30-08-2024 L’affaire des rugbymen français

C’est la rentrée pour notre blog irrégulomadaire, qui comme tout le monde ou presque, a profité de l’été pour se consacrer avec toute son énergie défaillante à l’étude des bienfaits de la paresse, des mérites comparés du Spritz à l’Apérol ou au Campari, et à la recherche désespérée d’une herbe à maté potable dans les magasins de son département.

Notez qu’en Argentine, ce n’est pas du tout la rentrée : ils entrent au contraire dans leurs dernières semaines d’hiver. Pas trop tôt selon mes correspondants : celui-ci, d’hiver, a été copieusement arrosé à Buenos Aires, avec des températures à réjouir les nombreux négationnistes argentins du changement climatique.

Ceci dit, ces derniers temps, l’actualité argentine n’a pas non plus affiché des scoops bien saignants. La politique et ses aléas occupent toujours le gros des unes des journaux, avec le « futbol », bien entendu, et, un peu quand même, les jeux olympiques, où les engagés locaux n’ont pas particulièrement brillé : 52èmes au tableau des médailles, avec une en or, une en argent et une en bronze. 4ème place en Amérique latine, derrière même le petit Equateur, et assez loin de Cuba et du Brésil. Pas de quoi réveiller la fibre nationale.

Mais c’est quand même, indirectement, le sport qui a assuré une partie des dépenses d’encre des canards argentins cet été, et ce, grâce à deux jeunes français cherchant sans doute à maintenir haut le flambeau de notre réputation de pays de l’amour.

Vous en avez sans doute entendu parler. L’équipe de France de rugby était en tournée en Argentine début juillet. Le 6, elle jouait à Mendoza, ville connue pour être le fief des vignobles locaux. C’est connu, les jeunes français, comme les autres, aiment s’amuser. Et en rugby, les après-matchs sont réputés pour leur côté festif. Deux jeunes joueurs, le Rochelais Oscar Jégou et le Montpelliérain Ugo Auradou, sont allés en boite. Rien de bien extraordinaire. Sauf que quelques temps après, ils étaient la cible d’une plainte pour viol de la part d’une femme de trente-neuf ans.

En gros : elle aurait fait la connaissance d’Ugo Auradou dans la boite en question, et aurait accepté de l’accompagner à son hôtel. Sauf que rien ne se serait passé comme attendu. A l’arrivée, Oscar Jégou les a rejoints dans la chambre. Les deux français, comme on s’en doute, n’étaient pas vraiment à jeun. Selon la plaignante, ils lui auraient fait subir un viol en réunion, assorti de violences diverses.

Les deux rugbymen ont en conséquence fait l’objet d’une mise en garde à vue, puis d’une assignation à résidence en vue de leur procès. Comme de juste dans ce genre d’affaire, difficile de connaitre avec certitude la réalité des faits. Bien entendu également, Jégou et Auradou jurent que la femme était consentante. Pas de témoin, évidemment, et les caméras de l’hôtel n’ont enregistré que les passages dans les parties communes, hall, ascenseur, couloir. Où il ne s’est rien passé de répréhensible.

La justice argentine est prise entre deux feux.

D’un côté, la pression populaire, de moins en moins tolérante avec ce genre d’affaire, et d’autant moins que ce pays est en pointe dans la lutte contre les violences faites aux femmes (Enfin, était, avant que Milei n’arrive au pouvoir et ne sucre les subventions aux organisations de défense des droits des femmes). Sans parler du fait que les accusés portent deux stigmates assez lourds. Un, ce sont des joueurs de rugby, groupe sportif particulièrement mal vu en Argentine, surtout depuis l’affaire de l’assassinat d’un jeune en sortie de boite, en janvier 2020, commis par une bande de dix rugbymen avinés. (Cinq condamnations à perpétuité, 3 à 15 ans de prison). Deux, ils sont étrangers. Pas que les Français soient particulièrement mal vus en Argentine, au contraire, mais des sportifs professionnels…

De l’autre, la pression gouvernementale. Pas facile de s’en prendre à deux ressortissant étrangers, personnages plus ou moins publics de surcroit, sans déclencher immédiatement des difficultés d’ordre diplomatique.
Par ailleurs, on imagine bien que Javier Milei, président marqué à l’extrême-droite, ne se sent pas spécialement concerné par la défense des droits des femmes (Voir ci-dessus).

Où en est-on aujourd’hui, après un mois et demi de tergiversations de la justice ? Celle-ci a fini, sur les instances répétées des avocats des rugbymen, par leur accorder la liberté conditionnelle. Ils ont été placés en résidence surveillée, et privés de leurs passeports. Mais leur cas est loin d’être statué. Le plus probable est que la justice finisse par laisser pourrir, et classer l’affaire. Tant pis pour la plaignante, qui n’aura pas su, ou pas pu, apporter de preuves suffisantes de l’agression qu’elle avait subie. Comme trop souvent dans ce genre d’affaires, le doute joue toujours en faveur des accusés : manque de preuves matérielles, pas de témoins oculaires, absence d’aveux.

Mardi dernier, le 27 août, il devait y avoir une nouvelle audience, au cours de laquelle devait être notamment pratiquée une expertise psychiatrique de la plaignante. Celle-ci ne s’est pas présentée, selon son avocate, pour raisons de santé. Elle a tenté par deux fois de se suicider, dont la dernière vendredi dernier, 23 août. On ne sait pas encore si cette audience sera reprogrammée plus tard, ou si l’instruction sera purement et simplement donnée pour close. Ce qui pourrait accélérer le processus de classement (non-lieu, chez nous), réclamé par l’avocat des rugbymen.
On en est là pour le moment. Très commentée en juillet, l’affaire commence doucement à s’effacer des gazettes argentines, et il faut utiliser les moteurs de recherche pour trouver trace des derniers articles publiés. En France également, l’affaire ne fait plus autant de bruit. Libération y fait allusion dans son édition du 27 août dernier, sans apporter davantage d’information que ce qui vient de vous être relaté ici.

Difficile de faire la part des choses, et il est probable que la vérité ne sera jamais mise au jour. On ne peut hélas que constater, en revanche, que dans ce domaine, peu de choses semblent se décider à bouger. Paresse de la justice, lenteur de l’investigation, pressions politiques et diplomatiques, partialité des milieux sportifs (chez nous, Jégou et Auradou ont fait l’objet, dans les gazettes sportives, pour le moins, d’une certaine solidarité).

Personnellement, je reste dubitatif quant au comportement de ces deux sportifs. Si l’affaire est classée, comme cela semble en prendre le chemin, la plaignante restera durablement marquée : en effet, si c’est le cas, cela voudra dire qu’on considère qu’elle était consentante. Il ne restera d’elle que l’image d’une femme débauchée cherchant ensuite à tirer profit de sa débauche, en accusant deux malheureux jeunes qui avaient eu la malchance de croiser sa route et se laisser séduire.

C’est peut-être le cas. Mais si au contraire, les faits se sont déroulés comme elle les a décrits, à savoir, qu’elle avait effectivement accepté de suivre Jégou, mais qu’ensuite, elle s’est retrouvée piégée entre deux types ivres et violents qui lui ont fait subir des sévices sexuels, elle devra vivre avec. Sans rémission.

L’éternel dilemme des affaires de viol.

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Ben non, pas de photo aujourd’hui. Question de droits. Vous en trouverez dans les liens fournis dans l’article, notamment dans le journal Libération et dans Pagina/12.

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