Dans quelques jours, l’Argentine rentrera dans le printemps. Ouf, après cet hiver frisquet. Cela permettra peut-être de ramener quelques sourires sur des visages plutôt renfrognés, ces derniers temps.
Du côté des électeurs ordinaires, je veux dire par là, ceux qui n’ont pas de tendance politique bien définie et votent au gré du vent, on commence à déchanter. Fatigués par presque 20 ans de péronisme, déçus par la parenthèse de droite classique représentée par Mauricio Macri (président de 2015 à 2019), ils ont, comme on dit chez nous en parlant du RN, «essayé» l’anarcholibertaire Milei et son programme «mort à l’état et vive la liberté, bordel de merde !» (sic).
Celui-ci promettait, lui aussi (c’est la grande tendance plus ou moins populiste, si tant est que ce mot veuille vraiment dire quelque chose, du «rendre au ou à [mettez le nom du pays qui convient] sa grandeur». On allait voir ce qu’on allait voir, ces salauds de pauvres dévoreurs de prestations sociales, ces fainéants de fonctionnaires inutiles et trop payés, ces politiciens véreux qui ne pensent qu’à leurs fauteuils, ces juges laxistes qui laissent courir les délinquants, allaient danser le quadrille sous le feu nourri du nouveau shérif.
Fini le fric balancé à tort et à travers , finis les services publics subventionnés, fini le contrôle étatique des prix qui bride l’esprit d’entreprise, finies les lois iniques protégeant outrancièrement les employés et les locataires, fini le peso, remplacé par le dollar (Les États-Unis, surtout ceux de Trump, voilà un pays de cocagne), la main lourde de l’état allait être définitivement remplacée, pour le plus grand ravissement des foules enfin libérées, par la main invisible, sévère mais juste, du marché.
Huit mois après, la main en question est malheureusement trop visible. Augmentations en cascades des produits de première nécessité, alimentation, transport, énergie, baisse drastique, en conséquence, de la consommation, services publics au bord de la rupture après le licenciement de milliers de fonctionnaires, valeur du peso (toujours pas trace de son remplacement par le billet vert) réduite à sa plus simple expression : le salaire minimum aujourd’hui en Argentine s’exprime en centaines de milliers de pesos. Très exactement 234 315,12 pesos. On ne s’extasie pas : rapporté en euros, cela fait dans les 222€ (le peso est tombé sous la barre du millième d’euro, il en faut désormais 1053 pour faire un euro). Le salaire moyen, lui, selon les sources et les professions, oscille entre 380 et 700€. Quand on sait que le panier moyen pour une famille de quatre est d’environ 730€, on voit pourquoi certains font la grimace.
Ceci dit, c’est incontestable, les salaires du privé ont augmenté de façon sensible. Mais comme par ailleurs les prix n’arrêtent pas de monter (d’autant que le gouvernement a renoncé à tout contrôle des prix), la vie n’est donc pas plus facile. Au contraire.
Avec tout ça, qu’elle est l’ambiance ? Paradoxalement, ça tient. Je veux dire que Milei conserve envers et contre tout plus de soutiens que de rejet. On en est en août à un ratio de 44/37.
Milei a été aidé dernièrement par l’énorme scandale constitué par la plainte déposée par Fabiola Yanez, l’épouse de l’ex-président Alberto Fernández, pour violences conjugales. L’affaire est tombée à pic pour détourner l’attention des difficultés économiques et des querelles internes au gouvernement, où les passes d’armes, les claquements de portes et les démissions bruyantes se multiplient.
Dernière polémique en date : des députés Miléistes sont allés rendre visite dans leur prison à d’anciens tortionnaires de la dictature. Et pas pour les engueuler, mais bien pour les assurer de leur soutien et de leur compréhension. Une députée miléiste, Lourdes Arrieta, qui faisait partie de la délégation, a révélé à la presse les détails de la visite, et a quitté le groupe parlementaire, poussée par son propre mouvement, énervé de voir ainsi le scandale dévoilé. Elle prétend maintenant qu’elle ne savait pas qui étaient les prisonniers qu’on lui a présentés. Révélant ainsi son ignorance crasse de l’histoire de son pays.
La vice-présidente, Victoria Villaruel, elle-même fille d’un ancien militaire, a déclaré chercher une solution juridique pour sinon les amnistier, du moins leur permettre de recouvrer leur liberté. Nous avions déjà rapporté ici sa volonté de transformer le mémorial de l’ancien centre de torture de l’École de la marine en simple parc public.
Pendant ce temps, le taux de pauvreté augmente doucement. On en serait à 55%, selon les dernières estimations. Vous avez bien lu. Plus de la moitié des Argentins vit sous le seuil de pauvreté. Selon le politologue Andrés Malamud, le principal danger pour le gouvernement ne serait pourtant pas l’augmentation de la pauvreté, du chômage ou de l’inflation, mais bien la dévaluation constante de la monnaie et la valse des prix.
Je le cite : «Plus de la moitié des électeurs n’ont pas connu la crise de 2001 (article non traduit, hélas) et ce qu’ils ont retenu de la décennie passée c’est que la croissance a stagné et que tous les partis se sont succédé au pouvoir. Les retraités ne votent pas Miléi, le cœur de son électorat ce sont les jeunes, et principalement des hommes. Le point de fracture, c’est qu’il reçoit plus de soutien de la part des classes aisées, car de leur côté les classes défavorisées souffrent davantage de sa politique».
Mais pour l’instant, donc, ça tient. Pour diverses raisons. La première, c’est qu’il est rare de voir les électeurs se déjuger très rapidement après avoir envoyé un parti au pouvoir. La seconde, c’est que l’opposition péroniste non seulement est durablement discréditée (et le scandale conjugal de l’ancien président n’arrange rien, même si aux dernières nouvelles il serait en train de dégonfler un tantinet) mais qu’elle n’a guère de propositions alternatives, ni de personnalités charismatiques, à proposer. La troisième, c’est l’éternel fatalisme argentin, doublé de la féroce répression de tout mouvement populaire. Aujourd’hui, il est pratiquement impossible d’organiser ou participer à une manifestation de rue sans risquer l’arrestation.
Pendant ce temps, nos deux rugbymen français accusés de viol en réunion viennent d’être autorisés à rentrer en France par le procureur de Mendoza. Une décision encore en suspens, puisque la défense de la plaignante a sollicité une nouvelle expertise psychologique qui aura lieu mardi prochain, ce qui repousse la remise en liberté.
Une remise en liberté conditionnée à la garantie que les accusés se soumettent à certaines restrictions : rester localisables, pointer régulièrement au consulat d’Argentine, et revenir à Mendoza à la moindre sollicitation de la justice de ce pays.
Sur le fond, l’instruction a exprimé ses doutes quant à la plainte, relevant des contradictions dans le témoignage de la plaignante, et «son ton enjoué lors d’une conversation téléphonique avec une amie le jour de son agression». La partie civile a posé une demande de dessaisissement de deux juges en charge de l’instruction, Dario Nora et Daniela Chaler, pour «violence morale et partialité».
A suivre…
Il reste surprenant de constater que même en les plongeant dans une situation catastrophique, les électeurs continuent à soutenir la personne qui les a enfoncés dans la misère.
Merci pour ces informations.
On pourrait penser que c’est un biais argentin. En 1995, ils ont réélu de la même façon Carlos Menem, malgré sa politique ultra-libérale favorisant ses amis industriels. Résultat, en 2001, émeutes de la faim et chaos indescriptible. Mais en réalité, ce n’est pas propre à l’Argentine. Le fait que les gens modestes votent souvent contre leurs propres intérêts se vérifie très souvent, et un peu partout. Voir le vote Trump, ou la montée de l’extrême-droite dans pas mal de pays européens. Les discours démagogiques, aidés par des médias appartenant aux grandes fortunes nationales, font leur office. Ceci dit, en Argentine, question presse, le vent semble tourner un peu. Les grands médias restent très antipéronistes, mais un grand quotidien, très lu, comme La Nacion, le Figaro argentin, se montre de plus en plus critique vis à vis de Milei. Et cela seulement après dix mois de gouvernement. La popularité « résiliente » de Milei tient surtout dans l’absence d’une alternative crédible, les partis traditionnels n’ayant toujours pas renouvelé leur personnel.