L’Argentine sur Netflix

Bon, je vais faire de la pub pour une firme multinationale que je n’aime pas particulièrement, et dont je n’utilise que très rarement les services, mais cette fois, c’est pour la cause.

En effet, le 14 septembre prochain sur Netflix sort une nouvelle série qui devrait ravir tous les amateurs de littérature argentine.

Bon, cette série, paradoxalement, sera… mexicaine, et donc située au Mexique, avec des acteurs et actrices en majorité Mexicain(e)s. N’empêche, la série est tirée d’un roman argentin, d’une autrice dont je viens présentement, et prestement, vous faire l’éloge.

Je l’avoue, je l’ai découverte il y a peu, grâce aux conseils avisés du (selon moi) meilleur lecteur de toute la rive sud du Río de la Plata, mon camarade Manuel Silva, résident à la fois du quartier populaire de La Boca à Buenos Aires et de la campagne paraguayenne, où il fait de nombreux voyages pour s’occuper de ses orchidées.

Vous allez me dire : on s’en tamponne, des orchidées du Manuel. Je comprends ça, mais moi, je vois bien toute l’influence qu’elles ont sur son extraordinaire acuité d’analyse du réalisme magique de la littérature sud-américaine, dont il est un véritable spécialiste. Sans les paysages du Paraguay, effet papillon, je n’en aurais sans doute jamais appris autant sur les ressorts de l’écriture de García Marquez, de José Luis Borges ou de Julio Cortázar. Mais j’en parlerai peut-être une autre fois, ce n’est pas le sujet ici.

Le sujet, c’est la prochaine série mexicaine, donc. «Las viudas de los jueves», elle va s’appeler. Exactement comme le roman dont elle est tirée. Et c’est là qu’intervient la littérature argentine : le roman en question est de Claudia Piñeiro, autrice de dix romans depuis 2006, ainsi que plusieurs ouvrages de théâtre, de littérature de jeunesse, et de deux recueils de nouvelles.

Une collectionneuse de prix littéraires : pas moins de neuf en moins de vingt ans ! Mais bon on le sait, ce ne sont pas les prix qui font les grands écrivains. Enfin, pas forcément. On a bien filé le Goncourt à Jean Cau (1961) et à Michel Houellebecq (2010) et jamais à Raymond Queneau ou à Georges Simenon. Si c’est pas de l’injustice.

Claudia Piñeiro, ce n’est pas seulement une romancière. A la base, c’est une sociologue contrariée. En 1978, elle avait 18 ans et se destinait à cette carrière, manque de chance, les militaires venaient de prendre le pouvoir et décréter que la sociologie, c’était subversif. Fermeture de la fac, inscription en Sciences éco, en route vers une carrière de comptable ! On comprend mieux qu’en parallèle avec tous ces chiffres, elle se soit mise aux lettres. Faut bien souffler un peu.

Elle commence par écrire pour les petits. Peut-être parce qu’elle trouve ça plus facile, et moins engageant. Rien n’est moins sûr, mais ça lui met le pied à l’étrier, parce qu’elle a la chance, et surtout le mérite, de non seulement être publiée, mais de gagner en suivant son premier prix de la série de neuf. Première publication donc en 2004, mais naturellement, il y a déjà belle lurette qu’elle empile les manuscrits. Son premier vrai roman, inédit à ce jour, «El secreto de las rubias» (le secret des blondes) date de 1991.

Premier succès avec le roman «Tuya» (Tienne), finaliste du prestigieux prix Planeta. Je ne l’ai pas lu, je ne peux donc pas vous en parler. En 2005, sort celui qui va donner lieu à notre série cinématographique : «Las viudas de los jueves», Les veuves du jeudi en version française (Actes Sud).

Elle y décrit un univers qu’elle reprendra plus tard comme décor dans un autre roman, policier celui-ci : «Betibú» (pour Betty boop). Celui des lotissements fermés, vous savez, ces cités protégées, sortes de réserve des classes supérieures qui s’enferment pour éviter toute contagion avec les gueux du dehors (de la vraie vie, quoi), et surtout, vivre une vie tranquille dans un espace hyper sécurisé.

En Argentine, ça fait florès. Murs d’enceinte, barrières automatiques, gardiens intraitables, école spécifique pour les enfants, magasins, bref, vase clos. On y reste entre soi, tout le monde se connait, les règles sont strictes et tout le monde les respecte sous peine d’être mis au ban. Et donc, on s’y sent en parfaite sécurité, même en plein milieu d’un quartier de banlieue modeste, qu’on ne traverse qu’en grosse bagnole à vitres fumées, sans jamais s’y arrêter.

Les Altos de la Cascada sont un “country”, comme l’appellent les Argentins, comme bien d’autres. On y vit entre bons voisins, qui deviennent souvent des amis. Chaque jeudi, une bande de potes se réunit traditionnellement pour boire, manger, discuter, jouer, bref, se donner du bon temps. Sans les femmes. Qui se surnomment, par dérision, les «veuves du jeudi».

Toute une mini société, où s’agitent pourtant tout comme ailleurs les mêmes passions, les mêmes tricheries, les mêmes frustrations, et, souvent, le même ennui. Une société précaire, de surcroit. Le moindre aléa, maladie, perte d’emploi, et on n’existe plus. Quand on vit sur un fil, il ne faut surtout pas glisser.

Mais nous sommes en 2001. Une des pires crises économiques que l’Argentine ait connu depuis longtemps. Un effondrement, après dix ans de gestion ultra-libérale de Carlos Menem, pourtant l’idole des classes supérieures. Les Altos de la Cascada ont beau être isolés du reste du monde, leurs habitants sont bien obligés de travailler à l’extérieur. Dans de vraies entreprises, soumises aux soubresauts de l’économie.

Et c’est là que tout commence à se gripper. Pour terminer en tragédie.
Je ne sais pas ce que va donner la série. Dans le roman, Claudia Piñeiro nous livre une description implacable de cet univers glaçant, cette bulle qui ne peut que finir par éclater, tant le dôme de protection au-dessus de ces familles riches parait fragile et prêt à se briser à tout instant.

J’ai vu une bande annonce, j’ai l’impression qu’ils se sont davantage centrés sur les rapports entre habitants et les intrigues croisées que, comme Claudia Piñeiro, sur l’examen critique de ces «paradis» fermés qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à des enfers dorés. Mais ça, on ne le saura qu’en regardant la série. Sortie prévue, donc, le 14 septembre sur Netflix.

Bande annonce officielle ici. Et .

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A part ça, Claudia Piñeiro a écrit d’autres livres largement dignes d’intérêt. J’ai déjà cité «Betibú», une enquête policière mené par une romancière et un journaliste, et qui se déroule également dans une de ces cités exclusives. Version française : Betibou, chez Actes sud (Il y a eu un film en 2011, de Miguel Cohan).

En français, on trouve également Une chance minuscule (Una suerte pequeña, en espagnol), qui raconte l’histoire tragique d’une jeune femme responsable malgré elle d’un effroyable accident, et qui ne peut le surmonter qu’au prix d’un abandon qui constitue, au final, une double peine. Un récit là aussi implacable, qui fait penser au formidable «Atonement» (Expiation) de l’Anglais Ian Mc Ewan. Version française toujours chez Actes sud.

Pour ceux qui peuvent lire en espagnol, je conseille également son dernier en date, «Catedrales», pas encore traduit. L’histoire d’un crime atroce et resté impuni pendant trente ans, mêlant secret familial, religion et exil sans retour (Résumé complet en lien).

Une autrice à découvrir. Personnellement, j’en suis à mon 5ème bouquin en autant de mois, et je ne lis pas que ça, naturellement. Ne me demandez pas par lequel commencer, je les ai tous dévorés.

Claudia Piñeiro

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