Coup de tonnerre, quelques jours à peine après la promulgation de la loi du l’avortement légal. María Beatriz Aucar de Trotti, une juge de la région du Chaco (Nord Argentine) a suspendu, sur plainte d’un groupe de particuliers, l’application de cette loi pour l’ensemble de la province. Motif invoqué : la loi serait incompatible avec la constitution régionale. Selon Clarín, la juge met en avant dans ses attendus que « l’article 15 de la constitution provinciale garantit le droit à la vie et à la liberté, depuis la conception, et ce pour toutes les personnes, et s’agissant d’une compétence partagée par la province et la nation, doit en conséquence primer l’interprétation (de la loi) la plus favorable à la personne humaine ». Une affirmation aussitôt contestée par l’association pour le droit à l’avortement de la province du Chaco, par la voix de la députée Tere Cubells, qui rappelle qu’une autorité provinciale ne peut décider d’appliquer ou non une loin nationale.
Le Diario Popular s’étend sur les détails d’une querelle juridique qui devrait confronter les spécialistes du droit argentin les jours prochains. D’autant, signale ce journal, que face à une demande identique de citoyens de sa province il y a une dizaine de jours, le juge fédéral Julio Bavio, de la juridiction de Salta, avait statué de façon diamétralement opposée, arguant qu’il n’avait, lui, aucune compétence pour contester une loi votée par le pouvoir législatif national.
Naturellement, comme le souligne dans son article le quotidien de gauche Pagina/12, l’offensive vient clairement des milieux conservateurs «pro-vie». Pagina/12 nous apprend en outre que la juge Trotti est une militante confessionnelle active, tout comme son mari, Ernesto Trotti, membre de la commission Justice et Paix de l’Archevêché du Chaco. Pagina/12 livre la liste des plaignants du Chaco : ils sont six, dont cinq femmes, toutes militantes actives de mouvements anti-avortement et anti « mariage pour tous » (Le mariage homosexuel est possible en Argentine depuis 2010). Des militants(es) anti-féministes.
La décision de la juge du Chaco a été aussitôt vigoureusement critiquée par le ministre de la justice, Ginés González García, dans un tweet : «La juge du Chaco prend une mesure conservatoire pour interdire droit et santé aux femmes de la région. C’est incroyable. On utilise la justice pour ne pas respecter la loi !»
Le débat promet d’être chaud. En effet, les partisans de l’inconstitutionnalité, comme par exemple Paco Achitte, chef de service de l’hôpital Perrando, cité par Clarín, argumentent que la loi (de légalisation de l’avortement) porte atteinte à l’autonomie des régions, et que celles-ci disposent toujours d’un droit de réserve en ce qui concerne un droit « non délégué » (formellement) au pouvoir national. Ce qui serait selon eux le cas de cette loi appliquée localement. Une ambigüité du droit argentin qui risque de compliquer sérieusement cette application, d’autant que d’autres régions, celles naturellement dominées par une majorité anti avortement, pourraient également se positionner dans le même sens. Paco Achitte, d’ailleurs, président du Parti « Ciudadanos A Gobernar », compte bien proposer pour sa région de Corrientes (Nord-est, frontière avec le Brésil) une « déclaration de non-adhésion au projet d’IVE (Interruption volontaire de grossesse, en espagnol) ».
En Argentine, malgré la promulgation de la loi, le combat des femmes est encore loin d’être terminé.