Dans Pagina/12 de ce dimanche 19 octobre, le dessin humoristique quotidien de Paz résume assez bien l’ambiance actuelle en Argentine à sept jours des élections législatives, où le président d’extrême-droite Javier Milei espère décrocher la majorité qui lui permettrait de gouverner sans être constamment, comme c’est le cas aujourd’hui, freiné par les votes défavorables du Parlement.
On y voit Milei interrogé par un journaliste télé et disant :
— Le plus important, le 29 octobre est de … Et le journaliste de finir la phrase :
— Gagner ? Ce à quoi Milei répond :
— Convaincre Trump que nous n’avons pas perdu.

Et c’est qu’en effet ces derniers jours, Trump, qui a mis la main à la poche pour soutenir son copain Milei en offrant la bagatelle de 20 milliards au Trésor argentin, a annoncé qu’en cas de victoire de l’opposition, il couperait les vivres. Une ingérence qui ramène les Argentins aux joyeux temps des années 40, où les États-Unis prenaient ouvertement position contre l’élection de Juan Perón. (Le parti péroniste en avait d’ailleurs fait un slogan de campagne présidentielle de 1946, à partir du nom de l’ambassadeur américain : ¿Braden o Perón ? Lien vers image)
Les derniers sondages ne donnent guère matière aux partisans de Milei d’être très optimistes. La popularité du président est en berne, les manifestations se succèdent, mettant des milliers de gens dans la rue chaque semaine ou presque, et les difficultés s’accumulent pour un gouvernement qui ne parvient ni à réellement remonter une économie qui stagne, ni à contenir la montée du dollar qui pèse sur la dette publique, et qui peine à se dépatouiller des différents scandales qui viennent brouiller son image, avec notamment l’affaire de la chute de la cryptomonnaie $Libra dont le président avait fait la promotion publique, et la démission forcée du député du parti gouvernemental José Luis Espert, accusé de blanchiment d’argent en lien avec le narcotrafic.
Le quotidien La Nación dresse trois profils possibles pour les résultats de dimanche prochain.
1. Une victoire du parti gouvernemental, LLA (La libertad avanza), arrivant en tête avec entre 35 et 40% des voix. Projection en sièges : environ 70, ajoutés à ceux du parti de droite classique, son allié, cela porterait l’ensemble à une centaine de sièges sur 257. C’est loin de la majorité absolue, mais cela permettrait à Milei de gouverner par décrets, puisqu’il aurait plus de 30% des sièges, minimum nécessaire pour cela.
2. Match nul avec le péronisme : 33 à 35% des voix chacun. Cela ne changerait qu’à la marge : environ 95 sièges sur 257. Mais surtout, plus question de gouverner par décret.
3. Défaite, avec moins de 30% des voix, et un maximum de 80 sièges alliés compris.
On le voit, aucun des scénarios présentés par La Nación n’envisage une victoire nette, et encore moins une majorité absolue pour le parti gouvernemental (El oficialismo, comme on dit en espagnol). Milei s’accroche donc à l’espoir de parvenir au tiers des sièges, et pouvoir ainsi avoir le champ libre pour imposer ses lois, en contournant l’obstacle parlementaire, qui lui a couté jusqu’ici pas mal de lois restées lettre morte. Une ambition modeste au regard des promesses suscitées par sa pourtant nette victoire présidentielle de fin 2023.
Son principal handicap réside dans sa conception même de la politique. Arrivé au pouvoir avec la promesse de dynamiter le système, il s’est très vite coupé de nombre d’alliés potentiels, désignés eux aussi, au même titre que les péronistes voués aux gémonies, comme responsables de la ruine du pays. Ce que lui reprochent à mots couverts même des partenaires extérieurs favorables à sa politique, navrés de voir ses excès entacher une gouvernance dont ils rêvaient de faire un laboratoire d’idées. Citons Martín Rodríguez Yebra dans La Nación :
Milei doit urgemment reconstruire, sous la pression extérieure, la coalition qui s’offrait à lui il y a un an et qu’il s’est lui-même chargé de dynamiter à coups d’insultes et de promesses non tenues. Le mépris envers ces mains tendues après son triomphe de 2023 répondait à une logique idéaliste : dans l’enthousiasme de la conquête du pouvoir il n’acceptait que les soutiens inconditionnels à son utopie libertaire. Milei se définissait comme un prophète venu libérer l’Argentine des contraintes que la politique imposait aux mécanismes du marché. Sa mission ultime était d’abolir l’état pour libérer une bonne fois la puissance de l’initiative privée. Ces quelques alliés de circonstance étaient considérés eux aussi responsables de la ruine passée. Qu’ils soient «les dégénérés fiscaux» qui gouvernaient les provinces ou les «tièdes» et les «couillons à principes» du PRO, le parti formé par Mauricio Macri (L’ancien président de droite, NDLA). Tous des «cafards, des rats, des complices affligés de parasitisme mental».
En catastrophe, pour reconquérir un électorat de plus en plus sceptique, Milei tente de revoir sa copie, et d’amender un peu son ultra-libéralisme, dont les sanglantes coupes budgétaires dans de trop nombreux domaines (Retraites, santé, université, travaux publics, financement des provinces) ont fait bondir ses scores d’impopularité. La tronçonneuse a été remisée, au moins provisoirement d’ici les élections, dans l’abri de jardin.
Cela sera-t-il suffisant ? Rien n’est moins sûr. Pagina/12 relève dans son édition de ce dimanche que le gouvernement prépare un affichage des résultats qui lui soit le moins défavorable possible. Méthode ? Les présenter non par régions, mais de façon générale. Ce qui permettrait à LLA, qui se présente partout sous une seule dénomination, d’afficher de meilleurs résultats que ses adversaires, qui eux, présentent des candidats régionaux défendant une même mouvance, mais sous des étiquettes différentes. Préoccupation significative du pessimiste officiel ambiant.
Rendez-vous lundi prochain !