Pour une surprise, c’est une surprise. Jusqu’à la semaine dernière, aucun sondage ne donnait le parti de Milei, LLA (La Libertad Avanza), à plus de 30 % des suffrages. La désillusion était sur toutes les lèvres, et nombre des électeurs de novembre 2023 se préparaient soit à s’abstenir, soit à changer leur vote.
Même du côté de Milei, on semblait résigné. On avait déjà préparé, sans doute, les communiqués relativisant les mauvais résultats.
En fait de mauvais résultats : une victoire nette et sans bavures, ou presque. 40,7%, 9 points devant l’opposition péroniste, créditée de moins de 35 %. Le plus beau : même dans la province de Buenos Aires, pourtant nettement perdue 47 à 33 lors des élections régionales de septembre, LLA devance les péronistes, en obtenant 7 sièges de députés sur 13.

Ce matin, la presse dans son ensemble peine à analyser ces résultats plus qu’inattendus. Et même inespérés par les vainqueurs du jour. Parlant de la «remontada» de Buenos Aires, La Nación pose la question à un million de pesos : «comment a fait le gouvernement pour rattraper 14 points en moins de 50 jours ?».
C’est que le cas de Buenos Aires laisse particulièrement pantois. Entre les élections de septembre et celles d’hier, LLA a pris 880 000 électeurs de plus. Or, il n’y a eu que 335 800 votes exprimés de plus, et bien entendu, tous ne se sont pas portés sur LLA. D’où vient donc cette énorme différence, demande le quotidien argentin ?
Dans l’ensemble, selon les lignes éditoriales, au moins trois explications sont avancées :
1. La stabilisation de l’inflation. Elle est portée, avec raison, au crédit de la politique d’austérité de Milei. Elle rassure, même si c’est au prix de beaucoup de souffrances économiques. Et pour beaucoup d’Argentins, le retour des péronistes signifierait à coup sûr celui d’une inflation très élevée.
2. L’intervention décisive de Donald Trump. C’est l’angle choisit par le quotidien de gauche Pagina/12 : «Pour le moment, Trump a gagné». Trump n’a pas hésité à intervenir dans la campagne, en arrosant le budget argentin de 20 milliards de dollars, avec promesse d’en lâcher davantage en cas de victoire. Pour ce quotidien, l’électorat argentin ressemble assez à celui qui a élu Trump aux États-Unis. Même vague conservatrice, même sentiment de déclassement, imperméabilité aux scandales, qu’ils soient liés à la corruption ou à la moralité. A ce propos, citons le journal :
Il y quelques heures, sur notre radio, nous disions qu’il était a priori difficile de savoir l’influence sur l’électorat des scandales de corruption qui affectent le gouvernement. Beaucoup, un peu, presque pas ? Il est clair que la réponse est la numéro 3. Le «presque» étant à relier, sans doute, au niveau d’abstention record pour ces législatives. Toute une partie de la population qui n’a pas voté, autant qu’on puisse en juger, parce qu’elle considère que la politique de change pas sa vie ni ne répond à ses nécessités vitales ou ses souhaits les plus élémentaires. La corruption dans tous les cas, est un détail par rapport à cela.
3. Le rejet persistant du «kirchnerisme». De mon modeste point de vue, là réside en grande partie la clé du vote des Argentins. Le kirchnerisme, tendance de centre-gauche du péronisme, a gouverné pendant près de vingt ans, c’est à dire la plus grande partie de ce début de 21ème siècle. Inflation, bas salaires, chômage, pauvreté, corruption à grande échelle (l’ancienne présidente Cristina Kirchner, tout comme notre Sarkozy, purge une peine de prison, à domicile dans son cas). A part pour l’inflation, Milei ne fait guère mieux, mais donc, quand même, un petit peu.
Et surtout, le kirchnerisme, et le péronisme en général, s’est présenté sans réel projet, et divisé, à ces élections. Il aura été sans doute la principale victime de la forte abstention (près de 40%). Selon le politologue Federico Zapata, cité par La Nación, « L’antikirchnerisme est aujourd’hui le premier mouvement social de masse d’Argentine« .
Ce sont là quelques clés, qui n’expliquent pourtant pas l’ampleur de la victoire miléiste. Certes, moins forte que lors de la présidentielle (entre temps, Milei aura donc perdu 14 points, de 55 à 41%), mais absolument incontestable. Il n’a pas la majorité absolue, mais d’une, il pourra sans problème imposer ses décrets-lois sans que le parlement ne puisse s’y opposer, et de deux il pourra compter sur des alliances ponctuelles au sein du parlement, où il dispose maintenant d’une majorité relative.
La Nación, toujours, relève qu’au bout du compte, le résultat en pourcentage de cette élection correspond peu ou prou à l’indice de popularité de Milei le plus récemment établi par le sondage effectué régulièrement par l’université Di Tella. En somme, les électeurs n’ont fait que confirmer une tendance : celle d’une baisse – relative – de popularité, mais en même temps, d’une double confirmation. D’un côté, le gouvernement ne suscite qu’une confiance limitée (41% d’opinions favorables), de l’autre, l’absence d’alternative crédible lui permet d’affermir son socle électoral face à des adversaires qui doivent maintenant se redéfinir et proposer un véritable contre-projet, inexistant pour le moment.
Car c’est sur ce vide que s’est établi, et se consolide, la victoire du trublion ultra-libéral. Tant qu’il ne sera pas comblé, on doit constater qu’il n’aura visiblement pas trop de soucis à se faire.
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Ci-dessous, la projection en sièges, lundi matin, donnée par le quotidien La Nación. La majorité absolue est de 129 sièges. On remarquera donc que personne ne l’obtient, bien sûr, et qu’en sièges, les péronistes restent donc les plus nombreux. Mais Milei pourra compter sur les 24 députés du PRO (droite classique) pour des alliances ponctuelles, et il ne manquera pas de faire pression sur ceux des «Provinces unies» (liste protestataire portée par des gouverneurs de provinces et qui a largement échoué à ces élections) pour les obliger à avaliser certains de ses projets. On notera également la persistante inexistence de la gauche argentine, créditée ici de seulement 4 sièges. Quant à l’UCR, Union civique radicale, ancien parti qui a dominé la vie politique argentine pendant des décennies (c’était celui notamment du président Raúl Alfonsín, premier président élu après la dictature militaire), il disparait peu à peu du paysage. L’écologie politique, elle, n’est même pas encore dans le ventre de sa mère !

Pour comparaison, voici la configuration avant cette élection :
