Un criptogate ?

Le président argentin Javier Milei affronte sa première vraie grosse tempête depuis son intronisation en janvier 2024. Après avoir tweeté un message faisant la promotion directe d’une nouvelle cryptomonnaie, $Libra (Libra = signe zodiacal de la balance, en français).

Sitôt après son tweet, lu comme d’habitude par des milliers de tweetos sur X, la monnaie en question a vu sa valeur faire un bond phénoménal, avant de s’effondrer quelques heures après, ruinant d’un coup des milliers d’acheteurs miléistes encouragés par l’appui présidentiel. Des centaines de plaintes pour escroquerie ont été déposées.

Depuis, la Maison Rose (le palais présidentiel) rame pour lutter contre le courant puissant qui le conduit direct vers la cataracte. Dans un premier temps, silence radio : on fait le dos rond, pour éviter, sans doute, de dire trop d’âneries sous l’effet de la panique. La ligne choisie : «Le président n’a fait aucune promotion, il a seulement montré son intérêt pour une entreprise entrant sur le marché argentin». Deuxième volet, citons le même avocat de Milei, Francisco Oneto : «Aucun citoyen de bonne foi n’a été lésé. Si par citoyen de bonne foi nous comprenons un travailleur ordinaire, il est probable qu’il ne sache même pas comment acheter cette monnaie».

C’est le second scandale touchant la présidence en moins d’une semaine, après celui de l’appel d’offre «orienté» d’un chantier national de réseau hydrologique (Confié à une entreprise amie, Hidrovía). Le problème, c’est que cette fois, il est difficile de trouver un bouc émissaire à donner en pâture à l’opinion. Le roi est seul, le roi est nu.

Au-delà du débat juridique, c’est l’image même de ce président, qui se présente lui-même comme le meilleur économiste du monde, et une lumière politique éclairant jusqu’à la Maison Blanche elle-même, qui est significativement abimée.

Un des points de défense repose apparemment sur le caractère purement personnel du tweet. En résumé : le tweet est parti du compte personnel de Milei, et il ne l’a donc pas lancé en tant que président. Comme si quelqu’un allait faire la différence !

 

En attendant, la promo en question a donc laissé environ 40 000 personnes sur le sable. Certes, on pourra arguer qu’après tout, ce sont des gogos fanatico-miléistes prêts à avaler tout ce que leur dit leur président bien-aimé, et que c’est donc bien fait pour eux. Cela n’enlève rien au caractère scandaleux de l’affaire : un président de la République faisant la promo d’une cryptomonnaie dont la fiabilité était loin d’être avérée (c’est le moins qu’on puisse dire pour une monnaie qui venait d’être créée !)

Autre argument croquignolet, pour sa défense : «Ben quoi, hein, si les mecs avaient perdu en jouant au casino, on n’en aurait pas fait un tel plat !». Admettant ainsi la relation entre sa propre conception de l’économie et un jeu de hasard. Puis, filant la métaphore rouletière : «c’est la même prise de risque que quand tu joues à la roulette russe et que tu tombes sur la balle».

dessin : Malo

Il pourrait pourtant bien s’agir d’une belle arnaque, type délit d’initiés ou pyramide de Ponzi. Le fondateur de $Libra est Hayden Mark Davis, qui se vantait de faire partie des proches conseillers de Milei justement dans le domaines des cryptomonnaies. La nouvelle monnaie a été créée par l’entreprise «Kip protocol», dirigé par Julian Peh. C’est Mauricio Novelli, un autre conseiller de Milei (engagé par sa sœur Karina. Eh oui, car la sœur de Milei est secrétaire de la présidence, son frère a changé la loi pour qu’elle puisse occuper le poste en toute légalité), qui a servi d’intermédiaire avec le président, pour obtenir son appui bienveillant et servir de caution de luxe.

Précisons que Mauricio Novelli est l’associé d’un certain Manuel Terrones Godoy, accusé de multiples escroqueries sur des investissements en économie numérique.

En résumé : un groupe d’arnaqueurs professionnels créent une nouvelle monnaie virtuelle, et obtiennent le soutien du président argentin, idole des geeks nourris aux bitcoins et au libertarisme. Milei fait donc un tweet promouvant la merveille. Très rapidement, la valeur de la monnaie est passée de quelques centimes à près de 5000 dollars amerlocains, poussée par les 50 000 gogos qui se sont aussitôt jetés dessus. Quelques heures après, les détenteurs initiaux de la monnaie se sont mis à vendre comme des dingues, et la monnaie s’est conséquemment effondrée. Benéf’ net pour les organisateurs : entre 100 et 150 millions de dollars. Et donc, une palanquée de lésés.

Les jours qui viennent, le débat va faire rage entre les tenants de la simple erreur présidentielle (il a retiré son tweet quand il a enfin compris le désastre) et ceux de l’arnaque organisée avec la bénédiction de la plus haute instance politique du pays.

Dans les deux cas, on imagine que Milei en ressortira avec une image salement écornée. Le président argentin pose volontiers en génie de l’économie, et le voilà qui se tromperait sur la qualité d’un projet de nouvelle monnaie virtuelle ? Ou est-il plus simplement un de ces politiques argentins bien ordinaires, prêts à toutes les corruptions pour faire plaisir à leurs amis ?

Aux dernières nouvelles, un cabinet d’avocats étasunien spécialisé dans les délits informatiques a été sollicité par environ 200 plaignants de 6 pays différents, pour entreprendre une «class action» (plainte collective) contre les responsables de l’escroquerie. Même si pour le moment, le cabinet (Burwick law) précise n’avoir pas défini de stratégie judiciaire, et s’est gardé de lancer la moindre accusation nominative. Par ailleurs, selon son porte-parole, il n’est pas du tout certain qu’en fonction de la législation américaine en vigueur, il soit possible d’impliquer directement le président argentin : «Il est vrai que [l’implication] de sportifs ou de célébrités faisant la promotion de ce genre d’activités ou d’opération pose question, et que leur degré de responsabilité est un fréquent objet de débats». Sous-entendu : pas vraiment tranché au plan purement juridique.

Pour le moment, dans la presse argentine, même la moins critique à son égard, ça ne se bouscule pas au portillon pour prendre sa défense. Au mieux, on garde une réserve prudente en attendant de voir quelle tournure judiciaire va prendre l’affaire, surtout aux États-Unis, pays d’origine de la plateforme accueillant la cryptomonnaie.

Ceci dit, à peine quelques jours après l’éclatement du scandale, certains journalistes qu’on ne peut pas vraiment soupçonner de vouloir du mal au président en exercice commencent déjà à préparer leurs lecteurs à l’inévitable «tournage de page». Dont ils se chargeront eux-mêmes, bien entendu. Tel Juan Carlos de Pablo (un économiste de la branche «orthodoxe», c’est-à-dire néolibérale) dans la Nación de jeudi 20 février : «De quoi parlerons nous dans 10 jours ?» feint-il de s’inquiéter en titre :

Dans 10 jours de nombreux journalistes continueront d’en parler, probablement ; dans 10 jours, de nombreux dirigeants de l’opposition continueront d’en parler, c’est certain. Mais l’immense majorité des êtres humains se lève tous les jours avant tout en se demandant comment on va avancer. Mes héros (dit cet économiste libéral dans un quotidien surtout lu par la bourgeoisie argentine – NDLA) sont ceux qui tous les matins se demandent comment ils vont faire pour donner à manger à leur enfants.

Un peu de démagogie en passant, ça aide toujours à faire passer les plus grosses pilules.

L’espagnol, une langue de sous-développés?

Tollé unanime dans tous les pays dont l’espagnol est la langue principale. Il y a peu, le réalisateur français multi récompensé du film « Emilia Perez », a qualifié cette langue – dans la revue culturelle en ligne Konbini – de «langue de pays émergents, de pays modestes, de pauvres et de migrants». (Voir ici, à 3’40)

Jacques Audiard – 2017

Des mots pour le moins maladroits et offensants, surtout de la part de quelqu’un qui par ailleurs ne parle pas un mot d’espagnol. Les répliques ne se sont pas fait attendre.

La linguiste Argentine Alicia Zorrilla dans le quotidien La Nación :

L’affirmation du réalisateur Jacques Audiard démontre qu’il ne connait malheureusement rien à la langue espagnole. Il n’existe aucune langue supérieure à une autre, il n’y a pas de langue de pauvres ou de langue de riches. La seule supériorité réside en l’usage qu’en font les personnes qui s’en servent, qui pensent avant de parler et qui quand ils parlent, le font en conscience, pour construire un monde meilleur du point de vue spirituel, éthique et matériel.

Dans le même quotidien, le philosophe Santiago Kovadloff, lui aussi membre de l’Académie argentine des Lettres, se place d’un point de vue moral :

Le ressentiment est mauvais conseiller. (…) Devrions-nous en conclure pour notre part que, à la lumière de son étroitesse conceptuelle, le français est un langage pauvre ? La misère intellectuelle doit être combattue dans toutes les langues. C’est le résultat d’un préjugé, lui-même issu d’un ressentiment personnel. Si Octavio Paz (écrivain mexicain – NDLA) vivait encore, il dirait à Audiard qu’il s’est irrémédiablement perdu dans le labyrinthe de sa solitude. (Voir «Le labyrinthe de la solitude», livre de cet auteur écrit en 1950 – NDLA).

Bien d’autres commentaires, moins nuancés, pointent l’ignorance crasse du réalisateur français. Beaucoup font remarquer qu’à ce compte-là, on peut également considérer le français (dont les locuteurs, selon une étude de l’Organisation internationale de la francophonie, habitent à 85% en Afrique), et même l’anglais, langue officielle de 25 pays africains, comme des langues de pays émergents !

Par ailleurs, le film de Jacques Audiard (13 nominations aux Oscars, quand même), a été vivement critiqué au Mexique, où des écrivains comme Mariana Enriquez ou Paul Preciado, cités par le quotidien en ligne Infobae, l’ont qualifié de «gros amalgame de transphobie et de racisme», et où nombre de spectateurs ont été choqués par la vision triviale et superficielle qu’il donne du narcotrafic et des féminicides, un véritable fléau au Mexique.

Sans parler naturellement du choix des acteurs, dont une seule est véritablement mexicaine. Pourtant, Audiard a tenu à tourner son film en espagnol. Résultat : le caractère mexicain de l’idiome utilisé est complètement absent, les acteurs ne le possédant pas et devant donc chercher à l’imiter, rendant la bande-son parfois à la limite du ridicule. (L’actrice principale, Selena Gomez, ne le parle pas, et a dû en apprendre les bases avant le tournage !)

Le film est jugé par toute une partie de la communauté latino «classiste et irresponsable», s’appropriant la culture mexicaine de façon purement coloniale, en en donnant une vision européo-centrée.

Je n’ai pas vu ce film, je me garderais donc bien d’émettre une opinion personnelle à ce sujet. Audiard a voulu faire une comédie musicale, a tenu à la faire en espagnol (une langue qu’il adore, dit-il), et a reconnu qu’il n’avait pas vraiment étudié la question avant de faire son film. Il dit également :

Si je dois choisir entre l’histoire et la légende, je préfère écrire la légende. Ce que je veux dire c’est qu’à partir du moment où tu te situes dans une forme qui serait l’opéra, on n’est pas dans un système de réalisme. (Cité par le journal de cinéma «Première»)

Alors, l’espagnol, une langue de sous-développés ? Il est parlé par 600 millions de personnes dans le monde, selon l’Institut Cervantes. Le français, lui, a 343 millions de locuteurs. Les deux comptent des richesses littéraires, intellectuelles, scientifiques, largement reconnues. Même si on fait crédit à Audiard d’avoir lâché sa phrase sans trop réfléchir, on conviendra qu’elle est pour le moins stupide et sans fondement. Comme le disait Alicia Zorrilla ci-dessus, il n’y a pas de langues supérieures. Mais des milliers de façons différentes d’appréhender, de penser et de décrire le monde qui nous entoure. Qui sont issues de l’environnement, de la culture et de l’histoire de chacune. Certainement pas de la richesse purement matérielle de leurs locuteurs.

Tout ceci n’a évidemment pas grande importance. Je veux dire, ce que pense un réalisateur français sur un sujet qu’il ne maitrise en rien mieux que nous. Néanmoins, ce qui énerve un peu, dans ce cas, c’est l’éternelle arrogance dont continuent de faire preuve certains de nos concitoyens, et qui nous vaut une assez belle réputation de prétention et de suffisance dans le monde entier. Qu’Audiard, sans nul doute, tenait à ne pas écorner !!

*

Petit ajout qui n’a rien à voir.

Hier à Buenos Aires et dans toutes les capitales de province ont eu lieu des manifestations monstres de protestation contre les propos homophobes, sexistes, racistes, tenus par le président Milei au forum économique de Davos, en Suisse (Où se retrouve chaque année tout ce que le monde compte de patrons de multinationales, de banquiers, de responsables politiques libéraux, etc…). Voir ici, et en photos.

L’Argentine bouge encore, malgré l’étau puissant qui lui serre le cou depuis l’arrivée au pouvoir du dingue à la tronçonneuse. Il y a même eu des manifs dans des capitales européennes, devant les ambassades d’Argentine. Comme le souligne Luis Bruschtein dans son article de Página/12 d’aujourd’hui, si le slogan de Milei pendant la campagne était «Vive la liberté, bordel !», les manifestants d’hier lui ont répondu : «la liberté, oui, mais la vraie !».

Tout n’est peut-être pas perdu…

(Je vous invite vraiment à lire l’article de Bruschtein. Il n’est pas très long, et il est possible d’utiliser un traducteur. Il en vaut la peine).

Dialogue de sourds

Désolé pour le décalage : cet article aurait dû être publié il y a presque une semaine, mais des raisons de santé m’en ont empêché !!

Car il y a déjà une semaine que les États-Unis ont officiellement un « nouveau » président de la république. On comprendra les guillemets, puisqu’il s’agit juste du retour du Prince noir qu’on avait envoyé momentanément faire pénitence, et qui revient donc plus enragé que jamais après ces quatre années d’ermitage forcé dans les oubliettes politiques.

Avec lui, reviennent tous les chevaliers de l’apocalypse, tout en armures, en casse-têtes, en haches de guerre et en fléaux d’armes, pour nous ramener à un Moyen-âge qui semble leur âge d’or et leur horizon idéal : le féodalisme. Tout ce que l’extrême-droite la plus rance compte de nobliaux d’opérette était convié à la cérémonie d’investiture. Des hérauts de la tech américaine aux héros sans emploi (pour l’instant) du néofascisme français, ils étaient tous là, à trépigner de bonheur et à s’adresser des saluts manuels pour le moins équivoques.

Et les Argentins dans tout ça ? Leur président en était lui aussi, vous vous en doutez. Et au plus près du haut de l’estrade. Qui pourrait s’en étonner, tant est grande la proximité idéologique de ces deux là ?

Je ne sais pas vous, mais moi, la victoire d’un Trump, ça me fait pas mal peur pour l’avenir de la planète entière. Une planète dont nombre de grands pays sont désormais gouvernés par des déséquilibrés aussi narcissiques qu’autoritaires, et qui ont tendance à penser que la moindre critique de leur action est une entrave au bonheur humain pour lequel ils travaillent, et doit être conséquemment – et durement – réprimée. J’ai bien peur qu’on n’entre dans une période bigrement chaotique et dangereuse.

Comme je connais un électeur – et inconditionnel – de Milei, mais que je considère néanmoins comme un type raisonnable et censé, je me suis demandé si tout cela, toutes ces images et ces propos tout de même assez effrayants consécutifs à l’élection du nouveau Mussolini américain, ne le faisaient pas un brin douter, pour le moins.

J’ai été saisi par sa réponse. Il semblerait qu’on soit entré définitivement dans l’ère de l’égoïsme le plus pur, et de l’individualiste le plus synthétique. Je vous livre ci-dessous la traduction de notre échange, vous vous ferez vous-même votre idée. Personnellement, en pleine lutte contre une grippe tenace et qui s’était installée malgré le vaccin (Reste-t-il des vaccins efficaces de nos jours, dans tous les domaines ?), ça n’a pas spécialement contribué à me redonner la pêche. Voici.

*

1. Mon message (le 20 janvier)

Aujourd’hui on va couronner le nouveau roi des États-Unis. Et quand je dis «roi», c’est que c’est bien à cela que cette cérémonie fait penser, tant Trump semble concevoir son rôle comme celui d’un monarque absolu. Le monde change. Depuis la seconde guerre mondiale on a vécu une longue période de démocratie réelle. Du moins en ce qui concerne le monde occidental. De l’autre côté on avait des pays communistes, plus ou moins criminels. Depuis quelques années on est entré dans une nouvelle ère : celle des fous. Certaines de nos vieilles démocraties commencent à se rapprocher un peu plus du mode de gouvernement chinois, ou fasciste : autocratie, purge des administrations pour les truffer de courtisans/laquais (mots qui dans ce cas précis me semblent traduire au mieux celui de «loyaux»), favoritisme, conflits d’intérêts… En ce qui concerne les États-Unis, le nombre de membres de la famille de Trump qui vont accéder à des postes de pouvoirs, conseillers, ambassadeurs, est très significatif. Sans parler du niveau de ploutocratie.

Toute aussi significative la liste des invités à la cérémonie. Il est de tradition de ne pas y inviter les chefs d’État étrangers. Trump rompt avec cette tradition, et s’il n’a invité ni le président français, ni le premier ministre anglais, ni la présidente de la commission européenne, en revanche on verra parader la première ministre italienne, le président argentin, le premier ministre hongrois. Le chinois Xi Jin Ping a décliné, mais enverra un représentant. Mieux : nos vaillants représentants de l’extrême-droite la plus rance seront là aussi : les leaders de Reconquête ont reçu leur carton !!

Nous allons vivre les quatre (et peut-être davantage) années les plus dangereuses depuis longtemps pour notre planète. Les discours de Trump au sujet du Groenland, de Panama et du Canada ne sont pas faits pour nous rassurer. On peut même imaginer que pour mener à bien ses plans de nouvelles conquêtes impérialistes, Trump ne fasse pas grand-chose pour contrer Poutine en Ukraine et Xi Jin Ping à Taiwan. Et l’Europe pourrait bien une nouvelle fois se trouver au centre d’un conflit mondial.

La liste des fous à la tête du pouvoir s’allonge dangereusement. Soutenus et financés par les ultras-riches qui y voient une belle opportunité de gagner à la fois plus d’argent et de pouvoir. Et qui se foutent totalement du sort du petit peuple, naturellement. La vraie caste (1) c’est bien eux. Combien de temps faudra-t-il aux peuples pour se dessiller les yeux et réaliser l’escroquerie ?

J’espère me tromper du tout au tout. Peut-être cette ère de la folie au pouvoir augure-t-elle d’un monde idéal, heureux, où tout le monde va pouvoir vivre mieux, en sécurité et dans un environnement parfaitement sain. Mais bon, à lire les programmes politiques et économiques de tous ces cinglés (qui ne le sont peut-être pas autant que ça, d’ailleurs), j’ai quelques doutes.

1. Dans son programme, le président argentin Javier Milei a entre autres priorités l’élimination de « la caste ». Dans son esprit, tous les politiques qui ne correspondent pas à ses propres idées, politiques forcément incompétents, corrompus et inutiles.

2. Sa réponse (le lendemain)

Hier, j’ai regardé ce couronnement du nouvel empereur du continent américain. Une cérémonie à laquelle assistaient de nombreux personnages de niveau mondial, mais avec aussi quelques absences remarquées. On peut en tirer des conséquences sur la tendance politique de ce président «structuriste» (1). J’ai l’espoir qu’on entre dans une nouvelle ère, et surtout une ère «structuriste» par rapport à celle qui a précédé. Car il représente un nouveau style de démocratie, plus libérale. Nous avons connu en Argentine une autre forme de démocratie qui nous a appauvris, et du coup, nous avons les regards tournés vers le progrès, un meilleur pouvoir d’achat, des possibilités de voyager, de meilleurs services, davantage de sécurité dans les quartiers. Nous avons la chance ici, à La Boca (2) de vivre dans un quartier très surveillé, à la fois par les caméras et les patrouilles de police. Malheureusement, tout près, il existe un quartier très pauvre (3), où règnent la corruption, les squats, la drogue, mais bon, c’est aussi le cas dans le monde entier. Ce que nous (4) espérons, c’est de tourner la page de ce progressisme à deux balles qui nous a rendus plus pauvres. Notre président était là, à la cérémonie d’investiture, on l’a vu en photo à côté de pas mal de vaches sacrées du nouveau gouvernement, et cela nous fait espérer que bientôt nous aurons de meilleures opportunités pour notre pays. Je suis peut-être un peu optimiste, après tant de difficultés passées, mais bon, l’espérance, c’est tout ce qu’il nous reste. C’est pourquoi je suis content, je suis très heureux de tout cela, j’espère que nous sommes sur le bon chemin et que notre gouvernement soit un gouvernement qui nous amène la prospérité.

Trump s’engage à redonner son prestige à son pays, qu’il redevienne une nation respectée. Et récupérer des lieux perdus dans le passé. Là où je ne le suis pas bien, c’est lorsqu’il parle d’expulser les immigrés, et en particulier les Mexicains. Il y a environ 7 millions d’immigrés, chacun ayant environ 4 ou 5 enfants. En gros, au total, ça représente 20 millions de personnes. S’ils les indemnise, puisqu’il est question de donner à chacun 20000 dollars, ça fait une somme monumentale, et il est probable que son ministre des finances lui souffle à l’oreille que cet argent ne pourra en aucun cas sortir du trésor national. Cette promesse sera donc traitée autrement. En revanche, qu’il y ait des interventions au plan économique ou militaire, c’est plus certain. Il y a des rumeurs selon lesquelles Elon Musk s’apprêterait à construire une base de lancement de fusées dans la zone de Chivilcoy (5). Ce ne sont que des rumeurs, et on ne connait pas les réelles intentions du magnat américain.

Mais bon, nous n’en sommes qu’au premier jour. Le roi est mort, vive le roi, on verra plus tard si le roi est nu, où s’il nous apparait avec tous ses effets.

  1. Estructurista dans la version originale. Le mot n’existe pas en espagnol. Difficile de savoir ce qu’il veut dire. Sans doute, dans son esprit, un gouvernement « reconstructeur » sur les ruines laissées par le précédent. Je vous laisse juges : si vous avez une meilleure idée…
  2. La Boca est un quartier populaire du sud de Buenos Aires. Pas vraiment réputé pour sa sécurité, surtout pour les touristes.
  3. Sans doute le quartier contigu de Barracas, encore plus difficile.
  4. C’est toujours sa façon de parler quand il s’agit de politique : selon lui, tous les argentins pensent pareil et forment un bloc. Ce qui est évidemment tout à fait loin de la réalité.
  5. Petite ville à l’ouest de Buenos Aires, dans la Pampa.

*

Voilà résumée, je pense, la réaction immédiate de la moitié des Argentins, qui attendent de voir leur propre monarque s’asseoir à la grande table du festin de la nef des fous. Bien placés en dessous, prêts à en recueillir les miettes.

La Nef des fous – Jérôme Bosch – Vers 1500

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Un grand merci à Malorie pour ses dessins. Nous lui souhaitons la bienvenue sur ce blog, car nous devrions la retrouver bientôt sur ces pages !

La Mémoire courte

C’était une des priorités de la nouvelle vice-présidente, Victoria Villaruel, qui avait abordé le sujet déjà bien avant l’élection présidentielle : il était urgent de remettre en cause tout le travail de mémoire effectué depuis la fin de la dictature, et de rétablir la justice envers ces braves militaires qui avaient sauvé la patrie en la préservant du communisme.

Question militaires, Victoria Villaruel est bien placée, il faut dire : elle est elle-même la fille d’un ancien lieutenant-colonel de l’armée, actif durant la dictature de 1976-1983  et partie prenante de la tentative de coup d’état des nommés «Carapintadadas», groupe de militaires nostalgiques s’étant soulevés en 1987 pour renverser le gouvernement démocratique de Raúl Alfonsín.

Victoria Villaruel l’avait annoncé : une fois Javier Milei élu, elle travaillerait activement à «remettre l’histoire à l’endroit». C’est-à-dire, de son point de vue, réhabiliter les militaires. (Elle s’active en ce moment à obtenir la grâce des tortionnaires encore en prison).

En commençant par démanteler lieux et organisations de mémoire qui, selon elle, ne donnent qu’une vision partiale de l’histoire argentine.

J’en avais parlé ici-même en mars 2024, à l’occasion des commémorations liées au coup d’état de 1976. Villaruel avait manifesté son désir de transformer l’École supérieure de mécanique de la marine (ESMA), principal centre de détention et de torture durant la dictature et désormais Centre de mémoire et musée, en simple parc public.

L’entrée de l’ESMA, Avenida del Libertador à Buenos Aires.

L’ESMA renferme depuis 2008 l’Espace pour la mémoire et pour la promotion et la défense des droits humains, centre mémoriel abritant d’une part le Centre culturel de la mémoire Haroldo Conti, et d’autre part le Centre culturel «nuestros hijos» (nos enfants), géré par l’association des Mères de la Place de mai (Voir aussi ici sur ce blog).

L’ensemble dépend du Secrétariat aux droits humains, dont une association de militaires a réclamé la dissolution dès l’élection de Milei. Celui-ci ne l’a pas fermé totalement, il n’a pas osé, mais s’est empressé d’y passer un bon coup de sa fameuse tronçonneuse, en réduisant drastiquement sa dotation en personnel. Le 31 décembre dernier, 90 employés du musée ont ainsi reçu un simple message Whatsapp leur indiquant qu’à partir du 2 janvier ils ne devaient pas se présenter à leur travail :

«Le Secrétariat des droits de l’homme fait savoir à tout le personnel du Centre culturel Haroldo Conti que celui-ci sera fermé à compter du 2 janvier 2025. Ceci afin de procéder à une nécessaire restructuration interne, à constituer des équipes de travail et à préparer la programmation de l’année à venir». (La Nación, 01/01/2025)

La dite restructuration n’est naturellement qu’un rideau de fumée, destiné à masquer le véritable projet gouvernemental : en finir avec les politiques publiques de mémoire et de commémorations, jugées par l’ami d’Elon Musk comme du wokisme anti-militaire.

Officiellement, les personnels ne sont pas définitivement limogés, mais «mis en disponibilité». Néanmoins, le Secrétariat aux droits de l’homme a précisé que tous les contrats ne seraient pas renouvelés. Il est évident que beaucoup d’employés seront «poussés» vers la sortie, compte-tenu du changement d’orientation du Centre, qui, selon le secrétaire aux droits de l’homme, Alberto Baños, ne se «consacrera plus exclusivement à la période de la dictature militaire et au terrorisme d’état, mais devra aborder d’autres problématiques des droits de l’homme en démocratie».

On voit venir le tour de passe-passe : sous couvert d’étendre le champ des thématiques abordées par le Centre, on noie les plus «problématiques» (du point de vue du pouvoir en place) au milieu d’une marée de sujets plus anecdotiques et surtout inoffensifs. Ainsi édulcoré, le musée de la mémoire de la dictature perdra tout son sens, contribuant même à relativiser les crimes atroces commis par les militaires durant cette période.

Jusqu’ici, le Centre de mémoire voulu par l’ancien président Nestor Kirchner à l’intérieur même de la sinistre ESMA était volontairement conservé «dans son jus». Sa visite faisait froid dans le dos : on retrouvait les salles d’origine, celle où étaient rassemblés les «subversifs» arrêtés à leur arrivée, la «Capucha», au dernier étage, dans les combles, où ils étaient amenés pour y être interrogés sous la torture, les salles où avaient lieu les accouchements des jeunes femmes arrêtées alors qu’elles étaient enceintes, et auxquelles on enlevait leurs bébés…

On imagine d’ici ce que pourra signifier une «restructuration» de ces lieux. Il est peu probable qu’ils rouvrent à l’identique, ni même que certains rouvrent tout court. Bien sûr, cela se fera très progressivement, à pas de loup. Un effacement lent, par petites touches, et lorsque la page sera devenue totalement blanche, il sera trop tard pour réagir. L’éternelle histoire de la grenouille dans sa marmite.

Et l’éternelle histoire, aussi, universelle, de l’effacement de la mémoire, qui permet aux pires monstres de l’Histoire de toujours, à la fin des fins, renaitre de leurs cendres.

Fresque murale, reprenant des extraits de texte du journaliste Rodolfo Walsh, assassiné par les militaires en 1977.

Mercosur : où en est l’agriculture argentine ?

Il y a peu, notre bonne Ursula (Van der Leyen), la présidente de la commission européenne, s’est rendue à Montevideo, capitale de l’Uruguay, pour y confirmer l’accord de principe de l’UE sur l’ouverture de notre Union au Mercosur, cet accord commercial et douanier d’abord interne à certains pays de l’Amérique du sud (Brésil, Uruguay, Argentine, Paraguay et Bolivie), mais qui souhaite trouver des débouchés sur notre continent.

Fureur de nos agriculteurs, que la perspective de devoir affronter une concurrence jugée déloyale de leurs collègues sud-américains fait régulièrement sortir de leurs gonds.

Vu d’ici en effet, l’agriculture du cône sud de l’Amérique n’affiche pas tout à fait les mêmes normes sanitaires que les nôtres. Aujourd’hui même, le quotidien régional Ouest-France, un journal plutôt proche des milieux agricoles, publie un article assez sévère sur le sujet, significativement intitulé : «L’agriculture argentine malade de ses pesticides ». (Je mets le lien, mais juste pour le titre, la photo et le résumé, car l’article en version numérique est réservé aux abonnés. Ceci dit, on peut lire l’enquête complète du même auteur, Benoit Drevet, ici dans le Journal La Croix. Article acheté également par le quotidien belge «Le Soir »).

Vignobles dans la région de Cafayate

L’article révèle notamment qu’en Argentine, l’usage des pesticides est largement dérégulé. Il est même «(…) simple de trouver des agro-chimiques interdits sur le marché noir. Comme du bromure de méthyle», selon un agriculteur argentin. Une ancienne floricultrice explique également au correspondant français qu’ayant procédé à des épandages en étant enceinte, ses jumeaux souffrent de malformations et de maladies chroniques. Selon une enquête, «des traces de 83 pesticides ont été retrouvées dans 54 aliments considérés comme essentiels en Argentine» qui «serait le pays le plus friand d’agrochimiques par personne et par an dans le monde» avec 580 millions de litres répandus par exemple en 2022.

Qu’en est-il exactement ? Si on consulte le site gouvernemental argentin, tout est sous contrôle. On y admet que «Au niveau mondial, l’usage excessif de fertilisants nitrogénés et phosphorés peut conduire à la détérioration et à l’eutrophisation de la flore et de la faune des eaux superficielles, générant la réduction de certaines espèces vitales pour les écosystèmes aquatiques». Et que l’Argentine fait partie à cet égard des pays signataires de la Déclaration de Colombo, adoptée en octobre 2019 et qui appelle à «une conversion écologique pour prioriser la vie et le bien-être sur les politiques économiques».

Il existe un «Servicio nacional de sanidad y calidad agroalimentaria». Autrement dit, une agence dédiée au contrôle de la qualité sanitaire des produits alimentaires, dépendant du ministère de l’agriculture. L’Argentine a signé également la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants en 2004, et la convention de Rotterdam la même année.

Au top de la protection de la santé et de l’environnement, l’Argentine ? Il faut le dire vite. Les mauvaises habitudes ont la vie dure, et ne semblent pas près de se modifier. Un rapide parcours sur le net nous offre un vaste panorama de tout ce que compte la défense de l’utilisation des pesticides par les agriculteurs argentins. Ne pas oublier également qu’il s’agit d’une agriculture fortement concentrée, avec d’énormes exploitations possédées par un nombre relativement réduit de propriétaires terriens, avec une forte tendance à la monoculture (Soja, élevage). Un modèle qui a finalement peu évolué depuis le XIXème siècle, et régi par un syndicat, la Sociedad Rural, auprès duquel notre FNSEA pourrait passer pour un parangon de vertu et une organisation anecdotique.

Gaucho dans la Pampa argentine

Cet article de la revue Agrofy, par exemple, confirme le chiffre donné plus haut par Benoit Drevet : l’Argentine à elle seule utiliserait donc chaque année plus de 580 millions de litres de produits phytos. Mais il s’appuie également sur un rapport de l’European Parliamentary research Service, intitulé « Farming without plants protection products » (introuvable sur le site) pour affirmer que sans ces produits, les rendements chuteraient de 19 à 42%. L’article mentionne bien le débat en cours sur la réforme nécessaire des modèles agricoles, mais sans apporter la moindre solution concrète, sinon d’affirmer en conclusion, par la voix de Carolina Sasal, chercheuse à l’INTA (institut national de technologie agricole, l’équivalent de l’INRAE chez nous) : «Nous devons apprendre à produire de façon rentable, mais sans impact environnemental». Fortes paroles, qui confirment qu’on n’est pas sorti du sable !

En attendant, donc, l’utilisation de produits jugés toxiques chez nous, des hormones de croissance pour le bétail ou même du transgénique (le soja et le maïs le sont désormais quasiment à 100% en Argentine), ne donne pas vraiment lieu à des débats féroces. Et ce n’est pas avec le nouveau gouvernement ultra-libéral de Milei que les choses vont changer. Le président vient de ré-autoriser l’utilisation de drones pour l’épandage, et de baisser les droits de douane sur l’importation de produits comme le glyphosate et quelques autres considérés comme dangereux chez nous et dont certains sont même interdits.

On comprend donc la méfiance de nos agriculteurs, qui, eux, sont surveillés de très près sur leurs propres usages, et ne voient pas d’un bon œil l’arrivée sur le marché concurrentiel de ces produits aux normes pour le moins relâchées.

La commission européenne jure que les contrôles seront stricts à ce sujet, et que de toute façon l’accord signé prévoit une importation de produits agricoles sud-américains assez réduite. Mais les agriculteurs ont appris à se méfier de prétendus garde-fous et contrôles qui ont souvent tendance à tomber rapidement faute de volonté politique et de moyens réels en personnel.

Récemment, le Brésil a lancé une enquête sur une suspicion de dumping argentin (mais aussi uruguayen) concernant les exportations de lait. Le Brésil est le principal importateur de lait argentin, à hauteur de près de 58% de sa production exportée vers le Brésil, rien que pour le lait en poudre. Les Brésiliens accusent eux aussi les Argentins de concurrence déloyale : ils vendraient bien en dessous des prix du marché, afin d’étouffer la concurrence locale. L’enquête est en cours, et pourrait déboucher sur l’instauration de droits de douane exceptionnels entre ces trois pays historiques du Mercosur, signé en 1991 !

Comme on le voit donc, un accord de libre-échange ne suffit pas vraiment à garantir la loyauté des dits échanges. Le Mercosur, dont Ursula Van Der Leyen semble vouloir accélérer la signature par l’UE, est présenté par les économistes orthodoxes de chez nous comme un accord censé être «gagnant-gagnant». Une formule passe-partout destinée surtout, me semble-t-il, à endormir le gogo : en matière de commerce, en général, pour qu’il y ait des gagnants, il faut bien qu’il y ait des perdants.

Oui mais, nous dit-on, il faut raisonner de manière globale. Certes, certains agriculteurs vont y perdre un peu, mais d’autres vont gagner. En résumé : on vendra peut-être moins de bœuf, mais plus de roquefort et de cognac. Allez expliquer ça aux éleveurs du charolais, maintenant. Quant au consommateur… Dis, Ursula, tu nous promets qu’on ne sera pas obligé de bouffer du soja transgénique ou du poulet aux hormones ?

Élevage de lamas

Non-Lieu pour les rugbymen français

Hier mardi 10 décembre, la justice argentine a mis un point final au feuilleton des deux rugbymen français accusés de viol et violence en réunion sur une femme argentine rencontrée en boite de nuit dans la ville de Mendoza, après le test match de l’équipe de France.

Comme on pouvait s’y attendre, le non-lieu a été prononcé par le tribunal de Mendoza, et les deux joueurs n’auront donc pas à revenir en Argentine, à moins que l’appel – d’ores et déjà annoncé par la défense de la victime – ne débouche sur un nouveau procès, ce qui est peu probable.

Dans ses attendus, le tribunal s’appuie principalement sur le compte-rendu de l’examen psychologique de l’accusatrice. Celui-ci stipule :

Elle (la victime, NDLA) présente une histoire linéaire et structurée, en opposition à une histoire spontanée et fluide, rigide en termes de chronologie des événements et déficiente en termes de construction logique, dont les détails ne sont pas articulés de manière cohérente dans l’ensemble. Le fil conducteur est lâche et dispersé.

En somme, la victime présumée est soupçonnée d’arranger les faits à son avantage, et de délivrer un récit plus fabriqué que véritablement vécu.

Par ailleurs, le tribunal relève le manque de preuves matérielles. La victime présumée avait accusé les deux rugbymen de violence, et d’ailleurs les traces de coups avaient été constatées dès le lendemain des faits, le jour même du dépôt de la plainte. Mais selon les juges, le déroulement des faits qui découle à la fois des quelques (rares) témoignages et vidéos accessibles ne permet pas d’apporter une preuve suffisante de la culpabilité des deux hommes et surtout du non-consentement de la victime.

Les juges s’appuient notamment sur une vidéo de l’ascenseur de l’hôtel, où on voit clairement Hugo Auradou et l’infirmière argentine échanger un baiser, puis sortir main dans la main.

Selon la victime présumée, le second joueur, Oscar Jégou, se trouvait déjà dans la chambre quand ils y sont entrés. Elle aurait demandé à Hugo Auradou de la laisser partir et dès ce moment auraient commencé les violences des deux hommes. Mais de cela, statuent les juges, il n’y a ni témoignage ni preuves concluantes, et le doute doit donc bénéficier aux accusés, d’autant plus au vu des conclusions de l’expertise psychiatrique de l’accusatrice, laissant penser qu’elle aurait altéré les faits à son avantage.

On se fera son idée. On le sait, il est toujours extrêmement difficile de démêler le vrai du faux dans ce genre d’affaire, où les preuves et les témoins manquent la plupart du temps, et où par conséquent les juges doivent se baser sur la parole des uns et des autres.

Il est bien possible que dans un premier temps l’infirmière ait été séduite par le beau Français, puis que la soirée ait ensuite, alcool et phénomène d’entrainement jouant leur triste rôle, pris un tour nettement moins sympathique, faisant amèrement regretter la jeune femme de s’être laissée embarquer. Car si on peut l’accuser d’avoir arrangé la vérité des faits, en revanche elle n’a pas pu inventer les traces de coups. Mais curieusement ceux-ci sont très vite passés au second, voire au troisième plan : le tribunal n’y fait aucune allusion dans ses attendus.

En substance, voici ce que dit le tribunal :

La décision du juge est basée sur l’article 353, paragraphe 2, qui indique que l’acte ne rentre pas dans un schéma criminel, en raison de l’atypicité de l’acte. En conclusion, le fait enquêté ne constitue pas un crime. (Atypicité : manque de conformité à un type de référence. En clair : les faits poursuivis n’entrent pas dans la nomenclature judiciaire).

En somme, on dit à la victime : «Peut-être que ces deux hommes vous ont violentée, mais il n’y a pas de preuve et votre récit incohérent nous fait douter. De toute façon, vous l’aviez bien cherché, non ?». Un vieux classique.

En attendant, à La Rochelle et à Montpellier, les deux clubs des jeunes français, on respire : ils vont pouvoir continuer à mettre des tampons sur le gazon. Avec toutes mes excuses pour cet humour douteux.

Une dernière réflexion : il demeurera absolument impossible de savoir quel rôle a joué la diplomatie dans cette affaire. En effet, l’autorisation donnée aux deux joueurs de rentrer en France alors même que l’instruction était encore en cours a laissé perplexe pas mal d’Argentins. Qui en ont aussitôt conclu que le non-lieu en était la suite logique. Et à vrai dire en effet, après la libération des joueurs et la reprise de leur carrière en club, plus personne en Argentine n’a jamais cru à leur retour.

Les glaciers en danger !

Peu de gens le savent (mais nos lecteurs, oui, naturellement !), mais l’Argentine abrite, dans l’immense région patagonienne, un des plus importantes réserves d’eau douce du monde : ses glaciers.

Ils sont tous situés dans la même zone, à peu près :

Toute la zone, appelée Champ glaciaire de Sud Patagonie, comporte environ 300 glaciers de toutes tailles et a une superficie de plus de 12 000 km², soit très exactement celle des départements Nord et Pas de Calais réunis.

L’ensemble de ces glaciers côté argentin (il y en a aussi côté chilien, bien sûr) forme le Parque nacional de los glaciares, qui en comprend une douzaine de très étendus.

La plupart sont difficiles d’accès, c’est pourquoi le plus célèbre d’entre eux n’est pas le plus grand : il s’agit du Perito Moreno, qui s’étend quand même sur une surface de 250km², soit un peu plus que la superficie de la Capitale, Buenos Aires ! La superficie totale de tous ces glaciers est estimée à 7270 km². Soit, à peu près, l’équivalent du département du Maine-et-Loire.

Le plus étendu est le glacier Viedma, avec 940 km². 9 fois la ville de Paris.

Si, de loin, ils apparaissent comme une grande surface neigeuse bien lisse, en réalité, ils sont parcourus de crevasses énormes, et leur intérieur est quadrillé de canaux qui permettent à l’eau de s’écouler jusqu’aux lacs dans lesquels ils se jettent. La neige n’occupe qu’environ 40 cm de hauteur sur la croûte, le reste étant constitué de glace compacte. Ils se sont formés lors de la dernière période de glaciation, il y environ 18 000 ans.

Mais aujourd’hui, quasiment tous sont en constante diminution, en raison, comme on le devine, du réchauffement climatique en cours. Le problème étant que depuis quelques années, cette diminution s’accélère de façon inquiétante. A tel point que le glacier Upsala (640 km²), autrefois alimenté par son voisin Bertachi, en est désormais déconnecté. L’Upsala a ainsi perdu 14 km de longueur sur les 50 dernières années. Il faut dire qu’il subit un handicap supplémentaire : contrairement au Perito Moreno, qui repose sur une base entièrement rocheuse, donc solide, l’Upsala, lui, est en grande partie flottant, ce qui accélère son érosion par les eaux souterraines. S’y ajoute le fait que ce glacier se jette dans le Lago Argentino, un lac d’une profondeur de 700 mètres à cet endroit, et constitue un autre facteur d’accélération des détachements de blocs de glace.

Pour revenir au Perito Moreno, depuis 1990 des scientifiques effectuent des mesures de sa hauteur moyenne, selon un axe Nord-Sud (pour faire simple : sur sa largeur frontale). Entre 1990 et 2018, ce glacier a perdu 9 m. A partir de 2018, il a commencé à baisser de 4,30m par an. Et depuis 2023, la baisse est passée à 8m/an ! En tout, depuis 2018, Le Perito Moreno a perdu 25 m de hauteur !

C’est en partie ce qui explique, également, le phénomène qui, justement, attire le plus les touristes, depuis toujours : les desprendimientos, les éboulements (Voir vidéos à la fin de l’article). Il s’en produit plusieurs chaque jour. Des blocs plus ou moins gros se détachent de la paroi frontale, s’effondrent dans le lac, et forment des icebergs qui flottent ensuite à la dérive. Un spectacle unique, mais malheureusement de plus en plus facile à capter si on se montre un peu patient sur les passerelles, car de plus en plus fréquent. Ce qui n’est pas bon signe.

Tempano (iceberg) sur le Lago Argentino

Tous ces éboulements ne sont pourtant pas visibles. Certains se produisent à l’intérieur même du glacier, qui fait entendre alors de déchirants craquements : du son, mais pas d’image, on ne voit rien de ce qu’il se passe en dessous.

Hélas, au train où va le réchauffement, il y a peu de chances pour que nos petits-enfants profitent jamais du même spectacle !

Nous n’en sommes heureusement pas encore là, ces énormes glaciers ont encore de beaux jours devant eux, mais rien n’incite à l’optimisme. Dépêchons-nous donc d’aller les admirer avant qu’il ne soit trop tard. En ce qui concerne le Perito Moreno, l’Argentine a justement fait de gros efforts, surtout depuis 2010, pour aménager la zone en construisant tout un réseau de passerelles qui permettent d’observer le glacier sous différents angles. On peut également l’approcher en bateau, et ainsi admirer sur le lac les magnifiques « tempanos » (icebergs) qui prennent parfois des formes et des couleurs d’une grande poésie.

*

PETITE GALERIE PHOTOS POUR FAIRE ENVIE

Le glacier Perito Moreno, vue panoramique

 

Les deux photos ci-dessus : le Perito Moreno, sous divers angles

 

Iceberg
Autrefois, le glacier, avançant sur la rive, formait ainsi une sorte de pont, que l’eau du lac finissait par creuser, formant un tunnel jusqu’à l’effondrer, spectacle qui attirait les foules. Ce phénomène a hélas disparu.

UNE COURTE VIDEO (4’26) D’UN EBOULEMENT SPECTACULAIRE AU PERITO MORENO :

(Ci-dessus, moins spectaculaire, mais du vécu en direct ! Merci à Quentin pour cette vidéo captée au vol !)

Et pêle-mêle, quelques autres icebergs :

(Photos PV – 2008)

 

Diplomatie : l’Argentine s’isole

Un petit séisme vient de se produire ces jours derniers à l’intérieur même du gouvernement Milei : la ministre des Affaires étrangères, Diana Mondino, a été sèchement remerciée et remplacée par le jusqu’ici ambassadeur aux Etats-Unis, Gerardo Werthein.

La raison : lors d’une session à l’ONU, elle a voté, à l’unisson de tous les pays présents sauf les États-Unis et Israël, une motion condamnant le blocus américain envers Cuba. Un blocus aussi vieux que l’installation du castrisme dans l’île des Caraïbes, et dont souffre d’abord et avant tout, le petit peuple cubain, bien plus que ses inamovibles dirigeants.

Le vote de la résolution de l’ONU condamnant le blocus contre Cuba – 30 octobre 2024 – L’Argentine a voté en faveur de la résolution, pour la plus grande fureur de son président Javier Milei. On remarquera que seulement deux pays ont voté contre : les USA et Israël, un s’est abstenu, la Moldavie, et trois n’ont pas participé au vote : l’Afghanistan, l’Ukraine et le Venezuela.

En apprenant le vote argentin, le sang du président n’a fait qu’un tour : pas question de «soutenir» un gouvernement communiste.

En prenant cette position, Milei rompt avec plus de trente ans de tradition argentine, ce pays ayant soutenu sans faille la condamnation du blocus, tout comme l’immense majorité des pays européens, qui en retour l’ont indéfectiblement soutenu dans sa demande de négociation avec le Royaume-Uni sur la question de la souveraineté sur les Iles Malouines (Falklands, pour les Anglais). Un soutien qui pourrait bien faiblir dans les années à venir, en toute conséquence.

Une nouvelle fois, le président ultra-libéral isole son pays sur la scène internationale. En effet, depuis son arrivée au pouvoir, l’Argentine, représentée par ce leader de plus en plus tourné vers l’extrême-droite, a rejeté : l’égalité des sexes, la lutte contre le changement climatique, la défense des droits de l’homme, causes que Milei considère comme fers de lance d’un complot collectiviste ! (Página/12, 31/10/2024).

En réalité, le sort de Diana Mondino était scellé avant même son vote à l’ONU. Son éviction n’est qu’un épisode de plus de la vaste purge entreprise par Milei et ses deux plus fidèles acolytes (sa propre sœur Karina, qu’il a installée, moyennant un petit arrangement avec la loi, au secrétariat de la présidence, et Santiago Caputo, conseiller n°1) pour modeler l’administration à sa mesure.

Institutions carrément fermées (Comme celle des impôts, l’AFIP – pour administration fédérale des recettes publiques – dissoute et entièrement remodelée après purge de tous ses fonctionnaires), charrettes d’emplois publics, désignés à la vindicte populaire comme, au mieux, pistonnés, au pire, inutiles, coupes claires dans les budgets de l’Education et de la Santé, remise en cause de l’indépendance de la presse, criminalisation des manifestations populaires, Milei et son gouvernement surfent sur la vague autocratique qui semble s’être emparée d’une bonne partie du monde, où la démocratie ne cesse de reculer.

L’isolement, Milei n’en a cure. Lors de son intervention à l’ONU, il y a quelques semaines, il avait déclarée que celle-ci, comme la plupart des institutions publiques qu’il rêve d’exterminer jusqu’à la dernière, était aussi inefficace que superflue. Pour Milei, tout ce qui est public est inutile et doit être supprimé à terme, pour laisser la main invisible du marché gérer la marche du monde, entre saine et émulatrice cupidité naturelle de l’homme, et ruissellement des plus riches vers les plus pauvres.

Depuis cette intervention remarquée et largement commentée dans la presse mondiale, le président à la tronçonneuse est persuadé de faire partie des grandes voix de ce monde, et un, sinon le seul, des leaders charismatiques de l’univers tout entier. Une mégalomanie qui n’est pas sans rappeler celle d’un autre dingo tout aussi effrayant pour la survie d’une démocratie très chahutée ces temps-ci, et dont il semble partager à la fois les idées et le coiffeur.

Il semblerait toutefois qu’une certaine Argentine se réveille. Ces jours-ci, le pays a été totalement paralysé par une grève générale des transports, et la mobilisation ne semble pas devoir faiblir, en dépit des menaces de la ministre de l’intérieur, Patricia Bullrich, qui promet de faire arrêter les meneurs et de les envoyer en taule. (Un décret interdit le blocage des rues, ce qui permet par ricochet d’interdire de fait la plupart des manifestations populaires).

Gare ferroviaire de Retiro, Buenos Aires.

Certes, on est encore loin d’un mouvement de fond. La grande majorité de la population reste dans l’expectative, et l’attente de résultats économiques qui tardent à venir. A force d’austérité, l’inflation a fini par décrocher un peu, mais elle est contrebalancée par la forte augmentation de certains produits de première nécessité, à commencer par l’énergie et les loyers. Et, donc, les transports, dont le rapport qualité-prix est catastrophique, notamment au niveau du train, secteur particulièrement vieillissant en Argentine, et notoirement insuffisant pour ce territoire gigantesque.

Pour le moment, Milei peut continuer de compter sur la fracture qui divise toujours le pays en deux camps réconciliables. L’anti péronisme viscéral de la moitié de la population lui profite, en l’absence de réelle alternative à cette opposition usée et toujours représentée par une figure suscitant autant de haine que de soutien : Cristina Kirchner, présidente de 2007 à 2015.

3 septembre : Point actualité

Dans quelques jours, l’Argentine rentrera dans le printemps. Ouf, après cet hiver frisquet. Cela permettra peut-être de ramener quelques sourires sur des visages plutôt renfrognés, ces derniers temps.

Du côté des électeurs ordinaires, je veux dire par là, ceux qui n’ont pas de tendance politique bien définie et votent au gré du vent, on commence à déchanter. Fatigués par presque 20 ans de péronisme, déçus par la parenthèse de droite classique représentée par Mauricio Macri (président de 2015 à 2019), ils ont, comme on dit chez nous en parlant du RN, «essayé» l’anarcholibertaire Milei et son programme «mort à l’état et vive la liberté, bordel de merde !» (sic).

Celui-ci promettait, lui aussi (c’est la grande tendance plus ou moins populiste, si tant est que ce mot veuille vraiment dire quelque chose, du «rendre au ou à [mettez le nom du pays qui convient] sa grandeur». On allait voir ce qu’on allait voir, ces salauds de pauvres dévoreurs de prestations sociales, ces fainéants de fonctionnaires inutiles et trop payés, ces politiciens véreux qui ne pensent qu’à leurs fauteuils, ces juges laxistes qui laissent courir les délinquants, allaient danser le quadrille sous le feu nourri du nouveau shérif.

Fini le fric balancé à tort et à travers , finis les services publics subventionnés, fini le contrôle étatique des prix qui bride l’esprit d’entreprise, finies les lois iniques protégeant outrancièrement les employés et les locataires, fini le peso, remplacé par le dollar (Les États-Unis, surtout ceux de Trump, voilà un pays de cocagne), la main lourde de l’état allait être définitivement remplacée, pour le plus grand ravissement des foules enfin libérées, par la main invisible, sévère mais juste, du marché.

Huit mois après, la main en question est malheureusement trop visible. Augmentations en cascades des produits de première nécessité, alimentation, transport, énergie, baisse drastique, en conséquence, de la consommation, services publics au bord de la rupture après le licenciement de milliers de fonctionnaires, valeur du peso (toujours pas trace de son remplacement par le billet vert) réduite à sa plus simple expression : le salaire minimum aujourd’hui en Argentine s’exprime en centaines de milliers de pesos. Très exactement 234 315,12 pesos. On ne s’extasie pas : rapporté en euros, cela fait dans les 222€ (le peso est tombé sous la barre du millième d’euro, il en faut désormais 1053 pour faire un euro). Le salaire moyen, lui, selon les sources et les professions, oscille entre 380 et 700€. Quand on sait que le panier moyen pour une famille de quatre est d’environ 730€, on voit pourquoi certains font la grimace.

Ceci dit, c’est incontestable, les salaires du privé ont augmenté de façon sensible. Mais comme par ailleurs les prix n’arrêtent pas de monter (d’autant que le gouvernement a renoncé à tout contrôle des prix), la vie n’est donc pas plus facile. Au contraire.

Avec tout ça, qu’elle est l’ambiance ? Paradoxalement, ça tient. Je veux dire que Milei conserve envers et contre tout plus de soutiens que de rejet. On en est en août à un ratio de 44/37.

Milei a été aidé dernièrement par l’énorme scandale constitué par la plainte déposée par Fabiola Yanez, l’épouse de l’ex-président Alberto Fernández, pour violences conjugales. L’affaire est tombée à pic pour détourner l’attention des difficultés économiques et des querelles internes au gouvernement, où les passes d’armes, les claquements de portes et les démissions bruyantes se multiplient.

Dernière polémique en date : des députés Miléistes sont allés rendre visite dans leur prison à d’anciens tortionnaires de la dictature. Et pas pour les engueuler, mais bien pour les assurer de leur soutien et de leur compréhension. Une députée miléiste, Lourdes Arrieta, qui faisait partie de la délégation, a révélé à la presse les détails de la visite, et a quitté le groupe parlementaire, poussée par son propre mouvement, énervé de voir ainsi le scandale dévoilé. Elle prétend maintenant qu’elle ne savait pas qui étaient les prisonniers qu’on lui a présentés. Révélant ainsi son ignorance crasse de l’histoire de son pays.

La vice-présidente, Victoria Villaruel, elle-même fille d’un ancien militaire, a déclaré chercher une solution juridique pour sinon les amnistier, du moins leur permettre de recouvrer leur liberté. Nous avions déjà rapporté ici sa volonté de transformer le mémorial de l’ancien centre de torture de l’École de la marine en simple parc public.

Pendant ce temps, le taux de pauvreté augmente doucement. On en serait à 55%, selon les dernières estimations. Vous avez bien lu. Plus de la moitié des Argentins vit sous le seuil de pauvreté. Selon le politologue Andrés Malamud, le principal danger pour le gouvernement ne serait pourtant pas l’augmentation de la pauvreté, du chômage ou de l’inflation, mais bien la dévaluation constante de la monnaie et la valse des prix.

Je le cite : «Plus de la moitié des électeurs n’ont pas connu la crise de 2001 (article non traduit, hélas) et ce qu’ils ont retenu de la décennie passée c’est que la croissance a stagné et que tous les partis se sont succédé au pouvoir. Les retraités ne votent pas Miléi, le cœur de son électorat ce sont les jeunes, et principalement des hommes. Le point de fracture, c’est qu’il reçoit plus de soutien de la part des classes aisées, car de leur côté les classes défavorisées souffrent davantage de sa politique».

Mais pour l’instant, donc, ça tient. Pour diverses raisons. La première, c’est qu’il est rare de voir les électeurs se déjuger très rapidement après avoir envoyé un parti au pouvoir. La seconde, c’est que l’opposition péroniste non seulement est durablement discréditée (et le scandale conjugal de l’ancien président n’arrange rien, même si aux dernières nouvelles il serait en train de dégonfler un tantinet) mais qu’elle n’a guère de propositions alternatives, ni de personnalités charismatiques, à proposer. La troisième, c’est l’éternel fatalisme argentin, doublé de la féroce répression de tout mouvement populaire. Aujourd’hui, il est pratiquement impossible d’organiser ou participer à une manifestation de rue sans risquer l’arrestation.

Pendant ce temps, nos deux rugbymen français accusés de viol en réunion viennent d’être autorisés à rentrer en France par le procureur de Mendoza. Une décision encore en suspens, puisque la défense de la plaignante a sollicité une nouvelle expertise psychologique qui aura lieu mardi prochain, ce qui repousse la remise en liberté.

Une remise en liberté conditionnée à la garantie que les accusés se soumettent à certaines restrictions : rester localisables, pointer régulièrement au consulat d’Argentine, et revenir à Mendoza à la moindre sollicitation de la justice de ce pays.

Sur le fond, l’instruction a exprimé ses doutes quant à la plainte, relevant des contradictions dans le témoignage de la plaignante, et «son ton enjoué lors d’une conversation téléphonique avec une amie le jour de son agression». La partie civile a posé une demande de dessaisissement de deux juges en charge de l’instruction, Dario Nora et Daniela Chaler, pour «violence morale et partialité».

A suivre…

Quelle classe moyenne à Buenos Aires en 2024 ?

Le quotidien La Nación a réalisé récemment une intéressante enquête concernant le revenu moyen d’une famille portègne type ( un couple et deux enfants mineurs) en 2024. En partant d’une question toute simple : quel est le seuil de revenu nécessaire pour être aujourd’hui considéré comme partie intégrante de cette classe sociale ?

Attention en préalable : on ne parle ici que du revenu d’une famille de la capitale, pas de la province, où les niveaux de revenus sont naturellement plus bas, comme dans la plupart des pays.

Attention également : ces chiffres, qui vont paraitre très bas pour nous autres Français, sont à mettre en regard du coût de la vie argentin, bien entendu. Par exemple, un appartement de trois pièces se loue 600 euros environ aujourd’hui. Dans la capitale ! Ce qui ferait rêver bien des Parisiens !

Le quotidien fait une comparaison significative. En 2023, il fallait environ 340 euros mensuels pour être considéré partie prenante de la classe moyenne. Un an plus tard, avec plus de 290% d’inflation, il faut déjà multiplier ce chiffre par quatre : on est passé à 1300 euros mensuels !

Et encore, ceci est valable si vous possédez votre logement. Un locataire, lui, aura donc besoin de près de 2000 euros pour être classé « moyen ».
Compte-tenu de cette révision à la hausse, le seuil de pauvreté, lui aussi, doit revoir sa base. Maintenant, c’est sous 470 euros mensuels environ qu’une famille peut-être considérée comme indigente.

Graphique pauvreté. Pour info, pour avoir les chiffres en euros, il suffit au cours d’aujourd’hui de diviser par 1000. En gros.

On le voit, l’économie argentine est sens dessus dessous, avec une accélération brutale des niveaux de seuil. Naturellement, les prix suivent, ou plutôt précèdent. Le coût de la vie a bondi, et continue de grimper de façon vertigineuse, dans une escalade prix-revenus incontrôlable.

Le taux de pauvreté semble devoir se fixer autour de 50% de la population. Ce qui est évidemment énorme.

Où en est donc l’Argentine, après six mois de gestion ultra-libérale ? On le voit, l’inflation a continué de galoper. D’après La Nación et les commentateurs favorables au gouvernement, elle serait en voie de stabilisation. A presque 300%, il serait temps. Mais les prix, eux, continuent d’augmenter, tandis que les salaires, même s’ils montent, peinent à suivre (45% sur ces derniers trois mois, à comparer avec les plus de 51% de hausse des prix).

Jeudi 9 mai, les syndicats ont organisé une grève générale, très suivie. Il n’y avait plus un chat dans les rues, plus de bus, plus de métro, administrations fermées, ainsi qu’une bonne partie des commerces. Comme dit le quotidien Página/12, on se serait cru revenu au temps du confinement.

Jour de grève sur l’Avenue de Mayo. Au fond, le palais présidentiel.

Pour le moment cependant, le président anarcho-capitaliste garde une certaine confiance, son taux de satisfaction se situant autour de 50%. Il faut dire que l’opposition, en regard, n’est pas encore prête à remonter la pente. Les péronistes restent très impopulaires, surtout justement dans les classes moyennes et supérieures, et le gouvernement actuel, non sans quelque raison d’ailleurs, lui fait porter le chapeau à très larges bords d’une situation économique qui, selon Milei, le président, le contraint à des mesures drastiques d’austérité. Reste à savoir si les mesures en question ne se révéleront pas, à terme, pire que le mal, ce que prophétisent certains économistes, et pas tous de gauche.

Un accident terrible vient d’avoir lieu entre deux trains de banlieue, dans le quartier de Palermo (Buenos Aires). Pas de mort au moment où j’écris cet article, mais 90 blessés, dont 55 à l’hôpital. Un train en mouvement en a percuté un autre arrêté sur la même voie. Aucune signalisation d’urgence pour éviter la catastrophe : les câbles avaient été volés, mais pas remplacés. Il n’y a plus d’argent pour entretenir le chemin de fer public.

Le chemin de fer en Argentine, c’est une longue histoire, avec pas mal de relents coloniaux. Au début du XXème siècle, le réseau avait été sous-traité aux Anglais, qui avaient obtenu des contrats léonins (comme souvent) pour l’exploiter et en tirer les plus gros bénéfices. Pas bêtes, ils en avaient exigé le monopole. Comme ça, pas de danger de concurrence. Perón les avait nationalisés dans les années 50, à un prix d’or qu’on lui a beaucoup reproché.

Jusqu’à l’arrivée de Carlos Menem à la présidence, en 1989, l’Argentine comptait 36 000 kilomètres de ligne. Menem en a fait fermer l’essentiel : il en reste environ 9 000 (En France, pays 5 fois plus petit, on en compte 28 000 !).

Et, donc, avec une maintenance publique de plus en plus fragile. L’essentiel du réseau aujourd’hui ne dessert plus, grosso modo, que la Capitale et sa grande banlieue. Dans des trains en mauvais état, en nombre insuffisant (ils sont régulièrement bondés) et plutôt lents. Les accidents ne sont pas rares.
Comme de juste, le président Milei a profité de l’accident pour en remettre un coup sur la nécessaire privatisation des chemins de fer. Technique anglaise là encore, utilisée avec grand succès avec le métro londonien : l’état coupe le robinet, l’entreprise est étranglée, reste plus qu’à la vendre au plus offrant. Tant pis pour le service public.

Bon, et à part ça qu’est-ce qui se passe ? Eh bien en ce moment, on est en pleine foire internationale du livre à Buenos Aires. Une des plus importantes du monde, elle dure cette année du 25 avril au 13 mai. Trois semaines ! Il parait que notre David Foenkinos figure parmi les invités d’honneur. Nul doute qu’il saura causer dans le poste, il passe très bien à l’écran !