Bon, ça fait des lustres que mon camarade et hébergeur Christophe me tanne pour que je vous baille un article sur un des sports le plus populaires d’Argentine : le rugby.
J’ai beau lui expliquer que question compétence sportive, ma légitimité est à peu près aussi évidente que celle, au hasard, de not’ bon président Picard pour expliquer la cuisson des fricadelles, il insiste. (Bon, pas trop, quand même. Dans ses connaissances, il ne manque pas de pointures sur le sujet, à commencer par lui-même, ce qui devrait lui permettre de relativiser ma propre expertise !)
M’enfin, tout de même, en ce moment, c’est la coupe du monde de rugby (Je plains ceux qui n’en ont pas entendu parler, ça ne doit pas être très confortable de vivre dans une cave à champignons ou un abri atomique). Et l’Argentine fait partie des quelques équipes qui ne se prennent pas des branlées mémorables dès qu’elles affrontent un des monstres de la compétition. Mieux : bien que seulement sur un strapontin, elle en fait un peu partie, des monstres en question.
Bon, je disais que le rugby, en Argentine, est un des sports les plus populaires. Ce n’est pas entièrement vrai. Au sens strict du terme. Tout comme le polo (voir ici), même si c’est un sport apprécié du grand public, il est l’apanage, avant tout, d’une élite. La jeunesse du rugby, ce sont plutôt des fils à papa. On est loin, donc, très loin, du caractère «popu» du football, LE sport argentin par excellence. Ou du moins, le sport des Argentins.
Cela n’empêche. L’Argentine possède une excellente équipe nationale. Les Pumas, qu’elle s’appelle. Ce qui sonne, avouons-le, nettement plus féroce que «les bleus», «le quinze de la rose» ou encore, «les kiwis». Dommage qu’en rugby comme ailleurs, l’habit ne fasse pas le moine.
Actuellement, les Argentins figurent en huitième position du classement mondial des équipes nationales. Juste devant l’Australie et les Fidji. Et surtout, juste derrière le Pays de Galles, et ça, ça devrait changer. Car avant-hier mesdames-messieurs, justement, les Argentins ont défait les Gallois en quarts de finale de la Coupe du monde ! Et pas qu’un peu : 29-17.
Les voilà donc propulsés en demies ! C’est-à-dire, si on me suit bien, qu’ils vont figurer parmi les quatre meilleures équipes du tournoi !
Bon, d’accord, leur match contre les Gallois, ce n’était pas la partie du siècle. On glosera encore longtemps, j’imagine, sur ce fameux tirage au sort qui a fait que ces quarts de finale se sont retrouvés partagés en deux tableaux totalement asymétriques. D’un côté, les quatre favoris priés de s’entretuer (Irlande-Nouvelle-Zélande ; France-Afrique du sud), de l’autre, quatre seconds couteaux qui n’auraient certainement battu aucun des quatre premiers s’ils avaient dû, justement, les affronter en quarts (Galles-Argentine ; Angleterre-Fidji).
La fédé internationale a dû le sentir, puisque, hasard ou pas, les duels des géants avaient lieu au stade de France tandis que les petits poucets n’avaient droit qu’au vélodrome de Marseille.
On ne donnait pas cher des chances des Argentins, dans ce quart. Les quotidiens et bookmakers gallois et anglais s’en léchaient les babines à l’avance, annonçant une large victoire des « diables rouges » par au moins dix points d’écart.
Et il faut bien dire que le début de la partie semblait leur donner raison. Empruntés, lents, indisciplinés, les Argentins ont très mal débuté la rencontre, et on était fondé à croire que celle-ci n’allait être qu’un long calvaire pour des félidés qui semblaient mal digérer le poireau. Après 39 minutes de jeu, ils avaient déjà les fameux dix points de retards prévus par les journalistes gallois.
Heureusement, question de faire des fautes idiotes, le quinze rouge n’était pas mal placé non plus. Cinq minutes plus tard, le buteur gaucho, Emiliano Boffelli, avait passé deux pénalités. Plus que -4 à la mi-temps, on pouvait garder espoir du côté des bleus et blancs.
Petit, l’espoir, tant, vu du public, on avait l’impression que les Gallois les dominaient de plusieurs têtes. Mais le public, justement, était nettement plus bleu ciel que rouge. Je ne sais pas comment ils font, les Argentins, pour être aussi nombreux dans les stades français cette année. Quand on voit dans quel état est l’économie de leur pays, on peut se demander où tous ces gens ont trouvé le budget astronomique nécessaire pour traverser l’Atlantique et se payer un séjour de près de deux mois pour assister au tournoi. Quand je vous disais que là-bas le rugby est plutôt un sport de riches…
Ce samedi c’était pourtant une évidence : les Argentins étaient plus nombreux que les Gallois, et criaient nettement plus fort. Je n’ai jamais rien compris à ces histoires de «public qui vous porte» et de «soutien qui vous galvanise», mais le fait est là : après la pause, les gauchos ont semblé revenir gonflés à bloc. Et un tout autre match commença. On eut même l’impression que les joueurs s’étaient contentés d’échanger leurs maillots, tellement les uns semblaient avoir adopté le jeu des autres.
Les celtes offraient deux nouvelles pénalités à Boffelli, qui faisait basculer son équipe en tête. 12-10. Les chants gallois étaient subitement éteints, et la grinta argentine, aussi désordonnée que bruyante, se poussait du col. Léger coup de froid avec le deuxième essai gallois : les défenseurs argentins, comme le chien qui croit que la baballe est lancée, s’étaient précipités sans se rendre compte que Tomos Williams l’avait finalement gardée au chaud sous son coude droit. 12-17.
Il restait encore 23 minutes à jouer, mais tout le monde avait l’air bien fatigué. Le match, déjà jugé assez brouillon par les commentateurs Lartot et Yachvili, baissa encore en qualité. Mais surtout, hélas pour eux, du côté gallois. Ceux-ci se virent enfoncés au ras de leur ligne par la masse bleue et blanche qui envoya le «Rochelais» Sclavi poser le ballon pile sur la ligne. 19-17.
A la 77ème minute, l’ouvreur gallois remplaçant voyait sa passe mal calculée interceptée par Nicolas Sanchez, qui filait dans l’en-but. Il faut dire que lui avait encore des jambes et pour cause : il n’était entré en jeu que depuis dix minutes. L’Argentine reprenait le commandement pour ne plus le lâcher. 26-17, puis 29-17 après une dernière pénalité passée par Sanchez : les bookmakers gallois buvaient le bouillon, et les Argentins, du petit lait.
Voilà donc les Argentins en demie finale. Vu leur niveau réel, on trouvera très injuste, par ailleurs, que les Français, de leur côté, n’y soient pas. Nos bleus, eux, avaient un adversaire bien plus coriace à se coltiner en quarts (l’Afrique du Sud), et ont échoué d’un rien. En attendant, dans cette coupe de monde qui a pourtant lieu en France, à plus de 10 000 kilomètres de Buenos Aires, l’Argentine restera comme une des quatre meilleures équipes. Avec L’Angleterre, L’Afrique du Sud et, comme d’habitude, la Nouvelle-Zélande. Si on avait dit ça à mon camarade Benito, il y a deux mois, il m’aurait traité de « chiflado » (cinglé). Comme quoi le rugby reste, somme toute, également un jeu de hasard.
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Un petit tour de la presse argentine :
1. Les Pumas, en demies finales du Mondial : dans l’échelle des victoires, à quel niveau se situe celle contre le Pays de Galles ? (La Nación)
2. Les Pumas et les répercussions de leur grande victoire : du coup de poing sur la table aux émotions changeantes du Prince de Galles (La Nación)
3. Les Pumas remportent une partie épique et sont en demies pour la troisième fois de leur histoire (Clarín)