Cristina Kirchner condamnée

Suite du feuilleton Cristina Kirchner. Comme nous l’annoncions dans l’article précédent, le jugement est tombé hier dans la journée. L’ancienne présidente (2007-2015) et actuelle vice-présidente de la République Argentine a été jugée coupable de corruption et de fraude aux marchés publics et condamnée à six ans de prison, ainsi qu’à l’inéligibilité à vie.
Un jugement qui ne surprend personne, à Buenos Aires. Selon Pagina/12, la messe était dite depuis longtemps, en raison de la partialité de juges, selon le quotidien de gauche, qui n’ont présenté aucune preuve tangible de l’implication de Cristina Kirchner dans un réseau de corruption. Pour le quotidien, dans cette affaire, la seule association de malfaiteurs, c’est justement celle des juges !

Cristina Kirchner recevant le bâton de présidente de son mari Nestor, lors de la passation de pouvoirs en 2007.

Ce n’est évidemment pas l’avis des journaux d’opposition au gouvernement péroniste. Pour la Nación, ce n’est que le début d’une longue liste de condamnations à venir, puisque d’autres procès demeurent en cours, concernant d’autres affaires d’ordre similaire, comme celle de présumé blanchiment d’argent dans la construction et la réfection d’hôtels appartenant à la famille Kirchner en Patagonie.

L’ancienne présidente n’ira néanmoins pas en prison tout de suite. D’une part, elle bénéficie d’une immunité en tant que parlementaire et membre du gouvernement (il faudrait un vote et une majorité des deux tiers au parlement pour la lever), d’autre part, elle va naturellement faire appel de la sentence. Elle pourrait même se présenter à la prochaine présidentielle, malgré l’inéligibilité.

Dans cette affaire, elle n’est pas la seule condamnée. Il y avait en tout 13 accusés, à des titres divers. (Voir détails dans Clarín) Deux ont écopé de la même peine, l’entrepreneur Lázaro Báez et l’ancien secrétaire d’état aux travaux publics José López. 6 ont été condamnés à des peines un peu moins lourdes, 4 ont été finalement acquittés. Tous sont d’anciens fonctionnaires ou liés à des entreprises de travaux publics.

Les péronistes, qui soutiennent Cristina Kirchner, voient dans cette sentence la volonté de juges liés à l’opposition de droite de proscrire le mouvement, une nouvelle fois. (Rappelons que le péronisme avait été proscrit après le coup d’état de 1955, durant 18 ans, par les différents gouvernements militaires qui s’étaient succédé). La vice-présidente elle-même parlant d’une mafia judiciaire œuvrant pour la faire disparaitre du paysage politique.

Même s’il est très difficile pour un spectateur extérieur, comme nous le disions précédemment, de faire la part des choses, il parait assez probable en effet que la droite ait au moins profité de cette fenêtre judiciaire pour enfoncer un coin dans un mouvement péroniste qui demeure envers et contre tout très populaire auprès des Argentins les plus modestes.
Il n’en reste pas moins vrai que les marchés publics de construction de routes dans la région de Santa Cruz (celle dont sont originaires les Kirchner) ont été systématiquement attribués à la même entreprise amie de la famille, celle de Lázaro Báez.

Néanmoins, il semble bien que les preuves de l’implication directe de Nestor (président de 2003 à 2007) et Cristina Kirchner (présidente de 2007 à 2015) n’aient jamais été clairement démontrées. Par exemple, aucun document écrit n’a pu être mis au jour prouvant que l’ancienne présidente ait réellement donné des instructions concernant l’attribution des marchés. Ce qui n’enlève rien à l’évidence des relations entre les différents protagonistes de l’affaire. En somme, si les juges ont probablement moralement raison (Le favoritisme envers Báez saute aux yeux), ils se sont appuyés davantage sur des faisceaux de présomption et des témoins aux versions changeantes que sur des preuves tangibles, et le jugement manque donc de solidité légale.

En attendant, l’opposition exulte. Dans la Nación, Mariano Spezzapria voit dans le jugement une bombe politique qui laisse le gouvernement KO debout : Cristina Kirchner a annoncé qu’elle ne se présenterait plus à rien, laissant ainsi le mouvement orphelin d’une dirigeante historique. Dans Clarín, Claudio Savoia voit une sentence ouvrant la porte à une ère nouvelle, et qui pourrait servir de tremplin pour de nombreuses autres affaires. Une bombe qui pourrait bien sauter à la figure de nombreux autres dirigeants sud-américains eux aussi convaincus de corruption. Savoia ne prend pas la peine d’user d’euphémisme ni de prendre de gants, dressant une liste impressionnante de corrompus, mélangeant joyeusement les avérés comme l’ancien président Paraguayen González Macchi et les blanchis victimes de lawfare comme Lula au Brésil.

Cristina Kirchner et Ignacio Lula Da Silva

A gauche en revanche, on dénonce assez unanimement une persécution envers l’ancienne présidente. Pagina/12 relate en détails l’appui reçu de la part à la fois du gouvernement, des syndicats et d’associations de droits de l’homme.

Alors, sentence méritée ou lawfare ? Difficile de se faire une idée en lisant une presse totalement partiale en Argentine. Il n’en reste pas moins qu’avec ce jugement, le kirchnerisme, ce péronisme classé à gauche, est gravement touché, et aura du mal à s’en remettre. Il est en effet peu probable que Cristina Kirchner, malgré sa popularité encore élevée, puisse avoir encore un avenir politique. Paradoxalement, cela laisse le champ libre à l’espoir d’un certain apaisement politique dans un pays où sa figure cristallise  rancœurs et divisions. Et pourrait arranger l’aile plus centriste du mouvement, portée par l’actuel président Alberto Fernández, qui ces derniers temps était entré en conflit de tendances plus ou moins ouvert avec le kirchnerisme.

 

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