Après la conquête de l’Empire Inca par Francisco Pizarro en 1532, les Espagnols cherchent à consolider leurs bases américaines, et notamment vis-à-vis de leurs rivaux Portugais qui tiennent les côtes brésiliennes. C’est pourquoi ils tiennent à contrôler cette grande entrée à l’intérieur du continent que constitue l’estuaire du Paraná, et projettent donc d’y construire un port. A cette fin, le roi Carlos V (Charles Quint) nomme Pedro de Mendoza Adelantado du Río de La Plata, sorte de gouverneur, ou de préfet, représentant la couronne dans cette zone de conquête. Mendoza affrète donc plusieurs navires, sur lesquels prennent place environ 2500 hommes, dont 200 esclaves Cap-Verdiens et Guinéens. Un autre navire, affrété par deux banquiers Allemands, prend place dans la flotte et transporte pour sa part environ 150 européens, pour la plupart Allemands, Portugais et Flamands.
La flotte atteint l’estuaire en janvier 1536. Mais Mendoza, instruit de l’expérience malheureuse de Solís avec les indiens Charrúas (Voir l’article précédent), évite de débarquer sur la rive nord (actuelles côtes uruguayennes), et s’établit sur la rive sud. Il fonde le port qui prendra le nom de « Santa María del Buen Ayre », au confluent de l’estuaire et d’une rivière surnommée le « Riachuelo »[1]. L’origine de ce nom (Santa María del Buen Ayre) a donné lieu à de nombreuses hypothèses, mais la plus couramment admise est qu’il serait en rapport avec la consécration de la ville nouvelle à la Vierge du Bon Air, protectrice des marins. Pas grand-chose à voir, quoiqu’en pensent certains Argentins un poil chauvins, avec la pureté de l’air qu’on respire dans le coin.
A l’époque, la rive argentine de l’estuaire n’est pas complètement déserte non plus. Pas de Charrúas en vue, les gens du cru sont plutôt des Querandies. Plus accueillants dans un premier temps : ils fournissent même des vivres aux nouveaux arrivants. Mais ça ne dure pas. Au bout de deux semaines, ils attaquent les Espagnols. Cette première échauffourée se soldera par des centaines de morts des deux côtés, mais cela ne découragera pas Mendoza qui continuera l’installation de la place forte en bordure d’estuaire.
Assez rapidement, les nouveaux colons rencontrent des problèmes de ravitaillement, et la situation devient critique, d’autant que les indiens reprennent leur harcèlement. En mai, ceux-ci assiègent le camp en nombre, et le détruisent pratiquement entièrement[2]. Les Espagnols parviennent à les mettre en fuite, mais ils sont contraints d’abonner le fort et de regagner les bateaux qui ont échappé à l’incendie.
En attendant des renforts, une partie des hommes remonte le Paraná vers le nord, avec Pedro de Mendoza, tandis qu’une autre partie reste sur le site, sous les ordres de Francisco Ruiz Galán.
Mendoza, atteint de syphilis, doit rapidement rebrousser chemin, laissant ses compagnons sous le commandement de Juan de Ayolas, qui avait d’ailleurs déjà mené une première expédition le long des rives du Paraná. Ayolas et ses hommes, dont son aide de camp Domingo Martínez de Irala, remonteront jusqu’à l’actuel Paraguay, dont ils fonderont la future capitale, Asunción.
En juin 1537, de plus en plus malade, Mendoza décide de s’embarquer pour l’Espagne, avec l’espoir de revenir avec d’autres renforts. Il ne l’atteindra jamais : il meurt sur le bateau, au large des Iles Canaries.
En 1541, le fort de Santa María del Buen Ayre, où ne subsistait plus que 350 habitants toujours à la merci des attaques indiennes, sera définitivement abandonné. La plupart de ses occupants file plus au nord, vers Asunción et le Paraguay. Il faudra attendre près de quarante ans, avec l’arrivée de Juan de Garay en 1580, pour voir les Espagnols prendre pied de façon pérenne sur les bords du Río de La Plata : ce sera la « seconde fondation » de Buenos Aires. Une autre histoire, et un nouveau départ, plus solide celui-là.
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[1] Cette rivière traverse aujourd’hui le quartier portègne de La Boca.
[2] Voir à ce sujet la nouvelle « El hambre », de Manuel Mujica Láinez, dans le recueil « Misteriosa Buenos Aires » paru en 1950. Il existait une traduction française de ce recueil chez Séguier (1990), mais elle a apparemment disparu du catalogue.