L’ancien président Carlos Saúl Menem (1989-1999) est mort dimanche matin 14 février, à la clinique Los Arcos, dans le quartier de Palermo (nord-est de Buenos Aires) où il se trouvait depuis décembre dernier pour une pneumonie suivie de complications. Il avait 90 ans.
Une veillée funèbre a été immédiatement organisée dans les locaux du Congrès, dans le centre de la capitale.
Carlos Menem avait été élu président en juillet 1989, sous les couleurs du parti péroniste, pour succéder à Raul Alfonsín, premier président élu démocratiquement après la dictature militaire qui a sévi entre 1976 et 1983.
Le titre de Pagina/12 résume parfaitement le souvenir que laissera probablement Menem dans l’histoire contemporaine argentine : celui d’un « leader populaire qui aura laissé un héritage impopulaire ». En 1988, gouverneur de la province de La Rioja, il était parvenu contre toute attente à souffler la place de candidat à un péroniste historique, Antonio Cafiero, alors gouverneur de Buenos Aires. Par la grâce d’un charisme certain, et d’un pouvoir de séduction et de conviction incontestable, il a su charmer les électeurs péronistes, toujours nombreux en Argentine, de gauche comme de droite. Un peu à la manière d’un Berlusconi, ou d’un Sarkozy, pour citer deux personnalités politiques parmi les plus «bling-bling» de l’histoire européenne récente.
En pleine vague de néolibéralisme Reagano-Thatcherien, il va en appliquer les préceptes en les poussant à l’extrême, privatisant à tout va, et gouvernant en fonction des intérêts d’une petite minorité d’affairistes et de financiers, dont pas mal d’entreprises étrangères, qui vont sous son mandat acquérir à vil prix des joyaux de la couronne argentine, comme l’entreprise pétrolière YPF (Yacimientos petroliferos fiscales), totalement bradée, ou Aerolineas argentinas, la compagnie d’aviation nationale. Il a supprimé 75% du réseau ferroviaire argentin, le faisant passer de 36 000 km de lignes à seulement 9000. Remise en cause du droit du travail, coupes massives dans les emplois publics, comme le rappelle Luis Bruschtein dans son article rétrospectif du lundi 15 février, «Brique après brique, il a fait ce que même les militaires n’avaient jamais réussi à faire. Il a employé son mandat à démanteler ce qu’il restait des réalisations des premiers gouvernements péronistes : privatisation de l’eau, du gaz, de l’électricité, des transports, de l’industrie de l’acier, dérégulation de l’économie». Ce que certains de ses opposants ont appelé, et appellent encore, «la fête ménemiste» a fait danser les milliards au détriment de l’immense majorité de son peuple.
Politiquement, il est également l’artisan de l’amnistie pour les principaux dirigeants de la dictature, et s’est rapproché des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, malgré les souvenirs douloureux de la guerre des Malouines.
Sa politique ultralibérale et affairiste a conduit l’Argentine droit dans le mur, débouchant sur une des pires crises de son histoire, au début des années 2000. Avec des conséquences ravageuses : chômage massif, recrudescence de la pauvreté, désespoir des classes défavorisées menant à des manifestations violentes et des pillages de magasins, en 2001, avec en parallèle une crise politique aigue : pas moins de cinq présidents se succéderont en moins de trois ans, jusqu’à l’élection de Nestor Kirchner en 2003 !
Le plus extraordinaire, c’est de constater qu’en dépit de cette politique catastrophique, Menem aura été finalement le président qui aura gouverné le plus longtemps dans l’histoire du pays : 10 ans, en étant même réélu en 1995 ! Il s’est même présenté pour un troisième mandat en 2003, avant de se retirer après le premier tour, pour éviter l’humiliation d’une défaite face à… un autre candidat péroniste ! (N. Kirchner).
Car on ne peut pas lui enlever ça : jusqu’à la catastrophe finale, il aura su conserver une popularité certaine, en grande partie due à une de ses seules réussites économiques, au moins en début de mandat : la réduction de l’hyperinflation qui avait contraint son prédécesseur Alfonsín à la démission, ainsi que la mise en place d’une politique qui, croyaient ceux qui louaient celle de Ronald Reagan et Margaret Thatcher, allait permettre au pays de redémarrer en ouvrant son économie.
Un intéressant article de La Nación liste un certain nombre de « petites phrases » prononcées par Menem tout au long de sa carrière, et qui en disent long sur sa duplicité et son cynisme. En voici un petit échantillon :
– « On ne sait pas combien de temps cela prendra, ni combien de sang il faudra verser, mais notre territoire (Les Malouines) reviendra à notre peuple ». (Un an avant de reprendre des relations aussi diplomatiques qu’amicales avec le Royaume-Uni)
– « Je déclare la corruption délit de trahison à la patrie ». (Il a été plusieurs fois condamné pour corruption).
– « Une rame qui se met en grève c’est une rame qui ferme » : il n’aura pas hésité à mettre cette menace envers le secteur ferroviaire à exécution, et pas seulement pour ce secteur ! (voir plus haut).
« Mon livre de chevet, ce sont les œuvres complètes de Socrate » (Qui n’a laissé aucun écrit !).
« Je n’aspire aucunement à être réélu » (2 ans avant de réformer la constitution pour permettre… sa réélection !)
« Je vais gouverner pour les enfants pauvres qui ont faim et pour les enfants riches qui sont tristes ».
Menem le péroniste finira donc sa carrière battu par un autre péroniste, dont il dira pis que pendre ensuite tout au long de son mandat : toujours cette vieille contradiction interne à ce mouvement que nous autres Européens avons tant de mal à comprendre et à appréhender, tant il recouvre de tendances aussi diverses que franchement antagonistes. Menem peut être considéré non seulement comme un péroniste «de droite», mais probablement, également, comme un des pires, sinon le pire, des gouvernants de toute l’histoire argentine, depuis que celle-ci est une république. Et ce ne sont pas les larmes de crocodile de tous ceux qui font la queue depuis dimanche pour passer devant son cercueil qui changeront grand-chose à la trace qu’il laissera dans l’histoire, et dans le cœur de la plus grande majorité des Argentins. D’ailleurs, aux dernières nouvelles, il n’y avait pas foule aux abords du Congrès pour lui rendre un dernier hommage.
PS. Je viens de lire un article là-dessus sur le blog « gauchomalo« , de Santiago Gonzalez. L’article, écrit le 15 février, est paru également dans le quotidien « La Prensa » d’aujourd’hui, 22 février. C’est un article très critique sur l’héritage ménemiste, mais qui lui tresse des couronnes au sujet de sa politique néolibérale, parlant d’une période inédite de « sérénité économique, de sensation de liberté et d’ouverture sur le monde » (Je traduis en synthétisant). Une opinion pas forcément partagée par tous les Argentins ayant vécu cette époque, en tout cas les plus modestes. Néanmoins, l’article qualifie cette période « d’étape mafieuse » de la saga péroniste, un « processus de désintégration de la nation argentine initié par les militaires, poursuivi par Alfonsín, institutionalisé par Menem et perfectionné par ses héritiers Kirchneristes et Macristes (qui) poursuit sa marche en avant vers un ordre nouveau non décidé par les citoyens ». L’article, à mon sens, décrit assez bien le système du pouvoir ménemiste, même s’il exempte un peu légèrement de leurs responsabilités les influents théoriciens ultra-libéraux de l’époque.
Voir également l’excellent documentaire de Pino Solanas Memoria del saqueo, (qu’on pourrait traduire par « chronique d’un saccage ») qui couvre la période allant de 1976 à 2001, soit de la dictature militaire à la fin du règne de Menem. (En espagnol).
muy buen resumen de este nefasto personaje que nos gobernó durante 10 años, los que tuvimos que soportar todos esos largos años no lo vamos a olvidar jamás , porque no solamente fueron esos 10 años aun hoy seguimos pagando las consecuencias de ese desgobierno
Gracias Benito. Me parece que pocos argentinos, sean peronistas o no, sienten nostalgia por esa época. Con excepción, eso sí, de los que sacaron provecho de esa nefasta política.