I. 1943-1945 : Perón secrétaire d’état au travail

Dans cet article et les suivants, nous allons retracer de manière succincte les principaux aspects politiques, économiques et sociaux de l’action de Juan Domingo Perón, d’abord en tant que secrétaire d’état au travail, puis à la présidence de la nation entre 1946 et 1955. Comment a-t-il profondément changé la société argentine, pourquoi a-t-il autant suscité l’adhésion des classes les plus défavorisées, quels étaient les buts centraux de la politique qu’il a menée, comment a-t-il pu passer en neuf ans d’une popularité aussi massive qu’incontestable à un rejet certes moins massif – il était avant tout le fait des classes moyennes et plus favorisées, ainsi que des élites intellectuelles, religieuses et militaires – mais tout aussi incontestable ?

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Dès le début, Juan Perón a su s’appuyer sur les classes les plus humbles pour asseoir son pouvoir. Ce sont elles qui l’ont porté jusqu’au fauteuil présidentiel. Après le coup d’état militaire de 1943, qui avait renversé le très conservateur – et très combinard – Ramón Castillo, mettant fin à la sinistre « décennie infâme », commencée en 1930 par la dictature de Felix Uriburu et qui avait vu le retour de la fraude électorale, Perón, membre actif du G.O.U., ce groupement d’officiers unis à l’origine de la rébellion, s’est vu confier par le nouveau président de fait, Edelmiro Farrell, le poste de secrétaire d’état au travail. Poste apparemment subalterne, mais pourtant éminemment stratégique pour capter le soutien des classes populaires. Et Perón – qui avait lui-même, et non sans arrière-pensées, sollicité ce portefeuille, n’a pas manqué d’en profiter pour soigner sa popularité auprès des Argentins les plus modestes. C’est que si le nouveau secrétaire d’état a compris une chose, c’est bien celle-ci : la seule fenêtre de tir face à l’alliance anti-militaire des partis traditionnels, de droite et de gauche (on en reparlera), ce sont les Argentins les plus défavorisés. Leur situation à la sortie de la décennie infâme est particulièrement difficile : salaires bas, difficultés de logement, système de santé inexistant, idem pour les retraites, ouvriers et paysans argentins constituent un sous-prolétariat bien plus précaire encore que celui qu’on rencontre en Europe.

Aussitôt assis dans son fauteuil de ministre du travail, Perón se met au boulot. Objectif : faire promulguer des lois sociales inédites, réclamées depuis des années par l’ensemble du mouvement ouvrier. Pêle-mêle : augmentation des salaires, 13ème mois, loi sur l’indemnisation du chômage, indemnités de retraite pour les employés du commerce, statut de l’ouvrier agricole (jusque-là, corvéable à merci, payé au lance-pierre et sans droits sociaux : l’ouvrier agricole est encore un véritable serf, au sens moyenâgeux du terme), création d’une justice et d’une inspection du travail, institution de commissions paritaires dans les entreprises… Le statut de l’ouvrier agricole, notamment, lui vaudra une popularité immense chez ceux qu’on appelle là-bas les « peones », et la détestation pas du tout cordiale des « estancieros », propriétaires terriens.

(Voir la nouvelle : « Un gaucho« , sur ce même blog. FR ES)

La popularité du secrétaire d’état est telle qu’un mouvement syndical se forme pour le soutenir : le courant travailliste-nationaliste. (laboral-nacionalista). En quelque sorte, c’est le premier mouvement péroniste de l’histoire. C’est d’ailleurs en premier lieu en direction du secteur syndical que Perón va asseoir son action. Un secteur jusque-là totalement en déshérence, pratiquement inexistant. En octobre 1945, Perón fait passer une loi sur les associations professionnelles, qui fait des syndicats des entités d’intérêt public. Les syndicats sont reconnus en tant que groupements représentatifs de défenses des travailleurs.

Logo du Parti Travailliste argentin – 1945 (P.L. : Partido laboral)

Toutes ces mesures, on le voit, contribuent grandement à l’amélioration du sort des classes populaires, jusqu’ici engluées dans la misère et la précarité. Perón est ainsi devenu, en peu de temps, le bienfaiteur des plus humbles, qui, grâce à ses mesures, se sentent désormais partie prenante de la société argentine. Pas étonnant alors qu’en octobre 1945, lorsque les militaires, effrayés par cet ouvriérisme qui va à l’encontre de leurs valeurs profondes, beaucoup plus proches des classes aisées, voudront mettre Perón sur la touche et l’enverront en exil intérieur sur l’île Martín García, le petit peuple se lèvera en masse pour réclamer son retour. Avec succès : leur nombre, et leur détermination, ont forcé les militaires à le libérer, pour éviter un bain de sang. Perón renonce à revendiquer son retour au pouvoir, mais le secrétariat d’état au travail est confié à un de ses amis proches. Et d’autre part, en échange de son retrait, il obtient la garantie de l’organisation d’élections libres dès début 1946. Elections auxquelles il a bien évidemment l’intention de se présenter. En attendant, il se retire officiellement de l’armée, et se marie avec sa compagne, Eva Duarte.

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Vidéos associées :

1. Juan Perón raconte le 17 octobre 1945. (6’30, en espagnol). Depuis son arrestation et sa mise à l’isolement sur sur l’île Martín García jusqu’à son discours au balcon du palais présidentiel. (Film proposé par l’Institut National Juan Domingo Perón )

2. Interview de l’historien Felipe Pigna sur le péronisme.  (47’50 en espagnol)

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