Le nouveau président chilien Gabriel Boric a réservé sa première visite officielle à l’étranger à son homologue et voisin argentin, Alberto Fernández, avec lequel il partage sans nul doute une proximité politique propice à de bonnes relations diplomatiques entre ces deux pays pourtant, à la manière de la Grande-Bretagne et de la France, aussi proches qu’éternels rivaux.
Il est certain que les deux présidents n’auront pas manqué de sujets de conversation politique, la victoire de Boric ouvrant une sorte de parenthèse enchantée à son homologue argentin plutôt chahuté dans son propre pays en ce moment. Ils en auront sans doute profité pour parler de la difficulté de gouverner durablement à gauche dans un cône sud toujours étroitement surveillé par «L’empereur du nord», qui n’aime jamais autant les leaders de gauche sudistes que lorsqu’ils restent dans l’opposition.
Il est vrai que cette même gauche sud-américaine, ces derniers temps, semble reprendre quelques couleurs, du Chili au Pérou en passant par la Bolivie, et, espère-t-elle, en attendant le retour de Lula aux affaires au Brésil.
Mais loin de ces considérations politiques, Gabriel Boric a également rendu une sorte d’hommage à une belle et grande spécialité argentine : la lecture, et, corollairement, la grande tradition des librairies indépendantes qui pullulent dans tout le pays. Profitant de la proximité de son hôtel, situé dans le quartier moderne de Palermo à Buenos Aires, il a fait un saut jusqu’à la petite librairie voisine, «Eterna cadencia», pour feuilleter et acheter quelques bouquins. Pour l’anecdote, comme le rapportent Pagina/12 et Clarín, il en a acheté cinq, dont celui de Mariana Enríquez, «Alguién camina sobre tu tumba» (Quelqu’un marche sur ta tombe), chronique de ses visites de cimetières (voilà au moins un intérêt que je partage avec cette auteure argentine et le président chilien !).
Occasion de rappeler en effet que l’Argentine, c’est le pays des livres et des librairies. Des grandes, des moins grandes, mais également des bouquinistes, bien plus nombreux à Buenos Aires que nos braves bouquinistes des bords de Seine. Un article du quotidien Infobae nous apprend ainsi qu’il existerait 25 librairies pour 100 000 habitants à Buenos Aires (Plus de 700 en tout, donc) ! Naturellement, inégalement réparties sur la surface, avec des quartiers surreprésentés dans le centre et les quartiers touristiques (Recoleta, San Telmo), et des quartiers plus populaires relativement oubliés, comme Barracas ou Villa Soldati.
Il existe également une autre tradition très suivie : celle des foires aux livres d’occasion qui ont lieu tout au long de l’année. Les plus marquantes : celle, quasi permanente, de Recoleta, non loin du fameux cimetière et du célèbre bar «La Biela», qui se tient chaque fin de semaine, celle du quartier Caballito, tous les jours, ou encore celle qui se tient autour du Parque Centenario, proposant elle aussi quotidiennement divers stands du même type que nos bouquinistes parisiens.
Une simple promenade le long des avenues Corrientes ou Santa Fe nous donne une idée du succès de ce genre de librairies : il y en a quasiment une tous les trois cents mètres, de chaque côté du trottoir ! Et personnellement, même en plein mois de février (équivalent de notre mois d’août de vacances), je n’en ai jamais rencontré une de vide.
Un grand festival du livre a lieu chaque année et reçoit environ un million de visiteurs. Cette année, il se tiendra du 26 au 28 avril, au Centre d’exposition de La Rural, près de la Plaza Italia, dans le quartier de Palermo.
Outre ce nombre hors norme de librairies, Buenos Aires abrite également celle qui est considérée comme l’une des plus belles du monde : l’Ateneo. Située sur l’avenue Santa Fe, elle s’est d’abord appelée «Grand Splendid», car c’était à l’origine un théâtre à l’ancienne, où se produisaient les chanteurs de tango les plus fameux, dont le célèbre Carlos Gardel. Inauguré en 1919, il a été revendu en 1930, a servi de nombreuses années de cinéma, pour être racheté en 2000 par la Société El Ateneo qui l’a donc transformé en librairie, se servant de l’orchestre et des différents niveaux de balcons pour y installer ses étagères de livres. La scène, quant à elle, sert aujourd’hui de café ! Fort heureusement, l’ensemble architectural a été entièrement préservé, ce qui lui fait mériter son titre de «deuxième plus belle librairie du monde». (La première serait celle de la Selexyz Dominicanen à Maastricht aux Pays-Bas).
L’Ateneo est ainsi devenu une des attractions touristiques à ne pas manquer dans la capitale argentine, au même titre que le Caminito, le musée des Beaux-arts, le Théâtre Colón ou le Palais Barolo. Voir ainsi les livres «mis en scène», au sens propre comme au sens figuré, est un régal pour les yeux, et justifie la promenade, même si on ne vient pas spécialement acheter des livres. D’autant qu’il est un des derniers vestiges de l’architecture des salles de spectacle du début du XXème !
A lire également au sujet de l’Ateneo l’article assez complet (de 2011) sur le blog «Petit Hergé de Buenos Aires».