Les élections présidentielles ont eu lieu en février 1946. Perón s’est présenté sous la bannière d’une union de trois partis, formés quasiment pour l’occasion :
– Le parti travailliste (Partido laboral), premier parti péroniste de l’histoire, créé expressément pour soutenir son champion
– L’assemblée rénovatrice de l’Union civique radicale (UCR junta renovadora), émanation dissidente du grand parti centriste historique, pour sa part très antipéroniste
– le Parti indépendant (Partido independiente), formé par des militaires d’essence plutôt conservatrice, mais proches de Perón.
Le ticket, comme on dit aux États-Unis pour désigner les candidats président et vice-président, est formé par Perón et Hortensio Quijano, ancien ministre de l’intérieur du gouvernement militaire et membre de l’UCR-assemblée rénovatrice.
En face, à peu près tous les autres partis civils se sont unis pour faire barrage (Eh oui, déjà). Un attelage improbable qui va des plus conservateurs à la gauche traditionnelle, communistes compris. L’union en question se nomme Union démocratique, histoire de bien montrer où se trouve le camp de la future dictature. A peine né, le péronisme divise déjà profondément le monde politique argentin, en attendant de diviser toute la société !
Le parti pivot de l’Union démocratique, c’est bien entendu l’UCR (Union civique radicale) canal historique, un parti centriste qui a déjà souvent gouverné au cours du XXème siècle. C’est donc lui qui fournit le ticket de candidats : José Tamborini et Enrique Mosca.
En sous-main, l’Ambassadeur Etatsunien, Spruille Braden, apporte le soutien de l’administration de Washington à L’Union démocratique. S’agirait pas que l’Argentine tombe aux mains d’un dictateur soutenu par le prolétariat !
Braden agit de concert avec une autre organisation particulièrement puissante en Argentine : la Société rurale (Sociedad Rural), grand syndicat patronal du secteur agricole, qui rassemble les grands propriétaires terriens effrayés par la politique de Perón.
A ce propos – le soutien des Etats-Unis – les opposants à la candidature de Perón vont commettre une lourde erreur pendant la campagne : la publication d’un certain livre bleu, en réalité, un texte rédigé par les services de Braden proposant ni plus ni moins que l’occupation militaire nord-américaine de l’Argentine, et la révocation de la candidature de Perón.
Malheureusement pour l’Union démocratique, ce travail de l’ombre s’avère totalement contre-productif. La mise au jour d’un financement occulte des nord-américains en faveur du ticket antipéroniste fait très mauvais effet dans l’opinion. Surtout que le camp d’en face s’en empare immédiatement pour faire campagne avec un slogan tout trouvé : Braden ou Perón. Autrement dit : la dépendance néocoloniale ou l’indépendance.
Et ça marche. Le résultat de l’élection est sans appel : Perón l’emporte avec près de 54% des suffrages. Ce n’est pas un raz de marée non plus, mais face à une union regroupant tous les autres partis traditionnels ou presque, c’est un résultat plutôt impressionnant. Voilà donc notre colonel – Eh oui, n’oublions pas qu’à la base, c’est un militaire – assis dans le fauteuil de Bernardino Rivadavia, comme on dit en Argentine en faisant référence à son premier occupant, en 1826.
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Quelques liens utiles
Fiche de lecture de Luis Alberto Romero dans le quotidien La Nación du 12-10-2019, à propos d’un livre sur l’Union démocratique. Le livre explique notamment les principales raisons de l’échec de cette union : son hétérogénéité (et donc, ses divisions), sa trop grande proximité avec le patronat, son penchant laïcard la privant du soutien de l’Église, et, bien entendu, l’activisme contre-productif en sa faveur du gouvernement des États-Unis.
Vidéo pédagogique (en espagnol) sur l’élection présidentielle de 1946. C’est plus un diaporama commenté qu’une vidéo, d’ailleurs. Mais le propos est très clair et montre bien les différents enjeux de cette élection, ainsi que l’antagonisme très fort, dès le début, entre péronistes et antipéronistes, qui, déjà à l’époque, étaient à peu près en nombre égal.
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Article précédent : Perón secrétaire d’état au travail.