Naissance d’une nation

           Ecusson de l’Argentine – Photo DP

          A partir de 1820, Buenos Aires profite de la paix revenue pour développer son économie, exportant de grandes quantités de cuirs et viandes séchées. Sa situation de port douanier lui confère une certaine suprématie économique vis-à-vis des autres provinces. Dispensée de troubles d’ordre militaire, elle en profite pour se développer territorialement vers le sud, aux dépens des indiens autochtones.
          Globalement, c’est l’économie de toutes les provinces qui profite de cette période d’accalmie, qui permet la reprise du commerce extérieur : les provinces de l’ouest vers le Chili, celles du nord vers la Bolivie, et Buenos Aires au-delà de l’Atlantique. Mais cela, au lieu de fortifier l’ensemble de l’union, alimente une ambiance de concurrence entre provinces. En 1824, celles-ci tentent de recoller les morceaux, en réunissant une assemblée pour rédiger une constitution commune. Mais la tentative avorte, pour deux problèmes majeurs. D’abord, le conflit ouvert avec le Brésil, qui mobilise les énergies. Il tient son origine dans la révolte de la province de la « Bande Orientale », qui a le soutien des Provinces-Unies, contre les ambitions territoriales brésiliennes. Après le blocus du port de Buenos Aires par les Brésiliens, le conflit se règle, à travers la médiation anglaise, par la création d’un nouvel état indépendant : La République orientale de l’Uruguay.            

          Ensuite, l’assemblée constituante se divise assez rapidement en deux tendances irréconciliables : les Unitaires, emmenés par Agüero et Bernardino Rivadavia, postulant pour un gouvernement central fort, ciment d’une souveraineté nationale, et les Fédéralistes, avec notamment Estanislao López, qui militent plutôt pour l’autonomie de chacune des provinces. Même si on trouve les Unitaires plutôt du côté de Buenos Aires et les Fédéralistes dans les provinces, il n’en reste pas moins qu’il y a de nombreuses exceptions, et que la ligne de partage n’est pas totalement géographique.

        

B. Rivadavia et E. López – Photos DP         

          La constitution dont la rédaction est achevée en 1826 n’entrera jamais en vigueur. Néanmoins, c’est dans celle-ci qu’apparait pour la première fois le terme de «République argentine». Malgré tout, avec la dissolution de la Constituante et le retour de l’armée après le conflit brésilien – une armée plutôt unitaire – le pays entre dans une véritable guerre civile. Quatre provinces tombent aux mains des Fédéralistes : Buenos Aires, Santa Fe, Entre Ríos et Corrientes. Les autres provinces restant dans l’escarcelle des Unitaires, conduits par le général José María Paz. Mais bientôt, les Fédéralistes finissent par imposer leur suprématie : toutes les provinces signent le pacte fédéral.
          Le paradoxe, c’est que malgré cette victoire fédéraliste, qui aurait dû profiter à l’autonomie souhaitée de chacune des provinces, le gouverneur de Buenos Aires, Juan Manuel de Rosas, parvient à imposer son leadership sur l’ensemble, instaurant une dictature à partir de 1835. Une dictature néanmoins fortement contestée et combattue, par les Unitaires bien sûr, mais également par des Fédéralistes déçus, et surtout par les intellectuels dits de « la génération de 37 », comme les écrivains Juan Bautista Alberdi et Esteban Etchevarría (auteur du célèbre « El matadero », livre férocement anti-fédéraliste et anti-rosiste), ou le futur président de la république Domingo Sarmiento.
          Rosas intervient également dans les querelles internes de l’Uruguay, conflit que la France met à profit pour tenter une incursion en bloquant le port de Buenos Aires, entre 1838 et 1840. Sans grande conséquence, mais elle remettra le couvert, avec l’aide des Anglais, entre 1845 et 1847. A chaque fois, Rosas parvient à les repousser, ce qui lui assure une réelle aura dans le monde politico-diplomatique, aura qui rejaillit sur toute l’Argentine, désormais considérée et reconnue comme un pays indépendant et solidement gouverné.

Arrivée des bateaux anglais et français sur le Paraná- 1845 – Photo DP

          Mais Rosas va de nouveau s’attirer une forte opposition lorsqu’il interdit aux provinces la libre navigation sur les grands fleuves conduisant à l’Atlantique, concédant un énorme avantage au commerce extérieur portègne. Cette nouvelle opposition est désormais menée par José Manuel de Urquiza, et dégénère en conflit ouvert, avec pour apogée la bataille de Caseros, qui consacre en 1852 la victoire définitive d’Urquiza et l’exil de Rosas. Les provinces renoncent à leur autonomie et l’Argentine redevient une nation réellement unie. Ou presque. En effet, à Buenos Aires, d’anciens alliés d’Urquiza, qui craignent de voir surgir à travers lui un nouveau dictateur sur le modèle de Rosas, fondent le Parti libéral. C’est un nouveau schisme entre la capitale et les provinces, qui demeurent attachées à la Confédération argentine, quand Buenos Aires reprend son autonomie. La ville de Paraná devient la capitale officielle du pays encore une fois redessiné, avec à sa tête Urquiza. Une nouvelle constitution est promulguée en 1853, à Santa Fe.
          Néanmoins, tandis que Buenos Aires prospère grâce aux exportations de cuirs et de laines et à son système douanier, la Confédération, elle, est confrontée à de graves problèmes économiques, et le ressentiment à l’égard de l’ancienne capitale est très fort. En 1859, une nouvelle guerre éclate entre les deux camps. Les troupes d’Urquiza l’emportent à la bataille de Cepeda, et Buenos Aires est réintégrée dans la Confédération argentine. Mais la guerre n’en est pas terminée pour autant. Les combats se poursuivent encore deux ans, jusqu’à la bataille de Pavón, cette fois remportée par les troupes portègnes. Leur général, Bartolomé Mitre, devient officiellement président de la Confédération. S’asseyant sur la Constitution fédérale, Mitre prétend imposer un pays placé sous la tutelle de Buenos Aires.
          En 1865, Mitre signe le « Traité de la Triple Alliance » avec le Brésil et l’Uruguay. Il s’agit de mettre au pas le Paraguay, dont le système politique dérange. Cette guerre, longue, très impopulaire en Argentine, a des conséquences terribles. Le Paraguay, vaincu, en ressort brisé économiquement et démographiquement, ayant perdu une partie non négligeable de sa population masculine, et amputé de plusieurs morceaux de son territoire accaparés par les vainqueurs.
          Cette guerre scelle en Argentine l’émergence définitive d’une véritable armée nationale, et non plus un puzzle d’armées financées par les entités régionales. Sous les mandats présidentiels successifs de Domingo Sarmiento (1868-1874) et Nicolás Avellaneda (1874-1880), l’unité nationale se renforce, s’appuyant sur une économie en plein essor et tournée vers les échanges avec l’extérieur. C’est également le début des grandes vagues d’immigration venue d’Europe, qui vont grossir la population locale. En 1880, peu après l’élection de Julio Argentino Roca à la présidence de la nation, Buenos Aires redevient la Capitale officielle du pays. Cette fois, définitivement. Roca, continuant la conquête des territoires indiens entreprise en 1879 – la « Conquête du désert », comme on l’appelait et qui n’était pourtant rien d’autre qu’une spoliation de territoires déjà occupés au moyen d’un véritable génocide – va donner à l’Argentine les contours qu’elle possède à peu près aujourd’hui. Une autre histoire va pouvoir alors commencer : celle d’une Argentine enfin « solidifiée ».

Arrivée d’immigrants en Argentine, fin XIXème – Photo Mairie de Córdoba

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