Victoire de Trump : perceptions argentines

Quand on est doté d’un président comme Milei, il est évident que le triomphe d’un type comme Trump ne peut laisser personne indifférent.
Il est encore un peu tôt pour juger des conséquences pratiques qu’aura le résultat de l’élection étatsunienne sur la politique et l’économie argentine. Pour cela, il faudra bien entendu attendre l’installation de Donald, en janvier.

En attendant, Milei, lui, a la banane, on s’en doute. Il se prend à la fois pour Mickey et pour Picsou. Et même pour Gontran, l’éternel veinard des BD de Disney.

A tel point, nous dit La Nación, que certains membres de son entourage n’hésitent même pas à s’approprier la victoire de Trump comme, en partie, la leur. « On l’a fait », les entend-on dire ici et là, cravates rouges (le rouge est la couleur des Républicains aux Etats-Unis) bien serrées au col. Milei et Trump ne se considèrent-ils pas aujourd’hui comme les dirigeants les plus importants du monde ? (Voir cet article de Clarín)

Tout à sa joie, Milei projette d’être un des premiers à faire le voyage de Washington, et discute déjà depuis un moment avec Elon Musk, qui est autant son ami, ne l’oublions pas, que celui de Donald. Bon, le premier, ça veut juste dire qu’il sera présent à la cérémonie d’intronisation, le 20 janvier. Avec, donc, pas mal d’autres chefs d’état. Mais au moins, il aura été le premier à le trompeter. Et quand même, il espère bien obtenir une entrevue privilégiée avant cela, dans la résidence personnelle de Trump, Mar-a-lago. (Voir à la fin mon ajout, après publication d’un article dans le quotidien espagnol El Pais).

Avoir un bon copain, voilà c’qui y a d’meilleur au monde, oui car un bon copain, c’est plus fidèle qu’une blonde… (G. Brassens)

C’est un vrai jeu de miroirs : quand Milei se regarde dans la glace, il doit voir Trump, et vice-versa. Tant ces deux-là ont de points communs. Au physique comme au politique. Passons sur le physique, ce n’est jamais beau de se moquer. Quant au politique, on voit ça d’ici : même cynisme, même nationalisme, même ultra-libéralisme débridé, même tendances populistes, mêmes penchants ultra-droitiers.

Question gouvernance, on pourrait même parler de deux clones. C’est Carlos Pagni, dans La Nación, qui le résume à mon sens le mieux. Je le cite :

Le gouvernement (…) perçoit la victoire de Trump comme un triomphe aux multiples dimensions. Pour beaucoup, Milei et son équipe se félicitent de ce triomphe parce qu’il augure d’abord de l’arrivée d’un chèque associé à un nouvel accord avec le Fonds monétaire international. Mais c’est une interprétation réductrice. Pour La libertad Avanza (parti de Milei, NDLA), cette nouvelle victoire du leader républicain signifie bien davantage.

Tout d’abord, elle représente le succès d’une méthode. Milei et son équipe, à l’égal d’autres acteurs politiques occidentaux, voient en Trump la validation d’une façon de faire de la politique, basée sur la radicalisation et la confrontation, véhiculée par les réseaux sociaux. Une gouvernance en opposition directe avec «l’establishment», «la caste». Pour ceux mus par cette logique, comme Milei, ce triomphe vient confirmer que cette méthode fonctionne, avec des conséquences qu’il conviendra d’analyser plus tard.

Une brutalisation de la vie politique déjà mise en œuvre en Argentine, où tout comme Trump a annoncé qu’il le ferait, le gouvernement a largement entamé un processus de purge de l’administration et de criminalisation de l’opposition, et notamment des syndicats et partis de gauche. Le but avoué : composer une administration «loyale», et en finir avec un fonctionnement démocratique vu comme un frein au développement d’une politique efficace.

Car comme dit un membre de l’entourage proche de Milei, à propos de la nomination de juges de la Cour suprême argentine dont la compétence et l’impartialité sont pour le moins contestées dans les milieux judiciaires : Nous devrons les nommer par décret, car le Congrès est un lieu d’obstruction, le grand agent qui empêche cette révolution que nous menons pour le bien-être de l’Argentine.

En ce sens, Trump bénéficie, lui, d’un avantage dont est loin de jouir Milei : un parlement à sa botte. Milei en rêve, et mise sur les élections de mi-mandat, qui auront lieu fin 2025, pour trouver la majorité qui lui manque pour le moment cruellement. Mais dont il a appris à se passer, bien aidé en cela par les divisions de l’opposition et le soutien des grands médias qui ne tarissent pas d’éloges sur le «nettoyage» en cours de la fameuse «caste» d’élites politiques discréditées.

Autre grand point commun : l’utilisation du mensonge comme arme létale, à la fois pour endormir les masses et assommer les adversaires. Pour se débarrasser des fonctionnaires en place, hautement suspects de tous travailler pour l’opposition (je dis bien tous, pas de détail chez Milei), rien de plus simple : ce sont tous des inutiles malfaisants, des surnuméraires dispensables, des traitres à la patrie dilapidant l’argent public, des corrompus et des fainéants. C’est ainsi que Milei, on l’a déjà raconté ici, a fait fermer l’AFIP, l’organisme de perception des impôts, pour en ouvrir un autre tout entier à sa botte, doté de fonctionnaires d’autant plus loyaux qu’ils seront révocables à merci. Ou qu’il fait fermer des hôpitaux.

L’élection de Trump est donc une excellente nouvelle pour les autocrates du monde entier, pas seulement de Milei. Les bouchons de vin à bulle ont dû sauter dans pas mal de pays le 7 novembre, suivez mon regard.

Et probablement chez nous également, où ces succès de régimes autoritaires confortent sans nul doute bien des espoirs du côté des amis de Cnews. Bientôt notre tour ?

Pour ma part, et on excusera cette intrusion personnelle dans cet article, j’ai nettement l’impression que nous sommes en train de (re)vivre l’épisode pourtant lointain de la décadence de Rome. D’ailleurs à ce propos, Santiago Caputo, l’âme damnée, conseiller privé de Milei, rêve tout haut, sur X, de son leader revêtu des lauriers de César. Citons encore Carlos Pagni :

(Caputo) professe une sorte d’admiration, ou de fétichisme, à l’égard de l’Empire Romain, (…) comme si notre époque révélait une forme de civilisation entrée en décadence durant ces dernières décennies. Il faudrait revenir à cela. Caputo imagine une Argentine impériale, dont Milei serait une sorte d’Empereur. Rien à voir avec un républicanisme pluraliste classique, il s’agit bien d’autre chose : une «République impériale» de concentration des pouvoirs, (…) un autoritarisme de marché assumé non par erreur ou incohérence, mais en tant que projet, qu’affirmation.

En somme, le marché, en tant que pouvoir suprême et incontestable. Un monde où tout serait marchandise. A ce propos je ne résiste pas à vous reproduire ici le petit dessin de Paz, dans Pagina/12 d’aujourd’hui :

Traduction :
– A chaque besoin correspondra un marché.
– Vous y incluez la santé et l’éducation publiques ?
– Bien sûr que non.
– Ce ne sont pas des marchés ?
– Ce ne sont pas des besoins.
(Source : Página/12 – 12/11/2024 – Dessin de Paz)

Un monde nouveau est en train de naitre, où enfin, l’air qu’on respire pourra être privatisé et faire l’objet de profits pour les plus méritants d’entre nous.

*

Mise à jour :

Milei a bien été reçu dans la résidence privée de Trump. Prem’s !

Le journal espagnol El País a publié un article commentant cette visite. Au cours de laquelle Milei n’a pas manqué de caresser Donald dans le sens du poil, sans oublier de s’auto-féliciter. Extraits :

«Cette victoire sans appel a constitué la plus folle « remontada » de l’histoire, un défi à tout l’establishment politique (…)»

Et un peu plus loin dans le discours :

«Un par un nous avons réglé les problèmes qui avaient été balayés sous le tapis ces dernières décennies en Argentine. (…) Seuls cinq pays se battent pour l’équilibre des finances : l’Argentine est l’un d’entre eux. Ce que je veux dire par là c’est que l’Argentine peut et doit être un phare pour le monde, le phare des phares, d’autant plus maintenant que le vent de la liberté souffle aussi sur le nord (j’aime bien le «aussi», NDLA) car le monde était tombé dans une profonde obscurité et supplie d’être éclairé».

Ce à quoi, naturellement, Trump a répondu en le félicitant de «rendre à l’Argentine sa grandeur», selon sa formule favorite. Make Argentina great again, quoi.

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