Parc national en flammes !

Le 25 janvier dernier, le Parc National « Los Alerces » (Site UNESCO), dans la province du Chubut (Patagonie argentine) a été victime d’un énorme incendie, causant la destruction de plus de 2500 hectares de forêt primaire dans une zone protégée.

L’origine criminelle de l’incendie a été établie assez rapidement, mais comme on pouvait s’y attendre dans ce pays marqué par une irréductible fracture politique, les mises en cause varient beaucoup en fonction des positions des uns et des autres.

Car le Parc se situe en pleine zone revendiquée historiquement par le peuple originaire Mapuche, dont le territoire se trouve à cheval sur deux pays, Argentine et Chili (où ils sont plutôt appelés « Auracans »).

Géographiquement, et en termes régionaux actuels, on peut situer leur territoire sur une région s’étalant entre Valdivia (Ch.) et San Martin de Los Andes (Arg.) au nord, jusqu’au sud de l’île de Chiloe (Ch.) et la ville de Trevelin (Arg.). Sachant que ce territoire d’origine n’a cessé de se rétrécir depuis la conquête espagnole, et que par ailleurs, les Mapuches, comme tout le monde, ont pas mal bougé et sont aujourd’hui disséminés sur presque toute la moitié sud du pays.

Territoire approximatif des Mapuches. Le Parc national los Alerces (Les mélèzes) se situe près de la localité d’Esquel sur cette carte.

Aujourd’hui, on estime à environ 2 millions la population Mapuche, avec une forte disparité entre Chili (1 700 000) et Argentine, où ils ne seraient plus que 200 000.

Il faut dire qu’ils ont été largement massacrés au cours des différentes campagnes anti-indigènes des deux côtés de la frontière, à la fin du XIXème siècle. Et notamment lors de la fameuse « Conquête du désert » argentine, qui a pratiquement balayé tout ce qu’il restait de peuples originaires.

En Argentine d’ailleurs, les recensements sont sujets à caution, et objet de nombreuses manipulations. Ici, la tendance est généralement à la minoration, et, autant que faire se peut, à la négation du statut Mapuche. L’objectif étant de nier, ou à tout le moins de minimiser, l’existence de «vrais» Mapuches au sein de la nation. Puisqu’on ne peut plus les massacrer, on les efface des statistiques.

Ce qui permet également de contester leurs revendications territoriales, et c’est ce qui nous ramène à l’incendie dramatique de Los Alerces.
Depuis longtemps, les Mapuches se sont organisés pour réclamer leurs droits territoriaux légitimes sur des terres ancestrales. Ils se sont regroupés au sein d’un mouvement, le RAM (Résistance ancestrale Mapuche), qui organise des occupations de terrains.

Dès lors, la tactique des autorités est simple. 1) On conteste aux manifestants le statut de Mapuche. Ces indiens-là seraient de faux indiens qui profitent d’un contexte pour semer la zizanie à leur propre profit. Leurs revendications ne sont fondés sur aucune base légitime. 2) Mener une répression brutale, pour provoquer en retour une réaction violente. Les manifestants deviennent alors «des terroristes». C’est commode : on peut alors diffuser de belles images à la télé, qui choqueront à tout coup l’Argentin moyen devant son poste : barricades, jets de pierres, destructions, scènes de guérilla, images de désolation. On connait le principe : c’est celui de la guerre des images, toujours gagnée par celui qui peut les choisir.

L’enquête sur les origines de l’incendie du Parc est toujours en cours. Comme souvent en Argentine sur ce genre de sujet sensible, il est plus que probable qu’elle ne donnera rien de bien solide, sinon deux thèses qui s’affronteront sans fin.

Pour les autorités, c’est facile. On tient un coupable : un gardien du Parc lié aux Mapuches, qui aurait volontairement provoqué deux départs de feu. Mais si on se demande quel intérêt pourraient avoir les Mapuches à détruire volontairement leur environnement, en revanche, il est intéressant de noter que le territoire même du Parc alimente les convoitises de grandes entreprises. C’est ainsi, comme le relève le quotidien La Nación, citant une source indienne, qu’un gros propriétaire terrien, un certain Lewis, a dans ses cartons un projet de barrage hydroélectrique, ainsi qu’un plan de construction immobilière.

Ce qui est significatif, c’est l’usage à géométrie variable de l’identité mapuche, qu’on passe son temps à nier mais qu’on n’hésite pas à brandir dès qu’il s’agit de trouver des boucs émissaires. Pour faire court : il n’y a plus de Mapuches, mais s’il y a le feu quelque part, ce sont pourtant des Mapuches qui sont responsables. C’est bien pratique.

Saura-t-on un jour qui a provoqué l’incendie ? L’expérience montre largement que la justice argentine est dans ce domaine une spécialiste de l’escamotage et de la dissimulation. Si on veut que ce soit des Mapuches, alors, ce sera des Mapuches. Aucune bonne occasion ne doit être négligée de brouiller l’image des derniers indiens restants auprès d’un public majoritairement « blanc ».

En attendant, un des principaux parcs nationaux patagoniens a été réduit en cendres. Il n’est plus le seul. Plusieurs autres incendies se sont déclarés ces jours-ci dans le même secteur : Parc National Nahuel Huapi, près de San Carlos de Bariloche, et Parc National de Lanín, près de San Martín de los Andes. Des incendies probablement dus à l’imprudence de touristes, et aggravés par le contexte de très fortes chaleurs en ce moment sur le pays, où le thermomètre dépasse régulièrement les 40. (Moins en Patagonie, je vous rassure. Mais même là, on dépasse largement les moyennes de saison ! Au moment où j’écris, on relève 31° à Neuquén et 20° à Bariloche).

Il est tout de même désolant de voir l’état de la défense de l’environnement dans ce pays, où ce concept doit toujours s’effacer derrière des intérêts politiques et économiques de court terme, et où n’existe malheureusement aucun mouvement écologiste digne de ce nom. Entre prédation immobilière et industrielle, climato-scepticisme, et récupération politique, l’Argentine parait totalement rétive à toute remise en question d’un modèle de développement dépassé. Et ce n’est certainement pas avec l’élection d’un ultra-libéral « anarcho-capitaliste » et férocement climato-sceptique comme Milei que ça va s’arranger.

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Quelques liens

Une petite promenade dans le Parc national Los Alerces. Vidéo de 11’56, en espagnol sous-titré en français. Avant incendie bien sûr !!

Compte-rendu de l’enquête en cours dans La Nación.

La situation actuelle de l’incendie, au 6 février. (Pagina/12)

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