite vidéo sur le 6 septembre 1930. Extrait de la série historique de la chaine pédagogique argentine « Encuentro », une série complète très bien faite.

 

24 mars 2021 : 45 ans du Coup d’Etat militaire

          45 ans après le début de la plus féroce dictature de son histoire, l’Argentine célèbre dans une certaine discrétion l’anniversaire de l’arrivée au pouvoir de Jorge Rafael Videla, le 24 mars 1976. Célèbre, ou plutôt, ne célèbre pas. Est-ce un effet d’une certaine culpabilité ? La presse la plus à droite du pays, de Clarín à La Nación, ne se fend pas de plus d’un article, quand le quotidien de gauche péroniste Pagina/12 en propose trois sur sa une numérique.

La junte militaire – Photo DP

          A droite, visiblement, on préfère éluder et tourner la page, en insistant tout de même au passage sur la popularité, au moins dans un premier temps, d’un coup d’état dont on espérait à l’époque qu’il mettrait un terme au chaos politique et social qui minait le pays gouverné, après la mort de l’icône Perón, par sa femme, «Isabelita». Une vice-présidente incompétente et dépassée, en butte à l’opposition conjuguée de pratiquement toutes les forces politiques du pays, de droite à gauche.
          La Nación comme Clarín préfèrent souligner la récente déclassification d’un nombre important de documents nord-américains concernant l’épisode, et montrant que l’administration de l’époque (Le vice-président républicain Gerald Ford avait remplacé Richard Nixon après l’affaire du Watergate) avait été avertie bien en amont de l’imminence d’un coup d’état. Selon ces articles, les Nord-Américains considéraient le coup d’état avec bienveillance, et même un certain espoir de normalisation, et d’un retour du pays dans «la communauté financière internationale», sous-entendu, un retour aux bonnes relations économiques avec les entreprises américaines, sous la houlette d’un général Videla jugé «modéré». L’éternelle clairvoyance de la diplomatie américaine…
          Selon Clarín, les documents «apportent la preuve de nombreux contacts entre les militaires séditieux et les fonctionnaires Etatsuniens, et montrent que les Etats-Unis les ont appuyés tacitement, car Washington considérait le coup d’état inévitable». Mais il n’y aurait pas, poursuit Clarín citant Carlos Osorio, chef de projet au Service documentaire des Archives de sécurité nationale du cône sud, de preuve que le pays du nord en aurait été un instigateur actif.
          Le contenu de l’article de La Nación n’est guère différent, mentionnant néanmoins le rôle de conseiller du directeur de la CIA d’alors, un certain… George H.W. Bush. La Nación relève également que, selon le diplomate William D. Rodgers, l’administration américaine ne se faisait guère d’illusion sur le fait que «il (était) quasi certain qu’un gouvernement militaire argentin recourrait à la violation des droits humains, suscitant les critiques internationales». Les archives déclassifiées révèlent également, indique La Nación, que les Américains du nord avaient «informé discrètement, plus d’un mois avant le coup d’état, que Washington reconnaitrait le nouveau régime».
          Pagina/12, on ne s’en étonnera pas, est beaucoup plus prolixe, proposant un dossier complet sur le coup d’état et les années de dictature. Et notamment un supplément spécial intitulé «Nunca más» (Plus jamais), reprenant le titre du rapport de la commission des droits de l’homme présidée par l’écrivain Ernesto Sabato, regroupant des articles de 18 écrivains et journalistes, parmi lesquels Luis Bruschtein, Eduardo Aliverti, Victoria Ginzberg ou Mempo Giardinelli. La psychanalyste Ana María Careaga, rescapée du centre de détention clandestin «Club Atlético» délivre une réflexion sur «le statut de la haine en tant que passion obscure», et sur le plaisir sadique du tortionnaire, qui s’érige en véritable dieu possédant droit de vie et de mort sur ses victimes. Agustin Alvarez Rey rappelle l’héritage juridique des lois de la dictature, encore prégnant dans la législation argentine d’aujourd’hui. Eduardo Aliverti, quant à lui, évoque la chape de silence qui s’est abattue sur le pays pendant ces sept années de gouvernement militaire. Il raconte le 24 mars tel qu’il l’a vécu, alors étudiant : «Dans la rue, dans les transports publics, dans les bars, parmi les clients de la pharmacie qui entraient et sortaient comme à l’ordinaire, parmi mes collègues de travail et d’études, tout le monde parlait à voix basse. Très basse. (…) Le plus étonnant fut que pendant longtemps parler à voix basse ou sans élever la voix fut également le lot des conversations intimes, privées (…)». Un des slogans de la dictature n’était-il pas «Le silence, c’est la santé» ?
          Vous trouverez d’autres documents sur ce sujet dans Pagina/12 sous cet article de Hugo Soriani présentant le livre de Mario Villani, ancien prisonnier, comme Ana María Careaga, du centre clandestin du «Club Atlético», dans le centre de Buenos Aires. Le livre s’intitule «Desaparecido, memorias de un cautiverio» (Disparu, mémoires de captivité). Voir la section «suplementos», tout en bas.

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