Maintenant qu’il a la majorité (relative) au parlement, le président Milei a donc les mains plus libres pour imposer ses réforme ultra-libérales.
Premier volet ces jours-ci, avec la grande réforme du droit du travail, qui va être présentée aux députés. But affiché : faire redémarrer l’emploi dans un pays miné par ce qu’on appelle l’emploi informel, qu’on appellerait chez nous, le travail au noir. Selon les sources, celui-ci concernerait entre 40 et 50 % de l’emploi effectif argentin. Une paille.
Solution préconisée : inciter les employeurs « officiels » en simplifiant au maximum le droit du travail. Traduisez : faire en sorte que la loi n’entrave pas trop les relations entre employeurs et employés. Sous-texte : arrêtons d’ennuyer les employeurs avec des lois trop contraignantes.
L’axe principal, c’est de favoriser au maximum les négociations internes, au détriment de règles nationales. Autrement dit : le droit du travail est subordonné à la négociation directe entre patron et salarié.
Quelques exemples.
1. La durée du travail. Jusqu’ici, la durée hebdomadaire et journalière du travail était régie par une convention collective s’appliquant à toutes les entreprise, privées comme publiques. Place désormais à « la banque horaire ». Cela supprime de fait les heures supplémentaires, faisant faire au passage de substantielles économies aux employeurs. Le principe, c’est la flexibilité. L’employeur peut décider de répartir les heures dues par l’employé selon les besoins. En clair : un jour, il peut demander à l’employé de travailler deux heures de plus, et lui dire que le surlendemain, il partira deux heures avant la fin de sa journée. Autrement dit, on pourra ainsi faire des journée de douze heures en toute légalité, et au tarif normal !
Selon le ministre de « la dérégulation et de la transformation de l’état » (son intitulé officiel), chargé de défendre la réforme, « Ce n’est pas la fin des heures supplémentaires, elles existent toujours. Simplement, on définit une banque horaire. Un jour vous devez rester deux heures de plus et l’employeur vous dit, prenez-vous deux heures vendredi. Cela se négocie directement entre les parties. C’est juste permettre une certaine flexibilité, car les modes de travail ont changé, on doit s’ouvrir à cela« .
2. Les vacances. Désormais, elles aussi font l’objet d’une négociation interne. La période d’été n’est plus systématique, c’est au contraire un bénéfice exceptionnel, obligatoire seulement une fois tous les trois ans. Pour le reste, c’est à voir au sein de l’entreprise. Les vacances sont négociées par périodes d’au moins sept jours consécutifs, la négociation devant en établir les dates dans l’année. Deux fois sur trois, l’employeur pourra donc exiger que l’employé prenne ses vacances « hors saison ». Pratique pour l’organisation des familles et la cohérence avec les vacances scolaires.
Le ministre : « La loi actuelle vous demande de prendre vos vacances à une période déterminée de l’année. Cette flexibilisation est un peu ce que demandent les jeunes. On décide par consentement mutuel. La loi prévoit qu’on puisse les prendre entre octobre et avril, sur un minimum de sept jours, mais dès l’instant que les parties s’entendent, tout peut s’envisager« .
3. Les charges sociales. Elles sont dérivées vers un organisme de gestion privé, le Fonds d’assistance au travail (Fondo de asistencia laboral, FAL). Les employeurs versent l’équivalent de 3% de la masse salariale totale à ce fonds. En contrepartie, ils sont exonérés de 3% de leurs charges envers la Sécurité sociale. Opération blanche pour eux, mais perte sèche pour la Sécu argentine.
4. Droit de grève. La notion de « services essentiels », pour lesquels un service minimum de 75% est exigé en cas de grève, est étendu, grâce à une nouvelle qualification : « les services d’importance capitale ». Sont concernés des secteurs aussi variés que la restauration, les médias ou l’agro-alimentaire.
Voilà pour quelques exemples emblématiques.
On le voit, le grand principe, c’est de « localiser »au maximum les relations patronat-salariat, avec très certainement une arrière-pensée : affaiblir les syndicats nationaux, comme la CGT. Le gouvernement libertarien de Milei pousse au développement de syndicats « maison », autrement dit, attachés à chaque branche, voire à chaque entreprise. But non exprimé : redonner un pouvoir discrétionnaire à l’employeur, en remettant la défense des employés entre les mains d’organismes forcément plus petits, donc plus faibles. Voire même créés par les employeurs eux-mêmes, à la manière de certains syndicats étatsuniens.
La loi n’est pas encore votée, les syndicats naturellement coincent gravement, et organisent une manifestation de protestation jeudi prochain. Selon certains spécialistes du droit du travail, cette loi ramène l’Argentine plusieurs décennies en arrière, avant même la naissance de la notion de droit du travail, issu des graves événements de la Semaine tragique et des grandes manifestations des ouvriers de Patagonie, dans les années 1919-1920.
Car en réalité, c’est bien d’une flexibilisation totale en faveur des employeurs dont il s’agit. Quelle force de négociation peuvent avoir les employés s’ils doivent négocier seuls face à l’employeur sans le soutien de syndicats forts ?
Selon l’avocate spécialisée Natalia Salvo, la réforme « nous ramène à des temps sans lois, et renvoie à un passé sans garde-fou, où la relation de travail est livrée à la volonté du plus fort : l’employeur (…) Moderniser, c’est augmenter la protection (NDLA : des salariés) pas la réduire.« .
Un avant-goût de ce qui nous attend, nous Français, à partir de 2027 et la victoire annoncée du RN ?
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Sources diverses :
Résumé des principales mesures sur Pagina/12 :
https://www.pagina12.com.ar/2025/12/12/una-modernizacion-apenas-mejor-que-la-inquisicion/
Interview du ministre :
Le projet de loi complet :