(Voir également l’article sur le déroulement de la guerre sur ce même blog)
L’antériorité de la découverte des îles est âprement disputée. Selon les sources, elles auraient été vues pour la première fois par l’explorateur Amerigo Vespucci (celui-là même à l’origine du nom du continent : l’Amérique) entre 1501 et 1504, ou par le Portugais Magellan en 1520, ou le jésuite espagnol Francisco de Ribera en 1540. Aucune trace tangible que l’un d’entre eux ait réellement posé le pied sur les îles. Les Anglais en tiennent soit pour le corsaire Richard Hawkins en 1574, soit pour John Davis en 1592. Mais ce ne sont pas les seuls «candidats» à la primauté.
Chacun d’ailleurs les a baptisées de manière à «marquer» le territoire de son empreinte : «Iles méridionales de Davis», «Iles Sebald» (du nom d’un navigateur Hollandais), «Hawkins maiden land», par l’Anglais Richard Hawkins.
Ce qui est attesté en revanche, c’est qu’en 1764, ce sont des marins bretons venus de Saint Malo qui les baptisent « Iles Malouines », nom qui restera, du moins dans les langues latines. Le nom gardé par les Britanniques, « Falkland islands », est semble-t-il plus ancien encore, donné par le navigateur écossais John Strong en 1690 en l’honneur du Comte de Falkland.
Ce petit archipel ne va pas cesser de changer de propriétaires au cours du temps. En 1764 donc, les Français, conduits par Louis de Bougainville, installent une sorte de comptoir, Port-Louis (le village existe encore sous ce nom, au nord de l’île orientale, Isla Soledad en espagnol). Les Espagnols râlent aussitôt : ils considèrent les îles comme partie des territoires sud-américains qu’ils ont déjà conquis. Notre bon roi Louis XV, qui a déjà perdu la guerre de Sept ans et corollairement la plupart de nos colonies américaines, Canada compris, baisse pavillon et admet l’illégalité du comptoir français. Les îles restent espagnoles, après remise néanmoins d’une jolie somme aux Français en dédommagement de leurs dépenses d’installation à Port Louis.
Les tontons flingueurs Anglais ne tardent pas à rappliquer, comme toujours quand ils sentent qu’il y a moyen de rafler des marrons déjà tirés du feu. C’est que les îles constituent une sorte de porte d’entrée du Pacifique, sans être obligé de passer par le continent «espagnol». En 1765, ils fondent Port Egmont, aujourd’hui Saunders. Commence alors une dispute anglo-espagnole. Chacun revendique l’antériorité de la découverte des îles. Pas facile de trancher, entre ceux qui ont vu en premier, ceux qui ont accosté en premier, ceux qui se sont installés en premier, etc…
En 1770, les Espagnols parviennent à déloger les Anglais de Port Egmont. S’ensuit une querelle diplomatique assez acharnée : on est au bord de la guerre. Un accord est alors signé, permettant aux Anglais de pouvoir se retirer sans perdre la face : c’est l’accord de San Lorenzo (accord de Nook, en Anglais), signé en 1790. Dans un premier temps, les Espagnols permettent leur réinstallation à Port Egmont, puis la couronne d’Angleterre décrète qu’elle abandonne la souveraineté des îles aux Espagnols. En Angleterre, ça râle sec : on a l’impression de s’être fait avoir, et que le bon George III a baissé le pantalon.
Néanmoins, par cet accord, les Espagnols conservent l’autorité sur les îles, rattachées au Vice-Royaume de La Plata, la future Argentine. La population est alors essentiellement composée de militaires et de prisonniers, car les Espagnols y ont implanté un pénitencier en 1780. L’intérêt économique des îles n’est pas très évident !
1810 : début du processus d’indépendance du vice-royaume de La Plata. Les Espagnols ont besoin de troupes pour affronter les indépendantistes : l’archipel se vide de ses habitants militaires.
1816 : l’Argentine est enfin totalement indépendante, les Malouines passent sous l’autorité du nouvel état, encore appelé «Provinces unies du Río de La Plata».
1823 : installation du gouverneur argentin Pablo Areguatí. La souveraineté de l’Argentine sur les îles, qui pour l’essentiel redeviennent un centre pénitentiaire, est officiellement proclamée, et avalisée par les autres nations. Dont, faut-il le remarquer, l’Angleterre, qui ne moufte pas à ce moment-là.
1825 : concession des droits de pêche, de chasse et d’élevage à la société fondée par l’Allemand d’origine française Louis Vernet, qui reconstruit l’ancien comptoir de Port-Louis. C’est le vrai départ économique de l’archipel, qui commence à se peupler autrement que de bagnards.
1829 : Les Anglais relèvent les sourcils. On pourrait donc tirer quelque bénéfice de ces cailloux atlantiques ? Commence alors ce qu’on n’appelle pas encore un «lobbying» de quelques entrepreneurs anglais auprès de la Couronne. Après tout, quand l’Angleterre s’est retirée en 1774, légalement, est-ce qu’elle a vraiment abandonné tous ses droits ? (Réponse : oui, mais poser la question, c’est toujours jeter un doute utile)
1830 : en vertu de l’interdiction de pêche décrétée par le gouvernement argentin, trois navires étasuniens sont arraisonnés et conduits à Buenos Aires. Les nord-américains protestent : personne au monde ne peut leur interdire de pêcher où bon leur semble, décret ou pas décret. Ils menacent : ou les Argentins libèrent leurs navires, ou ils débarquent sur les Iles Malouines.
Les Anglais sautent sur l’occasion, et appuient la demande nord-américaine, insistant sur «l’illégalité» de l’occupation de l’archipel par les Argentins, et leur propre souveraineté restée intacte depuis 1774. (Oui, ils s’assoient encore une fois sur l’accord de San Lorenzo, et alors ?)
1831 : Fort de ce soutien, les États-Unis envoient un navire à Puerto Soledad, et prennent possession du port. Parallèlement, ils négocient avec les Anglais le futur statut de l’archipel : la pleine souveraineté laissée aux Britanniques en échange d’un droit illimité de pêche. Après l’intrusion nord-américaine, les îles ont sombré dans un état d’anarchie, il n’y a plus d’autorité constituée.
1832 : pour rétablir l’ordre, l’Argentine envoie un nouveau gouverneur, Esteban Mestivier. Mais sa tentative de reprise en main arrive trop tard. Il est assassiné par un groupe factieux, le désordre est à son comble, et les îles ne sont plus suffisamment défendues par les autorités argentines. Les Anglais vont en profiter.
1833 : Les Anglais débarquent à Port Egmont. Le port est en ruines, mais ils décident de le remettre en état. La faible défense argentine, conduite par José María Pinedo, ne peut endiguer l’invasion britannique. Le 3 janvier, Pinedo quitte les îles, sur lesquelles flottent désormais les couleurs anglaises. Ceux-ci emploient alors une méthode efficace pour s’assurer un contrôle a priori définitif : peupler les îles de colons britanniques, qu’on appelle aujourd’hui les «Kelpers». Plus d’argentins, plus de problème. Jusqu’en 1982, donc, comme on pourra le lire dans l’article principal.
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Point sur la situation actuelle
En réalité, le différent à propos des Malouines englobe aussi les îles Sandwich et La Georgie du sud, également sous tutelle britannique (Voir carte ci-dessous).
L’ONU a promulgué deux résolutions importantes qui font référence pour ce conflit, mais également et plus globalement pour différents cas similaires.
1. La résolution 1514, datée du 14 décembre 1960.
L’Argentine s’appuie sur ses articles 1 (s’opposant à l’exploitation d’un peuple par une puissance étrangère) et 6 (sur l’intégrité territoriale inaliénable) pour affirmer le caractère colonialiste de «l’occupation» britannique. En réalité, cette résolution affirme surtout le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Or, les habitants des Falklands sont pratiquement tous d’origine britannique. En 2013, lors d’un référendum, ils ont affirmé à une majorité écrasante préférer rester sous tutelle britannique. Mais l’Argentine conteste ce point, non sans arguments : la population des îles n’est pas une population native, mais une population entièrement importée, et par là même, peut et doit être considérée comme une population coloniale, et non une population native colonisée. Par ailleurs, le paragraphe 6 de la résolution s’applique parfaitement aux îles : celles-ci ont été illégalement détachées de l’ensemble territorial argentin (Elles font partie intégrante de la plateforme continentale sud-américaine). Les Britanniques de leur côté répliquent que l’origine des habitants ne saurait être un argument valable pour contester leur droit à l’autodétermination, en s’appuyant sur l’article 5, qui stipule que «des mesures immédiates seront prises (…)pour transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve, conformément à leur volonté et à leurs vœux librement exprimés, sans aucune distinction de race, de croyance ou de couleur, afin de leur permettre de jouir d’une indépendance et d’une liberté complètes».
2. La résolution 2065, du 16 décembre 1965.
Cette résolution plus spécifiquement consacrée au différent anglo-argentin enjoint les deux parties à engager une négociation sans délai pour trouver une solution au conflit, pacifique, respectant les termes de la résolution 1514, et préservant l’intérêt de la population des îles. En préambule, elle rappelle clairement le caractère colonial de l’occupation des îles.
D’autres résolutions ont également été votées pour insister sur la nécessité pour les parties de ne prendre aucune initiative unilatérale qui pourrait compromettre le processus de discussion pacifique. Or, selon les Argentins, la Grande-Bretagne ne respecte pas ces résolutions. Elle refuse systématiquement de s’asseoir à la table des négociations, et, justement, ne se prive pas de mener des activités unilatérales, en militarisant la zone et en exploitant les ressources des îles. Ce que les Anglais contestent : les forces militaires installées depuis 1982 n’ont selon eux que des visées défensives, et l’exploitation des ressources est faite dans l’intérêt de la population locale.
En réalité, comme le prouvent les interventions répétées des diplomates britanniques, pour la Grande-Bretagne, il n’y a rien à négocier. En la matière, l’ONU reste impuissante à faire appliquer correctement ses résolutions. Par ailleurs, l’intervention militaire de 1982 a fortement fragilisé la position argentine, tout en renforçant la tutelle britannique. La résolution du conflit est encore très éloignée !