Hier mardi 10 décembre, la justice argentine a mis un point final au feuilleton des deux rugbymen français accusés de viol et violence en réunion sur une femme argentine rencontrée en boite de nuit dans la ville de Mendoza, après le test match de l’équipe de France.
Comme on pouvait s’y attendre, le non-lieu a été prononcé par le tribunal de Mendoza, et les deux joueurs n’auront donc pas à revenir en Argentine, à moins que l’appel – d’ores et déjà annoncé par la défense de la victime – ne débouche sur un nouveau procès, ce qui est peu probable.
Dans ses attendus, le tribunal s’appuie principalement sur le compte-rendu de l’examen psychologique de l’accusatrice. Celui-ci stipule :
Elle (la victime, NDLA) présente une histoire linéaire et structurée, en opposition à une histoire spontanée et fluide, rigide en termes de chronologie des événements et déficiente en termes de construction logique, dont les détails ne sont pas articulés de manière cohérente dans l’ensemble. Le fil conducteur est lâche et dispersé.
En somme, la victime présumée est soupçonnée d’arranger les faits à son avantage, et de délivrer un récit plus fabriqué que véritablement vécu.
Par ailleurs, le tribunal relève le manque de preuves matérielles. La victime présumée avait accusé les deux rugbymen de violence, et d’ailleurs les traces de coups avaient été constatées dès le lendemain des faits, le jour même du dépôt de la plainte. Mais selon les juges, le déroulement des faits qui découle à la fois des quelques (rares) témoignages et vidéos accessibles ne permet pas d’apporter une preuve suffisante de la culpabilité des deux hommes et surtout du non-consentement de la victime.
Les juges s’appuient notamment sur une vidéo de l’ascenseur de l’hôtel, où on voit clairement Hugo Auradou et l’infirmière argentine échanger un baiser, puis sortir main dans la main.
Selon la victime présumée, le second joueur, Oscar Jégou, se trouvait déjà dans la chambre quand ils y sont entrés. Elle aurait demandé à Hugo Auradou de la laisser partir et dès ce moment auraient commencé les violences des deux hommes. Mais de cela, statuent les juges, il n’y a ni témoignage ni preuves concluantes, et le doute doit donc bénéficier aux accusés, d’autant plus au vu des conclusions de l’expertise psychiatrique de l’accusatrice, laissant penser qu’elle aurait altéré les faits à son avantage.
On se fera son idée. On le sait, il est toujours extrêmement difficile de démêler le vrai du faux dans ce genre d’affaire, où les preuves et les témoins manquent la plupart du temps, et où par conséquent les juges doivent se baser sur la parole des uns et des autres.
Il est bien possible que dans un premier temps l’infirmière ait été séduite par le beau Français, puis que la soirée ait ensuite, alcool et phénomène d’entrainement jouant leur triste rôle, pris un tour nettement moins sympathique, faisant amèrement regretter la jeune femme de s’être laissée embarquer. Car si on peut l’accuser d’avoir arrangé la vérité des faits, en revanche elle n’a pas pu inventer les traces de coups. Mais curieusement ceux-ci sont très vite passés au second, voire au troisième plan : le tribunal n’y fait aucune allusion dans ses attendus.
En substance, voici ce que dit le tribunal :
La décision du juge est basée sur l’article 353, paragraphe 2, qui indique que l’acte ne rentre pas dans un schéma criminel, en raison de l’atypicité de l’acte. En conclusion, le fait enquêté ne constitue pas un crime. (Atypicité : manque de conformité à un type de référence. En clair : les faits poursuivis n’entrent pas dans la nomenclature judiciaire).
En somme, on dit à la victime : «Peut-être que ces deux hommes vous ont violentée, mais il n’y a pas de preuve et votre récit incohérent nous fait douter. De toute façon, vous l’aviez bien cherché, non ?». Un vieux classique.
En attendant, à La Rochelle et à Montpellier, les deux clubs des jeunes français, on respire : ils vont pouvoir continuer à mettre des tampons sur le gazon. Avec toutes mes excuses pour cet humour douteux.
Une dernière réflexion : il demeurera absolument impossible de savoir quel rôle a joué la diplomatie dans cette affaire. En effet, l’autorisation donnée aux deux joueurs de rentrer en France alors même que l’instruction était encore en cours a laissé perplexe pas mal d’Argentins. Qui en ont aussitôt conclu que le non-lieu en était la suite logique. Et à vrai dire en effet, après la libération des joueurs et la reprise de leur carrière en club, plus personne en Argentine n’a jamais cru à leur retour.
J’ai entendu parler de retour en taxi sans aucun problème, et de message positif sur sa soirée envoyé à une amie le jour même ?
Tu n’en parle pas : ce sont des fake news ?
Le retour en taxi « sans problème » peut difficilement, je crois, amener quelque conclusion que ce soit à l’affaire. C’est pourquoi je n’ai pas cru nécessaire d’y faire allusion. Elle est effectivement rentrée chez elle en taxi, mais je n’ai rien trouvé de probant à rapporter quant au témoignage du chauffeur. En revanche, j’aurais pu en effet parler des messages de la victime présumée à une de ses amies. En réalité, il y en a quatre. Le journal La Nacion les détaille ici : https://www.lanacion.com.ar/seguridad/rubgbiers-franceses-que-dicen-los-audios-de-la-mujer-que-denuncio-a-los-jugadores-y-que-afectaron-su-nid12082024/
Le premier a été émis lors de son arrivée à l’hôtel avec Auradou. Elle dit : « je suis sortie avec un rugbyman étranger, je suis à son hôtel, ne compte pas sur moi ce soir ».
Le second a été envoyé au petit matin, après qu’elle soit rentrée chez elle :
« Ma vieille, merci pour ta patience. J’ai rencontré un type super grand, un jeunot très beau, et je suis rentrée chez moi à 9 heures. Je te dois la vie, merci de m’avoir laissée à la maison. C’est toujours la même histoire, dès que je sors, il faut que j’en profite ».
Le troisième vient ensuite, et fait allusion aux coups reçus lors de la nuit :
» Il m’a frappé, m’a attrapé par la joue, m’a fait des bleus sur la figure, la mâchoire, des égratignures sur le dos, tu ne peux pas imaginer, c’est terrible. Ce sont des connards, le mec m’a fait la misère ».
Enfin le quatrième, insistant sur les blessures infligées :
« J’ai un œil tout bleu, ma vieille, j’ai dû prendre un diplofénac parce qu’ils m’ont fait la misère. J’ai la gueule couverte de bleus ».
(Je traduis avec mes propres moyens, le langage est très argotique)
Voilà pour donner une idée plus précise. Les constatations légistes ont confirmé les coups, mais les deux premiers messages, au ton enjoué, ont en effet beaucoup porté préjudice à la position de la fille.