Attentat contre Cristina Kirchner

Jeudi soir dernier, (le 1er septembre), un jeune Brésilien de 35 ans a tenté d’assassiner l’ancienne présidente et actuelle vice-présidente argentine, Cristina Fernández de Kirchner. Alors qu’elle saluait des militants de son parti devant son immeuble, situé au coin des rues Uruguay et Juncal, dans le quartier de La Recoleta, il a sorti une arme et l’a pointée dans sa direction, mais le coup n’est pas parti.

L’attentat a suscité une véritable commotion dans le pays, où Cristina Kirchner est aussi adulée par les uns que détestée par les autres. Depuis 2007 et sa première élection en tant que présidente, elle n’a jamais cessé de représenter un sujet de polémique et de débats les plus vifs autour de sa personne. Harcelée par la droite qui en a fait un symbole de la corruption péroniste, elle est tout autant soutenue par une large partie de la gauche, qui voit en elle une pasionaria des plus humbles ; toute proportion gardée, à l’image d’Eva Perón en son temps.

Cristina Kirchner entourée de ses enfants Maximo et Florencia.

Les motifs de Fernando Sabag Montiel, le tireur, ne sont pas encore complètement éclaircis. Selon le quotidien La Nación, son profil est bien connu sur certains réseaux sociaux radicaux, et on l’avait entendu, interrogé par la chaine d’information Cronica.tv, se répandre en critique contre les mesures d’aide sociale, et se signaler par des propos particulièrement virulents contre les pauvres, taxés de fainéants et de profiteurs. Il était également «connu des services de police», comme on dit chez nous, pour port d’arme illégal.

Vidéo (1’44) de l’attentat, filmé au portable par un témoin de la scène. La vidéo est présentée sous trois angles différents. L’agresseur porte un masque chirurgical blanc. (Vidéo postée sur youtube par La Voz de Neuquen)

La condamnation de cette tentative d’assassinat a été unanime dans la classe politique, y compris au sein de l’opposition au gouvernement que codirige Cristina Kirchner. Même les membres du syndicat des propriétaires terriens, qui pourtant lui vouent une haine farouche depuis qu’elle a voulu augmenter leurs impôts, se sont fendus d’une déclaration de soutien : «Nous espérons que toute la lumière sera faite au sujet de cet attentat ignoble. En tant que fédération syndicale nous militons fermement pour la cessation de toute forme de violence et pour le retour à la paix sociale».

Si l’attentat n’a pas eu de conséquence dramatique, il est néanmoins révélateur de l’ambiance actuelle de l’Argentine, qui vit depuis plusieurs années une crise multiple : économique, sociale, politique. Jamais la grieta comme ils disent là-bas, la fracture, n’a été aussi profonde entre les citoyens. L’Argentine est désormais divisée en deux camps qui ne peuvent plus du tout se parler : les péronistes (plutôt de gauche, mais tous les gens de gauche ne sont pas péronistes) et les antipéronistes. On ne peut plus parler du tout d’opposition, de débat, de querelle, mais de haine, implacable et définitive.

Cette haine est volontiers attisée, comme le fait remarquer à juste titre le ministre de l’Intérieur, Eduardo de Pedro, par une grosse majorité des médias du pays, pour une large part classés à droite. J’en ai été témoin lors de mon dernier séjour à Buenos Aires, et il suffit de parcourir les journaux en ligne pour le constater : ce sont plusieurs Cnews qui déversent au quotidien leur fiel contre le gouvernement péroniste, et sans filtre.

Toute opposition est légitime, mais, à l’image de notre chaine d’extrême-droite, il est inquiétant de voir s’installer durablement dans le paysage des discours de plus en plus haineux, et dont le venin qu’ils distillent conduit de plus en plus souvent des esprits faibles à des actes criminels.

Il n’est que de lire les commentaires au pied de certains des très nombreux articles qui ont suivi l’attentat pour s’en convaincre. Entre complotisme (On met en doute le sérieux de l’attentat : le pistolet ne se serait pas enrayé, il s’agirait d’une simple mise en scène) et regrets affichés que Montiel ait raté son coup, la palette est assez variée, mais relativement monochrome chez les opposants.

Personnellement, je n’ai pas de sympathie particulière pour Cristina Kirchner, une présidente dont les deux mandats ne resteront pas dans les annales comme des modèles de gestion, et dont la personnalité pour le moins trouble participe largement de la fracture entre Argentins. Accusée de corruption, actuellement poursuivie par les tribunaux pour cela, elle s’accroche au pouvoir et contribue ainsi à crisper un peu plus une partie de l’opinion. Qu’elle soit effectivement coupable ou réellement innocente (la justice ne s’est pas encore prononcée), elle serait certainement mieux avisée de se concentrer sur sa défense. D’autant que son acharnement à rester aux postes de décision donne des arguments à ses détracteurs, puisqu’elle donne l’impression ainsi de vouloir contrôler la justice. Mais il faut bien dire qu’elle peut compter, parmi la population la plus modeste du pays, avec un très fort soutien populaire.

De l’autre côté, l’opposition de droite semble entrée dans une phase d’irrationalité la plus complète. Elle a gagné les dernières élections législatives, et même si elle n’a pas la majorité absolue au parlement, elle pourrait ainsi faire démocratiquement son travail d’opposition, pacifiquement et en respectant les institutions. Les prochaines présidentielles, qu’elle a également toutes les chances de gagner, auront lieu fin 2023, et pour le moment, elle semble n’avoir ni programme, ni candidat(e) d’alternance. Mais elle préfère ajouter de l’huile sur le feu, et pratiquer une opposition aussi systématique que stérile et surtout, pousse-au-crime.

Surfant sur cette vague haineuse, se profile en outre un nouveau personnage encore bien plus inquiétant, un certain Javier Milei, ultra-libéral de tendance autoritaire, sorte de Berlusconi mâtiné de Mussolini, de Pinochet et de Milton Friedman au rabais, prêt à transformer l’Argentine en crise en modèle de pays inégalitaire gouverné par le capitalisme le plus sauvage.

L’attentat manqué contre Cristina Kirchner montre le paroxysme atteint par le pays dans cette guerre ouverte. A tel point que j’ai pu lire, parmi la masse des commentaires de citoyens, un appel à… la partition du pays en différentes entités indépendantes ! Les Argentins ne se parlent plus, ne veulent plus se parler. L’adversaire politique est devenu un ennemi, et un ennemi à abattre, à tout prix, même celui du sang. On pensait que la terrible dictature militaire de 1976-1983, condamnée par la magnitude de son échec et l’évidence de son caractère criminel, serait la dernière de l’histoire argentine. Que la démocratie avait définitivement gagné la partie. Que le pays avait enfin intégré le cercle des nations pacifiées. La crise sociale et morale qui l’étreint de nouveau revient sérieusement doucher notre optimisme peut-être un peu précipité. Car au train où va la fracture actuelle, pas sûr que le pays ne s’embrase pas de nouveau, et dans un avenir proche.

Voir également notre dossier en cours sur le péronisme et son empreinte sur la société argentine.

Article de fond d’Eduardo Aliverti dans Pagina/12 le 5 septembre 2022, sur l’ambiance de haine régnant dans le monde politique et social argentin d’aujourd’hui.

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Cristina Kirchner, actuelle vice-présidente de la République argentine, a été élue présidente en 2007, succédant ainsi à son mari Nestor (2003-2007, décédé en 2010) puis réélue en 2011. Son successeur a été Mauricio Macri (centre-droit libéral), de 2015 à 2019. En 2019, les Argentins ont de nouveau élu un président péroniste, Alberto Fernández, qui s’était présenté avec Cristina Kirchner, donc.

Accord sur l’enseignement du français

(Tous mes remerciements à Alicia Isidori qui m’a transmis cette information)

Mercredi dernier, 8 juin, le gouverneur de la province de Santa Fe  et l’ambassadrice de France en Argentine ont signé un accord qui va grandement améliorer la situation de l’apprentissage du français dans les écoles de la province.

Le site du gouvernement de la province rend compte de cette rencontre, qui a eu lieu dans les locaux de l’ambassade de France à Buenos Aires, dans le quartier de Recoleta, entre le gouverneur Omar Perotti et l’ambassadrice Claudia Scherer-Effosse.

Ambassade de France à Buenos Aires

L’accord stipule que la province s’engage à favoriser la pédagogie du français à tous les niveaux, tant scolaires qu’associatifs, à renforcer la formation initiale et continue des enseignants de langue française, et à promouvoir les initiatives interdisciplinaires en développant notamment l’enseignement bilingue. De son côté, l’Ambassade de France s’engage à financer des moyens de formation pour les enseignants, ainsi qu’à favoriser les interactions entre les différentes entités pédagogiques des deux côtés de l’Atlantique.

A l’issue de la rencontre, le gouverneur Perotti a déclaré en substance : « Santa Fe est une province à haut potentiel d’échanges avec l’extérieur, tant au plan commercial que de l’ouverture sur le monde, et il est donc important que ses habitants soient bien formés à l’usage des langues. Il existe une forte tradition d’apprentissage du français dans nos écoles, tradition dont le présent accord devrait stimuler encore davantage l’enthousiasme et les liens déjà bien présents« .

Omar Perotti

De son côté, Claudia Scherer-Effosse a indiqué que « c’est un accord que nous mettons au point depuis des mois. L’enseignement du français dans la province de Santa Fe est une réalité. Nous souhaitons la renforcer et nous avons travaillé en ayant à l’esprit tout ce que cet accord pourrait apporter pour les relations bilatérales entre la province et la France« .

L’ambassadrice de France Claudia Scherer-Effosse, lors de la remise de sa lettre de créance au président Argentin (2015-2019) Mauricio Macri.

Cet accord est une excellente nouvelle pour l’apprentissage d’une langue malheureusement en déclin un peu partout dans le monde, où l’anglais est devenu hégémonique. On ne peut que se réjouir par ailleurs de voir ainsi se renforcer les liens culturels entre deux pays qui, sur bien des aspects, ont beaucoup en commun.

La province de Santa Fe se situe au nord-ouest de Buenos Aires, le long du fleuve Paraná. Santa Fe est sa capitale, mais la ville la plus importante en nombre d’habitants est Rosario, au sud de la province. La province abrite environ 3,5 millions d’habitants, dont un tiers habite à Rosario. C’est la troisième région en importance démographique, après Buenos Aires (17 millions) et Córdoba (3,7 millions).

Province de Santa Fe – capture d’écran

Un peu de pub touristique !

Bon, comme je suis en convalescence post opératoire, une fois n’est pas coutume, je vais profiter de mon immobilité forcée et de ma vitalité en berne pour causer tourisme argentin.

La Nación d’aujourd’hui consacre un article à un nouveau site officiel consacré aux routes et lieux touristiques les plus emblématiques du pays : La Ruta Natural.

Il s’agit de promouvoir le tourisme « à l’air libre » et la découverte des grands espaces naturels du pays, trop souvent ignorés même des locaux. Et pourtant, l’Argentine fait bien partie des pays les mieux dotés dans ce domaine, des déserts et forêts du nord tropical jusqu’aux glaciers géants et aux steppes de la Patagonie et de la Terre de feu.

Vallées Calchaquies – Nord-ouest argentin

Le nouveau site web du programme, nous explique le quotidien, réunit l’information nécessaire au touriste pour lui permettre de choisir et d’organiser ses voyages vers des sites naturels pointés comme « incontournables », en présentant 17 grands itinéraires recouvrant les différents paysages et climats du pays.

Le site, abondamment illustré, est plutôt bien fait. Il propose trois grandes entrées :
Par lieux géographiques (Les vallées Calchaquies, le parc naturel de la Terre de feu, la Péninsule de Valdez, les chutes d’Iguazu entre autres multiples exemples. Pas loin de 200 lieux présentés, hélas pas classés géographiquement)

En Terre de Feu

Par expériences à vivre (Où observer la faune, où pratiquer l’astronomie active, où camper à la belle étoile, etc…)
– Par type de tourisme : parcs nationaux, astronomie, aventure, paléo, observation de la faune…

Il fournit également un calendrier utile pour situer le meilleur moment pour chaque type de parcours.

Chutes de l’Iguazu – Province de Misiones

Comme le développe La Nación, chaque « incontournable » présenté par le site propose une information détaillée : photos, activités possibles, comment s’y rendre facilement, hébergement et restauration, meilleures époques de visite, et autres informations pratiques.

Naturellement, s’agissant d’un site argentin, il n’est pour le moment disponible qu’en espagnol. Espérons que le ministère du tourisme songera à une plus grande diffusion internationale. Mais nous n’en sommes qu’au tout début, bien entendu. Le /es à la fin de l’adresse du site nous laisse quelques espoirs de voir bientôt apparaitre /en ou /fr. Qui sait ? (Attention à ce propos : le site en anglais « The natural route » est un blog qui n’a rien à voir !)

Vous n’irez peut-être pas tout de suite en Argentine. Mais je ne saurais trop vous conseiller déjà d’aller vous balader sur le site. Il vous donnera une excellente idée de la dimension d’immense paradis naturel de l’Argentine, disposant d’une variété incroyable de paysages, de climats, de faune et de flore, qu’on trouve rarement rassemblés comme ici sur un seul territoire.
Et il vous permettra au moins de faire un beau voyage…virtuel !

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Courte présentation vidéo du site (47′) : https://www.youtube.com/watch?v=AxobWuUqnpE 

 

 

Droits des femmes en Amérique latine : docus accessibles

Pour prolonger l’article précédent rendant compte du dossier de Sud-Ouest sur les droits des trans en Argentine, je signale ici plusieurs documentaires dont certains sont accessibles sur l’application ARTE TV.

1. Argentine : la révolte des femmes

Dans la série « Arte reportages ». De Karen Naundorf. France. 25 mn.

Le documentaire suit la famille de Monica Garnica, dans l’attente du procès où doit comparaitre son mari, qui l’a assassiné en la brûlant vive. Le propos s’étend également à l’ensemble du mouvement féministe « Ni una menos », parti d’Argentine mais qui essaime sur tout le continent.

Sur l’appli Arte.tv jusqu’au 8 octobre 2022

Sur Youtube ici.

2. Sud-Américaines contre le machisme

De Marie-Kristin Boese. Allemagne. 53 mn.

Le combat des femmes argentines pour la légalisation de l’avortement, symbolisé par le port du foulard vert, gagne l’ensemble du continent latino américain. Le documentaire fait le point sur cette lutte dans certains autres pays, comme le Mexique ou le Brésil, où le machisme reste particulièrement fort.

Sur l’appli Arte.tv jusqu’au 23 mai 2022

3. Femmes d’Argentine

De Juan Solanas. Argentine. 87 mn. Titre original : Que sea ley

Juan Solanas a suivi le parcours des femmes argentines au foulard vert, en lutte pour obtenir le vote au parlement de la légalisation de l’IVG. Le documentaire, qui donne la parole à différents acteurs du mouvement, à des député(e)s, des opposants, a été projeté au Festival de Cannes 2019, et sorti en salles en France en mars 2020, à peine quelques jours avant le confinement. En replay sur my canal jusqu’au 10 octobre 2022.

Il est aussi disponible à l’achat ou la location sur la chaine Youtube, mais en version espagnole. 

4. L’Amérique latine mobilisée contre les féminicides.

Reportage de France 24. 12 mn. Sur youtube.

Campagne argentine pour le droit à l’IVG

Argentine, pays des droits LGBT ?

Ces trois derniers jours (9, 10 et 11 mai) le journal régional Sud-Ouest publie les trois volets d’un reportage réalisé par Maud Rieu, qui a vécu en Argentine en 2017 et 2018, et qui a étudié la situation des personnes transgenres dans ce pays.

Le reportage met en lumière un paradoxe de ce pays par ailleurs très catholique (et de plus en plus évangéliste, aussi, comme ses voisins), où la violence « de genre », conjugale ou machiste, est un vrai fléau, et dans lequel a fait rage, justement en 2018, la bataille pour la légalisation de l’avortement, finalement votée par le parlement en 2020 : parmi l’ensemble des pays sud-américains, l’Argentine est probablement le plus ouvert en ce qui concerne les droits des personnes homosexuelles et transgenres.

Dans le premier volet, Maud Rieu fait le point sur la vision qu’ont les Argentins sur cette thématique si conflictuelle ailleurs :

S’intéresser à l’Argentine, c’est accepter d’être surprise. Comment ce pays où l’interruption volontaire de grossesse n’est légale que depuis 2020 peut-il être autant en avance sur les droits des personnes transgenres ? Poser cette question, c’est affronter un regard interrogateur : les interlocuteurs ne voient pas le rapport. Ici, être un homme ou une femme est une question d’identité, pas de biologie. Et le respect de l’identité est sacré dans cet état traumatisé par le souvenir des centaines de bébés volés à leurs familles et donnés à d’autres, sous la dictature militaire de 1976 à 1983.

Pour l’illustrer, elle a rencontré notamment Valeria del Mar Ramirez, une des premières bénéficiaires de la loi de 2012, qui lui a permis d’officialiser son changement de sexe. Ainsi, l’Argentine est devenue le premier pays au monde à adopter une loi d’identité de genre. Un grand pas, car comme le rappelle l’auteure, jusque dans les années 90, il était encore interdit en Argentine de s’habiller « de façon contraire à son sexe biologique ».

Cet incontestable progrès n’a pourtant pas résolu d’un coup de baguette magique toutes les discriminations. En 2015, une militante de la cause trans, qui avait trois mois auparavant fait passer une loi imposant un quota de 1% de trans parmi les fonctionnaires, a été assassinée, et, comme l’indique la députée Karina Nazabal (Membre du Frente para la Victoria, lié au parti péroniste actuellement au pouvoir, NDLA) citée par Maud Rieu :

Il faut sortir de la tête de ces personnes et de la société que les trans n’ont pas d’autre choix que se prostituer. Si vous demandez à votre voisin “Où mettriez-vous une personne trans ?”, il vous répondra sûrement “Dans la rue”.

Selon Karina, être trans ne doit pas constituer un obstacle à l’obtention d’un emploi : seule la compétence doit entrer en ligne de compte. Ce que cette loi devenue loi nationale en 2021, renforce.

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Dans le second volet, Maud Rieu raconte l’histoire de Luana, qui, à six ans seulement, a pu officiellement être considérée comme fille, sans passer par la case justice. Une histoire édifiante, en cela qu’elle démontre que le sentiment d’identité de genre n’est pas un caprice, mais représente la plupart du temps une véritable souffrance.

Le cas de Luana est emblématique. Très tôt, ce petit garçon (qui a un frère jumeau) a senti qu’il ne se trouvait pas dans le bon corps. Maud Rieu, qui a rencontré Gabriela, la mère de Luana, rapporte :

Un jour, quand il a trouvé les mots, à 20 mois, ce fils a prononcé une phrase qui a changé la vie de sa mère et de toute la famille : « Je suis une fille, je suis une princesse ».

Début d’une histoire qui n’aura rien d’un chemin de rose. Les parents mettront du temps à comprendre les appels au secours de leur enfant, ses difficultés, son mal-être, ses cheveux qui tombent, les médecins consultés qui refusent de prendre le cas au sérieux… Le père, lassé, finira par prendre la fuite, mais Gabriela, convaincue, se battra pour que Luana puisse devenir une fille à part entière. Jusqu’à ce 25 septembre 2013, où enfin, elle reçoit une carte d’identité portant son « nouveau » genre.

Une carte qui ne résout pas tout. Maud Rieu rappelle qu’en Argentine, si la loi autorise les enfants (sous réserve d’accord des deux parents) à changer d’identité « sur le papier », ceux-ci doivent attendre la majorité pour pouvoir envisager une opération.

C’est pour aider ceux qui connaissent les même problèmes que Gabriela est devenue une véritable militante des droits des enfants trans. Elle a créé une association, « Infancias libres » (Enfances libres) et donne régulièrement des conférences. Aujourd’hui, Luana a  15 ans, et vit une adolescence normale, entre sa mère et son frère. Maud Rieu conclut à ce propos en citant Gabriela :

« Il faudrait arrêter de se demander si elle va bien, elle ne devrait plus être au centre de l’attention, même si je comprends. Luana est une adolescente qui vit entourée d’amour et va bien ! »

Voir aussi le documentaire  sur Gabriela et Luana : « Yo nena, yo princesa » (2012, en espagnol avec sous-titrages en anglais)

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Enfin, pour le troisième volet de son enquête, Maud est allée assister à une remise de diplômes dans un établissement bien particulier. Il s’agit d’un lycée ouvert aux élèves trans, mais également à tous ceux et celles en difficultés sociales, souvent des jeunes sans foyer qui ont connu la rue, la prostitution, la drogue. A l’origine, une association, Mocha Celis (du nom d’une fille trans tuée par la police), fondée en 2017 et qui proposait aide, foyer et quelques cours. Peu à peu, l’association a grandi, et aujourd’hui, nous dit Maud, l’établissement, qui a déménagé, est devenu un vrai et grand lycée accueillant jusqu’à 300 élèves. Il a même fait des petits : on compte maintenant une quinzaine d’établissements du même genre dans le pays, et dans quelques autres pays d’Amérique Latine comme le Chili, le Brésil et le Paraguay.

On s’en doute, il n’est guère soutenu par les instances administratives officielles, et tient d’abord et surtout par l’action et le dévouement de ses bénévoles. Les élèves, pudiques et protégés par leurs enseignants, se livrent difficilement. Maud a néanmoins pu interroger l’une d’entre elles, Viviana, qui lui a raconté son parcours : la prise de conscience de son identité différente, le déni de l’école, le harcèlement, l’abandon scolaire. Puis la prostitution, à 13 ans, et le sport, comme une bouée de sauvetage :

«mais catégorie homme, en gardant mon apparence féminine, évidemment», précise-t-elle.

Et enfin, l’accueil à « La Mocha », comme disent ses habitués :

« À la première rencontre, le directeur m’a dit : ‘‘Bienvenue à la Mocha Celis’’. Ça m’émeut encore parce que quand il m’a dit ça, c’était la première fois qu’un établissement me disait ‘‘bienvenue’’. Jusqu’à maintenant, on me disait toujours que je ne pouvais pas.»

En conclusion, Maud cite le slogan du lycée, peint sur un mur :

« Si une trans va à l’université, ça change sa vie. Si beaucoup y vont, ça change la société. ».

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Vers le dossier de Sud-Ouest en ligne : immersion en Argentine. Mais hélas: c’est réservé aux abonnés !

Pour ceux qui ont Spotify, en recherchant « Ici Sud Ouest« , vous trouverez deux podcasts consacrés l’un à  Gabriela Mansilla, la maman de Luana (34 mn), et l’autre à Viviana Gonzalez, l’étudiante du lycée Mocha Celis (19 mn). Les deux podcast en français, naturellement.

 

 

La présidentielle vue d’Argentine

La presse argentine n’a pas fait ses choux gras de notre élection présidentielle, c’est le moins qu’on puisse dire. Lundi, avec le décalage horaire, quelques articles généraux pour donner les résultats provisoires, encore basés sur les projections de nos instituts de sondages.
Nous avons donc attendu aujourd’hui mardi pour voir si on trouvait des articles un peu plus fouillés sur le sujet.

Clarín en fait son article de tête de gondole ce matin à 10 h. Soulignant qu’en définitive, la candidature Zemmour, présenté comme un Trump français, a en fait plutôt profité à M. Le Pen en la rendant plus fréquentable, Clarín commente à partir d’une enquête du Figaro la fin d’un mythe : celui du front républicain. « Cette idée que la démocratie est en danger, comme en 2002 lorsque Jean-Marie Le Pen était à la place de sa fille, s’est évanouie. Il n’y aura pas de marche républicaine ni 90% des votes en faveur d’un candidat garantissant la survie de la démocratie ». Au passage, Clarín, en bon quotidien droitier, attribue la défaite humiliante d’Anne Hidalgo à « sa gestion catastrophique de la mairie de Paris ». Des fois que son lectorat pourrait croire, comme certains français mal informés, que la chute du PS serait davantage due à ses renoncements politiques et ses ralliements droitiers.

La Nación publiait deux articles hier lundi. Visiblement, cela les a fatigués, puisque aujourd’hui, rien à signaler. Hier donc, Luisa Corradini, avançait que ces résultats « étaient interprétés (en France, donc, doit-on supposer) comme un vote de confiance dans la gouvernance Macron… et un vote utile pour empêcher l’extrême-droite d’accéder au pouvoir ». On ne peut qu’être confondu par tant de clairvoyance. Confiante, Luisa Corradini pense même que les projections de deuxième tour (pourtant nettement plus serrées qu’en 2017) « permettent de penser que Macron n’a pas été touché par le rejet dont souffrent généralement les présidents sortants ».

Allons voir alors le quotidien de gauche Pagina/12. Pas trop prolixe sur le sujet lui non plus, il faut l’admettre. Un article hier, un autre aujourd’hui. Hier, Eduardo Febbro fustigeait notamment la responsabilité de la gauche elle-même (c’est-à-dire, la gauche « de gouvernement » comme on dit chez nous) dans ce deuxième échec consécutif à accéder au second tour. « Ses égoïsmes, ses trahisons, son immaturité, la lutte à couteaux tirés entre ses composantes et la bataille d’égos ont ouvert un boulevard à l’extrême-droite ». Rappelant le scénario de 2002, Febbro condamne ce nouvel épisode de désunion mortifère, semant la confusion parmi les électeurs avec des consignes contradictoires de vote utile en même temps qu’on réclamait de soutenir des partis moribonds comme le PS et le PC. « Le cauchemar de 2002 avait boosté l’extrême-droite, il est probable que celui de 2022 finisse par la porter au pouvoir ».

Aujourd’hui, le même Febbro, correspondant du journal à Paris, titre sur « Comment gagner en perdant », à propos de Mélenchon. Par là, il souligne que Macron dispose de très peu de réserve de voix pour le second tour, contrairement, pense-t-il, à M. Le Pen. Febbro constate qu’il a déjà lessivé le PS, dont les cadres sont en grande partie passés chez lui. Avec 1,7% des voix, celui-ci n’a plus rien à lui apporter. Idem pour LR. Il ne lui reste donc plus que des miettes à gratter de ces côtés-là.

Mais surtout Febbro pose Mélenchon et ses électeurs en arbitres, obligeant les deux candidats du deuxième tour à leur faire des risettes. Pour Macron, c’est la quadrature du cercle : « Le chef de l’état se voit obligé de mobiliser et attirer la gauche sans renoncer à son programme libéral et tout en réduisant la fracture ouverte avec les gilets jaunes ». Mais l’équation est tout aussi ardue pour M. Le Pen. En somme « L’extrême-droite et le libéralisme courent après cette gauche qu’ils n’ont jamais prise au sérieux, ont méprisée et agressée à qui mieux mieux. Le vampirisme électoraliste entreprend sa croisade ». A propos de Mélenchon, Febbro conclut que « s’il se retire, comme on peut le penser, il laissera une Union Populaire bien installée, digne et avec des perspectives qu’elle n’avait pas encore il y a deux semaines. Il a gagné un avenir en perdant en partie le présent ».

Pour terminer, le petit dessin du caricaturiste Paz dans ce même journal. Je ne peux pas le reproduire directement ici pour des raisons évidentes, mais on y voit deux Argentins commentant cette élection. L’un demande à l’autre : Pourquoi autant de Français votent à l’extrême-droite ? et l’autre : parce qu’elle diffuse un message simple et très clair. Lequel ? Liberté, égalité, fraternité, mes c…lles.

Le Jour de la mémoire

Cela pourra paraitre étonnant, mais la presse argentine n’en fait pas des tonnes sur cette date pourtant ô combien marquante de l’histoire tragique du pays. A 46 ans du coup d’état militaire de 1976, qui allait faire des milliers de morts et de disparus, et provoquer des blessures jamais entièrement refermées à ce jour, les commémorations restent pour le moins discrètes, et sont surtout l’occasion d’insister sur la nécessité d’affirmer le «Nunca más» proclamé par la commission d’enquête qui a suivi la chute de la dictature pour évaluer les responsabilités de chacun dans ce drame historique.

Rien d’étonnant à ce que ce soit les journaux situés le plus à gauche qui concentrent le plus d’articles sur le sujet. Pagina/12 en propose pas moins de 10 sur sa première page de l’édition numérique !

D’abord pour annoncer le grand rassemblement consacré au «jour de la mémoire», le premier, dit le journal, post-confinement et depuis le changement de gouvernement, puisque celle de l’an dernier n’avait pas pu avoir lieu. Parmi les mots d’ordre, un revient particulièrement «Où sont-ils ?» en référence aux disparus de la dictature, dont le nombre est discuté, mais ici, on retient celui généralement repris : 30 000.

Sur ce sujet, le quotidien de gauche rend également hommage au travail de l’association des Mères et Grands-mères de la place de Mai, créée un jour de 1977 pour réclamer, justement, qu’on leur rende leurs maris et leurs enfants enlevés par la junte. Aujourd’hui, l’association poursuit un combat acharné pour retrouver les «enfants volés de la dictature», fils et filles d’activistes arrêtés et exécutés, dont la plupart ont été escamotés à leurs familles biologiques pour être «adoptés» par des familles de militaires.

Toujours dans le même quotidien, le psychanalyste Martín Alomo fait le parallèle entre deux absences, celle de ses patients laissant le divan vide pendant la période de confinement, et celle des disparus de la dictature, «témoins de la douleur et de l’abus de pouvoir engendrés par un état d’exception». Mais là s’arrête la comparaison, parce que «…les délits de lèse-humanité ne sont pas prescriptibles, car une fois commis, ils continuent de faire souffrir de façon permanente». D’où la nécessité impérative de maintenir ce «rite social» du souvenir : on ne doit  laisser s’installer aucune possibilité de prescription.

L’écrivaine et femme politique Victoria Donda, elle-même enfant volée de la dictature, attend de ce rassemblement qu’il soit également l’occasion d’affirmer son opposition aux discours de haine et de négativisme historique qui se propagent, tant en Argentine que dans le monde, et qui, selon elle, sont surtout le fait d’une certaine droite haineuse. «Le 24 est une bonne date pour les combattre, car les discours de haine ont toujours précédé les génocides, dont les victimes ont été les sujets sociaux et les acteurs du changement. C’est important de mener une réflexion là-dessus car de nombreuses générations n’ont pas vécu la dictature, mais seulement ses effets qui se sont dilués avec le temps».

Victoria Donda

Cette année, elle y emmènera sa fille, 7 ans. «Elle m’a demandé pourquoi nous faisions cette marche. Je lui ai répondu que c’était pour que nous écoutent non seulement ceux qui avaient commis tous ces crimes, mais également tous ceux qui pourraient penser qu’il y a une partie de la société qui ne sert à rien, et qu’il faudrait faire disparaitre. (..) Il faut que les gamins et les gamines comprennent que si une époque heureuse a jamais existé, nous devons la reconstruire, mais tous ensemble».

Les autres journaux argentins sont nettement prolixes sur le sujet. Il faut descendre très bas sur la une de La Nación pour trouver un article d’opinion dénonçant une journée «de la mémoire sélective». Dans son texte, Daniel Santa Cruz regrette que, même s’il lui parait «tout à fait bien que nous Argentins gardions en mémoire ce qui s’est passé durant la dictature, à la base, et c’est la loi qui le dit, pour éviter que cela ne se reproduise». Mais il juge regrettable que, «malheureusement, ni le gouvernement, ni les militants politiques qui le soutiennent, ni les organisations de droits de l’homme qui participent activement à cette manifestation, ne disent rien des centaines de violations des droits humains commis en 2020 et 2021 pendant la pandémie, quand le gouvernement réglait par décret les comportements sociaux dans un but de sécurité sanitaire». Il regrette qu’on s’apitoie sur le sort des noirs abattus par la police aux Etats-Unis, mais, citant plusieurs exemples, pas sur celui de citoyens argentins tués par leur propre police, et que le gouvernement péroniste a souverainement passés sous silence. Il cite ainsi 200 cas de victimes de la violence institutionnelle, commise au simple prétexte d’assurer l’ordre pendant le confinement, et proteste contre ce «deux poids deux mesures», qui «s’approprie le contrôle moral des droits de l’homme» en choisissant ses causes. «Le jour de la mémoire a raison de nous rappeler la nuit obscure de la dictature, mais il ferait bien d’inciter à réfléchir sur les moyens d’éviter que de tels faits commis par la police d’état se reproduisent en démocratie, en enquêtant et en en temps et en heure».

Un seul article également dans Clarín, de l’historien Ricardo De Titto, s’attachant quant à lui à regretter que le «jour de la mémoire» soit trop centré sur le thème des droits de l’homme, alors que les conséquences de la dictature se font sentir encore aujourd’hui dans bien d’autres domaines, notamment économiques, diplomatiques, culturels ou éducatifs.

Un article très intéressant, en cela qu’il établit un parallèle entre les comportements politiques, qui, dit-il, ont tendance à s’imiter tout en donnant l’illusion du contre-pied. Dressant un bilan sévère de la période militaire, il appelle ses concitoyens à ouvrir les yeux sur son héritage : la fin de la dictature n’a jamais signifié le retour aux jours heureux. «L’héritage de la dictature se laisse apercevoir entre les draps. La politique tend à reproduire ces trucages déloyaux qui ressemblent à des montages vidéos où les amis et les adversaires changent de position et s’accusent mutuellement, à la grande confusion des spectateurs – leurs électeurs – qui observent, écoutent et doutent». L’Argentine en a sans doute fini avec les militaires, mais sa situation ne s’est guère améliorée. Les défis, que ce soit face à la pauvreté, à l’exclusion sociale, à l’état désastreux de l’éducation et de la santé publique, demeurent.

Enfin, le quotidien Crónica, lui, met deux articles en première place de sa une. Le premier raconte l’historie de Bárbara García, 9 ans en 1976, qui aujourd’hui encore tente de faire condamner celui qui a arrêté sa mère sous ses yeux, un militaire qu’elle a reconnu lors d’une manifestation des années après, et qui l’accuse de faux-témoignage. Depuis, menacée de représailles, Bárbara vit sous le statut de témoin protégé. Autre histoire, celle d’Horacio Pietragalla, fils de disparus et «enfant volé», devenu aujourd’hui président de l’Organisation des Droits de l’Homme d’Argentine. Ce n’est qu’à l’âge de 26 ans qu’il a appris que ses parents n’étaient pas ses parents biologiques. Il raconte notamment comment, une fois connue la vérité, il avait décidé de changer de vie. «Toute la question, c’est de prendre sa décision et de l’assumer. Tu éprouves une certaine culpabilité face à ce qui peut arriver à ceux qui t’ont élevé, car ils ont commis un vol, une appropriation, un délit puni par la loi. Mais pour prendre cette décision, j’ai dû penser, de manière un peu égoïste, à tous ceux qui devaient être en train de m’attendre».

Un rugbyman argentin tué à Paris

Samedi 18 mars au matin, le rugbyman argentin Federico Aramburu a été violemment agressé et tué de plusieurs balles de revolver devant un bar parisien du quartier Saint Germain, le Mabillon.

D’après le quotidien régional Sud-Ouest, qui rapporte les faits dans son édition du dimanche 20 mars, il s’agirait de l’issue tragique d’une altercation avec deux clients du bar, qui serait revenus ensuite en voiture et armés, pour régler le différent.

Federico Aramburu, 42 ans, ancien joueur des Pumas, comme on appelle l’équipe nationale argentine, avait joué notamment dans les clubs français de Biarritz, Perpignan et Dax, dans les années 2004 à 2010, et s’était définitivement installé à Biarritz avec sa femme et ses trois enfants. Il gérait avec un autre ami rugbyman, le français d’origine néo-zélandaise Shaun Hegarty, une agence de voyages spécialisée dans les manifestations sportives.

La tragique nouvelle a également fait les titres des principaux quotidiens argentins ce week-end, on s’en doute, s’agissant d’un joueur particulièrement marquant de l’histoire du rugby local.

Mais si Pagina/12 en rend compte en suivant les sources françaises, qui font état des soupçons de la police au sujet d’un suspect ancien membre du GUD, (Groupe Union Défense) un groupe d’extrême-droite violent actif jusqu’en 2017, un certain Loïk Le Priol, Clarín en revanche décrit, à la manière de certains journaux étasuniens, un Paris, et plus spécifiquement le quartier historique de Saint germain des Prés, en proie à la délinquance la plus incontrôlée :

Aramburu a été abattu à la sortie du bar “La Mabillon”, sur le Boulevard Saint Germain à Paris, un quartier qui ces dernières années est devenu aussi populeux que dangereux. Il n’y est plus sûr d’y venir manger un hamburger, comme le faisaient autrefois les habitants du quartier après la dernière séance de cinéma. On y voit maintenant des gens de la nuit, liés à la prostitution, des bandes, des dealers (La phrase en gras l’est sur l’article).

Il y est même question, sans doute pour donner à l’événement un tour plus inquiétant encore, d’un des suspects filmé par une caméra de surveillance, qui, affirme le quotidien sans citer de source, serait « un Albanais du Kosovo, membre de cette communauté de mafieux qui ont pris le contrôle des trafics d’armes et de drogue, (…) craints de tout le monde et principaux grossistes (sic) en drogue, armes et munitions en provenance de la guerre de Bosnie ».

Tremblez, Parisiens et touristes : les barbares du Kosovo font régner la terreur sur la capitale.

Il est néanmoins plus probable qu’on soit en présence d’une hélas plus banale issue tragique d’une bagarre entre clients de bar, aux petites heures du jour. Federico Aramburu s’en serait pris à la mauvaise personne, un type connu pour ses accès de violence,  et armé.

Dans cette affaire, une femme a semble-t-il été arrêtée assez rapidement. Il s’agirait de la conductrice du véhicule avec lequel les agresseurs seraient revenus sur les lieux de l’altercation.

Que ce soit en France ou en Argentine, où Federico Aramburu était unanimement apprécié, l’affaire a suscité une forte commotion.  Pour l’ancien international français Dimitri Yachvilli, « Fédé était toujours positif, plein d’entrain, en plus d’être un formidable équipier, c’était une belle personne« . Patrice Lagisquet, ancien entraineur de Biarritz, dit de lui « Le bonhomme était adorable, il avait toujours le sourire« . (Propos recueillis par Sud-Ouest Dimanche).

En Argentine, même unanimité. Le président de la fédération argentine de rugby, Santiago Marotta, estime que le fait divers « affecte tout le rugby argentin ». Celui de la Super Ligue Américaine de rugby, l’Uruguayen Sebastián Piñeyrúa, annonce pour les prochaines parties une minute de silence et le port d’un brassard noir par les équipes en présence. De son côté, Agustín Pichot, ex-capitaine des Pumas, fera le voyage à Paris pour soutenir la famille de celui qu’il a toujours considéré « comme un ami avec qui nous avons partagé des milliers de voyages et de matches ». (Propos recueillis par Pagina/12)

10/02/2022 : polémique sur les bus

Grosse polémique en ce moment à Buenos Aires. Pour satisfaire aux exigences du FMI, qui comme à son habitude, réclame en échange de ses bons offices (c’est-à-dire : un gros prêt) que l’Etat argentin serre les cordons de sa bourse pourtant déjà bien plate, celui-ci envisage de refiler la gestion de 32 lignes de bus de Buenos Aires à l’administration municipale de la ville. Un coup classique qu’on connait bien chez nous : l’état sommé de faire des économies se décharge de certaines dépenses sur des entités régionales. En l’occurrence, les bus portègnes sont un gouffre à subventions : la plupart des compagnies, toutes privées, ne tiennent que grâce aux subsides de l’état, qui verse annuellement 13 milliards de pesos, soit à peu près 107 millions d’euros. Milliards qui pourraient être consacrés, selon le gouvernement, au transport public dans les régions, qui ne bénéficient pas jusque là de la même manne, et où l’usager doit payer son ticket plus cher.

Occasion de revenir sur un système de transport aux traits assez particuliers. Les bus portègnes… Ah, oui, là, je rappelle pour la dernière fois : portègne, c’est l’adjectif qui se rapporte à tout ce qui vient de Buenos Aires. On dit aussi « bonaerense », littéralement buenosairien, mais c’est moins utilisé. Les bus portègnes, donc, existent depuis 1928, année au cours de laquelle une association de taxis décide de créer un système de transport collectif, pour faire concurrence au tram. Là-bas, on les appelle «colectivos», nom utilisé dans tout le pays pour désigner les bus de ville (Pour la route, on dit «micros». Autrement dit, bus en ville, autocar sur la route). Dans la capitale, on dit aussi «Bondi». C’est de l’argot local, le lunfardo.

1928

Ce nouveau système de «colectivos» se met doucement en place. La concurrence est rude, d’autant qu’au début des années trente, ce sont les anglais qui maitrisent le transport portègne, et que le gouvernement de l’époque (des militaires conservateurs) ne sait rien leur refuser. Il ira même, en 1932, jusqu’à restreindre par décret la circulation des nouveaux colectivos pour éviter de leur faire trop d’ombre !

Mais le public est conquis. Ce nouveau type de transport, plus souple, plus rapide, et bon marché, trouve sa clientèle. Petit à petit, le système se réglemente : couleurs distinctes pour les véhicules, définition de lignes et de trajet (1932), installation obligatoire d’un système de vente de tickets – taximètre – à bord, pour contrôler la capacité maximale de passagers (1934), puis création en 1936 d’une Corporation des transports de la ville de Buenos Aires, pour fédérer l’ensemble. Une sorte de monopole, quoi. Mais là encore, il s’agissait de faire plaisir aux Anglais, avec lesquels on venait de signer un accord d’échange commercial préférentiel : exportation de viande contre priorité pour les investissements industriels et exemption de droits de douane pour les produits importés de Grande Bretagne. Pour faire court : le transport par colectivos était rattaché au système de transport ferroviaire, alors totalement entre les mains des Anglais.

La seconde guerre mondiale met un coup d’arrêt au développement du système. D’une part, par faute de pièces détachées (La plupart étaient produites aux États-Unis), d’autre part, à cause d’un conflit ouvert entre la Corporation et les quelques compagnies restées indépendantes, qui se voyaient régulièrement interdites de circulation (La Corporation ayant le pouvoir de les exproprier).

En 1948, la Corporation, mal gérée, est mise en faillite et dissoute. L’État péroniste crée alors une nouvelle compagnie publique : «Transports de Buenos Aires», qui développe des lignes au-delà de la première ceinture de la capitale. Les banlieues sont enfin desservies. Le système reste public jusqu’à la chute du péronisme, en 1955. Ensuite, le nouveau pouvoir (toujours militaire, eh oui !), se lance dans la privatisation : il vend une vingtaine de lignes. Parallèlement, il supprime peu à peu toutes les lignes de tram et de trolley : à la fin des années soixante, il n’y a plus que des bus pour transporter les usagers en ville. Plus, naturellement, les cinq lignes de métro (la 5ème créée en 1966). Mais en ce qui concerne le métro, s’agissant d’une capitale aussi énorme (y vit le tiers de la population argentine, rappelons-le), il est notoirement sous-dimensionné, et ne s’étend pas au-delà des limites de la ville elle-même (Celle-ci compte plus de trois millions d’habitants, 17 millions pour la totalité de l’agglomération. A comparer avec Paris et ses 14 lignes de métro, pour 2 millions d’habitants, 12 en agglo).

1969

Aujourd’hui, la quasi-totalité des compagnies de colectivos est de statut privé, mais l’état garde la main sur l’organisation générale du système. Heureusement : on imagine le chaos si tout le monde pouvait faire selon sa volonté. C’est qu’il y a pas loin d’une centaine de compagnies, pour près de 350 lignes en exploitation ! Mais ces compagnies, pour la plupart, ne survivent que grâce aux subsides de l’état, qui subventionne largement le prix du gazole, d’une part, et celui du billet d’autre part. Et ce depuis la grande crise de 2001, qui avait vu s’effondrer la demande pendant que montait en flèche le prix du carburant. Mais malgré ces subventions, la flotte de bus commence à sentir de plus en plus le vieux. Tous fabriqués selon un modèle unique, ils circulent jusqu’à rendre l’âme. S’il est extrêmement rare de nos jours, de monter dans un bus neuf à Buenos Aires, en revanche il est fréquent d’avoir la sensation, à bord d’un des brinquebalants engins, de voyager dans le temps !

Le gouvernement cherche donc, aujourd’hui, à refiler le bébé à la municipalité de Buenos Aires. Celle-ci, en échange de ce transfert de charges, pourra gérer le système de lignes, décider du prix du billet, du montant des subventions. Mais bon, ça coince, naturellement : le cadeau est totalement empoisonné, s’agissant d’un service qui coûtera toujours plus cher qu’il ne rapporte !

Station Avenue 9 de Julio – Buenos Aires

Selon le journal Infobae, le gouvernement se défend de se soumettre au diktat du FMI. Il ne chercherait qu’à rétablir l’équilibre avec les systèmes de transport de province, qui, eux, ne bénéficiant pas des mêmes subventions, font payer le ticket bien plus cher à leurs usagers. En moyenne, 60-70 pesos par trajet contre 18 à Buenos Aires. Récupérer la manne distribuée jusque là aux compagnies portègnes permettrait ainsi d’en reverser une partie aux villes de l’intérieur, comme Rosario, Córdoba ou Bariloche, et d’en finir avec les disparités capitale-province. Ce que ne conteste pas la municipalité de B.A., mais celle-ci craint de devoir, du coup, augmenter substantiellement le prix du billet, qui pourrait passer de 18 à 40 pesos. Affaire à suivre : à savoir si après le transfert de charges, les provinciaux paieront effectivement un peu moins, ou si au final, ce sont seulement les usagers portègnes qui paieront leur bus plus cher !

A VOIR AUSSI

Article de La Nación

Article sur Pagina/12

Et notre « Instantané » sur le sujet, sur ce même blog ! (En français)

Pic de chaleur, Buenos Aires disjoncte

Une amie Québécoise vient de m’informer que chez elle, il faisait tellement froid en ce moment que ses fenêtres givraient de l’intérieur !

Fenêtre complètement givrée !

Ce n’est certainement pas le cas de l’Argentine, qui, en plein été austral, atteint des sommets de température. Hier à Buenos Aires, selon le journal Crónica, on a atteint le second pic de température après celui relevé en janvier 1957 (43,3) : 41,1°.

Naturellement, les clim’ tournent à plein. Résultat : les fournisseurs d’électricité sont débordés, et c’est ainsi que 700 000 foyers du secteur nord du Grand Buenos Aires ont été en partie privés de courant hier.

Comme toujours, les responsabilités de la coupure font l’objet d’une polémique entre la compagnie responsable (ici, Edenor) et l’autorité publique de régulation, ENRE (acronyme espagnol d’Entité nationale de régulation de l’électricité). Selon Edenor, la coupure serait due à un incendie dans un bidonville, qui aurait ensuite affecté des câbles haute-tension. Faux, répond ENRE. Aucun incendie : les pompiers n’ont même pas été appelés. Le quotidien Clarín qui rapporte l’événement fait état de témoignages confirmant l’incendie, mais contradictoires. Selon certains, c’est l’incendie de la maison qui a affecté le câble, d’autres ont vu des étincelles sur le câble, étincelles qui auraient ensuite provoqué l’incendie de la maison !

Ce qui met tout le monde d’accord, c’est que l’ensemble du système argentin souffre d’un manque cruel d’investissement. Pour les uns, la faute à des tarifs trop bas, ne dégageant pas suffisamment de marge aux fournisseurs, qui économisent donc en retour sur l’amélioration du réseau. Pour les autres, les fournisseurs privilégient la rétribution des actionnaires au détriment d’investissements indispensables. Le quotidien de gauche Pagina/12 rappelle que le gouvernement précédent avait imposé des hausses drastiques de tarifs (jusqu’à 300% ! On imagine la réaction des Français si cela s’était produit chez nous !), et que ces hausses auraient dû déboucher sur des améliorations, mais qu’il n’en a rien été.

La Nación prend cependant la défense du gouvernement de Mauricio Macri (2015-2019), en rappelant que les gouvernements péronistes ont toujours pratiqué une politique de gel des tarifs, à ses yeux contreproductive. Un article du 27 janvier 2016, sur le site BBC world (en espagnol), l’expliquait par le besoin dans lequel s’étaient trouvés les gouvernements péronistes de maintenir des prix bas, après la terrible crise qui avait affecté le pays en 2001, et considérablement appauvri une majorité d’Argentins. D’où des tarifs subventionnés, bien loin de couvrir les coûts réels de production, et obligeant les compagnies à restreindre les investissements.

Il n’en reste pas moins que, malgré les augmentations massives de 2016, le réseau argentin reste très précaire. Pas étonnant alors que le moindre pic un peu important fasse disjoncter le système. Pagina/12 rappelle d’ailleurs le gigantesque « apagón » (coupure) de juin 2019, qui avait plongé la quasi-totalité du pays dans le noir, et avait même affecté certains pays voisins.
En Argentine, l’électricité est aux mains d’une dizaine de compagnies privées, donc libres de leur politique d’investissement, mais contraintes néanmoins de par le contrôle de l’état sur les tarifs exigés auprès des usagers. Un système assez pervers, qui conduit comme aujourd’hui à ce que chacun se renvoie la balle des responsabilités, sans qu’aucune solution ne se pointe à l’horizon.

¡Ay, qué calor!