QUE PEUT ESPÉRER L’ARGENTINE DU NOUVEAU PRÉSIDENT ?
Comme dans tous les pays du monde ou presque, l’attente est grande en Argentine vis-à-vis du nouveau président Joe Biden. La presse en fait largement état dans ses unes de ce jeudi 21 janvier, au lendemain de la prestation de serment.
Retour au multilatéralisme ?
Pagina/12 y consacre même un dossier complet, décliné en première page sur pas moins de huit articles. Avec entre autres, bien entendu, l’évolution de la position étatsunienne vis-à-vis du multilatéralisme et, sujet toujours brûlant en Argentine, du Fonds monétaire international (FMI), un organisme dont l’intervention est récurrente dans l’économie du grand pays sud-américain depuis de très nombreuses années. Le ministre des Finances argentin, Martín Guzmán attend beaucoup de la nomination de Janet Yellen au Trésor pour aider à sceller un accord définitif entre l’Argentine et le FMI, et régler de façon satisfaisante la brûlante question du remboursement de la dette argentine, et notamment celui du prêt extravagant de 57 milliards de dollars consenti au gouvernement de l’ancien président Mauricio Macri.
En ce qui concerne le multilatéralisme, La Nación a noté que Biden, dans son premier discours, n’a pratiquement pas « parlé du monde », et se demande quelle conclusion on peut tirer de ce silence assourdissant de la part d’un homme qui fut quand même pendant des années, rappelle le quotidien, « un membre du Comité des Relations extérieures du Sénat , tutoie de nombreux chefs d’état, politiques et chefs d’entreprises internationaux, est venu 16 fois en Amérique du Sud et est considéré par les spécialistes du sujet comme l’un des présidents américains les plus calés en géopolitique ». Certes, Biden a proclamé la fin du repli initié par Trump, et le retour au multilatéralisme, mais n’a donné aucune précision concrète sur sa politique future dans ce domaine. La bonne volonté, conclut Ines Capdevilla dans son article, confirmée par le retour dans l’Accord de Paris sur le climat et dans l’Organisation mondiale de la santé, ne suffira pas à faire oublier que Biden, au moins dans un premier temps, aura à s’occuper de problèmes aussi aigus que bien plus internes, et n’aura pas forcément beaucoup de temps à consacrer au reste du monde.
Biden et l’administration péroniste
En bon anti-kirchner militant, Clarín souligne dès son premier sous-titre que Biden n’a pas de bons souvenirs du kirchnerisme, du temps de sa vice-présidence avec Obama. Le quotidien consacre quatre paragraphes à en rappeler les différents épisodes, de la confiscation par les Argentins de matériel militaire étatsunien en 2011 à la dénonciation des Etats-Unis par l’Argentine devant la Cour Internationale de Justice pour un conflit financier, en passant par le rapprochement avec l’Iran impulsé par la présidente Cristina Kirchner, et les accusations à peine voilées de cette dernière sur un possible attentat des services étatsuniens contre sa personne. Néanmoins, le quotidien anti-péroniste ne se montre pas trop pessimiste quant aux futures relations entre les deux pays, soulignant le pragmatisme de Biden, mais il souligne que tout dépendra, en réalité, de l’attitude du gouvernement argentin. Un des problèmes persistant est bien entendu la relation entretenue par l’administration péroniste avec le gouvernement vénézuélien, jugée bien trop bienveillante par les nord-américains. Un autre, mentionné également par Pagina/12 (Voir plus haut), est celui de la négociation de la dette argentine avec le FMI : pour Clarín, la balle est dans le camp de l’Argentine, c’est à elle de proposer un plan de remboursement viable, que les Etats-Unis pourront alors soutenir auprès de l’organisme international.
Ne pas se faire trop d’illusions
Il ne faut pas se faire trop d’illusions, indique pourtant Atilio Boron dans Pagina/12, dans un article néanmoins très orienté, mettant l’accent sur les biais impérialistes de la nouvelle administration.
L’arrivée d’Obama avait suscité de nombreux espoirs, mais sa politique, dit Boron, avait déçu, notamment dans sa gestion de l’après crise de 2008, plus favorable aux puissances d’argent qu’aux gens modestes. Certes, indique l’auteur, Biden arrive avec un gouvernement nettement plus diversifié que celui de Trump, essentiellement constitué de «mâles blancs». Mais la diversité, ethnique et culturelle, n’empêche pas les membres de cette nouvelle administration d’être tout aussi liés au «grand capital».
Le nouveau titulaire du Département d’Etat, Anthony Blinken, est «un faucon modéré, mais un faucon tout de même», qui a soutenu l’invasion de l’Irak en 2003 et l’intervention en Lybie. Son adjointe Victoria Nuland, très active sur le Maidan en Ukraine en 2014, avait envoyé promener l’Ambassadeur des Etats-Unis en personne lorsque celui-ci lui avait signalé le désaccord de l’Union Européenne avec la destitution de Victor Yanukovich d’un cinglant « Fuck the European Union ».
Le ministre de la Défense Lloyd Austin quant à lui était jusqu’à très récemment membre du directoire de Raytheon, un des géants du complexe militaro-industriel, et sociétaire d’un fond d’investissement consacré à le vente d’équipements militaires.
Difficile avec ce genre de personnel, conclut Boron, d’être très optimiste quant à une diminution à venir des tensions internationales. Malgré tout, Clarín veut croire qu’après un an de relations extrêmement difficiles entre l’Argentine d’Alberto Fernández et les Etats-Unis de Donald Trump, très proche de l’ancien président Mauricio Macri, des discussions positives puissent reprendre assez rapidement entre les deux pays.
Les Etats-Unis ont toujours considéré l’Amérique Latine comme son «arrière-cour», et n’a jamais renoncé à tenter d’influer, directement ou indirectement, sur son cours politique et économique. Il est assez peu probable qu’on puisse s’attendre à de grands changements dans ce domaine avec le nouveau président. Au contraire. « America is back » est une formule à double-tranchant, surtout en Amérique du Sud, où l’histoire des relations avec le cousin du nord a toujours été pour le moins tumultueuse.