Une fois n’est pas coutume, le blog aborde l’actualité cinématographique. En effet, un excellent film argentin vient de sortir sur les écrans français cette semaine.
Il s’agit de Camila sortira ce soir, d’Ines Barrionuevo, le titre français étant pour une fois la traduction littérale du titre en espagnol, Camila saldrá esta noche.
Camila est une fille de 17 ans, qui vit dans la ville de La Plata, au sud de Buenos Aires, avec sa mère divorcée et sa petite sœur. La grand-mère étant gravement malade et hospitalisée, la famille déménage pour Buenos Aires, afin d’être plus près d’elle.
Camila et sa sœur intègrent donc un nouveau lycée, une institution privée catholique aux préceptes stricts et où les élèves portent l’uniforme. Très vite, Camila, qui est une adolescente très engagée en faveur des droits féministes, de la légalisation de l’avortement, de la lutte contre la violence de genre, se trouve confrontée à un univers hostile, autant du côté de l’administration du lycée que d’une partie de ses nouveaux camarades masculins.
Parallèlement, elle vit également un conflit avec sa mère, qui s’inquiète de son esprit rebelle et des conséquences qu’il pourrait entrainer.
Peu à peu, Camila se fait quelques nouveaux camarades à l’intérieur du lycée, et ce petit groupe solidaire parviendra à faire sauter le couvercle qui les étouffe, et à imposer une voix différente – et assez révolutionnaire – au sein de l’établissement.
A travers le personnage central de Camila, le film brosse un portrait très juste de la jeunesse argentine actuelle, très consciente des enjeux sociétaux autour des droits de la femme, de la violence machiste, du harcèlement sexuel, de l’homosexualité et de la lutte contre un traditionalisme hors d’âge, dans ce pays encore très catholique et conservateur qu’est l’Argentine.
Ines Barrionuevo mène l’ensemble de ses jeunes acteurs et actrices avec beaucoup de sensibilité, et ceux-ci trouvent le ton juste, sans outrance ni mièvrerie, sachant rendre crédibles leurs personnages. Très beau travail de la couleur, également, avec une utilisation pertinente du clair-obscur, laissant en permanence les protagonistes à la limite de l’ombre et de la lumière, de l’enfermement et d’une liberté qu’ils ne peuvent gagner que par leur engagement et leurs actions.
Un film qui déplaira fortement aux réacs en tous genres, qui prétendent asservir les corps et les esprits au nom d’une morale moyenâgeuse qui les rassure en leur évitant de se confronter à l’évolution inexorable du monde qui les entoure. Un très beau film sur une jeunesse libre qui ne veut plus se laisser dicter ses choix.
L’Académie de Nantes a fait un dossier pédagogique complet sur ce film, là. Vous y trouverez tous les renseignements sur la réalisatrice (dont un interview), le casting, ainsi que d’utiles fiches de travail en toutes matières, pour les profs.
Bonne occasion également de relire le compte-rendu de l’excellent livre de Marie Audran sur le combat des jeunes Argentines pour les droits de la femme et l’avortement légal, sur ce blog.
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J’en profite également pour vous toucher deux mots sur une intéressante série féministo-policière chilienne, sortie récemment sur ARTE : La jauría, en français La meute.
La meute, c’est toute une organisation clandestine et machiste, dont le but est d’enlever et d’abuser de très jeunes filles, avant de les faire disparaitre.
Par l’entremise d’un jeu en ligne sur le darknet, «le jeu du loup», l’organisation enrôle des groupes de jeunes garçons et les poussent à commettre de véritables atrocités.
En parallèle, un petit groupe de policières décidées et une autre meute, bien différente, de jeunes filles volontaires, se battent pour retrouver les disparues et obliger les coupables à se découvrir.
Pour le moment, sur le site d’ARTE, deux saisons de huit épisodes. A voir ici sur le site d’Arte, ou en replay sur votre box.
Pour compléter l’article précédent sur le « 3ème » potentiel candidat à la prochaine présidentielle argentine, à la fin de cette année, voici un petit compte-rendu d’un très intéressant article publié dans le quotidien de gauche « Pagina/12 » cette semaine.
(Les parties en italiques sont des extraits traduits de l’article)
Il a été rédigé par María Seoane, et porte sur le danger qu’il y a toujours à relativiser le succès généralement jugé éphémère de ce genre de personnage qui s’auto-proclame «anti-système», et qui, pourtant, sait parfaitement se servir du dit système pour arriver à ses fins.
Milei, un épiphénomène ?
Beaucoup s’imaginent que Milei n’est qu’un produit marketing qui disparaitra dès que l’establishment et les médias décideront de mettre le pouce en bas. Sauf qu’une fois le personnage construit, il agglomère aussitôt les rancœurs, le ressentiment, le désir, mystérieux et incurable, que nous Argentins ressentons depuis la nuit des temps, d’anéantissement du prochain.
Telle est l’introduction de cet article, qui ne peut manquer de résonner sur notre propre situation en Europe. Chez nous également, le phénomène Le Pen, et l’extrême-droite européenne en général, ont longtemps été traités avec légèreté comme des épiphénomènes destinés à mourir lentement. Et pourtant, ils semblent s’installer durablement dans le paysage, jusqu’à prendre le pouvoir, comme en Italie.
Là s’arrête néanmoins probablement la comparaison. Car si, chez nous, certains milieux d’affaires voient d’un bon œil l’ascension de partis autoritaires – Voir l’empire Bolloré – Milei peut être considéré quant à lui comme un véritable porte-drapeau à part entière de ces mêmes milieux, qui le couvent des yeux.
L’ultra-libéralisme en bandoulière
Nous pouvons voir Javier Milei promener ses cheveux en bataille de plateaux de télévision en hôtel de luxe et prononcer ses litanies colériques toutes en crachats violents, destinées à un public choisi de milliardaires avides de connaitre la recette qui permettra de détruire enfin cet État prélevant des impôts afin de maintenir à flot un pays intégré.
Ses idoles ? Les grands noms de l’ultra-libéralisme, Frédéric Von Hayek, Milton Friedman, ou l’argentin Martínez de Hoz, ancien ministre de l’Économie sous la dictature. Troupe abominable; nous dit Seoane, marchant sur les cadavres de tous ceux qui ont eu à subir leurs recettes économiques, Chiliens de 1973 ou Argentins de 1976.
Sa recette à lui ? Refonder le monde en en faisant un tas de ruines.(…) Pour pouvoir exploiter les ouvriers en leur retirant tout droit, n’est-il pas précisément nécessaire de les déshumaniser, d’en faire des animaux ou de détruire l’État garant des droits humains, économiques et sociaux depuis (la révolution française de)1789 ?
La haine de classe en Argentine
Milei traine avec lui une haine bourgeoise historique, on pourrait presque dire fondatrice, en Argentine : en premier lieu, celle des colons blancs envers les indiens, qui a culminé à la fin du XIXème siècle avec la «Campagne du désert», vaste programme d’extermination et d’appropriation des territoires mené à bien par le Général et ensuite président de la République Julio Roca.
Puis, dans les années de la grande émigration «européenne», envers la « populace » amenant avec elle les idéologies anarchiste et communiste. Enfin, dans les années 40, et jusqu’à aujourd’hui, envers la «racaille» péroniste.
Une haine, nous dit Seoane, dont le carburant est avant tout économique : il s’agit pour une caste d’orienter la répartition de la richesse vers son seul profit. On a persécuté les indiens pour leur voler leurs terres, on a persécuté les ouvriers du début du XXème siècle pour qu’ils n’entravent pas la bonne marche du capitalisme financier – essentiellement anglais – comme on a renversé en 1955 l’état providence façonné par Perón.
Les Anglais ont beaucoup investi en Argentine aux XIXème et XXème siècle. Pour leur plus grand profit, avec la complicité d’élus très…compréhensifs. Ici, le magasin Harrods de Buenos Aires. Fermé depuis plusieurs décennies, il est un symbole d’une économie transnationale prédatrice.
Dans la haine véhiculée par le langage politique, flotte toujours le désir d’accaparement. La dictature militaire de 1976 qui a créé l’État terroriste-néolibéral et transnational englobait dans le langage – les « subversifs » – la justification de l’extermination d’une génération politique tandis qu’elle faisait entrer l’Argentine, avec le plan économique Videla/Martínez de Hoz, dans l’ère du pillage néolibéral du XXe siècle, avec la dette extérieure comme principal pilier.
Une politique poursuivie sous les deux mandats de Carlos Menem (1989-1999). Seoane rappelle que c’est ce président qui, bien avant Milei, avait tenté de dollariser l’économie argentine, la conduisant droit dans le mur (avec la terrible crise du début des années 2000).
Dollariser : c’est le maitre mot du programme de Milei. Derrière cela, se cache le démantèlement de l’État et une politique de dérégulation totale de l’économie.
Il s’agit bien de redonner le pouvoir au capitalisme financier. Et de, note Seoane, … réinventer un épigone de la liberté absolue du marché, un incendiaire de la Banque centrale. Un clown des médias dont la violence discursive est comme la balle que le personnage du film « Le Joker » a tirée sur le présentateur de l’émission qui l’interviewait.
Milei n’est donc rien d’autre qu’un nouveau porte-parole de l’ultra-libéralisme poussé par ceux qui dirigent à leur profit l’Argentine depuis les premiers temps de la colonisation : les tenants de la grande bourgeoisie agraire et industrielle, s’appuyant, par un discours savamment entretenu pour dénigrer les plus humbles, sur la classe moyenne supérieure d’origine européenne.
Celle-là même qui, selon les sondages, est la plus favorable à ce nouveau trublion de la politique argentine. Celle-là même qui, comme elle le proclame, «en a marre de payer pour les éternels assistés d’un État trop généreux avec les fainéants».
Voilà qui devrait nous rappeler quelque chose.
La « Maison rose », palais présidentiel à Buenos Aires. La future demeure de Milei ?
« Une société lassée de souffrir en constatant l’impuissance ou l’indifférence de la classe politique est amenée à chercher de nouvelles portes à pousser pour sortir de son labyrinthe »
Cette phrase du journaliste conservateur de La Nación pourrait certainement s’appliquer à bien des sociétés dans le monde actuel. Et notamment en France, où peu à peu s’installe l’idée que, face à l’incompétence et à l’échec des gouvernements jusqu’ici aux manettes, le seul parti «qu’on ait jamais essayé», c’est le Rassemblement national. Ou quand la fatigue démocratique donne des soudaines envies de se jeter dans le vide.
Fatigue argentine
C’est aussi ce qui est en train de se passer en Argentine, visiblement. Depuis la grande crise de 2000-2001, qui avait conduit à de véritables émeutes ponctuées de mises à sac et de pillages de magasins, ainsi qu’à la succession de trois présidents de la République en deux ans, et après une courte éclaircie durant le mandat de Nestor Kirchner (2003-2007), l’Argentine ne s’est jamais vraiment remise économiquement et socialement de cette crise devenue quasi permanente, et qui, tout comme en France, a fini par creuser une fracture irréductible entre deux franges de population.
D’un côté, le péronisme de gauche, qui a gouverné de 2003 à 2015 avec donc, Nestor Kirchner, puis deux mandats de son épouse Cristina. De l’autre, la droite, représentée par «Juntos por el cambio» (ensemble pour le changement) une alliance entre l’historique Union Civique Radicale et une frange plus libérale, le PRO (Propuesta republicana, proposition républicaine), emmené par Mauricio Macri, président de 2015 à 2019, et dont la politique libérale a été désavouée dans les urnes.
Depuis janvier 2020, c’est un autre président péroniste, Alberto Fernández, qui tient les rênes. Mais son impuissance à juguler l’inflation et la hausse des prix, et la tutelle encombrante de la très clivante ancienne présidente Cristina Kirchner, l’ont rendu à son tour très impopulaire : il a perdu sa majorité au Parlement lors des élections de mi-mandat.
Les Argentins ne savent donc plus vraiment vers qui se tourner pour reprendre un peu espoir, face à une situation économique désespérée, avec une inflation à trois chiffres, des hausses de prix incontrôlables, une monnaie en chute libre et une conflictivité sociale au plus haut.
Troisième voie ?
Dans une telle situation d’impasse, la tentation est donc forte de se tourner vers des terrains encore totalement inexplorés. C’est sur un de ces terrains que joue un nouvel acteur politique, apparu au début des années 2020, élu député dès 2021, et qui a propulsé de manière fulgurante son nouveau parti «La Libertard avanza», à la troisième place lors de ces mêmes élections législatives : Javier Milei.
La doctrine de Milei, c’est cela : un savant mélange de libéralisme économique le plus sauvage, de racisme assumé, de climato-scepticisme enraciné, et de rage anti-avortement. Fan de Trump et de Bolsonaro, il copine avec les mouvements d’extrême-droite européens, comme l’espagnol Vox, et a soutenu le candidat Pinochetiste chilien Antonio Kast lors de la dernière présidentielle (perdue) de ce pays.
Son crédo : virer l’état d’à peu près tous les secteurs de l’économie et du social, et promouvoir la dérégulation totale, ainsi que la «dollarisation» de l’économie argentine. (Le dollar devenant monnaie officielle du pays).
Il a naturellement l’intention de se présenter à la prochaine présidentielle, à la fin de cette année. Pour le moment, dans les sondages, il conserve la troisième place, et sa victoire est encore très hypothétique.
Mais il ne cesse de monter, aidé en cela d’une part, par l’incapacité du gouvernement actuel de renverser la tendance inflationniste et la chute vertigineuse de l’économie, et d’autre part les divisions de l’opposition de droite, où la liste des prétendants s’allonge, et au sein de laquelle les débats, pour ne pas dire les combats, sont de plus en plus rudes, entre l’ancien président Macri que se verrait bien refaire un tour de piste, la très droitière Patricia Bullrich (favorable au port d’armes des citoyens lamba pour combattre la délinquance !) et le sémillant gouverneur de Buenos Aires Horacio Rodríguez Larreta.
Et quelques autres placés en embuscade, des fois qu’on aurait besoin d’un homme ou d’une femme providentiels pour faire la synthèse.
Adhésion ou protestation ?
Pour le moment, Milei pèse environ 20% dans les sondages. Ce qui n’est certes pas encore suffisant pour croire à une victoire finale, mais, après seulement quatre ans dans l’arène politique, ce score ferait rêver bien des novices. Au vu de son impopularité actuelle, il n’est d’ailleurs pas certain que le gouvernement péroniste, lui aussi divisé entre modérés soutenant Alberto Fernández et puristes appuyant l’ancienne présidente Cristina Kirchner, en obtiendra autant lors du premier tour.
On dit la popularité de Milei très en hausse dans certains secteurs clés de la population, comme les classes moyennes grevées d’impôts et les jeunes, qui voient en lui un libertarien (il a promis la légalisation des drogues).
Son élection, cependant, constituerait un véritable séisme dans la société argentine. Car comme notre Marine Le Pen nationale, il est aussi populaire chez les uns que détesté par les autres. Peu probable dans ces conditions que son arrivée au pouvoir réduise la fameuse «grieta» (fracture) qui divise le pays entre deux tendances irréconciliables depuis la fin de la dictature.
Par ailleurs, ses projets économiques ultra-libéraux pourraient refroidir beaucoup d’enthousiasmes un tantinet imprudents dans certains secteurs de la société, en accentuant de manière exponentielle les inégalités sociales et salariales. Comme souvent, en Argentine comme ailleurs, les gens ont la mémoire courte. La dernière fois que l’ultra-libéralisme a été essayé en Argentine, c’était avec le péroniste de droite Carlos Menem (dont Milei défend le bilan). Avec le succès qu’on a vu en 2001 (voir en début d’article).
Cela étant, une bonne partie de l’électorat se déclarant prêt à franchir le pas du vote Milei n’adhère pas forcément à toutes ses thèses. Car pour une bonne part, on l’aura compris, il s’agit d’un vote avant tout protestataire, en réaction au découragement et au désenchantement vis-à-vis des partis politiques traditionnels. Un peu comme chez nous avec le RN. Ce qui rend naturellement le pari d’autant plus risqué, et de nouvelles déceptions plus que probables.
En attendant, on peut retenir son souffle. L’Argentine est au bord du gouffre. Avancera-t-elle d’un bon pas, comme la « liberté qui avance » promise par le nom du parti de Milei ?
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Liens
Article (un poil tiède) du site RFI présentant Javier Milei
Le IXème Congrès international de la langue espagnole vient d’avoir lieu à Cadix, du 28 au 30 mars derniers.
Dans ce cadre, une table ronde a réuni les écrivains Juan Villoro (Mexique), Martín Caparrós (Argentine), Alonso Cueto (Pérou), Carmen Riera et Angel López García (Espagne). Thème : «Espagnol langue commune : métissage et interculturalité au sein de la communauté hispanophone.»
A cette occasion, Martín Caparrós a lancé une petite bombe sémantique, en proposant de débaptiser la langue espagnole, pour la renommer «ñamericano».
ARGUMENTS
Selon Caparrós, «il est temps de trouver un nom commun à cette langue, qui ne doit plus être seulement celle d’un seul des vingt pays qui l’utilisent. Il serait logique que 450 millions de personnes dans le monde cessent de penser qu’ils parlent une langue étrangère». Par ailleurs, toujours selon l’écrivain argentin, choisir un autre nom ne ferait qu’enrichir une langue qui s’est formée par « la respiration de nombreuses autres et qu’aucun royaume ne peut s’approprier».
Juan Villoro, pour sa part, est venu soutenir son collègue, en soulignant que le métissage de la langue espagnole l’a fait évoluer au point qu’il est aujourd’hui impossible de considérer qu’elle est réellement unique, et qu’on parle le même espagnol partout. «Le temps est révolu, dit-il, où l’hôtelier de Madrid ne comprenait pas son client péruvien lorsqu’il venait signaler un défaut de plomberie dans sa chambre». (En employant son vocabulaire local, NDLA)
Alonso Cueto, pour sa part, se réjouit que la circulation des mots de chaque côté de l’Atlantique est plus intense que jamais, en partie d’ailleurs grâce à la publication en Espagne d’auteurs sud-américains, et que la «pollinisation» de la langue se fasse également à travers le tourisme, la télévision, le commerce ou les migrations. Pour lui, l’idée d’une pureté de la langue est inutile et anachronique.
Martín Caparrós
METISSAGE
«Nous resterons toujours fièrement impurs», ajoute Cueto. «L’espagnol est un organisme vivant, et son renouvellement constant a pour moteur les parlers locaux». Il regrette à ce propos la disparition en Amérique latine d’une très grande partie des dialectes originels : aujourd’hui au Mexique, seuls 6,6% des langues parlées avant l’arrivée des Espagnols sont encore pratiqués.
Pour López García, l’espagnol était une langue métissée déjà bien avant la colonisation de l’Amérique du sud, rappelant l’apport, par exemple, du Galicien ou du Catalan lors des pèlerinages à Santiago de Compostelle. Enfin Carmen Riera rappelle que c’est au moment des indépendances que les différents pays sud-américains ont choisi l’espagnol comme langue commune, alors que jusque-là, selon elle, l’occupant n’avait pas vraiment cherché à l’imposer, ses fonctionnaires y voyant un risque de concurrence avec les autochtones.
CONTROVERSE
L’écrivain espagnol Arturo Perez-Reverte, en réaction à la proposition assez iconoclaste de Caparrós, a posté aussitôt un tweet ironique. «J’ai une proposition moi aussi» dit-il en ajoutant une image reprenant les codes graphiques de l’Académie Royale espagnole (RAE). Pérez-Reverte avance alors le nom de «Gilipañol». Une construction dérivée de «Gilipollas» (Imbécile, couillon, en espagnol) et du mot «espagnol». Ajoutant la définition suivante : «Gilipañol : langue artificielle, en notable expansion, rassemblant les couillons hispanophones d’Espagne, d’une grande partie de l’Amérique, des Philippines, de Guinée équatoriale et d’autres parties du monde». Indiquant qu’il songe sérieusement à soumettre cette définition lors de la prochaine réunion de l’Académie. Caparrós lui a répondu : «C’est la langue dans laquelle tu écris, non ?».
Arturo Pérez-Reverte
L’ESPAGNOL, LANGUE COMMUNE ?
S’il est assez peu probable que cette polémique entre intellectuels prospère durablement, il n’empêche que la question soulevée par l’écrivain argentin et ses collègues ne manque pas d’intérêt ni de fondement.
Car il n’est évidemment ici pas question de remettre en question l’existence de la langue en elle-même, mais simplement sa dénomination.
Or, rappelons que les sud-américains, en général, la désignent sous le terme plus ancien de «castillan (castellano)». Autrement dit, la langue de la Castille. Celle-ci n’est devenue l’espagnol que lorsque, justement, après son extension et l’unification des différentes provinces, le Royaume de Castille est devenu le Royaume d’Espagne.
La langue des Castillans est ainsi devenue la langue de tous les Espagnols, s’appropriant la dénomination pour sceller leur parenté linguistique. Or aujourd’hui, l’espagnol n’est-il pas devenu la langue de tous les hispanophones bien au-delà des frontières de l’ancien colonisateur ? Les Sud-Américains ne se sont-ils pas appropriés eux aussi cette langue, d’ailleurs au grand préjudice des langues autochtones qui peinent à survivre, comme le quechua, le guarani ou l’aymara ?
Voilà donc un argument de poids dans le sens de Caparrós. Sauf que le monde hispanophone, contrairement à l’Espagne avec la Castille, ne s’est pas fondu en un seul territoire. Et qu’une base linguistique reste une base linguistique, quelle que soit son évolution ou la diversité de ses locuteurs.
Si on change le nom de cette langue, alors, ne faudra-t-il pas songer à changer également celui de l’anglais ? Car si les Espagnols sont aujourd’hui largement minoritaires en nombre dans le monde hispanophone, on peut en dire tout autant des Anglais. Et même des Français !
UN ESPAGNOL, DES ESPAGNOLS
Les Sud-Américains parlent une langue qui leur a été apportée par les colons espagnols (dont beaucoup sont descendants), les Espagnols une langue imposée par celle du royaume d’origine, la Castille. Avec le temps, les usages, les apports des parlers locaux, celle des langues de l’immigration, elle a considérablement évoluée, et pas de façon uniforme. On ne parle pas tout à fait le même espagnol (ou castillan, si vous préférez) à Cuba, en Argentine, en Bolivie ou à Madrid. Ce qui n’empêche pas une parfaite compréhension mutuelle. Je n’ai pas eu besoin de réapprendre l’espagnol avant d’aller visiter l’Amérique du Sud ! Mais j’ai pas mal enrichi mon vocabulaire à l’occasion de chaque voyage !
Je vous laisse juges. Personnellement, je me sens assez éloigné de ce genre de polémiques qui me semblent plutôt secondaires. Par ailleurs, le nom proposé par Caparrós « ñamericano », efface d’un trait de plume toute origine espagnole, en en faisant une langue purement…américaine, ce qui est un peu fort de café ! (Certes, il y a le ñ. Pour Caparrós, c’est justement le signe capital rappelant l’origine. Un signe, dit-il, inventé par des moines copistes paresseux souhaitant s’économiser l’écriture du double n !).
Alors, comment désigner une langue ? En rappelant ses origines, ou en faisant référence à ceux qui la parlent ? Et dans ce dernier cas, si elle évolue encore, faudra-t-il lui trouver un nouveau nom ? Le débat reste ouvert !
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Liens :
Articles rendant compte du débat du Congrès :
Infobae, site d’infos argentin, qui m’a servi de base :
Le 18 janvier 2020, vers quatre heures du matin, à la sortie d’une boîte de nuit de la cité balnéaire de Villa Gesell, sur la côte atlantique, un groupe d’une dizaine de jeunes s’en prend à un autre, avec lequel il semble qu’ils aient eu un différend à l’intérieur de l’établissement. Le jeune, Fernando Báez Sosa, est victime d’un véritable guet-apens. Ses agresseurs ont attendu que les policiers en patrouille se soient éloignés pour lui sauter dessus, et l’ont violemment frappé, le laissant pour mort sur le trottoir. Puis ils sont tranquillement rentrés à leur appartement de location, en se félicitant de la bonne leçon donnée à cet «hdp» comme on dit en espagnol (Traduire fils de p…. en français).
Pas de chance pour eux : le jeune est réellement mort des suites de ses blessures, la scène a été filmée, il y a des témoins, et la police n’a aucun mal à retrouver les agresseurs. Ils sont arrêtés dès le lendemain. Il s’agit de membres d’une équipe de rugby de Zárate, au nord-ouest de Buenos Aires. La victime était également originaire de Zárate.
Deux des membres de la bande sont assez rapidement mis hors de cause, restent donc huit d’entre eux qui vont être inculpés pour l’agression. J’étais à Buenos Aires à ce moment-là, et je peux témoigner que l’affaire a fait grand bruit dans toute l’Argentine : pendant plus d’un mois, les chaines d’information du pays ont tourné en boucle sur le sujet, multipliant les débats, les témoignages, et surtout, diffusant sans filtre et en permanence les images recueillies par les caméras de surveillance (Eeeeh oui, en Argentine, la presse n’hésite jamais à diffuser les images d’agression et de crime quand elle en a, quelque soit le degré d’horreur des dites images, et personne ne s’en offusque !). Impossible d’allumer une télé à n’importe quelle heure du jour et de la nuit sans tomber dessus.
Comme on l’imagine, l’affaire a suscité une émotion à la hauteur de la lâcheté et de l’ignominie des agresseurs, qui, sur le moment, n’ont absolument pas eu la moindre conscience de la gravité de ce qu’ils venaient de commettre. Au contraire : il fut rapidement avéré qu’ils s’en étaient félicités, comme d’une prouesse ou d’un fait d’armes. Circonstance aggravante : le racisme. Des témoins ayant assuré les avoir entendus dire «Tuez ce noir de merde» (Maten ese negro de mierda : attention cependant, en Argentine, «negro» désigne moins la couleur de peau (les gens de couleur étant quasiment inexistants dans ce pays) que l’origine indienne, qui fait l’objet d’un racisme récurrent de la part des gens d’origine européenne.
Ce serait un euphémisme de dire que le fait qu’ils soient des joueurs de rugby ait accentué le rejet et l’indignation de l’immense majorité de la population argentine. En effet, contrairement à chez nous, ce sport n’est pas du tout un sport populaire (au sens « pratiqué et suivi par le peuple ») comme peuvent l’être le foot ou le cyclisme, par exemple. Au contraire : là-bas, le rugby, c’est avant tout le sport de l’élite, au sens pécuniaire du terme. Un sport de riches, quoi. Ainsi, dans l’esprit de la majorité des gens, les membres du groupe d’agresseurs sont, avant tout, des fils à papa. Ce qu’ils sont en effet, et ce qui, on s’en doute, n’a pas contribué à améliorer leur image dans l’opinion. D’autant que Fernando Báez Sosa, lui, était issu d’une famille modeste.
Voilà comment une banale, mais tragique, bagarre de sortie de boîte va devenir rapidement un débat de société. Sur la violence de l’époque, sur l’éducation de la jeunesse, sur le rugby. Et même sur la politique, en raison du raccourci facile « rugby/fils à papa/ jeunesse doré/privilégiés ».
Trois ans d’instruction
C’est ce qu’il aura fallu pour arriver au procès, puis au verdict de ce mois de février 2023. Cela peut paraitre long eut égard non seulement à la gravité des faits, mais également à l’évidence de l’implication directe des accusés. Mais la justice argentine n’est hélas, on le voit, pas plus rapide que la nôtre. Ou du moins, sa rapidité est sélective, car on a connu des sentences plus expéditives.
A l’issue de treize jours de procès, les attentes de l’accusation et de la défense étaient diamétralement opposées.
Pour l’accusation, tout converge vers une sentence de prison à perpétuité. Le caractère dérisoire de la querelle de départ (Fernando Báez Sosa aurait bousculé l’un des accusés, Maximo Thomsen, dans un couloir étroit et rempli de monde à l’intérieur de la boîte), la concertation entre les différents accusés pour «faire payer» la victime à la sortie, l’organisation du guet-apens (les huit impliqués ont fait cercle autour de la victime pour empêcher toute aide en sa faveur), et la satisfaction affichée ensuite, en l’absence de toute conscience de la gravité de leur actes (ils sont rentrés chez eux en envoyant des messages à leurs amis pour leur raconter leur aventure, puis sont allés tranquillement manger des hamburgers pour finir la nuit).
La partie civile elle, conteste toute préméditation. Pour elle, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une banale bagarre de rue qui a mal tourné. Mieux : elle réclame même l’acquittement des accusés, mettant en avant certains vices de forme de l’instruction (preuves détournées ou utilisées à mauvais escient, hiatus entre les attendus donnés en fin d’instruction et ceux mis en avant par le tribunal, impossibilité de déterminer l’auteur exact des coups mortels).
Le réquisitoire du procureur est sensiblement le même que celui de la partie civile. «Les accusés ont attaqué Fernando par surprise et en réunion, avec des coups de pied et de poing alors qu’il était inconscient et incapable de se défendre. Ils ont également frappé certains de ses amis lorsqu’ils sont venus le défendre. Cela relève de l’homicide doublement aggravé par organisation* et concours prémédité par deux personnes ou plus», a énoncé en substance le magistrat. (*La notion d’alevosía n’existe pas en droit français, qui ne la distingue pas de la préméditation. En espagnol en revanche, cette distinction est faite. Alevosía désigne une manière de préparer son crime pour en éviter les conséquences judiciaires.)
Le magistrat met en avant les 23 témoignages visuels, tous à charge, et l’intime conviction que «tous ont participé à tout», pour réclamer la même peine pour les huit accusés. Il rejette l’argument de la défense selon laquelle il s’agirait d’une simple bagarre, alléguant que «pour qu’il y ait bagarre, il faut qu’il y ait deux groupes impliqués». Or, Fernando Báez Sosa s’est retrouvé seul face à ses agresseurs. Selon lui, ils avaient bien l’intention de tuer. C’est pourquoi il réclame la peine maximale.
Le verdict
Il est tombé à 13h18 le lundi 6 février. Sur les huit accusés, cinq ont été condamnés à la perpétuité, trois à 15 ans de prison, considérés comme « auteurs secondaires » des faits. A l’écoute de ce verdict, un des accusés, Maximo Thomsen, souvent présenté comme le meneur de la bande, s’est évanoui.
Les huit condamnés
En Argentine, la prison à perpétuité n’excède jamais en réalité le total de 35 ans de réclusion, maximum fixé par la loi. Il est même possible d’obtenir avant ces 35 années une mise en liberté conditionnelle, mais le caractère d’homicide aggravé défini par le tribunal à l’encontre des actes commis par les cinq condamnés la rend dans ce cas inenvisageable. Elle sera possible en revanche pour les trois condamnés à 15 ans, au bout de 7 ans de réclusion. (Source : Pagina/12)
A l’heure où nous écrivons cet article, les journaux n’ont pas encore rapporté les réactions à ce verdict, dans la population comme dans les milieux sportifs, politiques ou sociaux. Elles ne devraient pas manquer. Citons seulement le tweet du gouverneur de Buenos Aires, s’adressant à la famille de la victime : «La justice ne répare rien, mais elle soulage. J’espère sincèrement que ce verdict vous apporte un peu de réconfort. Je vous embrasse du fond du cœur». A la sortie du Tribunal, une petite foule a accueilli les parents de la victime par des applaudissements. De son côté, la mère de Maximo Thomsen a laissé éclater sa colère en plein tribunal : «Tout ça est un vaste mensonge, virez tous ces enfoirés de journalistes. Trois ans à les torturer, j’en n’ai plus rien à faire de rien !».
La victime avait 18 ans en 2020. Ses assassins ont entre 21 et 23 ans. 40 secondes d’inconscience à la sortie d’une boite de nuit, quand l’alcool et l’effet de meute prennent le dessus. Des années de douleur à vivre maintenant pour tous ceux qui sont concernés par ce drame. En effet, la justice ne répare jamais rien. Quant à savoir si elle soulage…
Vidéo du moment de la bagarre : https://www.youtube.com/watch?v=S8cygIksbfA
(NB : la vision de cette vidéo est soumise à la connexion à youtube, en raison de son caractère extrêmement sensible)
Sur chaque continent existe une instance de dialogue entre les différents états le constituant. Conseil de l’Europe, Union africaine, Association des Etats d’Asie du sud-est, etc…
L’Amérique quant à elle présente l’originalité d’en avoir deux, plus ou moins antagonistes : l’historique Organisation des Etats américains (OEA), qui regroupe les Etats aussi bien du nord que du sud, et la CELAC, autrement dit la Communauté des Etats latino-américains et des Caraïbes. Cette dernière a été créé en février 2010 par le président du Venezuela Hugo Chavez. Comme son nom l’indique, elle ne regroupe que les pays du sud, du Mexique à l’Argentine. N’en font pas partie les pays du nord, Etats-Unis et Canada, ainsi que les pays possédant des colonies dans le sud, comme la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni.
On imagine facilement ce qui a motivé sa création. Dans son exposé d’objectifs, la CELAC se présente avant tout comme une structure destinée à l’intégration de l’ensemble des pays latino-américains. Mais au-delà de cela, bien entendu, il y avait également le désir de certains dirigeants de s’affranchir un tant soit peu de la pesante tutelle des États-Unis sur l’Organisation des États américains.
Pays intégrant la CELAC (différentes nuances de vert). En jaune, le Brésil : Bolsonaro a retiré son pays de la Communauté en 2020.
En principe, les deux organisations ne sont pas antinomiques. D’ailleurs la totalité des membres de la CELAC sont également membres de l’OEA, actuellement présidée (depuis 2015) par l’Uruguayen Luis Almagro. Les objectifs principaux de cette dernière sont la défense de la démocratie, la lutte contre le trafic de drogue, et la facilitation des échanges entre pays américains.
Mais récemment se sont élevées certaines critiques vis-à-vis de la CELAC, dont certains de ses membres commencent à estimer qu’elle a tendance à se réduire à un club anti-étatsunien d’une part, et une officine de propagande populiste de gauche, d’autre part. «Dans le viseur», comme on dit dans les journaux, trois pays très critiqués pour leurs régimes autoritaires : Cuba, Venezuela et Nicaragua.
En 2021, lors du congrès de Mexico, le président Argentin Alberto Fernández avait sévèrement critiqué l’OEA, en disant que «En l’état, l’OEA ne servait plus à rien». Il faisait référence à la destitution d’Evo Morales (Bolivie) en 2019, à l’occasion de laquelle l’OEA avait pris ouvertement position contre le président bolivien en contestant la régularité des élections. Celle-ci a également poussé dehors, justement, les dirigeants des trois pays « douteux » : Diaz-Canel le Cubain, n’est plus invité, Daniel Ortega (Nicaragua) a décidé de ne plus assister aux réunions, et le Venezuela est officiellement représenté par le pourtant non-officiel président auto-proclamé Juan Guaidó, opposant déclaré à Nicolás Maduro.
Pays intégrant l’OEA (vert). En rouge, Cuba, qui en est exclu, en jaune le Venezuela, représenté par un membre de l’opposition au pouvoir.
En somme, depuis 2010, on peut observer une nette ligne de fracture idéologique entre les deux organisations, même si elles continuent de réunir – en dehors des exceptions citées ci-dessus – l’ensemble des pays américains. D’un côté, une OEA plutôt dominée par les gouvernements conservateurs, de l’autre, une CELAC essentiellement animée par les gouvernements les plus à gauche. A droite, on accuse la CELAC de promouvoir les révolutions communistes (en gros) de type cubain ou vénézuélien, à gauche, on traite l’OEA de «ministère des colonies des Etats-Unis».
L’éternelle fracture américaine. A l’origine, la création de la CELAC partait d’un objectif tout à fait louable, dans la mesure où il est plus qu’évident que les Etats-Unis n’ont jamais cessé, et ne cesseront jamais, de considérer les autres pays américains comme des protectorats, n’hésitant jamais à manipuler la démocratie en leur faveur. Mais il est non moins évident qu’elle n’a pas su, de son côté, maintenir son cap d’origine, à savoir l’intégration des Etats latinos.
Son biais idéologique la rend perméable aux critiques. Citons Luis Almagro, président de l’OEA : «La variété d’opinions fait la force de notre organisation. Donner une couleur idéologique a la CELAC est une erreur. Gardons-nous de la tentation idéologique dans les forums internationaux». Une critique qui aurait plus de puissance si, de son côté, l’OEA était exempte de tout biais idéologique ! Ce qui est loin d’être le cas, comme on peut le constater en permanence par ses prises de position politiques – voire ses interventions – dans les processus démocratiques des différents pays qui la composent.
Luis Almagro, actuel président de l’OEA.
Récemment, le président des Etats-Unis Joe Biden a présenté l’OEA comme «le seul forum engagé en faveur de la démocratie et des droits humains». Certains latino-américains, comme, au hasard, Chiliens, Brésiliens, Boliviens, pourraient légitimement contester l’affirmation, quelques preuves en main !
Mais de son côté, la CELAC, qui s’obstine à soutenir un Daniel Ortega qui a fait de son pays, le Nicaragua, une propriété personnelle, et de son peuple une armée de serviteurs, ou un Maduro dont l’incompétence et l’incurie ont conduit, et conduisent toujours, le pied sur l’accélérateur, le Venezuela à une catastrophe humanitaire, serait sans donc plus crédible en faisant preuve d’un poil plus de lucidité.
C’est assez désolant, mais c’est ainsi : plus de cinq siècles après Christophe Colomb, l’Amérique dans son ensemble est toujours à la recherche de la signification du mot «indépendance» !
Comme (je ne l’avais pas) promis, voici un petit florilège de commentaires argentins d’après victoire.
Attention, hein, il s’agit d’une sélection, qui ne se prétend pas totalement représentative de l’opinion argentine, je ne me suis pas appuyé la lecture de tous les commentaires sous les articles de presse ! Oh oh !
Je vous fais grâce des cris de victoire, on est les meilleurs, c’est le plus beau jour de ma vie, l’Argentine de Messi est la plus belle de tous les temps, nous sommes le plus grand pays de football du monde, etc… Il y en a plein, comme il y en aurait eu plein chez nous en cas de résultat inverse.
Au sujet de ce troisième titre, en revanche, on pouvait s’attendre à l’inévitable comparaison Maradona-Messi. Qui c’est le plus beau ?
Enfin on tourne la page Maradona. Un joueur extraordinaire, mais un mauvais exemple autant comme joueur que comme personne.
Ne mélangeons pas les torchons et les serviettes ! Maradona était un grand joueur, mais un type détruit par la drogue et l’alcool. Comment peut-on le comparer à Messi, excellent joueur, honnête, sain, à l’esprit familial ? Arrêtons de les comparer, ça n’a aucun intérêt, à part pour les journalistes en mal de copie !
Les deux ont été magiques mais l’un dépasse l’autre en terme de dignité et d’éthique. Messi n’a pas mis de but de la main ni soutenu le gouvernement en place, encore moins la dictature ni frayé avec le milieu. La simplicité et l’humilité de Messi le grandissent et en font un exemple.
Comme Aimé Jacquet avant la victoire de la France en 1998, Messi avait été critiqué par la presse argentine avant le tournoi. Certains journalistes l’avaient même traité de « mollasson » (« Pecho frio »). Naturellement, après la victoire, ils se prennent le boomerang en pleine figure.
Je propose que ceux qui ont médit de Messi et Scaloni (l’entraineur) fassent un acte de contrition.
Et ceux qui ont traité Messi de mollasson ? Où ils sont ???
Je vous en passe des bien moins charitables, et surtout moins publiables…
Naturellement, s’agissant de l’Argentine, impossible de ne pas y mêler un peu de politique. Le sport le plus populaire du pays n’échappe pas à la fracture politique.
Ferveur, mer de larmes, euphorie au cours d’une prétendue fête qui s’est terminée dans la saleté et les dégradations sans le moindre respect pour les lieux interdits au public, des dégâts commis par des gens qui ont un ballon à la place du cerveau. Nous savons à quel courant politique ils appartiennent.
C’est une honte que ce soit l’équipe argentine qui donne de la joie au peuple, et non 40 ans d’une « démocratie » qui a appauvri , socialement, financièrement et culturellement le 7ème pays du monde en superficie, et le plus riche de tous. (Oui, il y a des Argentins optimistes !)
La grande fête argentine, à laquelle ne sont invités ni les corrompus ni les opportunistes !
Il y a un moment qu’une grande partie de la population qui fait ses courses au supermarché n’a plus les moyens de rien y acheter. Les gens souffrent, car il ne s’agit pas de luxe, mais de nécessité. Alors, tout comme autrefois les peuples de l’Antiquité qui crevaient de misère, ils sont sortis dans la rue hier pour agiter les drapeaux et fêter la libération. Et celui qui avait rompu les chaines pour quelques heures était un type qui gagne plusieurs millions de dollars par an. Un héros moderne. Un brave type, mari et père aimant. L’économie de marché a décidé que ce gars qui adorait jouer au ballon serait le libérateur du XXIème siècle. Voilà notre époque.
Ah ! Et puis l’ami Christophe nous a parlé hier des mauvaises manières, (en langage sportif, on dit « chambrage ») rapportées par le Figaro, des joueurs argentins vis à vis de nos bleus, après la victoire. Cela n’a pas échappé à la sagacité des (rares) supporters argentins qui lisent la presse étrangère.
Ceux qui savent lire le français trouveront dans Le Figaro d’aujourd’hui un commentaire sévère sur l’attitude mal élevée de Dibu Martinez non seulement pour ses gestes obscènes trophée en main, mais également pour ses chants dans le vestiaire. Et ce n’est pas un commentaire de mauvais perdant, c’est hélas vrai !
Voilà pour le seul avis « non chauvin » trouvé dans la presse d’hier. Qui s’est immédiatement pris une volée de bois vert :
Bah, il n’y a que les Français pour protester contre les chansons de vestiaire. Parce que vous croyez que ce sont des pucelles qui expriment toute leur joie candide en dansant ? Ils n’ont aucun argument et tentent seulement de ternir la fête de joueurs qui donnent libre cours à leur émotion. Les Argentins l’ont fait dans leur vestiaire, qui est un lieu privé. Ils se sont scandalisés quand Mbappé a célébré le pénalty manqué des Anglais ?
Ouais, ouais… il s’agit bien des Français. Ceux-là mêmes qui font les bien propres sur eux, mais qui quand il s’agit de discriminer, de conquérir et de polluer la planète, ne le sont pas tant que ça, propres. Ce qui n’enlève rien à la mauvaise attitude des Argentins en diverses occasions, mais tant qu’à comparer…
PRIVE ! Seul Dieu a droit de regard sur la vie privée des hommes…Personne d’autre ! Ils ne manquerait plus qu’ils se glissent dans le lit des gens pour leur dire comment bien faire l’amour !
Une critique qui ne va pas sans un poil de racisme, un biais largement partagé des deux côtés de l’Atlantique, hélas :
L’Argentine a gagné sa troisième étoile haut la main, en challenger, sans joueurs accros à la drogue ni but de la main. Et en plus contre le tenant du titre, c’est à dire la France+l’Afrique, et malgré le chat noir rôdant dans les tribunes. Carton plein !
Cette histoire de chat noir ne vient pas de nulle part. Lors de la seule défaite de l’Argentine en qualif’, on avait vu s’afficher l’ancien président Mauricio Macri en tribune entouré de dignitaires Qatariens. Il avait alors été la cible des rieurs qui l’avaient traité de porte-malheur. C’est resté. Du coup, après la victoire, et comme il était également dans le stade ce dimanche, ses supporters se vengent… aux dépens du nôtre, de président !
A la demande générale de quelques lecteurs amateurs de foutebol, je vais donc me pencher sur le résultat argentinesque de cette dernière coupe du monde du ballon qui ne tourne pas toujours très rond.
Mais je tiens à prévenir : il n’y en aura pas d’autres. D’abord parce que là où je suis, mes conditions de connexion, et donc d’accès à la plateforme du blog, sont plus que flottantes, et ensuite parce qu’avec cette coupe bue jusqu’à plus soif, (ne plus avoir soif, au Qatar, ça reste tout de même un exploit, compte tenu de la prohibition de la bière !) je n’ai pas vraiment trinqué.
Voilà donc les Argentins pour la troisième fois au sommet de la montagne. Après la Coupe de la honte chez eux en 1978, qu’ils avaient remportée pour le plus grand bénéfice des généraux au pouvoir (et dont ils avaient acheté un match en qualif’), celle de 1986 gagnée avec l’aide de Dieu, de sa main, ou de celle d’un autre dieu plus païen, on ne sait plus, cette fois, pas de lézard : ils ont bien mérité leur victoire. Pas de bol pour les réacs de tout poil : ils la gagnent sous un gouvernement péroniste, détesté par la moitié du pays et dont la vice-présidente vient d’être condamnée pour corruption.
Mais bien entendu, lorsqu’il s’agit de défiler sur les Champs… pardon, sur l’avenue du 9 de Julio (bien plus longue et bien plus large que nos Champs-Elysées, soit dit en passant), tout le monde se réconcilie pour communier à la grand-messe du divin sport.
Une du quotidien La Nacion du 19/12/2022
C’est donc la liesse générale, on peut oublier pour quelques jours l’inflation à trois chiffres, les haines politiques recuites et la dépression profonde dont le pays ne semble plus sortir depuis la chute de la dictature en 1983. Certains diraient plutôt : depuis la chute de Perón en 1955. Tout dépend des points de vue. Mais ce n’est pas le sujet. Aujourd’hui, tout comme en 1978, toute l’Argentine exulte et se fout pas mal du contexte. Le foot reste un excellent analgésique. Du moment qu’on gagne, bien entendu.
Un petit tour de la presse locale, d’ordinaire très clivée, permet d’en mesurer les effets.
Pour la Nación, «l’équipe de Messi a gagné la plus belle finale de l’histoire et s’est acheté un coin du paradis du football». «Euphorie et mer de larmes pour une fête qui a résonné dans tous les recoins du pays» (avec photo de la fameuse avenue en prime). «Au-delà des records, Messi fait l’histoire et gagne la dévotion, la gratitude et l’éternité». Et pour l’analyse de la partie, dominée de la tête et des épaules par l’équipe bleue et blanche, le journal décortique la vision de Scaloni, l’entraineur argentin, et l’erreur monumentale de Deschamps, qui se serait gourré à la fois de stratégie et de tactique.
Voyons maintenant ce que se dit à l’autre extrême de l’éventail politico-journalistique, chez les gaucho-péronistes de Pagina/12. Commençons par vous faire un petit cadeau : quelques cartes postales de l’Avenue du 9 de Julio dimanche soir. Pour le reste, comme on pouvait s’y attendre de la part de ce canard tout de même moins chauvin et un poil plus réflexif, la joie est plus mesurée. On met l’accent ici sur le côté collectif de la victoire, on s’attarde sur le côté cathartique du succès, avec Sandra Russo : «Du néant, de la fracture, du découragement, du boycott, de la récupération politique que le pouvoir réel fait des émotions populaires qu’il transforme en marchandises, est sorti soudain cette fête populaire qui gonfle nos poitrines et qu’il fallait pourtant défendre du petit discours ambiant qui les qualifiait de moribondes, d’ambiguës et de vulgaires». Et on s’intéresse aux réactions internationales.
Chez Clarín, le quotidien le plus lu du pays, le ton est aussi à la fête et à la victoire, mais j’ai été étonné d’en constater la mesure. On n’en fait pas des tonnes, soulignant surtout une certaine justice faite au grand champion Messi, qui peut enfin porter la couronne suprême. Petite curiosité, avec un détour par un bar parisien dans lequel les Argentins de France se sont réunis pour suivre la partie, le transformant en une sorte, dit le journal, de «Bombonera», du nom du célèbre stade du club de Buenos Aires Boca juniors. Et, pour le décalage, une collection de «memes» autour du tournoi !
Mais ce journal, fidèle à ses obsessions politiques, s’étale finalement bien moins que les autres, qui, eux, consacrent toutes leurs premières pages à l’événement. Chez Clarín, au bout d’une dizaine d’articles développés sur une moitié de une (je parle là de la une numérique, bien entendu), on en revient vite à l’actualité politico-polémique, sur le thème récurrent du journal : le péronisme est la cause de tous nos maux. Faudrait tout de même pas que l’euphorie prenne le pas sur la crise politique et fasse oublier de taper sur le gouvernement. Je passe les articles, suffit d’aller voir par vous-même : Clarin.com.
Voilà pour le tour des stades. Pardon, des unes. Je m’arrête aux trois canards principaux. Pour les autres, je vous laisse aller y voir vous-mêmes, je manque un peu de temps si je veux poster cet article avant que le globe doré ne se couvre de poussière. C’est ici, là, et là. Par exemple. Mais dans l’ensemble, les unes se ressemblent pas mal, on s’en doute.
Si j’ai de la connexion et un peu de temps, demain, je vous baillerai une petite revue de commentaires populaires, histoire de prendre la température des aficionados argentins. Mais je ne promets rien !
En attendant, amis footeux, bonne digestion. Les défaites sont toujours un peu lourdes, et en ces veilles de fêtes, cette séance de penalties manquée (une marque de fabrique française, vous ne trouvez pas ?) ne pouvait pas tomber plus mal.
PS. Je dédie cet article à mon ami Benito Romero, sans lequel je n’aurais jamais aussi bien suivi le parcours de la sélection Albiceleste, comme on l’appelle là-bas !
Suite du feuilleton Cristina Kirchner. Comme nous l’annoncions dans l’article précédent, le jugement est tombé hier dans la journée. L’ancienne présidente (2007-2015) et actuelle vice-présidente de la République Argentine a été jugée coupable de corruption et de fraude aux marchés publics et condamnée à six ans de prison, ainsi qu’à l’inéligibilité à vie.
Un jugement qui ne surprend personne, à Buenos Aires. Selon Pagina/12, la messe était dite depuis longtemps, en raison de la partialité de juges, selon le quotidien de gauche, qui n’ont présenté aucune preuve tangible de l’implication de Cristina Kirchner dans un réseau de corruption. Pour le quotidien, dans cette affaire, la seule association de malfaiteurs, c’est justement celle des juges !
Cristina Kirchner recevant le bâton de présidente de son mari Nestor, lors de la passation de pouvoirs en 2007.
Ce n’est évidemment pas l’avis des journaux d’opposition au gouvernement péroniste. Pour la Nación, ce n’est que le début d’une longue liste de condamnations à venir, puisque d’autres procès demeurent en cours, concernant d’autres affaires d’ordre similaire, comme celle de présumé blanchiment d’argent dans la construction et la réfection d’hôtels appartenant à la famille Kirchner en Patagonie.
L’ancienne présidente n’ira néanmoins pas en prison tout de suite. D’une part, elle bénéficie d’une immunité en tant que parlementaire et membre du gouvernement (il faudrait un vote et une majorité des deux tiers au parlement pour la lever), d’autre part, elle va naturellement faire appel de la sentence. Elle pourrait même se présenter à la prochaine présidentielle, malgré l’inéligibilité.
Dans cette affaire, elle n’est pas la seule condamnée. Il y avait en tout 13 accusés, à des titres divers. (Voir détails dans Clarín) Deux ont écopé de la même peine, l’entrepreneur Lázaro Báez et l’ancien secrétaire d’état aux travaux publics José López. 6 ont été condamnés à des peines un peu moins lourdes, 4 ont été finalement acquittés. Tous sont d’anciens fonctionnaires ou liés à des entreprises de travaux publics.
Les péronistes, qui soutiennent Cristina Kirchner, voient dans cette sentence la volonté de juges liés à l’opposition de droite de proscrire le mouvement, une nouvelle fois. (Rappelons que le péronisme avait été proscrit après le coup d’état de 1955, durant 18 ans, par les différents gouvernements militaires qui s’étaient succédé). La vice-présidente elle-même parlant d’une mafia judiciaire œuvrant pour la faire disparaitre du paysage politique.
Même s’il est très difficile pour un spectateur extérieur, comme nous le disions précédemment, de faire la part des choses, il parait assez probable en effet que la droite ait au moins profité de cette fenêtre judiciaire pour enfoncer un coin dans un mouvement péroniste qui demeure envers et contre tout très populaire auprès des Argentins les plus modestes.
Il n’en reste pas moins vrai que les marchés publics de construction de routes dans la région de Santa Cruz (celle dont sont originaires les Kirchner) ont été systématiquement attribués à la même entreprise amie de la famille, celle de Lázaro Báez.
Néanmoins, il semble bien que les preuves de l’implication directe de Nestor (président de 2003 à 2007) et Cristina Kirchner (présidente de 2007 à 2015) n’aient jamais été clairement démontrées. Par exemple, aucun document écrit n’a pu être mis au jour prouvant que l’ancienne présidente ait réellement donné des instructions concernant l’attribution des marchés. Ce qui n’enlève rien à l’évidence des relations entre les différents protagonistes de l’affaire. En somme, si les juges ont probablement moralement raison (Le favoritisme envers Báez saute aux yeux), ils se sont appuyés davantage sur des faisceaux de présomption et des témoins aux versions changeantes que sur des preuves tangibles, et le jugement manque donc de solidité légale.
En attendant, l’opposition exulte. Dans la Nación, Mariano Spezzapria voit dans le jugement une bombe politique qui laisse le gouvernement KO debout : Cristina Kirchner a annoncé qu’elle ne se présenterait plus à rien, laissant ainsi le mouvement orphelin d’une dirigeante historique. Dans Clarín, Claudio Savoia voit une sentence ouvrant la porte à une ère nouvelle, et qui pourrait servir de tremplin pour de nombreuses autres affaires. Une bombe qui pourrait bien sauter à la figure de nombreux autres dirigeants sud-américains eux aussi convaincus de corruption. Savoia ne prend pas la peine d’user d’euphémisme ni de prendre de gants, dressant une liste impressionnante de corrompus, mélangeant joyeusement les avérés comme l’ancien président Paraguayen González Macchi et les blanchis victimes de lawfare comme Lula au Brésil.
Cristina Kirchner et Ignacio Lula Da Silva
A gauche en revanche, on dénonce assez unanimement une persécution envers l’ancienne présidente. Pagina/12 relate en détails l’appui reçu de la part à la fois du gouvernement, des syndicats et d’associations de droits de l’homme.
Alors, sentence méritée ou lawfare ? Difficile de se faire une idée en lisant une presse totalement partiale en Argentine. Il n’en reste pas moins qu’avec ce jugement, le kirchnerisme, ce péronisme classé à gauche, est gravement touché, et aura du mal à s’en remettre. Il est en effet peu probable que Cristina Kirchner, malgré sa popularité encore élevée, puisse avoir encore un avenir politique. Paradoxalement, cela laisse le champ libre à l’espoir d’un certain apaisement politique dans un pays où sa figure cristallise rancœurs et divisions. Et pourrait arranger l’aile plus centriste du mouvement, portée par l’actuel président Alberto Fernández, qui ces derniers temps était entré en conflit de tendances plus ou moins ouvert avec le kirchnerisme.
On aura noté la rareté informative sur le blog ces derniers temps. Mais je fais confiance à l’immense majorité très affutée de nos lecteurs habituels pour en avoir déduit la cause principale. En effet, en ce moment, dans la presse argentine, l’actualité dominante, pour ne pas dire écrasante, a pris une très nette forme sphérique.
En bref, les unes des journaux, depuis début novembre, sont couvertes de photos de types en maillots de toutes les couleurs, et, pour ce qui concerne nos amis Argentins, surtout en bleu ciel et blanc. Tenez, rien qu’aujourd’hui, dans la Nación, sur 35 articles proposés en page d’accueil, 13 sont consacrés au Mondial de foot. Et encore, ce journal place quand même 5 articles plus généraux, politiques ou sociaux, avant. Clarín et Pagina/12, eux, mettent carrément le Mondial aux premières loges, le dossier spécial Mondial arrivant en haut de page : 5 articles pour Clarín, 6 pour Pagina/12. Et le fait que l’Argentine ait joué (et gagné) la veille n’influe en rien : c’était pareil les jours d’avant.
Tous les connaisseurs le savent, et le serineront : l’Argentine est un pays de football, celui de Maradona et de Messi, un des quatre ou cinq pays majeurs du sport le plus populaire au monde. Mes amis Porteños (Les Porteños, je le rappelle, sont les habitants de la capitale, Buenos Aires) ont beau avoir une conscience politique, et ne pas être totalement ignorants des critiques adressés à ce « mondial de la honte » comme l’appellent ses détracteurs, ils sont à fond.
Hier, ils m’ont envoyé des photos de la fan zone de Palermo, où ils étaient allés en famille voir le match de huitième de finale contre l’Australie. On a beau communiquer tous les jours, je n’ai pas lu de leur part le moindre doute quant au fait de savoir s’il fallait boycotter ou suivre le tournoi.
Fan Zone lors du match Argentine-Australie du 03-12-2022 – Quartier de Palermo, Buenos Aires.
L’Argentine tout entière, de gauche à droite et des plus pauvres aux plus riches, est devant ses écrans. En plus, pour eux, et pour une fois, le Mondial a lieu l’été, ce qui ne gâte rien et rend les rassemblements encore plus agréables et festifs. On peut assister aux matches en sirotant son Fernet-Coca en terrasse.
J’ai eu beau chercher, dans les grands quotidiens en ligne, pas l’ombre d’une polémique, pas trace de la moindre critique, pas de place au moindre doute. Il est vrai qu’en Argentine, l’écologie n’est pas un souci encore très prégnant. L’écologie politique n’est même pas encore née. L’exploitation des travailleurs migrants pourrait l’être en revanche, si l’histoire du pays avait été moins marquée, justement, par une inégalité systémique et une relation entre capital et travail très défavorable au second. L’exploitation ouvrière, en Argentine, on connait bien, et on la vit au moins aussi violemment qu’au Qatar. Demandez aux indiens, aux ouvriers agricoles (peones) ou aux habitants des nombreux bidonvilles qui s’étendent aux alentours, et même dans les centres, des grandes agglomérations.
Ne pas oublier non plus que le dernier Mondial à avoir posé autant de problèmes de conscience aux habitants des pays les plus favorisés de la planète – essentiellement occidentaux – a été justement celui de 1978 en… Argentine. Pendant la dictature des généraux Videla et Cie. Le mot boycott sonne donc assez mal aux oreilles argentines (Même s’il existe, et même traduit, contrairement à chez nous : boicoteo, et le verbe boicotear…).
Bref, en Argentine, c’est la fête du foot, qui permet de surcroit d’oublier pendant quelques semaines les soucis du quotidien, qui s’accumulent ces derniers temps. Inflation galopante, augmentation des prix, monnaie qui ne vaut plus rien (mes amis, qui rêvent de venir en Europe, devront probablement attendre encore quelques années), crise politique aiguë…
Tiens, à propos de crise politique. Nous devrions connaitre d’ici peu le sort de l’ancienne présidente – et actuelle vice-présidente – Cristina Kirchner. Depuis plusieurs années en procès pour corruption, fraude fiscale et association de malfaiteurs, notamment au sujet de chantiers et d’appels d’offre qui auraient fait l’objet de favoritisme et de divers pots de vin, elle pourrait écoper de 5 à 8 ans de prison, et de 20 ans d’inéligibilité. Le verdict sera prononcé mardi prochain. Ceci dit quel qu’il soit, et même si elle est déclarée coupable – ce qui, pour les quotidiens de droite comme Clarín et La Nación, est plus que probable – elle n’ira pas en prison, et pourra même se présenter à la prochaine présidentielle : elle est loin d’avoir épuisé tous les recours que le justice argentine lui autorise.
Ne me demandez pas mon avis là-dessus. La lecture des quotidiens argentins ne peut être d’aucun secours pour se faire une idée, tant l’indépendance des médias y est inexistante. Véritable corruption ou soft power façon Lula au Brésil, pour dézinguer un personnage politique encore très populaire ? Impossible de trancher. Il semble peu probable que Cristina ait les mains totalement propres dans cette affaire. Le pouvoir est le pouvoir, avec les privilèges et petits arrangements qui vont avec. Que les Kirchner (son mari avait été président lui aussi de 2003 à 2007) en ait fait profiter leurs copains entrepreneurs, comme le fameux Lazaro Baez, n’aurait rien d’étonnant. Mauricio Macri, président de droite de 2015 à 2019, n’est sans doute pas le mieux placé pour servir de contre-exemple.
Le pouvoir corrompt, c’est bien connu. Et le pouvoir, les Kirchner l’ont eu pendant 12 ans consécutifs ! Et il ne les a pas appauvris, bien au contraire : leur solide patrimoine (propriétés agricoles, hôtels, immeubles) en fait foi. La nouvelle madone des humbles (on compare souvent Cristina à Evita) est très riche.
Mais ne comptez pas sur Clarín et la Nación (anti) ou sur Pagina/12 (pro) pour séparer le bon grain de l’ivraie, comme disent les catholiques. Pour les uns, Cristina ferait passer Al Capone pour un bienfaiteur de l’humanité, pour les autres, elle est une nouvelle sainte Blandine donnée en pâture aux lions de l’ultra libéralisme. Dans tous les cas, sa figure permet de se simplifier singulièrement les problèmes de conscience, en peignant la situation politique tout en noir ou blanc, et en rejetant la responsabilité intégrale des problèmes du pays sur « l’autre », le politique corrompu ou le mal votant.
Allons, au moins, il reste une chose qui met tout le monde d’accord : l’Albiceleste (surnom de l’équipe argentine de foot) est la meilleure du monde, et elle va rapporter la coupe à la maison. Comme en 1978, où même les plus féroces opposants avaient mis leurs griefs entre parenthèses le temps d’acclamer ce bon Rafael Videla levant les bras en tribune du stade Monumental Antonio Vespucio Liberti de Buenos Aires, le 25 juin.
Coupe du Monde 1978
Allez, tiens, un bon conseil à mes amis Argentins. Vous voulez en finir avec la haine qui pourrit l’ambiance politique du pays ? Elisez Leo Messi président en 2023 !
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Quelques articles de presse :
– Sur le jugement contre Cristina Kirchner mardi 6 décembre.