Polémique ces temps-ci en Argentine, suite à une petite phrase prononcée par le Président Alberto Fernández sur l’origine des Argentins.
Peut-être avez-vous déjà lu, ou entendu, la formule fameuse au sujet de l’immigration argentine : «Les Mexicains descendent des Aztèques, les Péruviens des Incas. Les Argentins, eux, descendent… des bateaux !». Une formule qui connait pas mal de déclinaisons et de nuances, dont celle, donc, du président, qui a prononcé exactement celle-ci : «Les Mexicains descendent des indiens, les Brésiliens de la forêt, mais nous autres Argentins, nous sommes arrivés en bateau». Une phrase jugée raciste par de nombreux critiques, d’autant qu’elle a été prononcée lors d’une entrevue avec le premier ministre de l’ancienne puissance coloniale espagnole, Pedro Sanchez. Concours de circonstances plutôt malheureux, il faut bien dire.
D’où vient cette phrase, et que veut-elle signifier ? Son origine est, comme toujours dans ces cas-là, assez discutée. Alberto Fernández l’attribue à l’écrivain Mexicain Octavio Paz (1914-1998), prix Nobel de littérature en 1990. Clarín, en bon quotidien d’opposition, préfère l’attribuer au chanteur Litto Nebbia, dans sa chanson «Nous sommes arrivés par bateau», de 1982. Forcément : Litto Nebbia serait un ami du président. Paz avait écrit très exactement : «Les Mexicains descendent des Aztèques, les Péruviens des Incas, et les Argentins, des bateaux». Une boutade, naturellement, par laquelle l’auteur Mexicain voulait illustrer l’impact beaucoup plus grand de l’immigration européenne sur l’Argentine que sur les autres pays sud américains. Voir à ce sujet notre article «1880-1910 : la grande vague d’immigration»
En effet, l’Argentine a vécu à la fin du XIXème siècle et au début du XXème, une vague d’arrivées massives de toute l’Europe, qui a contribué à largement façonner son visage cosmopolite d’aujourd’hui, d’autant que, plus qu’aucun autre pays, elle a également, au cours du XIXème siècle, joyeusement massacré tout, ou presque, ce que la contrée comptait de peuples premiers. Voir ici le déroulé de cette «conquête du désert».
C’est naturellement ce qui a contribué à braquer une partie des Argentins qui ne veulent pas qu’on efface ainsi d’une phrase un peu facile la réalité d’une terre colonisée, en niant la préexistence de peuples installés bien avant l’arrivée des premiers colons. C’est bien légitime. On verra ici la réaction du célèbre acteur Argentin Ricardo Darín (Les nouveaux sauvages, Le sommet), qui relativise néanmoins la polémique : «Il y a des choses plus graves».
Alberto Fernández, qui ne dit pas autre chose, a demandé a Victoria Donda, la directrice de l’Institut National contre la discrimination, la xénophobie et le racisme (INADI), d’analyser sa phrase afin d’établir si elle «correspond à un acte de discrimination» de sa part. Dans sa lettre à Victoria Donda, il précise qu’aujourd’hui «vivent dans le pays des dizaines de peuples originaires, avec leurs langues et leurs traditions propres. De plus, des enquêtes sérieuses montrent qu’un pourcentage approchant les 50% des Argentins a une ascendance indigène», et il ajoute «Nous sommes cette diversité dont nous devons être fiers. Nous sommes le résultat d’un dialogue inter-culturel». Sa lettre à Victoria Donda est reproduite intégralement dans cet article de Pagina/12. Article sous lequel quelques commentateurs facétieux pointent avec humour la proximité politique de Donda avec le président : peu probable que celle-ci désavoue celui-là !
Ce qui n’empêche pas de souligner l’opportunisme de certains qui, en d’autres occasions, ne sont pas aussi empressés à reconnaitre la réalité des peuples premiers argentins, et à condamner les massacres d’indiens du XIXème siècle. L’anti racisme est en Argentine comme partout, un outil politique bien utile !
Sur le sujet de l’immigration argentine, on lira également avec profit, publiés ce même jour, deux articles de fond. Celui de Jorge Alemán dans Pagina/12, «Note sur les bateaux», qui pointe que «Le métissage hybride argentin serait impensable sans les bateaux» et que «Le vrai racisme serait d’effacer cela en escamotant l’histoire». Et celui de Patricia Kolenikov dans Clarín, «Nous sommes venus en bateaux pour échapper à la faim et à la barbarie européenne» qui explique les raisons de la grande vague migratoire et l’odyssée des migrants du début du XXème siècle.
Car oui, les Argentins descendent AUSSI des bateaux, même si ce n’est pas une raison pour penser que l’Argentine n’est qu’un lointain pays européen.
Je ne suis pas un lecteur assidu de ce blog. Mais nul doute que toute personne qui s’intéresse à ce pays et veut en connaître/comprendre plus trouvera de la matière dans ce blog avec un style particulièrement agréable à lire, même si la capacité de son auteur à faire des textes enlevés et plein d’humour pour les départs en retraite ne peut être exploitée complètement 🙂
Je pense en tout cas que même des argentin.es expatriés ou pas y trouveront leur compte. Voire leur conjoint.e, private joke…Un peu d’anglais ne fera pas de mal et me permet de faire un clin d’œil à une fidèle lectrice de ce blog, j’en suis sûr, dont j’ai pu apprécier les qualités de formatrice en langues…
J’attends quant à moi que l’auteur relève un défi que je lui ai lancé. Trouver un angle d’attaque (celle de La Rochelle ?🙂) pour nous gratifier d’un article sur le rugby en Argentine, dont certains joueurs (voire entraîneur, Gonzalo, l’équipe de France et le Stade Français vous remercient) exercent leurs talents en France. Étonnamment à l’inverse de nos sud africains ou néo zélandais ou fidjiens, aucun n’a à ma connaissance choisi de franchir les portes de l’équipe de France via une « naturalisation de circonstance ». Idem d’ailleurs pour les ressortissants géorgiens qui peuplent nos premières lignes… Sûrement une raison à creuser…